Industrialiser L’Afrique - Stratégies, politiques, institutions et financements

Page 91

des entreprises industrielles (Chete et al., 2014). Le deuxième Plan (1970-1974), qui coïncide avec le nouveau statut du pays – devenu grand producteur de pétrole –, marque un changement radical dans la politique d’industrialisation avec le passage du secteur privé vers le secteur public. Le troisième Plan (1975-1980), lancé au plus fort du boom pétrolier, continue de privilégier les investissements publics dans l’industrie, et notamment dans les industries lourdes. Le gouvernement réalise des investissements ambitieux et coûteux dans le fer et l’acier, le ciment, le sel, le sucre, les engrais, la pâte à papier et le papier. La préparation des projets, les études de faisabilité, les dessins techniques et le travail de conception, la construction et la mise en service des usines s’appuient largement sur les compétences et les services techniques étrangers. Entre 1961 et 1969, le Sénégal poursuit, sous l’impulsion de l’État, une stratégie d’industrialisation pour substitution des importations (Cise et al., 2014). Les barrières tarifaires et non tarifaires protégeaient les grandes entreprises manufacturières, souvent créées par l’investissement public. En 1970, un nouveau régime politique met l’accent sur le développement des petites et moyennes entreprises et marque un recul de l’État sur le contrôle direct de l’industrie, mais toujours dans l’esprit d’une substitution des importations. Les quotas, les autorisations préalables et les interdictions d’importation de certains biens confèrent aux entreprises bénéficiaires un statut de quasi-monopole. Dans certains secteurs, les producteurs nationaux bénéficient d’une protection supplémentaire contre les importations grâce à des conventions spéciales, des protocoles d’entente et des prix administratifs. Au moment de l’indépendance de la Tanzanie, plus de 80% des biens consommés dans le pays étaient importés et le secteur manufacturier ne représentait que 4% du PIB (Wangwe et al., 2014). Entre 1961 et 1969, les plans gouvernementaux successifs entendent privilégier les investissements industriels à des fins de substitution des importations pour les biens de consommation de base et les biens d’équipement connexes. À l’instar du le Kenya, la Tanzanie a d’abord cherché à mettre en œuvre son programme d’industrialisation par le biais d’investissements privés locaux et étrangers. Cependant, les incitations fiscales et les activités de promotion de l’investissement déployées pour accroître les IDE n’ont pas donné les résultats escomptés. En 1967, la déclaration d’Arusha – ancrée dans le socialisme et l’autosuffisance – entre en vigueur. La production industrielle doit principalement répondre à la demande intérieure, les grandes entreprises industrielles sont nationalisées et, dorénavant, la plupart des investissements vont dans les entreprises publiques. Entre 1965 et 1980, les investissements réels dans l’industrie manufacturière ont augmenté de plus de 21% par an. La participation étrangère dans

l’industrie se limite aux coentreprises avec le gouvernement, aux accords de gestion et à la fourniture de biens d’équipement. L’industrialisation occupe une place importante dans le deuxième plan quinquennal de l’Ouganda (1966/67-1970/71), dont l’objectif est de transformer l’économie par l’industrialisation au cours de la période 1966-1981 (Obowna et al., 2014). L’industrie manufacturière devait croître deux fois plus vite que le PIB total. Le plan identifiait plusieurs priorités de développement industriel : vêtements, bois et liège, meubles et objets d’ameublement, chaussures, produits en caoutchouc, fer et acier (Stoutjesdijk, 1967). Comme au Ghana, les investissements prévus dans le sous-secteur du fer et de l’acier ont été considérés comme essentiels au développement futur de l’industrie manufacturière. 2.3 L’essoufflement de la première vague d’industrialisation Dans les années 1960, les efforts des États en faveur du développement industriel donnent d’excellents résultats. Entre 1960 et 1970, l’industrie manufacturière en Afrique connaît une croissance beaucoup plus rapide que le reste de la production, et la part de l’industrie manufacturière dans la production totale augmente donc. En 1970, toutefois, le mouvement d’industrialisation commence à s’essouffler et, en 1975, la croissance du secteur manufacturier freine la croissance de la production totale (Annexe, tableau 1). Les pays qui ont prôné l’industrialisation présentent un certain nombre de caractéristiques communes, notamment dans les industries de substitution des importations – et plus particulièrement des biens de consommation au stade final – des capacités excédentaires par rapport à la demande intérieure, des importations très importantes de produits industriels, et un désintérêt pour les produits manufacturés axés sur l’exportation. La protection tarifaire effective du secteur est très élevée et l’efficacité de la production, par rapport aux prix internationaux, est faible. Dans certains cas, les biens de consommation sont produits avec une valeur ajoutée négative par rapport aux prix internationaux. L’investissement public commence à dépasser les capacités budgétaires de l’État, et surtout peut-être, la capacité de l’État à gérer les entreprises. Le ralentissement de la croissance de la production et la sous-utilisation des capacités dans le secteur manufacturier se généralisent dans la seconde moitié des années 1970 et au début des années 1980. Contrairement à l’intention de la stratégie de substitution des importations, la dépendance à l’égard des importations a en fait augmenté en Afrique, notamment à cause de deux tendances que l’on retrouve largement dans les économies qui ont encouragé très tôt l’industrialisation : (i) les industries manufacturières de substitution des importations sont fortement dépendantes de capitaux et 73


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.