LA LUTTE DES MASSAÏS POUR LA SURVIE ET POUR LEUR TERRE
Je conjugue efficacité et durabilité.
MOBILISER plus POUR FAIRE FACE AUX ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX
Grâce à des pratiques vertueuses et par l’innovation, Bolloré Transport & Logistics se mobilise pour préserver l’environnement. Des solutions sont mises en place pour réduire l’impact de nos activités. Nous sommes engagés dans des démarches de certifications pointues, à l’image du Green Terminal déployé sur tous nos terminaux portuaires.
NOUS FAISONS BIEN plus QUE DU TRANSPORT ET DE LA LOGISTIQUE
NICOLAS KOUASSI CONDUCTEUR D’ENGIN, FORMATEUR
PAR ZYAD LIMAM
L’EUROPE SI PROCHE, SI LOIN…
L’Europe donc. 27 États membres (on a perdu récemment le 28 e , le Royaume-Uni, décidé à s’auto-isoler dans un Brexit assez suicidaire…). 450 millions d’habitants libres de s’installer sur tout le territoire de l’Union. Un espace unique où des États à la très longue histoire ont décidé de renoncer à une partie de leur souveraineté pour favoriser la création d’un marché commun, l’application de normes exigeantes en matière d’environnement, de couverture sociale, de liberté politique, de respect des droits de l’homme. Un espace aussi de paix, pour des nations qui se sont sauvagement combattues au fil des siècles. Tout n’est pas parfait, les divisions ne sont jamais loin et les forces qui veulent miner le système de l’intérieur non plus, mais l’un dans l’autre, c’est la zone la plus riche, la plus libre, la plus égalitaire et la plus protectrice du monde. Une exception précieuse, à ce moment de l’histoire où les autocraties, Russie, Chine et alliés, cherchent à renverser l’équilibre géostratégique. Au moment aussi où les États-Unis se déchirent, où la démocratie la mieux établie montre qu’elle peut sombrer. L’Union est surtout particulièrement riche. Avec un PIB de près de 15 000 milliards d’euros, l’UE est la deuxième puissance économique du monde, juste derrière les États-Unis et encore un peu devant la Chine. Le PIB par habitant s’élève à plus de 30 000 euros par an. Et sachant que l’Union investit des dizaines de milliards d’euros par an pour soutenir et accélérer le développement de ses membres les plus pauvres.
Voilà où nous en sommes. D’un côté, cet Europe-là. Et de l’autre, l’Afrique, avec plus de 1,3 milliard d’habitants, 3 000 euros par an (qui varient selon les calculs) pour chacun d’entre eux, et un PIB global de 2 60 0 milliards d’euros – presque autant que l’Italie, et moins que la France. D’un côté, une Europe vieillissante et richissime, et de l’autre, à sa frontière sud, un immense continent, une terre à la fois de promesses, mais aussi de pauvreté et de conflits pour des centaines de millions de personnes.
Les migrations sont une donnée de l’humanité et de l’histoire des peuples. Les femmes et les hommes n’ont qu’une seule vie. L’énergie du
désespoir les porte à essayer d’atteindre un possible eldorado. Les frontières, les armes ne les retiendront pas. Ils et elles traverseront les déserts, ils monteront à bord de rafiots innommables, ils se feront racketter par des passeurs sans âme, mais ils iront en Europe. Quelle que soit la hauteur des barbelés, ils et elles tenteront de passer, au risque de leur vie.
Dominée par les discours populistes, par la peur des électeurs face à ces vagues de migrants, par la difficile intégration aussi de ces populations nouvelles, l’Europe se barricade en l’absence de toute autre vision. Soixante ans après la fin de la longue nuit coloniale, elle a bien du mal à penser son sud autrement qu’en matière de menaces : l’islam en tout premier lieu, les Arabes, les Noirs, le terrorisme, etc. Ou de clichés : ils ne s’en sortiront pas, c’est la corruption, la violence ou les maladies. Le paradigme reste de se protéger de ce chaos. Et de cette différence.
De déclarations d’intentions en promesses de financements, l’Union européenne n’a jamais véritablement considéré son flanc sud – dont la vitalité démographique est une donnée structurante du futur – comme une véritable opportunité stratégique, une priorité à long terme. Son approche reste largement dictée par les schémas classiques, États-Unis, OTAN, tentative de séduction de la Russie (dont on voit aujourd’hui à quel point ce calcul était erroné). L’Europe ne mesure pas le potentiel africain, le marché tel qu’il existe avec ses dizaines de millions de consommateurs middle class, les ressources minières, le pétrole et le gaz, les terres arables, l’eau, le soleil, les défis communs de la sécurité et du changement climatique…
La mise en place réelle et progressive d’un tel partenariat changerait la donne, y compris pour les migrations. La mise en place d’un tel partenariat supposerait aussi que l’Afrique entre de manière plus décisive dans les « critères européens », en matière de gouvernance, de droits de l’homme, d’institutions. De part et d’autre, le chemin sera long. Et pendant ce temps-là, des femmes, des hommes, des enfants tenteront toujours encore la traversée du désert et de la mer. ■
3 ÉDITO
N°430 JUILLET 2022
L’Europe si proche, si loin… par Zyad Limam
6 ON EN PARLE
C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN À corps et à cris
26 PARCOURS
Fred Ebami par Astrid Krivian
29 C’EST COMMENT ?
Au-delà des cultures par Emmanuelle Pontié
50 CE QUE J’AI APPRIS
Denise Epoté par Astrid Krivian
70 LE DOCUMENT
Sucre, de l’esclavage à l’obésité par Catherine Faye
90 VINGT QUESTIONS À…
Djely Tapa par Astrid Krivian
TEMPS FORTS
30 Forteresse Europe par Cédric Gouverneur et Frida Dahmani
40 La lutte des Massaïs pour leur terre par Erwan Le Moal
52 Abdoulaye Konaté : « Je suis optimiste » par Luisa Nannipieri
58 Habib Selmi : « L’être humain est un continent » par Astrid Krivian
64 Mahi Binebine : « La culture est un ascenseur exceptionnel » par Astrid Krivian
P.40
P.06
Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com
BUSINESS
74 RCA : le pari risqué du bitcoin
78 Nicolas Dufrêne : « Au niveau de son utilisation par la population, c’est un fiasco »
80 Le Groupe OCP renforce son programme « Eau »
81 Record d’investissements directs étrangers au Rwanda
82 Abderrahmane Berthé : « Les chiffres sont en hausse »
84 Ecobank va déployer Farm Pass
85 La Namibie mise sur l’hydrogène vert par Cédric Gouverneur
VIVRE MIEUX
86 Les vacances, c’est fait pour être heureux
87 Éviter la colique néphrétique
88 L’alimentation santé : Démêlons le vrai du faux
89 Les bons réflexes face à l’acné par Annick Beaucousin et Julie Gilles
Jessica Binois PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com
Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO
Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Catherine Faye, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Erwan Le Moal, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont.
VIVRE MIEUX
Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF avec Annick Beaucousin, Julie Gilles. VENTES
C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage
« TRACEY ROSE: SHOOTING DOWN BABYLON », Musée d’art contemporain africain Zeitz Mocaa, Le Cap (Afrique du Sud), jusqu’au 28 août. zeitzmocaa.museum
ÉVÉNEMENT
À CORPS ET À CRIS
Au Cap, la rétrospective dédiée à Tracey Rose, l’une des artistes les plus CONTESTATAIRES de la scène internationale, cloue au pilori les stéréotypes liés à la race et au genre.
ELLE A FAIT DE SON CORPS un acte politique et artistique. Et n’a de cesse d’en explorer et d’en interroger les limites. La voix radicale de Tracey Rose dans le monde de l’art international et sud-africain propose une vision tranchante et sans compromis de la post-colonialité, des discriminations raciales, du métissage, du genre et de la sexualité. Née à Durban en 1974, elle fait partie d’une génération de plasticiens qui ont réinventé le geste artistique et s’est fait connaître du grand public à la fin des années 1990 avec ses performances subversives, notamment à la deuxième biennale de Johannesbourg, en 1997 – elle s’y était présentée aux spectateurs nue, la tête rasée, assise et tricotant ses propres cheveux, dans une boîte en verre. Une façon inédite de déconstruire la représentation du corps des femmes. Souvent décrit comme absurde, son travail artistique puise son inspiration aussi bien dans les faits historiques que dans l’idéologie populaire. Et frappe là où ça fait mal. Sans concession. ■ Catherine Faye
La plasticienne devant le Zeitz Mocaa, lieu de l’expo.
POLICIER
LE PURIFICATEUR
Un thriller féministe sur fond de BIGOTERIE MEURTRIÈRE dans une v ille sainte iranienne…
SOUNDS
À écouter maintenant !
Avalanche
Kaito
❶ Le chanteur et multi-instrumentiste
Avalanche Kaito, Glitterbeat/Modulor
Kaito Winse, dernier né d’une famille de griots burkinabée, a fait ses armes sur la scène alternative belge où il a rencontré un duo de punk bruxellois formé par Benjamin Chaval et Arnaud Paquotte. Ensemble, ils repoussent les limites d’une musique prompte à la transe, entre jazz et post-punk, riche d’improvisations et de poétiques distorsions. Tripant.
❷ Céphaz
L’Homme aux mille couleurs, Sprint Records/Play Two
SEXE, POLITIQUE ET RELIGION : un cocktail que l’on n’attendait pas forcément dans un film se déroulant en Iran, inspiré d’une affaire réelle survenue au début des années 2000. Dans la ville sainte de Mashhad, haut lieu de pèlerinage chiite et troisième ville d’Iran, des prostituées sont mystérieusement assassinées, dans l’indifférence des autorités locales. Mais la presse s’en mêle, et le pouvoir à Téhéran s’inquiète. Une journaliste réputée arrive de la capitale alors que 10 cadavres de jeunes femmes ont déjà été retrouvés… Un rôle incarné avec beaucoup d’aplomb par Zahra Amir Ebrahimi, ce qui lui a valu le prix d’interprétation féminine au dernier Festival de Cannes. Cette ex-star de la télévision avait dû s’exiler à Paris, à la suite de la diffusion d’une vidéo intime volée qui aurait pu lui valoir prison et coups de fouet. Le réalisateur, Ali Abbasi, est également réfugié, installé au Danemark : il a tourné son film en Jordanie, mais le spectateur est plongé dans l’ambiance pesante et misogyne d’une ville iranienne fréquentée par 20 millions de pèlerins chaque année… Le poids de la religion se révèle un peu plus lorsque le tueur en série devient un héros patriote aux yeux de bien des habitants qui applaudissent son action pour « nettoyer » la cité de ces pauvres malheureuses. Rien ne nous est épargné des conditions dans lesquelles elles sont tuées, comme un écho à la scène finale, implacable, après bien des rebondissements. Car il y a un suspense, une tension, et quelques surprises jusqu’au bout… ■ Jean-Marie Chazeau
LES NUITS DE MASHHAD (Danemark-Allemagne-Suède), d’Ali Abbasi. Avec Mehdi Bajestani, Zar Amir Ebrahimi. En salles.
Né au Ghana, Céphaz a grandi entre l’Afrique du Sud, Mayotte et la France. Son socle durant ces années nomades ? La musique et le football. Il a fini par choisir la première, fort d’une voix perfectionnée dans une chorale et d’un apprentissage au saxo et à la clarinette. Enregistré par le producteur de Vianney ou de Boulevard des Airs, Antoine Essertier, ce premier album cultive une jolie chanson entre pop et folk francophone.
Oum et M-Carlos
Hals, MDC/Believe
« Fear », « Desire », « Truth » ou encore « Empathy » : voici les noms de quelques-unes des sept pistes de cet album évoquant en musique les ressentis traversés depuis le début de la pandémie. Ces émotions sont imaginées par le duo formé pour l’occasion par la chanteuse marocaine Oum et le saxophoniste cubain M-Carlos. On y entend aussi bien du darija, de l’espagnol ou de l’anglais. Le résultat est atmosphérique, groovy… et un peu planant ! ■ Sophie Rosemont
f ill
Zar Amir Ebrahimi a remporté le prix d’interprétation féminine au dernier Festival de Cannes pour ce rôle.
Histoires de petites gens propose de (re)découvrir La Petite Vendeuse de Soleil et Le Franc (ci-contre)
LÉGENDE
LES CONTES D’AUJOURD’HUI
DE DJIBRIL DIOP MAMBÉTY
La restauration de deux moyens-métrages de l’ICONIQUE RÉALISATEUR SÉNÉGALAIS permet de redécouvrir des pépites
flamboyantes du cinéma africain, toujours aussi pertinentes.
CE DEVAIT ÊTRE UNE TRILOGIE, mais le troisième film (L’Apprenti voleur) ne sera jamais réalisé : en 1998, à 53 ans, Djibril Diop Mambéty meurt juste après avoir terminé La Petite Vendeuse de Soleil, quatre ans après Le Franc, tourné en pleine dévaluation du FCFA. Ces deux films de 45 minutes chacun ont été restaurés par les laboratoires Éclair, qui ont redonné tout leur éclat aux couleurs franches utilisées par le réalisateur : noir, rouge, vert, jaune et bleu. Dans Le Franc, c’est en rouge qu’est habillé Marigo, pauvre musicien dont la logeuse a confisqué l’instrument pour cause de loyers impayés. Ce personnage chaplinesque, avec sa silhouette dégingandée, voit pourtant la chance lui sourire après avoir acheté un billet de loterie qui va s’avérer gagnant, mais qu’il a trop bien caché en le collant sur une porte… On va alors suivre son périple jusqu’au centre de Dakar pour tenter de récupérer le gros lot (avec sa porte sur le dos, sur le toit d’un bus ou en traversant à pied des étendues envahies de déchets plastiques), sur fond de musique jazzy au saxo (composée par le frère du cinéaste, Wasis Diop, père de la réalisatrice Mati Diop). Une épopée tragicomique, avec très peu de dialogues et un montage qui fait souvent basculer le conte vers le fantastique. D’un personnage
tout en rouge, qui évolue comme un danseur maladroit, on passe à une fillette handicapée vêtue de jaune dans le second film. Sili vit dans la rue avec sa grand-mère et l’une de ses deux jambes pendouille entre les deux béquilles qui soutiennent sa démarche claudicante, mais que pourtant rien n’arrête. Afin de s’en sortir, elle va demander à vendre à la criée le quotidien Le Soleil, comme le font exclusivement des garçons, qui la moquent et la bousculent régulièrement. « Ce que les garçons font, les filles peuvent le faire », lance-t-elle. Elle recevra le soutien d’un vendeur du quotidien concurrent, Le Sud, « le journal du peuple » lui explique-t-il, alors que le premier est le journal du gouvernement. « Alors je vendrai Le Soleil, comme ça, le gouvernement se rapprochera du peuple », lui répond Sili. La vie est un combat de chaque jour pour ces miséreux, mais le récit ne les enferme pas dans leurs conditions et nous montre les chemins empruntés pour en réchapper par le haut, dans une réalisation épurée qui n’alourdit rien. Deux beaux films toujours actuels et définitivement cultes. ■ J.-M.C. HISTOIRES DE PETITES GENS (France-Suisse-Sénégal),de Djibril Diop Mambéty. Avec Dieye Ma Dieye, Lisa Balera, Aminata Fall. En salles.
BLUES
ALUNE WADE SULTAN OF SWING
Pour son cinquième album, le bassiste sénégalais embrasse les quatre coins de l’Afrique pour livrer un SUPERBE RÉCIT SONORE hybride et fédérateur.
« GRÂCE AU SON, la musique est une partie de la nature, explique Alune Wade. Elle est comme la terre, elle nous rend ce qu’on lui donne. Unir les peuples par le biais de ma musique a toujours été pour moi de l’abnégation. » En témoignent les émotions de son nouvel album solo, Sultan. Cela fait déjà trente ans qu’il joue de la musique. Il garde peu de souvenirs de ses débuts, mais « une chose est sûre, c’était à côté de [s]on père, qui était lui-même musicien ». Ce dernier dirigeait l’orchestre symphonique de l’armée sénégalaise. Grâce à lui, le jeune Alune apprend le piano, la guitare et la basse, où il excelle. Ses armes, il les fait auprès d’Ismaël Lo, qu’il accompagne durant huit ans, dès sa majorité. Et il s’impose rapidement sur la scène nationale avec ses compositions boisées, qui racontent la vie telle qu’elle est, tout en pansant les blessures. « J’ai aimé le blues avant de savoir ce que c’était, ce son qui vient du cœur », confesse-t-il. Cependant, son prisme n’est pas monomaniaque, et Alune Wade cultive les terres jazz comme celles du folk, la transe gnawa, qu’il a largement parcourues au sein de son groupe University of Gnawa, fondé en 2010 avec Aziz Sahmaoui. Depuis, tout le monde fait appel à lui, de Marcus Miller à Harold López-Nussa. Ce sens
du partage, c’est ce qui s’entend dans Sultan – qui convoque aussi bien les chants soufis que l’afrobeat ou les ritournelles arabo-andalouses –, où l’on retrouve des musiciens 5 étoiles tels le percussionniste Adriano Tenorio DD, le claviériste Cédric Duchemann, le trompettiste Carlos Sarduy, le batteur Daril Esso ou encore le saxophoniste Hugues Mayot…
Et ce ne sont pas les seuls : au total, 20 instrumentistes participent à l’aventure, laquelle a vu le jour grâce à la soif du collectif de Wade : « J’ai pu enregistrer ces nouvelles chansons à partir du moment où je me suis senti prêt à raconter mes expériences vécues avec des musiciens de l’autre côté de notre continent, que Paris m’a permis de croiser sur mon chemin. » ■ S.R.
Dans ce thriller, une mannequin s’infiltre au sein d’une richissime famille détenant un empire de cosmétiques…
Ce show haletant confirme la qualité des PRODUCTIONS SUD-AFRICAINES pour les plates-formes.
LES COSMÉTIQUES BENGHU veulent conquérir toute l’Afrique. Ils ont recruté une nouvelle égérie… sans savoir qu’avec d’autres enfants, elle a servi de cobaye pour leurs crèmes éclaircissantes, en toute illégalité (ces produits sont interdits en Afrique du Sud depuis trente ans)… Seule survivante – avec son frère resté à Soweto – de cette expérimentation qui a mal tourné, la top-modèle veut se venger en s’introduisant incognito au sein de la
EXPOSITION
richissime famille qui possède cet empire afin de trouver des preuves de leur trafic. La voilà plongée dans un quotidien de luxe et de glamour (les stylistes s’en sont donné à cœur joie !) à Johannesbourg, mais aussi au milieu des tourments d’un clan dirigé d’une main de fer par un patriarche et l’une de ses épouses. Un thriller en six épisodes (pour l’instant) qui prouve avec éclat l’originalité des productions du pays écrites pour le streaming. ■ J.-M.C.
De fil en aiguille
SAVAGE BEAUTY (Afrique du Sud), de Lebogang Mogashoa. Avec Rosemary Zimu, Dumisani Mbebe. Sur Netflix.
Treize artistes venus du Liban, d’Algérie ou du Maroc interrogent les liens entre les êtres et la question de la transmission. SOUVENIRS,SYMBOLES, rituels… Toutes les formes d’attache sont explorées dans cette expo à la fois esthétisante et émouvante. Son titre, « Silsila » (« la chaîne » en arabe), évoque ces filiations qui unissent les êtres ou les événements, une succession de maillons individuels et collectifs, indissociables, comme autant de destinées entrelacées. Portés par un imaginaire où l’intime et la mémoire se confondent, les plasticiens alternent les médiums et les registres, la figuration et l’abstraction, tissent les fils de leurs origines. Lourds tapis à moitié décousus de Ouassila Arras, fleurs et allégories disséminées dans les toiles saisissantes d’inspiration persane de Rayan Yasmineh, ou encore silhouettes stylisées figurant sur les étiquettes de paquets de semoule ou de henné de M’barka Amor raniment les secrets d’histoires personnelles ou familiales, les parcours migratoires, tout ce qui constitue le passé et le présent de ces artistes pluriculturels. Un voyage onirique autant que constitutif. ■ C.F.
SILSILA, LE VOYAGE DES REGARDS », Institut des cultures de l’islam, Paris(France), jusqu’au 31 juillet. institut-cultures-islam.org
NDUDUZO MAKHATHINI, In The Spirit of Ntu, Blue Note Africa.
JAZZ
Nduduzo Makhathini
L’invocation du collectif
À 39 ans, le Sud-Africain RÉINVENTE SON LANGAGE MUSICAL tout en documentant les tourments sociopolitiques de son pays. Magnifique !
ON L’AVAIT QUITTÉ sur le très beau Modes of Communication: Letters from the Underworlds, son premier disque paru chez Blue Note Records en 2020. On le retrouve avec un superbe dixième album, In The Spirit of Ntu : « Ntu est une philosophie africaine ancienne d’où vient le concept d’Ubuntu, qui dit : "Je suis car tu es." C’est une profonde invocation du collectif », explique Nduduzo Makhathini. Et en effet, ouvert à l’altérité, empreint des rites zoulous et témoignant du marasme
sociopolitique de l’Afrique du Sud, son dernier opus s’avère une catharsis d’une trame sonore explorée jusqu’à la substantifique moelle depuis les débuts du musicien, au début des années 2000. Autour de lui, la crème des instrumentistes jazz, de la saxophoniste Linda Sikhakhane au percussionniste Gontse Makhene, en passant par le batteur Dane Paris… Makhathini retrouve également la star du saxo américaine Jaleel Shaw, sur le très coltranien « Emlilweni ». Incontournable. ■ S.R.
L’UNIVERS
FANTAISISTE D’ABDEL EL TAYEB
L’étonnante première collection du STYLISTE FRANCO-SOUDANAIS fait la part belle aux formes et au travail sur les matières.
LE BORDELAIS Abdel El Tayeb est une étoile montante dans le monde de la mode. À 28 ans, le designer franco-soudanais a remporté le Debut Talent Award à la Fashion Trust Arabia de Doha, en novembre dernier. Et en mai, la journaliste Rokhaya Diallo a porté sur le tapis rouge du Festival de Cannes la robe en perles colorées qu’il a dessinée pour elle avec la créatrice textile Cécile Feilchenfeldt. L’entente avec cette magicienne de la maille, rencontrée pendant ses études à l’école Olivier de Serres, à Paris, a été immédiate. Les deux partagent un intérêt pour la création de pièces qui ressemblent à des « sculptures sur corps » ainsi que pour la recherche sur les textures et les matériaux qui permettent de créer des volumes étonnants. Pour dessiner sa première collection et son manifeste, « El Tayeb Nation », du nom de sa marque, le styliste a puisé son inspiration dans
les formes arrondies des paniers tressés soudanais, mais aussi dans l’univers du sculpteur Alberto Giacometti et de sa Femme cuillère. Il a développé les coupes, travaillant notamment le tailoring et exploitant des renforts à l’intérieur des vêtements pour faire tenir les volumes, mais aussi employant des matières qui gardent d’elles-mêmes une forme bombée. Incarnation d’une nation fantaisiste, à mi-chemin entre la France et le Soudan, sa garde-robe met en avant son héritage multiculturel. Les silhouettes alternent coupes classiques à la française, brodées avec des motifs soudanais, et tenues inspirées de la tradition soudanaise, comme le thobe (morceau de tissu drapé autour du corps). On s’imagine devant une parade nationale, qui nous plonge dans l’univers du label, où défilent un officier en grande tenue à côté d’une Marianne parée du drapeau de ce nouveau pays. Depuis Milan, où il travaille pour Bottega Veneta et jongle entre la réalisation de commandes particulières et de projets artistiques, Abdel El Tayeb confie réfléchir à une nouvelle collection et ne cache pas l’envie d’ouvrir, à terme, un atelier au Soudan. ■ Luisa Nannipieri
Les silhouettes mixent coupes classiques et tradition soudanaise.
Ci-contre, le fondateur de la marque El Tayeb Nation.
Le créateur joue avec des volumes étonnants.
DESIGN FROM DAKAR FABRICS
Le style et le confort avant tout
Cette MARQUE DE SACS À DOS mélange culture sénégalaise et militantisme écologique.
« SAHEL ROLLPACK », la première collection de cette marque dakaroise, inspirée des sacs des tirailleurs, a vu le jour en 2017 et est déjà un classique. « Nous avons utilisé des bâches et des vieillies ceintures de l’armée pour créer des sacs qui correspondent à notre style », raconte Moctar Ba, fondateur et designer de From Dakar Fabrics. C’est en discutant sur la plage avec sa future femme et un autre copain qu’ils ont décidé de lancer un label de sacs durables, imaginés pour et par des gens qui évoluent dans le milieu du surf, du skate ou du roller. Les modèles test, réalisés à partir de vieux draps et rideaux récupérés auprès d’hôtels de la capitale, avaient été distribués gratuitement pour pousser les jeunes à abandonner les sacs plastiques. Une démarche militante assumée qui caractérise les six collections de la marque, qui compte aujourd’hui trois ateliers : Dakar, Marrakech et en Gambie. Confortable et pratique, chaque pièce est réalisée à la main avec des matériaux de récupération, comme les bâches de l’Organisation internationale pour les migrations, utilisées pour la ligne spéciale outdoor « Fulfulde ». Ou le pagne naturel des tisserands manjak, particulièrement mis en avant dans le Bum Bag et le Mojo Laptop. ■ L.N.
fromdakarfabrics.wixsite.com/fromdakarfabrics
SELMAN FARIS
L’HOMME DE L’OMBRE
Connu pour PRODUIRE DES STARS
DU RAP français, ce multi-instrumentiste d’origine turc propose un premier opus au groove solaire.
C’EST D’ABORD un homme de l’ombre, qui a activement participé à la production de disques récents de Stromae, Nekfeu, Laylow, PLK ou encore Alpha Wann. Un beau palmarès, donc ! Mais l’homme n’est pas que ça… Né à Paris, fils du célèbre joueur de ney Kudsi Ergüner, Selman Faris a étudié au conservatoire, puis au California Institute of the Arts, aux États-Unis. S’il joue le même instrument que son père, il maîtrise également la guitare, le violon, le saz, les claviers ou encore l’alto. Cette première aventure en solitaire, baptisée Neva, rend hommage à ses racines ottomanes tout en convoquant des sonorités pop et électro. C’est à la fois frais et spirituel, porté par le chant en turc très agréable de l’artiste. Un morceau comme « Yeni Gün » (« Nouveau jour ») sera l’idéale bande-son de notre été, tandis que « Yildizlar » encourage à l’introspection. Une belle réussite que ce Neva, qui laisse présager plusieurs successeurs… ■ S.R. SELMAN FARIS, Neva, Kiraz Records/GUM.
LITTÉRATURE
KHAOULA HOSNI NI BLANC NI NOIR
Le sixième roman de la Tunisienne BOUSCULE LES CODES à travers le récit d’une femme trompée.
GHALIA, mariée depuis dix-huit ans et mère de deux adolescents, découvre que son mari a une maîtresse. L’histoire est banale. Mais la réaction de l’épouse dupée est totalement inattendue. Le choc est tel qu’il la pousse à se lancer dans une remise en question et une réflexion, à la fois éprouvantes et libératrices, afin de comprendre le sens et les raisons de cet adultère. « C’est simple : traite les autres comme tu aimerais être traitée. Toujours », écrit en exergue la romancière, qui a vécu l’écriture de ce texte comme un exercice émotionnel. Court, intense, ce roman psychologique pointe du doigt le poids de la religion, de la famille et de la société en Tunisie. L’histoire, quant à elle, est si universelle que ses protagonistes pourraient être dans n’importe quelle ville du monde. Si tous les thèmes ont été déjà été abordés, c’est la manière d’en faire la narration qui diffère. Khaoula Hosni n’hésite pas à tremper sa plume dans le quotidien des blessures, des relations humaines, ou des chemins de traverse, pour en explorer les singularités. À travers ce drame social, l’auteure, qui a déjà publié six romans et deux recueils de nouvelles, et obtenu de nombreux prix en Tunisie, se fait le chantre de l’empathie. Tout le monde a raison et tout le monde a tort. Chacun cherche sa voie, surtout dans une société pesante, où les différences sont réprouvées. Ainsi, lorsque l’héroïne se rend à l’appartement où les deux amants ont pour habitude de se retrouver, c’est Wafa, la maîtresse, qui l’accueille et lui propose une solution. Une solution imprévue qui viendra déconstruire les poncifs de l’adultère. Et dont les conséquences mettront, des années plus tard, ces mots dans la bouche de Ghalia : « Je suis venue me recueillir sur la tombe de la femme avec laquelle tu m’as trompée. » ■ C.F. KHAOULA HOSNI, Le Prix du cinquième jour, Arabesques, 156 pages, 20 d inars tunisiens.
INSOLITE NSOLITE LAETITIA KY
Avec ses sculptures capillaires (présentées à la Biennale de Venise), l’Ivoirienne s’engage et célèbre la BEAUTÉ DES FEMMES NOIRES.
ELLE A COMMENCÉ le tressage capillaire à 5 ans, implantant des extensions bouclées à la chevelure lisse de ses poupées Barbie. Depuis, sa passion pour la beauté est devenue un art militant, un combat politique dénonçant l’inégalité des sexes et l’impérialisme occidental. Née en 1996 à Abidjan, l’artiste autodidacte et influenceuse Laetitia Ky enflamme la Toile (plus de 500 000 abonnés sur Instagram, 6 millions sur TikTok) avec ses sculptures capillaires originales, réalisées avec ses cheveux, des rajouts, du fil de fer ou encore de la laine… Inspirées par les coiffures africaines ancestrales, souvent pleines d’humour et d’impertinence, ses œuvres brisent les tabous sur le corps féminin (poils, règles…), le harcèlement, les violences conjugales, le genre. Magnifiant le cheveu crépu, elle veut prodiguer fierté et estime de soi aux Africaines. Dans son livre Love and Justice: A Journey of Empowerment, Activism, and Embracing Black Beauty, illustré de sculptures inédites, elle raconte son parcours inspirant. Actrice dans La Nuit des rois de Philippe Lacôte, égérie pour des marques de mode, elle vient de rentrer dans le Livre Guinness des records, devenant « la personne qui saute le plus rapidement avec ses propres cheveux [s’en servant comme d’une corde à sauter, ndlr] en 30 secondes ». ■ Astrid Krivian
LAETITIA KY, Love and Justice: A Journey of Empowerment, Activism, and Embracing Black Beauty, Princeton Architectural Press, 224 pages, 27,50 $.
Avec ses 500 000 abonnés sur Instagram et ses 6 millions sur TikTok, l’artiste est un véritable phénomène.
« FRÉDÉRIC BRULY BOUABRÉ : ON NE COMPTE PAS LES ÉTOILES », galerie MAGNIN-A, Paris (France), jusqu’au 30 juillet. magnin-a.com
« FRÉDÉRIC BRULY BOUABRÉ : WORLD UNBOUND », MoMA, New York (États-Unis), jusqu’au 13 août. moma.org
ART VISIONNAIRE
L’immense
production de l’Ivoirien FRÉDÉRIC BRULY BOUABRÉ, des années 1970 jusqu’à sa mort en 2014, est mise à l’honneur à New York et à Paris.
ALORS QUE LE MUSEUM OF MODERN ART (MOMA) de New York consacre au dessinateur et poète une exposition monographique, la galerie Magnin-A expose un ensemble de dessins peu ou jamais montrés, réalisés par l’artiste entre 1983 et le début des années 2000. C’est dire la portée de l’approche singulière de l’image et du langage de Frédéric Bruly Bouabré, décédé en 2014. Dans sa démarche universaliste, celui qui a consacré sa vie à la quête du savoir voyait dans l’art un moyen de relier tous les peuples du monde. L’inventeur de l’Alphabet Bété (449 dessins exécutés au stylo-bille, crayon et crayon de couleur sur de petits cartons rectangulaires), premier système d’écriture pour le peuple Bété (ethnie ivoirienne à laquelle appartenait l’artiste), s’adonnait également à une quête poétique de signes. Sa vie durant, il n’a eu de cesse de capturer et de codifier des sujets provenant de diverses sources, notamment les traditions culturelles, le folklore, les systèmes de croyances religieuses et spirituelles, la philosophie ou encore la culture populaire. À la fois passeur et révélateur, son génie a ainsi toujours consisté à aborder simultanément le local et le global, reflétant à la fois l’expérience personnelle et universelle. Son œuvre, véritable condensé de la culture orale en une multiplicité vertigineuse de formes visuelles et d’annotations écrites, se découvre comme on feuillette un livre. Passionnément. ■ C.F.
Le MoMA lui consacre une exposition monographique, dans laquelle est visible l’Alphabet Bété
HOMMAGE
L’artiste en 1993.
LUCIBELA SAUDADE, SAUDADE
La chanteuse cap-verdienne revient avec un album d’une GRANDE ÉLÉGANCE. À son image.
NHELAS SPENCER, Luis Lima, Toy Vieira, Tibau Tavares, Miquinha, Elida Almeida, Ary Duarte, Daya… Ils sont nombreux à être convoqués par Lucibela, l’une des plus douées héritières de Cesária Évora, qui, avec ce second album, débute aussi à la composition avec la morna « Ilha Formose », ode à son île natale de São Nicolau – où elle poussait son premier ci à Tarrafal il y a trente-six ans… L’artiste cap-verdienne incarne également un boléro du
LUCIBELA, Amdjer, Lusafrica/ Sony.
Cubain Emílio Moret. Acoustique, nostalgique et pourtant contemporain : Amdjer aborde la condition féminine avec délicatesse, et néanmoins une grande honnêteté. À la production, Toy Vieira, complice de Lucibela depuis ses débuts en studio, signe une réalisation cristalline. Claviers, cuivres, cordes se mélangent au sein d’un écrin acoustique qui, inauguré par « Amdjer Ká Bitche », rappelle le bonheur d’être au monde, aussi imparfait soit-il. ■ S.R.
SUSPENSE
LA MARIÉE ÉTAIT EN ROUGE
Une première SÉRIENIGÉRIANE inégale pour Netflix.
À QUELQUESMINUTES de son mariage, un homme d’affaires frappe violemment sa fiancée dans sa suite d’hôtel : il est aussitôt abattu par la meilleure amie de la future épouse… Les deux femmes vont alors découper le cadavre dans la salle de bains pour mieux s’en débarrasser et fuir pendant que des dizaines d’invités s’impatientent dans les salons du luxueux établissement… La cavale qui s’ensuit met beaucoup de temps à se mettre en place, et il faut attendre le troisième épisode (sur quatre) pour que la série trouve le bon tempo. Les comédiens (plusieurs stars de Nollywood) sont souvent en roue libre, et le scénario abuse de grosses ficelles (riche famille déchirée, médecin trafiquant d’organes, police corrompue…). Mais lorsque l’intrigue plonge enfin au cœur de la tentaculaire Lagos, ses routes et ses bidonvilles, ça fonctionne. La fin, abrupte, appelle une suite, d’autant que le succès est déjà au rendez-vous. ■ J.-M.C. BLOOD SISTERS (Nigeria), de Biyi Bandele et Kenneth Gyang. Avec Ini Dima Okojie, Nancy Isime, Deyemi Okanlawon. Sur Net fl ix.
Un texte troublant et attachant, écrit d’une main de maître par l’académicien Dany Laferrière.
C’EST UN TOUTPETIT livre, un concentré, une histoire simple et mystérieuse. Un récit à hauteur d’enfant, comme dérobé aux adultes ; mieux encore, comme épié par le trou d’une serrure. Un bijou littéraire. Cette déambulation dans l’imaginaire et les sentiments est celle de Manuel, 10 ans. Il vit avec sa mère. N’a jamais connu son père. Lorsqu’il rencontre Monsieur Gérard, professeur de littérature congédié d’une école de jeunes filles, son quotidien bascule. L’homme raffiné et singulier, féru de Baudelaire et de Wagner, qui vit dorénavant cloîtré dans une chambre miséreuse de Port-au-Prince, va lui enseigner la poésie, la trigonométrie, tout un art de vivre. Plus encore, il va éveiller chez cet enfant sensible et intelligent une fascination et une curiosité, à la frontière de l’indiscrétion et du désir : une quête hypnotique dans le dédale d’une intimité équivoque, à la fois paternelle et inquiétante. ■ C.F. DANY LAFERRIÈRE, L’Enfant qui regarde, Grasset, 64 pages, 7,50 €.
BD NOUVELLE L’ÉNIGME DE MONSIEUR GÉRARD
À LA FACE DU MONDE
Un chant graphique et tragique, pour résister aux vents contraires et croire encore aux rêves.
ENSEMBLE, ils avaient déjà fait dialoguer poésie, arts visuels et musique dans un ouvrage d’art, Fragments (éditions Bernard Chauveau, 2019). Le poète, slameur et romancier Marc Alexandre Oho Bambe et son complice de toujours, l’artiste pop art Fred Ebami [voir pp. 26-27], nous reviennent cette fois-ci avec un premier roman graphique, tout en orange, jaune et rouge brique. Un livre poème. Un livre cri. Pour dire l’incompréhension, la révolte et l’urgence devant le sort d’une jeunesse jetée sur les routes de l’exil. Pour chanter le destin tragique et les attentes anéanties de Yaguine Koïta et Fodé Tounkara, découverts morts de froid à l’aéroport international de Bruxelles, dans le train d’atterrissage arrière droit du vol 520 Sabena Airlines en provenance de Conakry, le 2 août 1999. Pour s’indigner. Et espérer encore : « Chaque voyage commence. Par un premier pas. Vers l’ailleurs horizon. Vers l’Autre. Et vers soi-même. » ■ C.F. MARC ALEXANDRE OHO BAMBE ET FRED EBAMI, Nobles de cœur, Calmann-Lévy, 160 pages, 19 €
HOUSE
KIDDY SMILE Toujours en
vogue
Avec Paris’ Burning, il fait un retour fracassant SUR LES DANCE-FLOORS sans laisser son activisme au vestiaire.
SI LE NOUVEL EP de Kiddy Smile s’appelle
Paris’ Burning, ce n’est pas pour rendre hommage au documentaire de Jennie Livingston, Paris is Burning, qui révélait les coulisses du voguing new-yorkais des années 1980. Le musicien pensait plutôt à représenter les possibilités de la house hexagonale, dont il est la seule incarnation noire et gay : « Paris est la deuxième capitale dans le monde où vit la culture ballroom, comme l’avait prédit et voulu Willi Ninja [danseur apparaissant dans le docu, ndlr], affirme-t-il. Paris brûle d’un feu ardent. Elle est en marche pour se réapproprier des cultures qui sont les siennes. Et pourquoi pas être une capitale de la musique house ? »
Initié dans les clubs latinos, noirs et LGBT+, le voguing est la danse de cœur de Kiddy Smile, que l’on suit avec attention depuis son premier album sorti en 2018, One Trick Pony. Et il brille de son militantisme dans un Paris’ Burning aux beats acérés. Cet été, on le verra aussi en tant que juge
KIDDY SMILE, Paris’ Burning vol. 1, Grand Neverbeener Records/Grand Musique Management.
dans l’adaptation francophone de l’émission télévisée américaine Ru Paul’s Drag Race, diffusée sur France TV Slash. Un rêve devenu réalité pour le chanteur : « Contrairement à ce que les gens pensent, le drag n’est pas clownesque, mais raffiné. Je suis heureux de participer à une émission qui explique au grand public sa technicité. » ■ S.R.
DEUX LIEUX DU CŒUR
Projet culinaire écoresponsable ou lieu de brassage culturel, ces ADRESSES GOURMANDES sont des rêves devenus réalités.
POUR LE CHEF ÉTOILÉ Jan-Hendrik van der Westhuizen, patron du bijou gastronomique Jan, à Nice, depuis 2013, l’ouverture l’année dernière du micro-restaurant Klein Jan est un rêve qui se réalise. Ce nouveau projet au cœur de la plus grande réserve privée d’Afrique du Sud, Tswalu Kalahari, lui a permis de revenir dans son pays pour proposer une cuisine simple, qui sublime les ingrédients de la région du nord du Cap. À la carte, on trouve de la viande d’impala mais aussi du springbok cucumber (le concombre cornu d’Afrique) et des truffes du Kalahari, qui créent ensemble un millefeuille inédit. Le tout servi dans un cadre unique, à côté du poêle où la grand-mère du « petit (klein) Jan » lui a appris à cuisiner. Une expérience gastronomique hors du commun, accessible à très peu de monde dans un souci de durabilité des ingrédients. janonline.com/restaurantkleinjan
AUTRE PAYS, autre ambition : celle de Paloma Sané, de sa mère et de sa sœur, de fédérer du monde autour de La Favela, ouvert fin 2020 dans le dynamique quartier du Point E, à Dakar. La Sénégalo-Capverdienne propose une cuisine métissée aux influences lusophones dans
Le Klein Jan est au cœur de Tswalu Kalahari, la plus grande réserve privée d’Afrique du Sud.
Ci-contre et ci-dessous, La Favela se situe dans le dynamique quartier du Point E, à Dakar.
une belle cour ombragée. Un bar recouvert de faïence, des tables colorées, un coin dédié au yoga ou aux concerts live, et beaucoup de place pour jouer. Ici, tout le monde est bienvenu. Le plat phare, le Cubano Bowl, est une explosion de saveurs qui mélange fricassée de poulet épicé, riz safrané, haricots rouges et sauce à la mangue. Mais la carte propose également des mets à base de porc et, en semaine, deux plats du jour : un classique sénégalais, comme le thiep ou le yassa, et un plat international, comme la poêlée de gambas au citron vert. ■ L.N.
À ABIDJAN, ORANGE SE RÉINSTALLE !
Koffi & Diabaté livrent un BÂTIMENT REMARQUABLE, qui incarne les ambitions du groupe dans la région : moderne, fonctionnel et déjà tourné vers le futur.
IMAGINÉ PAR LE CABINET IVOIRIEN Koffi & Diabaté comme le cœur du futur Orange Village, le nouveau siège d’Orange Côte d’Ivoire est un imposant bâtiment circulaire sur sept niveaux. L’anneau de 68 mètres de diamètre a été construit aux abords de la lagune d’Abidjan et est partiellement enveloppé par une double peau sophistiquée qui le protège de l’ensoleillement direct. Cet écran ajouré, composé de 4 000 pièces arrondies, évoque la surface d’une balle de golf. Une forme qui a inspiré le projet, et fait un clin d’œil aux terrains de jeu du quartier de la Riviera Golf. À l’intérieur, les bureaux, les espaces de coworking, le centre de conférences ou encore le restaurant et la salle de sport bénéficient d’un
éclairage naturel grâce au vaste patio central, végétalisé et décoré avec des motifs tirés du bogolan. À partir du quatrième niveau, les terrasses du bâtiment – qui peut accueillir plus de 900 employés – offrent des espaces de détente en plein air, et le dernier étage, réservé aux bureaux de la direction générale et décoré avec de précieuses œuvres d’art locales, jouit d’une vue imprenable sur la lagune. Dans une approche minimaliste, qui valorise l’architecture, les murs en béton brut de décoffrage ont été laissés tels quels. Le matériel, symbole de modernité, capte et adoucit la lumière des espaces, tout en contribuant à donner au bâtiment l’allure d’un lieu à la fois innovant et intemporel. ■ L.N. koffi-diabate.com
DESTINATION
MAHDIA LA MÉCONNUE
Préservée du tourisme de masse, une CITÉ TUNISIENNE ENCORE AUTHENTIQUE, lieu idéal pour retrouver la Méditerranée.
AVEC SES MAISONS d’une blancheur éclatante, ses portes vert émeraude, son centre-ville parsemé de petites places ombragées et son vieux port de pêcheurs, Mahdia a gardé le charme millénaire d’une Tunisie authentique. Cette ville de province située sur une presqu’île entre Sousse et Sfax est restée à l’écart des sentiers (touristiques) battus et a tout fait, dans les années 1960, pour préserver son magnifique cimetière marin de l’appétit des promoteurs, qui voulaient le transformer en resort balnéaire. Les modestes tombes blanches sont toujours à leur place, sur le cap Afrique, où les visiteurs peuvent flâner entre les bouquets de laurier et se laisser caresser par l’écume
portée par le vent. Les hôtels, une vingtaine, ont été cantonnés au nord de la ville, le long d’un ruban de sable doré – l’une des plages, avec celles de Chebba et de Salakta, au sud, parmi les plus belles du pays.
Réputée pour les structures spécialisées en soins thalasso et sa station balnéaire à taille humaine, Mahdia est une ville d’histoire, de culture et d’artisanat. Déjà connue du temps des Phéniciens sous le nom de Jemma, puis sous celui d’Aphrodisium, elle accueille l’un des plus riches sites archéologiques sous-marins de Tunisie. À l’intérieur du souk couvert et dans les ruelles de l’ancienne ville, on trouve encore les magnifiques robes de mariage traditionnelles
et les ateliers des tisserands, qui filent depuis le XIV e siècle des soieries aux motifs et coloris flamboyants. Pour accéder au paisible centre historique, on peut emprunter la Skifa El Kahla (« la porte noire »), une énorme porte fortifiée et l’un des rares vestiges des anciens remparts de la citadelle. Si l’on veut en revanche profiter d’une imprenable vue d’ensemble sur la médina d’un côté et sur le golfe de l’autre, il faut grimper sur la terrasse du Borj El Kébir, un fort ottoman du XVIe siècle sur la route de la Falaise. L’occasion de s’arrêter prendre un café sur la corniche ou d’explorer l’incontournable marché du vendredi, qui regroupe les producteurs et les artisans locaux. ■ L.N.
Ci-dessus, le Cafe El Enba, et ci-dessous, l’Hôtel Thalasso Mahdia Palace Spa & Kneipp.
Ci-dessous, la maison d’hôtes Dar Evelyne.
LES BONNES ADRESSES
Restaurant Chez Naima : une cuisine familiale et épicée qui met les poissons à l’honneur, à côté de la Skifa El Kahla.
Cafe El Enba : une halte pittoresque pour savourer un thé à la menthe sur la place du Caire, au cœur de la vieille ville.
Hôtel Thalasso Mahdia Palace Spa & Kneipp et Hôtel Nour Palace Resort & Thalasso : deux adresses de charme pour un soin thalasso ou un séjour bien-être de qualité.
Maison d’hôtes Dar Evelyne : un petit coin de paradis avec une terrasse de rêve nichée dans la médina.
Musée de Mahdia : pour voir mosaïques, céramiques anciennes, objets artisanaux et précieux tissages.
Fred Ebami
L’ARTISTE FRANÇAIS D’ORIGINE
CAMEROUNAISE
apporte un souffle nouveau au pop art. Mêlant outils numériques et organiques, inspirées par le panafricanisme, ses œuvres conscientes interpellent l’œil et l’esprit.
par Astrid Krivian
Enfant, il était féru de musique classique et de dessin. Artiste français d’origine camerounaise, Fred Ebami, 45 ans, a grandi en région parisienne jusqu’à ses 10 ans, puis au Cameroun. « Je gribouillais, dessinais sans cesse. Je m’exprimais ainsi. Je représentais ma société à travers les superhéros. Et je rêvais de superpouvoirs pour sauver le monde », se souvient-il. De la pop culture des comics au pop art, il n’y a qu’un pas. Marqué par les photographies publicitaires d’Oliviero Toscani pour Benetton, il est aussi ébloui, bousculé par les œuvres d’Andy Warhol, de Roy Lichtenstein, de Jean-Michel Basquiat et, plus récemment, de Banksy, artiste de street art. Après des études parisiennes et une traversée des États-Unis à 22 ans, il met le cap sur l’Angleterre, à Oxford, où il étudie l’infographie.
Alors qu’il se destine à une carrière de publicitaire, son ami, l’écrivain, poète et slameur camerounais
Marc Alexandre Oho Bambe, alias Capitaine Alexandre, lui propose d’illustrer son premier recueil de poésies et de préparer une exposition. Publié en 2009, le succès de son ouvrage ADN : Afriques Diaspora Négritude propulse le travail de Fred Ebami sous la lumière. Sa carrière est lancée. Depuis, ses œuvres ont notamment été exposées à la biennale de Dakar, à la galerie MAM de Douala, à Johannesbourg, à la Tate Modern de Londres ou encore à la foire d’art contemporain 1:54 de Marrakech… Son pop art, son « souffle de vie », croise le numérique et l’organique, la toile et l’ordinateur. Sa boîte à outils brasse divers matériaux et techniques (mobilier, masques africains touristiques, feutres acryliques, peinture à l’huile, fusain, crayons…). « La même folie d’inspiration me guide. Je mélange les genres pour casser les codes, faire respirer les œuvres. J’aime surprendre, bousculer. » Il s’approprie les codes publicitaires de la société de consommation pour délivrer ses messages d’espoir, d’ouverture, d’émerveillement. Avec ses couleurs vives, ses lignes marquées, ses slogans, son humour, son sarcasme, ses réalisations accrochent le regard, interpellent : « Je veux éveiller les gens à leurs univers intérieurs, dans un monde qui édicte des façons d’être. » Il représente des personnalités africaines devenues des icônes – Cheikh Anta Diop, Miriam Makeba, Salif Keita, Thomas Sankara… « C’est important de les faire connaître aux nouvelles générations. Ils m’ont éduqué, aidé à comprendre l’histoire de mes aïeux, de mon continent, et la mienne. Ainsi, je connais ma culture, mes origines. Apaisé, je ne me sens pas déraciné. »
Pour lui, l’art se conjugue à l’amitié. Avec Capitaine Alexandre – ils viennent de cosigner le roman graphique Nobles de cœur – et le slameur Manalone (Albert Morisseau Leroy à la ville), ils ont fondé le collectif On a slamé sur la lune. L’objectif ? Faire dialoguer les arts, les cultures, créer des œuvres plurielles, des spectacles inclassables, sensibiliser le public à la création, à la poésie. Cultiver cette capacité à rêver. Ou, comme ils l’ont écrit au sein de leur installation multimédia Expoésie : Transmission, présentée au festival littéraire Aux quatre coins du mot, à La-Charité-sur-Loire : « Regarde le ciel / La porte des étoiles est ouverte. » ■
«Je mélange les genres pour casser les codes, faire respirer les œuvres. J’aime surprendre, bousculer.»
De gauche à droite, Dr Mukwege et Sankara Yellow
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PAR EMMANUELLE PONTIÉ
AU-DELÀ
DES CULTURES
Le 24 juin, un véritable séisme pour des millions de femmes s’est produit aux États-Unis : l’arrêt Roe vs Wade, qui autorisait l’avortement depuis 1973, a été révoqué. Dorénavant, chaque État pourra choisir de l’interdire ou non. Sept États ont décidé dans les jours qui ont suivi de priver les femmes de ce droit. Et une vingtaine d’autres devraient suivre. Pour des millions d’Américaines, c’est un retentissant retour en arrière. Depuis, des manifestations et des inquiétudes grandissantes en Europe et en Occident s’enchaînent ou montent.
Ailleurs dans le monde, et en particulier en Afrique, l’émotion est moins grande. En effet, à part en Tunisie, au Mozambique, en Afrique du Sud, au Cap-Vert, et très récemment au Bénin, l’IVG est interdite par la loi. La loi « officielle », coutumière, religieuse, culturelle, sociale… Certains pays, comme le Gabon ou la Côte d’Ivoire, ont réussi à assouplir un peu la règle, en autorisant l’avortement thérapeutique pour le premier, ou en cas de viol ou d’inceste pour le second. Mais globalement, le sujet agite des démons, qui vont de l’autonomisation des femmes à la mise en péril de la descendance.
Dans certaines régions où l’inceste, le viol et le violent rejet des filles-mères sont une réalité quotidienne, les femmes sont confrontées à un mur « culturélo-religieux » ancestral infranchissable. L’objet n’est pas ici d’ouvrir le débat sur les pro ou anti-IVG, sur les justifications des opinions de X ou Y, bref, sur une question particulièrement épineuse et complexe en Afrique. Mais nous souhaitons rappeler quelques chiffres, capables de donner à penser. Car évidemment, que l’on soit pour ou contre, 6,2 millions d’avortements clandestins ont lieu chaque année en Afrique subsaharienne. Et malheureusement, 44 % des femmes qui meurent dans le monde des suites d’un avortement à risque sont africaines. Un total de 300 000 femmes en moyenne par an. Elles ont recours à des méthodes épouvantables, en solitaire, ou encouragées et facturées par des « cliniques de rue ». Hormis celles qui décèdent, la plupart des rescapées finissent leur vie avec un utérus perforé, des hémorragies et des infections à répétition. Et deviennent souvent définitivement stériles. Alors, peut-être faudrait-il peu à peu considérer cette triste réalité comme un moyen de faire bouger le curseur, et appréhender aussi la question inévitable de l’avortement comme un problème majeur de santé publique. Au-delà des cultures… ■
AM vous a offert les premières pages de notre parution de Juillet
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