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MÉDECINE

Thérapies géniques : une révolution médicale en marche

Encore balbutiante il y a trente ans, la thérapie génique, qui intervient au cœur de la cellule malade pour y introduire du matériel génétique sain, permet aujourd’hui de soigner de lourdes pathologies autrefois incurables. Après les maladies rares, comme celles du système immunitaire ou du sang, cette technique innovante, principalement née en France, s’attaque désormais à des pathologies plus fréquentes, comme les cancers.

Une révolution thérapeutique qui sauve des vies jusque-là condamnées. Issue de la découverte de la structure de l’ADN en 1953 et du décryptage des premières cartes du génome humain en 1992, la thérapie génique permet aujourd’hui de soigner aussi bien des maladies rares que certains cancers. Si elle reste encore complexe à mettre en œuvre, son principe de départ est plutôt simple : « Il s’agit d’introduire une information génétique dans l’organisme, c’est-à-dire un gène ou un morceau de gène, dans le but d’obtenir un effet thérapeutique », explique Serge Braun, pharmacien, membre de l’Académie nationale de pharmacie, docteur en sciences et directeur scientifique de l’AFM-Téléthon. Pour bien comprendre, revenons aux bases : l’ensemble de nos gènes constitue notre ADN, le long fil contenu dans chacune de nos cellules qui renferme les recettes nécessaires à la fabrication des protéines indispensables au fonctionnement de notre organisme. Parfois, il arrive qu’un fragment de cet ADN soit défectueux : la formule de la recette n’est pas la bonne et la protéine n’est pas produite ou est de mauvaise qualité. C’est ce qui cause la maladie. La thérapie génique consiste donc précisément à réparer la structure ADN abîmée en insérant, dans les cellules du malade, un gène thérapeutique (appelé « gène médicament »), c’est-à-dire une version normale du gène défectueux responsable de la pathologie.

Vecteur viral

Pour cela, il existe deux méthodes : la plus récente consiste à sectionner le morceau d’ADN défectueux grâce à des ciseaux moléculaires avant de le remplacer par un fragment sain. Cette technique, baptisée CRISPR-Cas9, est notamment utilisée dans des essais cliniques concernant le sida ou le cancer. « C’est la forme ultime de la thérapie génique, précise Serge Braun. Mais il faut des outils capables d’opérer de manière très précise pour ne pas perturber le fonctionnement de la cellule. Cette méthode demande encore à être affinée en termes de sécurité voire d’efficacité. » L’autre méthode, la plus ancienne, qui a, elle, largement fait ses preuves, utilise un virus (vecteur) à l’intérieur duquel on cache le gène médicament. En pénétrant dans la cellule ciblée, le virus délivre le gène fonctionnel qui permettra ensuite de relancer la production de la protéine faisant défaut. Après plusieurs tentatives infructueuses, dont la première remonte à 1990 aux États-Unis, c’est un essai clinique français (pays précurseur en matière de thérapie génique) qui valide cette technique en 2000. Grâce aux dons récoltés par le Téléthon, le professeur d’immunologie Alain Fischer et son équipe de l’hôpital Necker parviennent à soigner des « bébés-bulle » atteints d’un déficit immunitaire sévère lié au chromosome X (DICS-X). Leur travail a consisté à prélever des cellules-souches de la moelle osseuse des petits malades, puis de les mettre en culture avec un vecteur viral préalablement rendu inoffensif et dans lequel ils avaient introduit un gène thérapeutique. Ainsi génétiquement modifiées ex vivo, les cellules souches se sont multipliées en exprimant le gène thérapeutique et ont été réinjectées dans l’organisme des jeunes patients pour les guérir. « Les résultats ont été spectaculaires, se souvient Serge Braun, en quelques semaines, ces enfants ont pu sortir de leur bulle stérile et vivre une vie normale. » Depuis, ces thérapeutiques innovantes sont déclinées dans de nombreuses maladies du sang, comme la bêta-thalassémie ou la drépanocytose.

Modification des cellules in vivo

Aujourd’hui, l’introduction du gène thérapeutique via le vecteur viral peut aussi se faire in vivo, c’est-à-dire directement dans l’organe du patient. « Les premières démonstrations ont été faites dans les maladies de l’œil, comme l’amaurose congénitale de Leber », explique Serge Braun. De même, les vecteurs peuvent aussi être injectés dans le cerveau, ce qui donne d’autres pistes pour traiter les maladies neurodégénératives, par exemple la maladie de Parkinson. Enfin, dernière avancée de l’application de la thérapie génique : l’injection du vecteur viral, non plus dans l’organe visé, mais par voie intraveineuse. En empruntant la circulation sanguine, le vecteur peut aller délivrer le gène thérapeutique vers le foie, les muscles, le cœur, le cerveau ou la moelle épinière. Ces progrès ont notamment permis l’élaboration d’un nouveau médicament autorisé depuis 2019 pour traiter l’amyotrophie spinale infantile, une maladie génétique de la moelle épinière.

Dix médicaments disponibles sur le marché

Trente ans après le début des recherches, dix médicaments de thérapie génique sont désormais disponibles sur le marché, dont quatre en grande partie grâce au travail de l’AFM-Téléthon, puisque les recherches initiales, voire certains essais cliniques, ont été menés par les équipes de son laboratoire, le Généthon. Cinq autres médicaments, utilisés pour le traitement du cancer (leucémies, lymphomes et certaines tumeurs solides), fonctionnent avec des principes qui ont également pu émerger grâce au travail des scientifiques du Généthon ou financés par le Téléthon. Trente autres produits de thérapie génique sont au stade III des essais pour le traitement des maladies génétiques, comme l’hémophilie ou d’autres pathologies rares (myopathie de Duchenne ou maladies enzymatiques). En outre, « 60 % des médicaments en cours de développement concernent les cancers du col de l’utérus, de la vessie, du foie ou encore de la prostate, précise Serge Braun. Il a fallu trente ans pour mettre au point les premières thérapies géniques. Maintenant, les choses avancent vraiment très vite. Les espoirs sont considérables ». Enfin, la thérapie génique s’applique également aux maladies infectieuses : début septembre, pas moins de 40 % des candidats vaccins contre la Covid-19 utilisaient aussi ses principes.

Delphine Delarue

DES TRAITEMENTS ENCORE HORS DE PRIX

Malgré les espoirs considérables soulevés par la thérapie génique, un problème demeure : celui du coût faramineux de ses médicaments. Pour le traitement de l’amyotrophie spinale par exemple, il faut compter presque deux millions d’euros. Celui qui s’adresse aux « bébés‑bulle » avoisine les 600 000 euros, et celui destiné à la dégénérescence de la vue atteint 735 000 euros. Remboursés en France et accessibles uniquement à l’hôpital, ces produits ne sont délivrés qu’au compte‑gouttes et de nombreux malades n’y ont pas accès. « Même si une seule injection peut suffire à guérir les patients, la recherche, le développement et la production de ces médicaments sont extrêmement coûteux, explique Serge Braun, directeur scientifique de l’AFM-Téléthon. La thérapie génique injecte un milliard de fois plus de particules virales qu’un vaccin, il faut donc produire beaucoup plus. L’enjeu actuel est vraiment celui de l’industrialisation des traitements. » Or, aujourd’hui, personne ne dispose des technologies permettant de produire ces traitements à grande échelle. Mais les chercheurs, en particulier ceux du Généthon, travaillent d’arrache‑pied pour trouver des méthodes innovantes capables de produire des vecteurs de façon industrielle, avec des rendements élevés, et parvenir ainsi à faire baisser les coûts et permettre l’accès de cette révolution médicale pour tous les malades.

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