AMB 20 - Août-Septembre 2017

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RENCONTRES & REPORTAGES

Émergence

investisseurs publiée en 2016. D’autant que les opportunités sont assez limitées au Pays des mille collines. « Nous sommes face à un marché minuscule, avec une classe moyenne qui représente au maximum 200 000 personnes, sans doute beaucoup moins. C’est pour cela que la plupart des entreprises préfèrent s’installer à Nairobi ou Dar es-Salaam », note le diplomate européen. « Il y a une très grande différence entre les discours et la réalité, résume un chef d’entreprise installé depuis plusieurs années dans le pays. La croissance vient principalement du secteur de la construction, financée par l’aide internationale et la dette. Il n’y a pas de consommation, une toute petite classe moyenne. » Malgré la propreté des rues et son apparent dynamisme, le Rwanda reste en effet l’un des vingt États les plus pauvres du monde avec un PIB par habitant et par an inférieur à 750 dollars. La moitié de sa population vit avec moins de deux dollars par jour. Et, selon la Banque mondiale, il est le plus inégalitaire de la région. Conscientes de ces carences, les autorités ont développé une stratégie de développement, baptisée « vision 2020 », dont l’objectif principal – « inatteignable », disent certains – est de devenir un pays à revenu intermédiaire dans les trois ans. Cette « vision » s’appuie sur trois piliers : une agriculture moderne, le tourisme d’affaires et de luxe, et les nouvelles technologies. Autrefois essentiellement exportateur de thé et de café, Kigali se positionne désormais comme une économie de services (déjà environ 50 % du PIB) et se rêve en roi de la « tech africaine ». Le pays met d’ailleurs la main au portemonnaie, à hauteur d’environ 500 millions de dollars selon le RDB, pour y parvenir : plus de 3 500 kilomètres de fibre optique ont été déployés ces dernières années, la 4G couvrait déjà 60 % du territoire l’an passé et environ 250 millions d’euros seront injectés dans la future « Innovation City » qui doit voir le jour en périphérie de Kigali, dans la zone économique spéciale. « Nous allons réunir sur un même site les différentes composantes de l’économie de la connaissance et ainsi accélérer la croissance des nouvelles technologies », se réjouit Serge Mutabazi, directeur en charge du projet au sein du RDB. Concrètement, le campus doit rassembler les futures têtes pensantes du continent grâce à la présence d’antennes de l’université américaine Carnegie Mellon, de l’Institut africain des sciences mathématiques et du Centre international des physiques théoriques avec l’espoir d’attirer des multinationales pour nourrir cet écosystème. FOLIE DES GRANDEURS Outre les nouvelles technologies, les autorités ont fait un autre pari ambitieux : devenir le hub continental du tourisme d’affaires. Le Kigali Convention Center, une enceinte impressionnante de 2 500 places (voir AMB n° 18), est le nouveau symbole de la capitale rwandaise. Même si les critiques vont bon train sur son coût – 300 millions de dollars de fonds publics officiellement, mais plus de 800 millions selon certains observateurs –, l’enceinte ne désemplit pas depuis son inaugu-

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LE FPR, PARTI CAPITALISTE ?

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mniprésent sur la scène politique, le Front patriotique Rwandais (FPR) l’est aussi dans le domaine économique. Son fonds d’investissement Crystal Ventures, dont le président n’est autre que celui du FPR, c’est-à-dire le chef de l’État, Paul Kagame, disposerait d’environ 500 millions de dollars d’actifs. Les entreprises lui appartenant en totalité ou en partie ont pignon sur rue et sont présentes dans la plupart des secteurs d’activité, de l’agroalimentaire à la sécurité en passant par les télécoms et le BTP. Crystal Ventures est d’ailleurs le second employeur national après l’État. L’une de ses sociétés, Inyange Industries, est le leader national des jus, du lait et des yaourts. Une autre, ISCO, est la seule entreprise de sécurité du pays dont les employés peuvent porter des armes. La plupart des marchés de BTP sont remportés par NDP Cotraco, autre possession du fonds, ou Horizon construction, qui appartient, lui, au ministère de la Défense. « C’est faux, se défend un ancien dirigeant de l’une de ces sociétés. Dans les faits, les entreprises chinoises remportent les plus gros marchés. » Reste que cette imbrication des intérêts privés et publics sème le doute et que, en réalité, les élites politiques et économiques sont les mêmes. « Nous ne sommes pas sûrs que le secteur privé soit aussi libre et transparent qu’il devrait l’être », estime un diplomate européen. Crystal Ventures n’a pas donné suite à nos demandes d’interview. Mais Paul Kagame répète à l’envi que le parti a investi « dans des domaines qui n’intéressaient pas, au départ, le secteur privé ». Plus de vingt-trois ans après la fin du génocide, le FPR est toujours là. ❐ S.K.

ration l’année dernière : sommet de l’Union africaine, World Economic Forum in Africa, réunion de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), assemblées générales d’Afreximbank, entre autres. « Dans beaucoup de cas, c’est le gouvernement qui invite, nous ne voyons pas comment ils vont réussir à le rentabiliser », commente un bon connaisseur du pays. Suivant la même stratégie, le gouvernement investit massivement dans sa compagnie nationale, Rwandair. En sept ans, il a acheté pas moins de treize appareils, dont deux Airbus A330 et six Boeing 737, soit plus de 1 milliard d’euros de dépenses au prix catalogue. Le transporteur national dessert désormais plus de 20 destinations, principalement en Afrique, mais aussi en Asie avec Bombay et Dubaï, et en Europe avec Londres et Bruxelles. Là encore, en privé, des voix s’interrogent sur l’opportunité d’une telle dépense et la stratégie qui la sous-tend. D’autant

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