Les Memoires d'un Footeux

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LES MÉMOIRES D’UN FOOTEUX A mes complices du ballon rond et néanmoins amis, Pierrot, Antoine, Nanec, Milou, Gilbert, Michel, Bob et tous les autres Qui ont supporté stoïquement mon mauvais caractère... Pendant tant d’années !

Michel Cagniart



Préface Je suis passé il y a peu à Rungis où je n’avais pas mis les pieds depuis fort longtemps. La ville a beaucoup changé ! Le stade, théâtre de nos exploits d’antan est transformé. Un beau bâtiment s’élève maintenant à la place de nos anciens vestiaires vétustes. La pelouse du terrain d’honneur est entretenue, des tribunes l’entourent. Le second terrain maintenant en terre battue, comporte un revêtement stabilisé plus résistant. En centre ville, le café des sports existe toujours. La façade a été rénovée. Je pousse la porte ; le bar occupe toujours le même emplacement. Le baby foot a disparu, mais j’aperçois dans l’arrière salle le billard qui trône comme jadis. Les propriétaires ont changé, bien sûr. Mon regard est attiré par une photo accrochée au mur C’est une ancienne équipe de l’union sportive où je figure. Tous les visages des joueurs qui m’entourent me sont familiers, mais à ma grande honte, je ne me remémore pas certains noms et même certains prénoms. Plus de quarante ans se sont écoulés ! Les uns ont déménagé, les autres ont hélas disparu. Je m’assois et commande un verre, puis un autre. La nostalgie m’envahit, j’essaie de me 3


souvenir, mais ces vers insistants trottent dans ma tête et perturbent mes efforts : “Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme, écoutez la chanson lente d’un batelier qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes, tordre leurs cheveux verts et longs jusqu’à leurs pieds”. Alors, je me lève à nouveau pour contempler la photo. Concentres-toi, me dis-je ! Les souvenirs affluent enfin, en vrac ! Oui, ça y est, je me souviens...

J’ai intitulé ce petit livre, “Mémoires d’un footeux”. On m’a fait remarquer que footeux était un terme péjoratif. Je le trouve moi, plutôt glorieux ! D’ailleurs, ça rime… J’aurais pu titrer “Mémoires d’un footballeur” mais c’eût été banal ! Ou “Mémoires d’un manchot” comme nous appellent les rugbymen, ces faux frères culs-de-jatte. Pourquoi pas “Pingouins”, pendant qu’ils y sont… Ils n’ont pourtant pas à nous donner de leçons, eux qui poussent le vice à jouer avec un ballon ovale, alors que la terre est ronde ! Imaginez un peu la tête du tennisman qui devrait pratiquer son jeu avec des petites balles jaunes de la même forme ! Ce serait cocasse... Nos ennemis héréditaires d’outre-manche, disent que “le rugby est un sport de voyous pratiqué par des gentlemen (je conteste) et que le football est un sport de gentlemen (exact) pratiqué par des voyous !”(c’est faux) Moi, je crie haut et fort que le football est le plus beau des sports, et je n’en démordrai pas !

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P R E M I È R E

P A R T I E

Chapitre I

Mes débuts - Cachan Nous habitions, mes parents, mon frère et mes deux sœurs dans la banlieue sud de Paris, plus précisément à Cachan, au deuxième étage d’un immeuble ancien dans un appartement de deux pièces, avec toilettes collectives dans la cour de l’immeuble, sans salle d’eau (comme on disait alors), et une toute petite cuisine. Nous nous chauffions avec un poêle, qu’on appelait Salamandre (probablement du nom de sa marque). On l’alimentait avec des boulets de charbon qu’il fallait aller chercher à la cave mal éclairée. Je dormais dans la salle à manger avec mon grand frère, mon ainé de six ans, dans un lit cage qu’on pliait la journée et dépliait la nuit en raison du manque de place. Comme il se couchait souvent après moi, il se faisait un malin plaisir à se réchauffer les pieds sur mes mollets, malgré mes protestations. Les ressources de la famille étaient, vous l’avez compris, plus que 5


modestes. Mon père exerçait le dur métier d’éboueur (à l’époque, les camions avec levage automatique des poubelles n’existaient pas), travaillait en partie de nuit ce qui fait que je le voyais peu et ma mère s’occupait de la marmaille. Malgré tout, nous ne manquions de rien ou plutôt, nous étions habitués à cette vie modeste et avions d’autres occupations et motivations que les enfants d’aujourd’hui. Pas de télévision, mais une radio (on disait TSF à l’époque) que j’écoutais assez souvent, notamment lorsque les feuilletons de la mi-journée (avec Zappy Max ou Francis Blanche ) étaient diffusés. J’avais une autre passion, c’était la lecture. Cependant, comme nous avions peu de place dans cet appartement, nous vivions beaucoup à l’extérieur lorsque le temps le permettait. A proximité de notre immeuble se trouvait un terrain vague (endroit béni qui n’existe pratiquement plus aujourd’hui) où nous pouvions nous exprimer librement et satisfaire nos rêves de cow-boys ou d’indiens, et où nous fumions parfois des lianes avec les gamins du voisinage. Bien sûr, il y avait parfois quelques différents que nous réglions comme des grands sans aller pleurnicher auprès de nos parents. Sur ce terrain vague avait été aménagé sommairement un espace pour le football comportant deux buts, sans filets bien évidemment. Sa surface était plane, non herbue, mais recouverte de mâchefer, matériau plus résistant qu’une pelouse .C’est à cet endroit que j’ai fait mes premiers pas de footballeur. Nous jouions pendant des heures, organisant des matches avec goals volants, quand nous étions en nombre suffisant et que l’un d’entre nous possédait un ballon qu’il voulait bien partager. Le dimanche après-midi, mon béret sur la tête, avec mes binocles (j’étais alors affligé d’un strabisme qui disparut tout seul lorsque je grandis) et mon cache-col (c’est comme cela qu’on appelait alors une écharpe) accompagné de mon voisin de palier, j’allais assister aux mat6


ches de football de l’équipe locale disputés dans le stade communal qui se trouvait non loin de notre domicile. J’étais âgé de sept ou huit ans, et brûlais de jouer moi-même dans une véritable équipe. J’ai signé ma première licence l’année suivante dans un club de patronage (dit de curés) appelé la St jean de Cachan. Notre terrain était petit, plein de faux rebonds et nous portions des maillots de couleur verte. J’étais pupille mais jouais dans la catégorie supérieure, c’est à dire en minimes, faute de combattants dans la catégorie inférieure. J’étais frêle, maigre mais très résistant. D’ailleurs, je me déplaçais constamment en trottinant, ou en galopant. Nous avions un accompagnateur dévoué, discret et bénévole bien entendu, que je remercie mille fois aujourd’hui, car sans lui, notre équipe n’aurait pu continuer à exister. Je soupçonne ce brave homme d’avoir souvent mis la main à la poche pour nous payer limonade et tickets de bus lorsque nous nous déplacions. Nous avons déménagé pour habiter Rungis dans le Val de Marne lorsque j’atteignis mes onze ans. J’intégrai le lycée mixte Claude Monet situé à Paris 13ème car mon instituteur de cours moyen deuxième année de l’école Paul Bert de Cachan, considérant mes excellents résultats scolaires, était intervenu auprès de mes parents et avait obtenu en ma faveur une bourse pour que je puisse poursuivre mes études dans le secondaire. En classe de troisième, je quittai Claude Monet pour cause de mixité (à ce niveau de cours, nous étions trop grands pour cohabiter avec les filles) et intégrai le lycée Henri IV. Je suis très reconnaissant à mes parents et plus spécialement à ma mère qui prit les choses en mains, des efforts consentis pour me donner cette chance. 7



Chapitre II

Le matériel - La logistique Les buts : C’est à dire les poteaux et la barre transversale étaient en bois et rectangulaires. Plus tard, à la suite de litiges (la balle avait elle pénétrée ou non ?), on les construisit en métal, et de forme cylindrique. Quant aux filets, il n’y en avait pas toujours, et parfois ils étaient troués ! Les vestiaires Souvent, c’était de simples cabanes sans eau courante. Un baquet à l’extérieur rempli d’eau, nous permettait de nous laver le bout du nez, et les semelles de nos chaussures. Nous rapportions notre tenue à la maison pour nettoyage. Nos mamans étaient très heureuses, surtout par temps de pluie ! Le ballon En match officiel, il était en cuir, composé de panneaux rectan9


gulaires, et pour le gonfler, il y avait une fente assez large qui se fermait à l’aide de lacets en cuirs. Il n’était pas imperméabilisé et quand il pleuvait, il s’imbibait rapidement, devenait lourd et les tirs lointains, avec nos cannes de serins, étaient inexistants. J’entends maintenant, ça et là, se plaindre certains joueurs professionnels des trajectoires flottantes, et cela me fait bien rire. Quand, par malheur, nous recevions ce ballon dans le visage du côté de la fermeture avec lacets en cuir, nous étions tatoués pour quelques jours ! Ensuite est apparu le ballon à dix huit panneaux circulaires avec une valve ronde qui en permettait le gonflage. Progrès considérable, mais il n’existait pas encore de couche plastique imperméabilisant le cuir. Avec les rencontres disputées en nocturne, (bien plus tard) les ballons blancs ont enfin fait leur apparition. Maintenant, c’est un véritable plaisir de frapper dans la balle et nous pouvons voir d’excellents tireurs la propulser de très loin avec force. Les chaussures : Le bout du pied était rigide, et le cuir montait assez haut autour des chevilles en guise de protection, ce qui ne facilitait pas la souplesse de la cheville, essentielle pour le contact avec le ballon, et la variété des touches. La semelle était équipée de crampons en cuir qu’on fixait en les clouant. Puis, est apparue la semelle moulée en caoutchouc ou en plastique, plus confortable sur les terrains secs. Le bout dur a disparu, et la forme laissait enfin une plus grande liberté à la cheville. Aujourd’hui, les crampons métalliques ou en plastique (en fonction de l’état de la pelouse, on peut en adapter de plus ou moins longs), vissés sous la semelle grâce à des pas de vis, ont remplacé les crampons en cuir. Ainsi, lorsqu’ils sont usés, on peut en changer facilement. Je rêvais de cette merveille, et un soir, j’eus la grande joie de voir mon père rentrer à la maison avec une paire de souliers à la semelle 10


moulée. Ils n’étaient pas neufs, mais encore en bon état. Il les avait trouvés dans une poubelle au cours de sa tournée quotidienne. Mais, ils étaient bien trop grands pour moi, et nous dûmes en bourrer les extrémités avec du papier journal ce qui n’en facilitait pas l’usage… Bien longtemps après cette époque, mon ami Pierre et moi découvrîmes la chaussure idéale pour évoluer sur terrain sec. Elle était basse, comportait une semelle en caoutchouc avec des barrettes rectangulaires disposées tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre pour mieux tenir au sol et était fabriquée en toile et en cuir ce qui lui conférait confort et souplesse. Ces chaussures avaient pour nom “Rasante” ! Les protèges-tibias : Ils étaient épais, encombrants, difficiles à fixer et donc peu utilisés pour ces raisons. Les arbitres : La plupart du temps, l’arbitre de champ était le dirigeant de l’équipe visiteuse. Quant aux juges de touches, il y en avait rarement, d’où contestations pour les positions de hors jeu, règle délicate prêtant à confusion. Voilà… malgré tous ces handicaps, notre passion de gamins pour ce sport restait entière.

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d e u x i è m e

p a r t i e

Chapitre III

Rungis-Plage - Mon club de cœur Au fur et à mesure que je tente d’évoquer ces souvenirs de footeux, je m’aperçois que je ne peux passer sous silence certains épisodes de ma vie d’homme, car ils sont étroitement liés avec ma trajectoire sportive. Cela me gène, par pudeur, mais aussi parce que je ne veux surtout pas trop dévier du sujet principal. J’avais douze ans lorsque nous arrivâmes à Rungis, petit village qui comptait cinq cents habitants, trois rues principales, une épicerie, un prieuré et … trois cafés. Quatre familles importantes de cultivateurs exploitaient les terres entourant le village, dont Mr Luez, le maire. Les moyens de communication étaient difficiles car les halles n’étaient pas encore implantées. La bretelle reliant l’autoroute du sud à l’aéroport d’Orly, n’existait 13


pas non plus. Notre maire la joua finement parce qu’il réussit à faire donner à ces nouvelles halles remplaçant celles de Paris, le nom de Rungis, alors que l’essentiel de la superficie se trouve sur les communes de ChevillyLarue et de Thiais. Il fit valoir que le nom de Chevilly-Larue était bien compliqué à prononcer et que Thiais était déjà connu pour son cimetière régional. Cette dénomination constituait et constitue toujours une manne pour la commune. Le supérieur du prieuré, un bénédictin, le père Jean de Féligonde avait créé un ordre nouveau mi-contemplatif, mi-séculaire. C’est à dire que les frères et pères le composant (au nombre d’une vingtaine) aidaient les curés des paroisses des alentours et du village même, aux affaires quotidiennes et se retiraient le soir au prieuré pour y manger, y dormir et prier .L’ordre avait cédé un terrain à la commune dans le but d’y faire construire un certain nombres de pavillons (28 exactement) en constituant une association de type “castors”, les sociétaires se chargeant des travaux d’excavations des fondations, des conduites sanitaires, des fosses septiques notamment et donc de l’aménagement du terrain. Notre venue en masse (pensez donc, 100 nouveaux habitants environ) rompit la tranquillité des anciens qui mirent un certain temps avant de nous adopter. Les pavillons (parfois jumelés), simples mais construits avec de solides matériaux, comportaient un garage, trois niveaux, cinq pièces principales, cuisine, toilettes, et salle de bains. Le luxe, quoi ! Ils étaient entourés d’un terrain de 500 m2 environ. Mon père en utilisa une partie pour créer un potager. Mon frère ainé se maria alors et fut suivi rapidement par ma grande sœur si bien que mes parents, ma petite sœur et moi-même disposions d’une chambre particulière, progrès considérable par rapport au taudis occupé auparavant à Cachan. 14


Cependant, il fallait bien rembourser les montants empruntés pour l’acquisition de la demeure, et nous devînmes famille d’accueil pour des enfants de la DDASS ou organisme assimilé. Pendant plusieurs années, je partageai donc ma chambre avec Bernard, mon cadet de quelques années, qui a fondé une famille au Texas où il vit maintenant. Ma petite sœur accueillit, elle, une nommée Miriem, dégourdie coquine et maligne. Nous avons encore, de nombreuses années après, des relations épisodiques avec eux. Toutefois notre emménagement dans la nouvelle demeure fut précédé de quelques péripéties. Mes parents avaient donné congé de notre appartement de Cachan, et comme la construction de notre maison avait pris du retard, nous dûmes d’abord transiter dans une maison située à L’Hay les Roses, prêtée aimablement par un ami de la famille, puis loger à Rungis dans le clocher de l’église du prieuré où les pères évoqués précédemment nous hébergèrent (qu’ils en soient mille fois remerciés) car les travaux n’étaient toujours pas terminés. Mon frère et moi, à cause du manque de place, dormions dans deux chambres du prieuré meublées sommairement. A une centaine de mètres de notre maison, se trouvait une plaine entourée de buttes où l’on avait tracé deux terrains de football, et appelé pompeusement cet endroit, stade municipal Lucien Grelinger, du nom d’un résistant originaire de la commune, déporté, et mort à Buchenwald. Autour du terrain d’honneur, il y avait une main courante, et une construction sommaire faisant office de vestiaires, adossée à une mini tribune. Pour l’anecdote, les buttes entourant cet espace renferment des canalisations d’eau importantes construites par les romains. L’eau provient, m’a-t- on dit de l’Yonne. Depuis Rungis situé sur un plateau, on pouvait donc alimenter Paris, nommé Lutèce dans ces temps là, grâce à un aqueduc d’un étage surmonté plus tard par un second lors du règne de la reine Marie de Médicis, œuvre grandiose qu’on peut découvrir encore à Arcueil/Cachan dans la banlieue sud pro15


che de la capitale. Je pense que sous le terrain de football, il doit y avoir une cavité qui assure un drainage naturel, si bien que même par fortes précipitations la pelouse est rarement impraticable.

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Chapitre IV

Les responsables Le maître des lieux, était le président du club “l’Union Sportive de Rungis” et s’appelait Fernand Laborie. C’est grâce à ce genre de personnage dévoué au possible, (tonte de l’herbe, traçage des terrains le dimanche matin, lavage par son épouse des bas et maillots, gestion des licences, etc...) juché sur son éternelle bicyclette que la vie d’un club est rendue possible. Il consacrait tellement de temps à cette activité que son petit fils était convaincu que le stade appartenait à son pépé ! Nous devons cependant le développement du club de foot à un personnage haut en couleurs qui sut, avec l’arrivée de familles qui habitèrent d’autres cités pavillonnaires ou qui achetèrent des appartements dans deux résidences immobilières construites entre temps, et qui, bien sûr, comportaient des enfants, utiliser cette main d’œuvre (ou plutôt ce 17


“pied d’œuvre”) pour constituer un vivier qui alimenta d’abord les équipes de jeunes, puis les seniors. Il s’appelait Mr Niquet, et nous le surnommions le père Niquet ! Il était brigadier de police mais travaillait de nuit, ce qui lui laissait du temps pour s’occuper des garnements footeux que nous étions. Je le revois encore, vêtu d’une salopette bleue, imposant, son éternelle casquette vissée sur la tête, chaussé de baskets, avançant digne et imperturbable avec ses filets contenant les ballons. Il avait un don pour donner des surnoms, et avait baptisé le père d’un copain qui boitait bas, “jambe de laine”, sobriquet qui lui resta. Il avait deux fils, Michel et Jean- pierre, qui jouaient avec nous, bien entendu. On surnomma le second “gasoil ”, car il avait fait le plein de son solex avec ce carburant qui anéantit séance tenante le moteur de ce pauvre deux roues, à la fureur de son papa. On a longtemps chambré JP à ce sujet ! Au début, le père Niquet nous entrainait comme il pouvait, formait les équipes, nous trouvait des matches à disputer le jeudi, graissait les ballons, bref s’occupait de tout. En grandissant, beaucoup d’entre nous prirent une licence à l’US Rungis, dont les couleurs étaient et sont encore “bleu et or”. Les rencontres étaient disputées le dimanche. J’avais deux ans de plus que la plupart de mes compagnons et joueurs préférés, et opérais dans l’équipe des cadets, tandis qu’eux formait une équipe de minimes redoutable qui inscrivit plus de cent buts dans une seule saison ! Si bien que, le père Niquet avait réussi (malgré la modestie de notre club) à le faire participer à un tournoi international de minimes disputé par plusieurs nations, (allemands, autrichiens, suisses, italiens) souvenir émouvant pour ceux qui disputèrent les rencontres. Plus âgé que mes copains, j’assistai avec envie à leurs performances. J’ai peu de souvenirs de ma période “cadets” mis à part une anec18


dote inoubliable. Il avait beaucoup plu et nombre de terrains étaient impraticables. Le nôtre, en revanche était jouable. Dans la semaine, les dirigeants de Draveil téléphonèrent pour demander l’annulation de la rencontre prévue sur notre terrain le dimanche suivant, s’appuyant sur une recommandation de la ligue qui avait annulé nombre de matches. Nous acceptâmes le report ! Mais ces bandits, il n’y a pas d’autre mot, vinrent sur place à l’heure et au jour dit, constatèrent que personne ne se trouvait au stade, et remplirent une feuille de match qu’ils envoyèrent à la ligue de Paris pour nous déclarer “forfait”, à la grande fureur des nos dirigeants. En effet, cela signifiait pour nous, match perdu et aucun point inscrit ! Lors de la rencontre retour jouée sur le terrain de Draveil, le match fut arbitré par l’incontournable père Niquet, car, comme je l’ai indiqué plus haut, dans les équipes de jeunes, il y avait rarement des arbitres officiels et la tradition voulait que l’équipe visiteuse soit désignée pour arbitrer. Revanchards, nous nous battîmes comme des lions et tînmes le score à égalité jusqu’à quelques minutes de la fin .C’est alors que retentit un coup de sifflet implacable sur une action très anodine, et le père Niquet, imperturbable, désigna le point de penalty pour une sanction en notre faveur. Notre avant centre ne se fit pas prier et transforma le coup de pied de réparation sous les protestations véhémentes de nos adversaires. Comment appelle-t-on cela, le coup de pied de l’âne, n’est-ce pas ? Impénétrable, le père Niquet n’avoua jamais son forfait, mais je vis bien dans son regard briller une petite lueur de satisfaction.

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Chapitre V

Quelques portraits de mes co-équipiers, mes anciens complices Je fis connaissance de Pierre, sur la pelouse ou plutôt sur l’herbe du stade municipal. Il devait avoir douze ou treize ans, et on l’appelait communément Pierrot et plus familièrement rase-mottes, car même à l’âge adulte, il ne fut jamais très grand. J’étais son ainé de près de deux ans. Il jouait dans l’équipe des minimes et moi, dans celle des cadets de l’US Rungis. Pierre possédait un ballon 18 panneaux qu’il entretenait avec soin. Nous avons tapé inlassablement dans cette balle, parfois seuls ou accompagnés d’autres jeunes. Nous organisions alors de petits matches. Quand nous étions tous les deux, l’un de nous se mettait dans les buts et l’autre le sollicitait. Un jour, un grand gaillard, à l’évidence antillais, attiré par le 21


bruit de nos frappes et qui passait là par hasard, nous demanda la permission de jouer avec nous, ce qui lui fut accordé. Il se plaça dans les buts et nous nous aperçûmes rapidement qu’il avait de grandes qualités, si bien que nous le bombardâmes copieusement. Ravi de sa séance d’entrainement, il nous remercia, nous complimenta en s’étonnant du fait que nous jouions dans un petit club, et nous dit qu’il était gardien de buts professionnel au Red Star. Il s’appelait Miredin ! J’ai retenu son nom, car c’était la première fois que nous échangions des balles avec un professionnel. Je suivis quelque temps sa carrière dans les journaux et constatai que ses prestations étaient souvent bien notées. Pierre possédait des qualités de vitesse et de résistance au dessus de la moyenne, mais il était surtout adroit et coordonné dans ses mouvements, en outre, c’était un très bon tacleur (le tacle est une glissade, un ou deux pieds en avant, destinée à chiper le ballon à l’adversaire). Ainsi, il pouvait jouer avec bonheur à tous les postes, y compris celui de gardien de but. Il excellait dans tous les sports, notamment tennis et ping-pong. En dehors du sport, il avait des avis personnels et atypiques sur les gens et les choses qui me surprenaient souvent, mais qui, à l’usage, se révélaient souvent judicieux. Il avait notamment une expression savoureuse qui remplaçait “c’est bien fait pour lui”, lorsque quelqu’un est puni par un sort contraire, par “ça lui apprendra à écouter aux portes”. En fait, il avait un tempérament bohème et d’artiste. Un jour il se présenta avec des chaussures de foot teintes en blanc (à l’époque le noir était la couleur traditionnelle) car il trouvait que c’était plus joli ! Dans le sous-sol de la maison de ses parents, il avait installé un petit laboratoire de tirages de photos où il m’avait entrainé. Son père, Tony, sympathique mais déroutant, artiste peintre à ses heures perdues, confirme l’adage que “les chiens ne font pas des chats” car à l’évidence il a transmis à Pierre son côté fantaisiste. Mais je reviens au football ; mon ami possédait tous les atouts du 22


joueur moderne. Il aimait notamment frapper le ballon en demi volée (on dit aussi en drop) parce que la force s’en trouve décuplée, et il possédait aussi une technique en mouvement irréprochable qui lui permettait d’amortir le ballon de la cuisse en pleine course, trompant ainsi l’adversaire éventuel, tout en mettant la sphère devant lui, prête à être utilisée. Nous avons joué plus tard en seniors dans l’équipe première de Rungis et nous nous entendions comme larrons en foire. Il partit ensuite dans un club voisin qui évoluait dans une division supérieure où il devint rapidement un élément prépondérant. Au début, je pris ce départ comme une trahison, mais il faut dire que je m’étais marié, et que j’avais des centres d’intérêts que Pierre, célibataire, n’avait pas forcément. Je le voyais moins, et après quelques saisons, j’appris qu’il s’était gravement blessé au genou gauche en retombant, après un bond, en porte à faux. Les grands pontes consultés diagnostiquèrent une entorse, mais en fait, il s’agissait d’une rupture des ligaments croisés qui, tardivement opérée, avec phénomène de rejet l’obligea à arrêter complètement le football. Quel dommage ! Il avait largement la qualité pour être professionnel…. Nous avons renoué récemment avec plaisir. Pierre et sa compagne habitent toujours Rungis et il est le père de deux charmantes jeunes filles. Edmond lui, surnommé Nanec, car sa mère polonaise d’origine, l’appelait ainsi quand il était petit, (il parait que cela veut dire l’ainé) fréquentait le patronage de la paroisse où se trouvait un petit terrain où nous jouions des heures entières au football. Son père, fait prisonnier lors de la dernière guerre, tenta de s’échapper à trois reprises, fut repris à chaque fois et versé dans un camp disciplinaire où il rencontra et tomba amoureux de la future maman de Nanec, qu’il épousa et fit venir en France à la fin des hostilités. 23


Costaud et viril, il s’imposa comme un bon avant centre et nous marqua nombre de buts. Courageux et rugueux, bon de la tête, il pouvait aussi jouer arrière central. Bien que droitier, il avait un bon pied gauche, acquis à la suite d’une légère blessure au pied droit qu’il ne pouvait utiliser pour frapper ce qui ne l’empêchait pas de disputer activement nos rencontres habituelles sur le petit terrain du patronage. Il aimait bien chambrer ses adversaires et lorsqu’il réussissait un petit pont (passer la balle entre les jambes de l’adversaire), il lui lançait riant comme un bossu, “la prochaine fois, tu mettras du grillage”, ce qui rendait son adversaire, honteux et confus, fou furieux. Une autre fois, à la lutte avec le défenseur adverse, tous deux culbutèrent. Nanec se releva le premier et fit mine d’aider l’autre à se relever, mais en fait, il le saisit par les petits cheveux placés sur la tempe. C’est douloureux, et le malheureux bouscula notre coéquipier, ce qui lui valut un avertissement de la part de l’arbitre. Nanec, le machiavélique s’éloigna, un sourire goguenard aux lèvres. Il faut dire aussi qu’il ne fallait pas lui marcher sur les pieds ! Il prenait des coups mais les rendait généreusement. Il avait un principe qu’il m’exposa une fois, affirmant qu’il valait mieux taper le premier en cas de différent, car il n’avait pas vocation de victime. D’ailleurs, je ne résiste pas à vous narrer une anecdote à l’appui de sa thèse ! Nous avions disputé un match que nous avions remporté sur le terrain de Montgeron, et Bob, joueur talentueux et plus jeune que nous, avait chambré le joueur entraineur adverse, qu’il connaissait pour avoir joué avec lui en CFA (3ème division de l’époque) en poussant des bêlements de chèvre (sa grande spécialité), à chaque fois qu’il le croisait. Injure suprême, car cet animal n’est pas vraiment réputé pour ses talents de footballeur ! A la fin de la rencontre, l’insulté n’avait pu s’empêcher de mettre un coup de pied au derrière de notre coéquipier. S’ensuivit une échauffourée durant laquelle un dirigeant de Montgeron, véritable colosse, se mêla, pour soudain s’écrouler en geignant. Notre Nanec, furtivement, lui avait mis le doigt dans l’œil, sa 24


botte de Nevers. A la sortie des vestiaires, le blessé voulait me faire un mauvais sort, car il pensait que j’étais le coupable. L’épouse du vrai fautif, véritable titi parisienne lui criait, “il ne te l’a pas crevé ton œil ... !”. Des gens intervinrent et nous nous éclipsâmes en riant sous cape. C’est beau le sport, n’est-ce pas ? Ceci étant, Edmond, affreux Jojo sur les terrains, est charmant, sérieux, bon père de famille, maintenant rangé des voitures, dans la vie de tous les jours. Antoine survint inopinément dans notre existence. Plus âgé d’une dizaine d’années, il avait emménagé dans une résidence proche du stade composée d’immeubles. Nous voyant de sa fenêtre, Pierrot et moi, taper dans le ballon, il ne put résister à l’envie de se joindre à nous. Il ne refusait pas les contacts physiques, se dépensait sans compter sur le terrain, et était très sympathique. Dans le privé, c’était un tribun remarquable. Un jour, arrêté par la maréchaussée parce qu’il conduisait trop vite, il convainquit le pandore en lui affirmant que sa femme l’attendait de toute urgence. Interrogé, il répondit effrontément qu’elle lui avait mitonné un bon petit repas qui ne pouvait supporter le moindre retard. Le représentant de la loi, ébahi, le laissa filer sans verbaliser. Ce qui prouve que la gastronomie, comme la musique, adoucit les mœurs ! Il convient de signaler qu’il était représentant dans une entreprise qui vendait caméras et appareils de photos d’une marque japonaise bien connue maintenant, si bien qu’il possédait un bagout de circonstance qui le conduisit rapidement à gravir des échelons et devenir directeur commercial de cette société. Il me demanda de l’appuyer pour prendre une licence, et il fut le bienvenu au sein de l’équipe fanion, où je devais jouer également dès le mois de septembre suivant notre premier contact. Il devint ensuite pour moi un grand frère et me prit sous son aile, sur le terrain et en dehors. 25


Je l’ai surnommé quelque temps (par dérision et ironiquement), “Monsieur un but par match” à l’instar de Josip Skoblar, excellent joueur yougoslave et buteur de l’Olympique de Marseille, car notre cher Antoine avait marqué deux dimanches consécutifs contre son camp, depuis sa position d’arrière latéral droit. Je bats ma coulpe, car, moi aussi, j’inscrivis une fois, un but contre mon camp ! Consécutivement à un penalty tiré contre mon équipe et heurtant la barre transversale, je fus le plus prompt et adressai une passe en retrait aérienne à Gilbert, notre gardien encore accroupi après sa tentative de parade. Le ballon le loba, à ma grande confusion, frappa à nouveau la barre transversale et retomba derrière la ligne. Mais Antoine avait aussi une feinte remarquable que j’appelais “feinte de balayeur”, lorsque, poursuivi par l’attaquant adverse, il fonçait vers notre but, faisant mine de transmettre la balle en retrait à son gardien, puis passant sa jambe gauche au dessus du ballon, repartait dans l’autre sens pour contre attaquer, trompant à chaque fois son opposant. Son rôle de protecteur à mon égard, lui joua un jour un vilain tour puisqu’il fut exclu du terrain. Nous jouions contre le PL 5 sur son stade de la porte de Choisy, et mon adversaire direct (yougoslave comme Skoblar), milieu de champ comme moi, furieux d’être trimballé, m’insultait copieusement et me cracha même dessus, ce qui en fut trop pour Antoine qui l’empoigna. L’arbitre les sépara alors et les expulsa tous les deux. Antoine trouva l’aventure saumâtre, me fit la bouille quelques jours, puis son amitié pour moi reprit le dessus et généreusement, il me pardonna. Mon souvenir le plus drôle le concernant reste cependant celuici : lors d’une rencontre disputée à domicile, Antoine se prit de bec avec un joueur adverse pour des vétilles, je pense, et l’altercation verbale se poursuivit à la pause sur le chemin des vestiaires. Les deux joueurs n’avaient pas la langue dans leur poche et la femme de l’adver26


saire intervint sans se faire prier. Antoine, à bout d’arguments, montrant sa propre épouse, Liliane, belle et grande blonde au maintien très digne, qui se tenait stoïquement à l’écart, tel un gosse se bagarrant avec un autre dans le bac à sable, lui déclara d’une façon péremptoire “d’abord, ma femme est plus belle que la tienne” ce qui mit fin aux débats. J’en ris encore aujourd’hui. J’ai relaté des anecdotes peu reluisantes pour mon ami, mais je tiens à le glorifier aussi ! Lors d’une rencontre de notre équipe de vétérans, il inscrivit un but d’anthologie à la Uwe Seeler (buteur allemand réputé), en reprenant le ballon d’un retourné acrobatique depuis la ligne des 18 mètres. Il était incroyablement heureux et ce fut certainement son plus grand exploit sur un terrain de football. Gilbert, vaillant portier, garda les buts de l’US Rungis pendant de nombreuses années. D’abord ceux de l’équipe fanion puis ceux de l’équipe des vétérans. Il était grand, bon dans les sorties aériennes, courageux dans celles au sol, mais était surtout doté d’une grande vitesse de bras sur sa ligne. En revanche, son jeu au pied était médiocre et ses dégagements laissaient beaucoup à désirer. Dans la vie, c’était vraiment un chic type, toujours prêt à rendre service. Il nous a quitté depuis peu, laissant sa gentille femme Mireille et son fils Titi qui flambait jadis dans les équipes de jeunes. Lorsque nous organisions des fêtes, Gilbert se dépensait sans compter avec Milou (notre trésorier), Jojo (un vrai dévoué), et Michel Nicolle, toujours disponible qui devint ensuite le complice de Gilbert comme dirigeant pendant de nombreuses années. Je me souviens avec émotion d’une phrase que Gilbert, petite moustache au vent, sortait souvent avec sa délicatesse coutumière lorsqu’il demandait à quelqu’un de l’aider ; “sans te commander, pourrais-tu faire ceci ou cela…”. Il nous manque beaucoup. 27


Bob, de son vrai prénom Michel, était un gaucher exclusif. A l’évidence son pied droit ne lui servait qu’à monter dans l’autobus ! Il était plus jeune que nous autres, mais non moins talentueux. Il participa aux présélections des cadets de Paris, mais l’origine modeste de son club le desservit. Il tenta sa chance à Juvisy qui évoluait en 3ème division et réussit à s’imposer à l’aile gauche, au détriment du titulaire blessé, qui, rétabli, essaya de blesser notre camarade à l’entrainement pour retrouver sa place. Écœuré, Bob préféra revenir au bercail où il se sentait dans son élément. Personne ne s’en plaignit, car il nous apporta sa grande classe. En position d’intérieur gauche, il nous marqua nombre de buts, car il possédait une frappe sèche et précise, à l’instar des célèbres Puskas et Piantoni. En tant qu’homme, il possédait des valeurs de modestie, de respect et de discrétion, comme son oncle Milou (récemment disparu) et son frère Guitou, milieu de terrain élégant et technique.

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Chapitre VI

La technique Je n’ai pas la prétention de prodiguer des cours magistraux, car des spécialistes compétents l’ont fait avant moi. Cependant, je compte rappeler ici certains principes fondamentaux qui me tiennent à cœur, même si ce paragraphe paraitra rasant à certains. Il s’agit de football, n’est-ce pas ? Le pied est la partie essentielle du footballeur mais peut être utilisé de différentes façons selon la surface de contact avec le ballon, grâce à la cheville dont la souplesse est indispensable. Ainsi, l’intérieur du pied sert surtout à la précision des passes car le tir effectué de cette façon, notamment sur balle arrêtée, manque de force. On peut brosser la balle en la caressant avec l’intérieur ce qui donne une trajectoire rentrante à la balle. L’extérieur, peu utilisé en général, (le joueur allemand 29


Beckenbauer en était un expert reconnu), engendre une passe à trajectoire surprenante pour le défenseur, ou des tirs difficiles à arrêter par les gardiens de but car le ballon possède alors une trajectoire sortante avec effet. Cependant la partie noble est constituée par le cou de pied, dont l’utilisation permet de frapper fortement le ballon. Le talon est employé pour des courtes passes en arrière. La pointe, elle, provoque des tirs puissants mais imprécis parce que la surface de contact est réduite. La reprise en demi volée ou de volée, demande une grande adresse, une bonne appréciation des trajectoires et nécessite une parfaite position du corps. Pendant tout un été, avec Pierre, nous travaillâmes ce geste sur les centres d’un noir africain venu étudier en France, et issu probablement d’une bonne famille, nommé Pascal. Nous étions pieds nus, pour mieux sentir le ballon et le reprendre de façon idéale. Pascal était gentil, bien élevé et joua une saison dans l’équipe première comme ailier droit. Il disparut un jour sans crier gare, et je ne fus pas trop triste de son départ, car il semblait porter beaucoup d’intérêt à mon épouse, une blonde, vous pensez ! J’ai indiqué que la position du corps était essentielle pour les reprises de volée. Il en est de même pour les tirs ! Le pied d’appel doit être proche de la balle, et si l’on souhaite que celle-ci ne s’élève pas, il convient de se pencher en avant, en arrière si l’on veut une trajectoire enlevée. La tête est de plus en plus utilisée du fait de la qualité des ballons modernes, et devient un élément prépondérant pour marquer des buts, surtout suite à des coups de pieds arrêtés. Il convient de bien apprécier la trajectoire du ballon, de sauter au bon moment car la détente ne fait pas tout. A ce propos, j’ai une anecdote révélatrice : lors d’une rencontre avec le club de Gif sur Yvette où évoluait comme avant 30


centre le recordman de France de saut en hauteur, notre petit Bob, 1m70 tout mouillé, le devança systématiquement dans le jeu de tête . Au cours de ce même match, je fis un petit pont à Tracanelli (champion olympique de saut à la perche), donc athlète confirmé et censé être rapide, puis récupérai le ballon de l’autre côté sans coup férir, à sa grande honte. Ce qui prouve qu’on ne s’improvise pas aisément footballeur. Pour frapper correctement de la tête, il faut surtout utiliser le front, et essayer de garder les yeux ouverts le plus longtemps possible, pour une précision maximale. Voilà ! Mais toutes les autres partie du corps sauf les bras et les mains peuvent et doivent servir. L’amorti peut se faire avec la poitrine ou même la cuisse. Le geste consiste à aller à la rencontre du ballon dans un premier temps, puis de se retirer au dernier moment. Il y a aussi l’importance du contrôle (refrain préféré de Michel Platini) qui permet de se rendre maître indiscutable du ballon pour mieux l’utiliser, et la couverture de balle qui protège son utilisateur de la cupidité de l’adversaire. Enfin, la conduite de balle en pleine course permet de conserver la maîtrise de la sphère. Certains joueurs courent aussi vite avec le ballon que sans. Si, en plus il leur colle au pied, ils deviennent irrésistibles ! On l’a vu récemment avec Messi, l’argentin évoluant à Barcelone. En fait, l’impact dans la balle a les mêmes caractéristiques qu’au billard. Jeu auquel nous nous consacrâmes Antoine, Pierrot et moi, dans le Café des Sports de notre village, sous la houlette de vieux spécialistes. Si l’on souhaite effectuer un rétro, il convient de prendre la boule en dessous et de donner un coup sec avec le poignet, geste que les enfants effectuent notamment lorsqu’ils jouent au cerceau. Si, au contraire, on veut faire rouler la boule au maximum, il faut la prendre en haut et au centre, coup qu’on appelle “bille en tête”. Si on souhaite diriger la boule vers la gauche après impact avec une boule ou la bande, 31


il faut la frapper sur le côté gauche et droit si l’on veut aller à droite. Nous avons joué à ce jeu des heures et des heures, rentrant parfois tardivement à la maison et donnant comme prétexte à nos femmes l’emprise du travail. Mais celles-ci, à coup sûr, malgré nos dénégations ne se trompaient jamais, ce que nous ne comprenions pas, car nous ne sentions pas la fumée et que nous nous lavions soigneusement les mains du bleu révélateur… Jusqu’au jour où l’une d’elles craqua et nous avoua que nos chaussures étaient marquées d’un petit rond, le caoutchouc de l’embout de la queue que nous posions sur nos pieds entre deux coups. Les fines mouches !

La tactique

A mon humble avis, elle est plus importante que la technique. Que comprend-elle ? D’abord le positionnement des joueurs sur le terrain. Ensuite, l’analyse des forces et faiblesses de l’adversaire, faite avant ou pendant la rencontre. Ensuite, le “coaching” mot anglais barbare qui indique le choix des joueurs pour disputer le match, et les remplacements éventuels faits pendant la rencontre sur blessures ou défaillances. L’entraineur peut aussi décider de renforcer l’une de ses lignes suivant les circonstances. Lorsque j’ai débuté, les équipes, en général, positionnaient les joueurs suivant le schéma W M, c’est à dire que les pointes de ces lettres indiquaient la place des dix joueurs de champ. Ainsi le haut du W représentait la ligne des attaquants, un avant centre épaulé par ses deux ailiers, et sa base deux intérieurs soutenant les trois pointes. 32


Quant au M, il représentait en haut deux demis (appelés aujourd’hui milieux de terrain), et en bas la ligne des trois arrières, un demi centre (maintenant arrière central), flanqué de deux latéraux. Certains entraineurs prônèrent la défense en ligne dans le but de mettre les attaquants adverses hors-jeu, et de positionner ainsi toute l’équipe plus haut, de façon à la rendre plus compacte. La grande équipe de Nantes utilisa cette tactique sous la houlette de son chantre José Arribas. Mais la pratique de la ligne reposait sur une cohésion parfaite des défenseurs, car au cas où un seul élément trainait un petit peu, l’alignement n’était plus respecté et un attaquant adverse pouvait alors se positionner dans l’intervalle sans être signalé hors jeu d’autant plus que tout reposait sur le jugement humain du juge de touche. En 1 958,lors de la coupe du monde disputée en Suède ,l’équipe du Brésil, où figurait le futur “Roi Pelé âgé de 17 ans” , vainqueur de la compétition après avoir éliminé une superbe équipe de France comprenant les Kopa, Fontaine, Piantoni et autres en demie finale, surprit le monde du football, en instaurant le 4-2-4 , c’est à dire en positionnant ainsi sa formation. Quatre joueurs devant, deux au milieu et quatre derrière ! Pour l’anecdote, l’équipe de France joua de malchance puisque son demi-centre (l’arrière central) Robert Jonquet eut la jambe fracturée, et les remplacements n’étaient alors pas permis. L’équipe dût donc jouer à dix, une bonne partie de la demi-finale. Ensuite le 4-2-4 se transforma en 4-3-3 (seulement 3 avants, 3 au milieu et 4 derrière), puis en 4-4-2.Deux avants uniquement ! Aujourd’hui, certaines formations alignent un seul avant en pointe, soutenu par 4 ou 5 milieux au choix, deux ou trois joueurs du milieu de terrain se consacrant à la récupération du ballon, les deux autres considérés comme meneurs de jeu soutenant l’avant de pointe. Dans les années 70/80, l’Inter de Milan dont l’entraineur s’appelait Herrera, mit au point un système consistant à positionner l’équipe 33


entière, pratiquement, très bas sur la pelouse avec un arrière central libre de tout marquage (en italien le “libero”) et un seul attaquant de très grande classe qui se nommait Mazzola. Cette position basse, incite l’adversaire à jouer haut et partant, à libérer des espaces, ce dont profitait, en contre attaque, le brillant Mazzola. On appela cette stratégie, peu emballante au niveau du jeu, mais très efficace, le “catenaccio” (en français le cadenas). Je voudrais insister sur la complémentarité des paires, ce que perdent souvent de vue les entraineurs. Ils réunissent leurs meilleurs joueurs, qui ne sont pas forcément complémentaires et qui parfois se marchent un peu sur les pieds. Ainsi, un joueur rapide mais brouillon peut former un bon tandem placé à côté d’un autre calme et technique, alors que deux joueurs techniques peuvent manquer d’agressivité. Un exemple vécu, était constitué dans la grande équipe du Bayern Munich, par la paire Schwartzenbeck / Beckenbauer, qui officiait en défense centrale. Le premier allait vaillamment au charbon, tandis que le second ramassait les marrons du feu. Cependant, au milieu du terrain, deux joueurs évoluant en tant que meneurs de jeu dans le même registre peuvent très bien s’accorder s’ils possèdent la classe et s’ils sont soutenus par une paire de milieux défensifs ! Enfin, c’est mon avis ! J’ai une anecdote à vous narrer à ce sujet. Après un match à Bordeaux, opposant les girondins qui gagnèrent largement contre l’OM, et au cours duquel Johann Micoud éclaboussa la rencontre de son talent, j’eus l’occasion de rencontrer le sélectionneur national, Roger Lemerre, qui était descendu dans le même hôtel. Je lui dis qu’il était vraiment dommage de se priver d’un tel joueur en équipe de France. Il me répondit qu’il ne pouvait le mettre à la place de Zidane. Mais, en toute modestie, je crois que ma remarque avait fait son chemin dans son esprit, car peu de temps après, lors d’une rencontre amicale, il les fit jouer l’un à côté de l’autre avec réussite. 34


Ensuite, Micoud fut sélectionné pour la coupe du monde disputée en Corée. Il joua peu et l’équipe de France y fut décevante. Au niveau du coaching, puisqu’il faut l’appeler ainsi pour se faire comprendre, des erreurs importantes ont parfois été commises. Notamment deux, ayant eu de lourdes conséquences pour l’équipe de France, et qui me sont restées sur le cœur. Je vais vous les narrer. Lors de la demi finale de la coupe du monde jouée à Séville en 1982, et opposant l’Allemagne à la France, deux nations majeures de l’époque, avec une superbe formation française comptant dans ses rangs les Platini, Giresse, et Tigana, Patrick Battiston fut agressé par le portier allemand, ce dingue de Tony Schumacher sans conséquence pour son équipe avec la complicité d’un arbitre hollandais manifestement plus proche des Teutons que des Gaulois, et dût sortir gravement blessé. Cette brute de Schumacher déclara ensuite avec plein d’arrogance : “Si je lui ai cassé une dent, je suis prêt à lui payer une couronne”. Michel Hidalgo, l’entraineur/sélectionneur fit alors entrer Christian Lopez, arrière central de Saint-Etienne, car c’était une des seules possibilités restantes. Pendant la prolongation, la France mena 3 buts à 1, et tout le monde pensait que l’affaire était dans la poche ! C’était sans compter sur la hargne des allemands et la lucidité de leur entraineur qui fit entrer un attaquant de classe, le nommé Rummenigge, qui légèrement blessé avait été ménagé. Les Français étaient très fatigués au milieu mais surtout en défense, et plutôt que de les aider, Lopez caracolait devant sans grande efficacité. Rummenigge réduisit le score, puis l’avant centre Fischer égalisa ce qui … entraina les tirs au but pour départager les deux équipes. On connaît hélas, la triste issue de la séance ! Quelques années plus tard, lors d’un colloque sur le management tenu à Monaco que Michel Hidalgo animait, je lui posai la question du 35


placement inapproprié aux avants postes du remplaçant. Etonné, il me prit par l’épaule et répondit : - “C’est la première fois qu’on me pose cette question, et vous avez raison, c’est à cause de ça que nous avons raté la qualification en finale. Sur le bord de la touche, nous hurlions à Lopez de venir soutenir sa défense mais, peut-être déçu de ne pas avoir été choisi au début de la rencontre comme titulaire ou tout simplement parce qu’il pensait pouvoir aggraver le score, il n’obéit pas”. Je m’étonnai alors du manque de réaction de Platini, réputé fin tacticien, et il m’avoua que celui-ci était complètement cuit, aveuglé, le nez dans le guidon. Plus récemment, notre Domenech national, au cours de la finale de la Coupe du Monde qui opposait la France à l’Italie en 2006, manqua singulièrement de jugeote. Il se glorifia d’avoir conduit l’équipe de France en finale, mais en fait, il aurait dû l’emporter avec un peu de bon sens ! Malgré l’exclusion de Zidane pour son fameux coup de tête sur le provocateur Materazzi, et la sortie sur blessure de Vieira très bien remplacé par Alou Diarra qui fit un grand match, les français qui jouaient donc à dix, dominaient largement des transalpins épuisés qui gagnaient du temps et dont le seul objectif était de parvenir à la séance des tirs au but. J’étais vraiment persuadé que nous allions l’emporter et qu’un peu de sang neuf allait être décisif. Or, Domenech effectua bien trop tardivement le changement attendu, en faisant entrer Trézeguet et Wiltord qui piaffaient d’impatience sur le banc. Je considère qu’il fit ce jour là (et ensuite d’autres) une véritable faute professionnelle. La stratégie, Monsieur, ça ne se commande pas !

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T R O I S I È M E

P A R T I E

Chapitre VII

Une rencontre, un amour... La femme de ma vie Nous devons notre rencontre à un petit moustachu d’origine autrichienne qui, se prenant pour Napoléon, mit l’Europe à feu et à sang, il y a quelques décennies. Walter, originaire du nord-ouest de l’Allemagne, marié sans enfant, boulanger de métier âgé de 26 ans, et qui ne demandait rien à personne, fut mobilisé en 1939 comme la plupart de ses compatriotes avec trois de ses frères. Il en perdit deux dans le conflit, le plus jeune quand l’armée allemande dès le début de la guerre, pénétra en Belgique. En effet, les envahisseurs ne passèrent pas par la Lorraine avec leurs gros sabots, mais par le nord avec leurs grandes autos et donc à toute vitesse (ce fut la Blitz Krieg - la guerre éclair), alors que nos 37


généraux avait cantonné principalement nos troupes à l’est, sur la ligne Maginot réputée infranchissable, où on attendit en vain l’ennemi. Le second de ses frères, l’ainé, tomba trois ans après en Russie. Walter fut incorporé dans la Whermacht comme chauffeur, et, dans cette fonction parcouru l’Europe en transportant avec son camion différentes fournitures dont du carburant pour la Luftwaffe (l’aviation ). En Hollande, il se fit un grand ami batave qu’il fréquenta après guerre. En Sicile (les Italiens de Mussolini étaient alliés des allemands, le fameux Axe de fer), il fut cantonné chez des paysans avec qui il sympathisa. Nous fîmes connaissance ultérieurement de cette famille, lors d’un voyage sur cette belle île, mais ceci est une autre histoire. Walter fut fait prisonnier à plusieurs reprises : une fois en Sardaigne par des communistes italiens en désaccord avec le Duce, puis à Berlin par les Américains (coup de chance) qui le libérèrent quelque temps après, car le pays avait besoin de bras pour être reconstruit. On lui demanda de présenter ses mains pour preuve de son aptitude aux travaux manuels, et ses deux battoirs de boulanger convainquirent immédiatement ses geôliers. Son certificat de dénazification en poche (alors qu’il n’avait jamais été inscrit au parti nazi), il rentra à la maison où il fut accueilli à bras ouverts par sa tendre épouse qui lui donna rapidement une jolie petite fille. L’heureuse maman déclara souvent que la naissance de son enfant unique fut le plus beau jour de sa vie. Mais avant d’en arriver là, mon futur beau-père visita notre beau pays de France et y fut cantonné avec sa compagnie, dans le prieuré de Rungis dont je vous ai parlé plus haut. En face de ce prieuré, il y avait une grande cour où se trouvaient plusieurs maisons rurales bordant la rue principale du village, occupées par des familles françaises. Le chef de famille de l’une d’elles était d’origine belge, de Flandre plus précisément, et avait engendré trois filles. Il s’appelait Prosper et fut par la suite l’un de mes professeurs esbillard, jeu dans lequel il excellait. Il avait l’habitude de dire lorsqu’un 38


joueur ratait un point de peu “beau gosse, mais pas veinard !” Dans le nord de l’Allemagne existe un dialecte, le “plattdeutsch”, mélange d’anglais et d’allemand, compréhensible pour un flamand, ce qui permit à Walter, naturellement ouvert, de communiquer avec Prosper, autant qu’on peut le faire en temps de guerre lorsqu’on occupe un pays étranger. Il tissa donc des liens amicaux avec cette famille, et promit de la revoir après le conflit “Ach guerre gross malheur”. Pour l’anecdote, mon brave futur beau-père fut témoin et complice d’un massacre sanglant ! Un troupeau de moutons paissait tranquillement dans les prés entourant le village, et excita la convoitise de jeunes affamés. Par une nuit sans lune, beaucoup de ces innocentes créatures du bon dieu payèrent un lourd tribu à la guerre et à la famine qu’elle provoquait. Nombre de ces animaux périt sous le couteau des villageois. Il faut souligner que Walter prit un gros risque en fermant les yeux sur ce carnage et qu’il avait d’autant plus de mérite qu’il n’aimait pas la viande de mouton ! La Gestapo enquêta sur la disparition suspecte des animaux, mais toutes les traces du forfait avaient été digérées depuis longtemps par des Rungissois rassasiés. Les allemands décampèrent ensuite et Walter fut très mal récompensé car, ralenti par la roulante dont il avait la charge, il fut canardé par des résistants de la dernière heure. Courageusement, de retour au pays, il y fonda pour la troisième fois une boulangerie. Sa fille unique grandit donc dans cette province du nord, la Niedersachsen, et choisit d’apprendre le français au lycée. Son père lui parlait parfois des gens qu’il avait rencontrés en France et elle se dit que ce serait plus efficace de s’y rendre pour se perfectionner. Elle écrivit donc à cette famille française de Rungis pour lui demander de bien vouloir l’accueillir deux ou trois semaines et obtint une réponse positive. Elle arriva par le train à la Gare du Nord tandis que des membres 39


de la famille partis pour l’accueillir faisaient chou blanc à la Gare de l’Est, reproduisant l’erreur de nos généraux en 1940 qui attendirent en vain l’invasion germanique sur la frontière Est. Emi, on l’appellera ainsi par anticipation, décontenancée, eut la tentation de prendre le train de retour pour son “Vater Land” ( sa patrie ), mais du haut de ses quinze ans, rassemblant son courage et ses connaissance de notre langue (le cordonnier répare les chaussures) se dit qu’il était vraiment stupide d’avoir fait tout ça pour rien, et expliqua tant bien que mal son problème au service de renseignements de la gare. On lui commanda un taxi qui la conduisit à toute allure (à sa grande frayeur) à l’adresse indiquée. La quasi-totalité de son argent de poche disparut pour payer la course. Quelques jours plus tard, je fis sa connaissance. Elle était accompagnée de Micheline la cadette des filles de ses hôtes, et venait chez moi sous le motif fallacieux de chercher du persil. Je trouvai la demoiselle charmante. Quelque temps après, moi qui ne sortais jamais, victime consentante d’un complot familial, j’échus sur une piste de danse dans ses bras. Toute la soirée, je lui écrasai consciencieusement les pieds, et je peux vous dire que cela crée des liens étroits ! Mon frère qui avait épousé la fille ainée de cette famille avait ramené de son service militaire passé outre Rhin, trois jeunes bergers allemands (décidément). Un des chiens avait été donné à sa belle famille et une chienne, ma gentille Tany, à la nôtre. Nous prîmes l’habitude, avec Emi, de promener nos animaux ensemble et ainsi de faire plus ample connaissance. Je devins son professeur de français particulier. L’élève était douée et fit des progrès fulgurants. Il faut reconnaître toutefois que le professeur était excellent. Avant qu’elle ne reparte chez elle, nous décidâmes d’entretenir une correspondance suivie. L’année suivante elle revint comme convenu, et je l’attendis avec 40


Michel, mari d’Odette la deuxième fille de Prosper, qui possédait une magnifique traction avant, à la Gare du Nord (pas d’erreur cette fois). Elle était devenue une vraie femme, superbe, et je fus ébloui définitivement. Je pris sa main que je tiens encore plus de quarante ans après. Nous eûmes deux enfants à deux ans de différence, deux garçons, qui, bon sang ne saurait mentir, devinrent également footballeurs. Plus tard, à l’âge adulte, ils jouèrent même ensemble avec bonheur dans l’équipe première de Brie Comte Robert qui évoluait en première division de district. L’aîné dans les buts, le cadet comme milieu défensif. Si je me suis livré à cette longue digression intime, c’est pour vous expliquer que l’accomplissement de ma passion égoïste du football, n’a pu se réaliser que grâce au sacrifice de mon épouse, qui me suivit pendant de longues années sur les stades des alentours avec nos enfants, qu’il pleuve ou qu’il vente. Je lui adresse donc aujourd’hui un grand coup de chapeau, je dirais même un “hat trick” (en anglais, le coup du chapeau, expression employée quand un seul joueur marque trois buts consécutivement dans un même match). C’est un peu tard, c’est vrai “quarante ans de retard, je sais, mais j’ai trouvé mes allumettes dans une rue du Massachussetts !”, comme dit la chanson. Aujourd’hui, je me donne bonne conscience en me disant que les gamins, au lieu de s’ennuyer ou de traîner n’importe où, se dépensaient sans compter sur les terrains annexes sous la surveillance de leurs maman dévouées, profitaient du grand air et rentraient à la maison crottés mais fatigués sainement.

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Q U A T R I È M E

P A R T I E

Chapitre VIIl

Ma carrière - Mes différents clubs Dans mon club de cœur, l’U.S. Rungis, il n’y avait pas d’équipe de catégorie junior. De cadet, je suis donc passé directement, compte tenu de mes qualités, à l’équipe première des seniors, à l’âge de 17 ans. Dès le premier match de championnat disputé sur un des terrains de la Croix de Berny, contre l’équipe de l’AC Auto (Citroën), j’inscrivis un but extraordinaire ! Sur le dégagement du gardien adverse, petit gabarit bondissant, la balle retomba devant moi sur le rond central… Dans ma mémoire, le temps s’arrête à cet instant ! J’entends encore mon capitaine, le valeureux Mimile me crier “tape !”. Et, illico presto je frappe fort dans le ballon qui lobe le portier imprudent à plus de 40 m. Il court désespérément en vain après la sphère qui roule devant la ligne avant de pénétrer dans son but. Cet exploit me permit de suite d’être admis dans cette équipe de 43


vieux briscards, moi, le petit jeunot. Cette saison là, en position d’intérieur droit (on dirait maintenant numéro 8), j’inscrivis 23 buts. J’ai loupé le coche à ce moment là ! Au crédit Lyonnais où je travaillais, j’avais fait un ami nommé Jacky Pauly qui, venant du Stade de Vanves, jouait en équipe première des juniors du Stade Français. Il avait été “pistonné” par un professionnel de ce club, appelé Girard. Au Parc des Princes, en lever de rideau dans un stade comble, j’ai assisté à la finale de la coupe Gambardella (Coupe de France des juniors), à laquelle participait le Stade Français et donc, mon ami Jacky. J’aurais donné beaucoup pour être à ses côtés ! Jacky me présenta à son entraineur qui assista à l’une de mes prestations, convaincante selon lui, et qui était d’accord pour m’intégrer à son équipe. Mais, il y avait deux entrainements par semaine au bout du monde. Mes parents ne possédaient pas de voiture, je poursuivais des études absorbantes, et j’ai dû décliner avec regret. J’appris ensuite que mon gentil Jacky avait subi en jouant une grave fracture de la jambe et qu’il était retourné à Toulouse d’où il venait. Il s’était reconverti au rugby, le traître, parait-il. J’ai évoqué le Stade Français qui, sponsorisé par son président, également président de l’entreprise Pernod/Suze, fan inconditionnel de football, avait monté une équipe séduisante censée damner le pion au Racing club de Paris. Elle comprenait les Carnus (gardien superbe de l’Equipe de France), Charly Loubet (professionnel à quinze ans), Stako (un défenseur solide), Alba (le technicien hors pair recruté à Nice) et deux suisses placés en attaque Pottier et Eschmann. J’allais souvent voir jouer cette équipe qui jouait en alternance au Parc des Princes avec le Racing Club de Paris. Elle disparut, hélas, de la circulation, car son président avait tapé abondamment dans la caisse de son entreprise pour satisfaire sa passion. Je reviens égoïstement à un cas qui m’intéresse au plus haut point, le mien ! Je n’étais pas très rapide, mais résistant, doté d’une 44


bonne technique, d’un bon jeu de tête, (on m’appela ensuite “la Tour”) d’une excellent frappe du pied droit, du sens du placement et d’une bonne vision du jeu. Mon style, m’a-t-on dit, ressemblait, en toute modestie, à celui d’Yvon Douis, qui fit partie de la grande équipe de France de 1958, lors de la coupe du monde en Suède. Je ne me souviens pas de tous les buts marqués lors de ma première saison en équipe fanion, mais seulement de quelques uns. Parmi les plus marquants (si j’ose dire !) : contre Noiseau, je suis placé sur la ligne des 16 mètres, légèrement du côté droit, et l’on m’adresse une passe depuis l’aile droite. Devant moi, se trouve l’arrière central adverse, le ballon saute sur le terrain bosselé, je le fais passer au dessus de la tête de mon opposant (le coup du “sombrero”) et le reprend de volée du pied gauche. Il passe entre les bras levés du gardien (tout de noir vêtu), surpris par la soudaineté du tir, frappe la barre transversale, rebondit sur sa nuque et pénètre dans les buts. Contre Draveil, nous sommes copieusement dominés, mais tenons un score vierge. Peu de temps avant la fin de la rencontre, je reçois du milieu gauche, le subtil petit Ahmed (retourné ensuite dans son pays l’Algérie, sans tambour ni trompette, pour y défendre ses convictions), une passe transversale en profondeur. Je pars à la limite du hors jeu, poursuivi par un grand échalas, l’arrière central adverse, arrive devant le gardien de buts sorti à ma rencontre, et juste avant d’être rejoint, lui glisse d’une pichenette sur son côté droit le ballon qui roule doucement, puis frappe le poteau avant d’entrer. Le “holdup” parfait ! Contre Longjumeau, sur un terrain court et étroit, si bien que les tiges métalliques tenant les filets de la cage étaient placées tout près des poteaux, je reprends la balle d’un tir croisé puissant à raz de terre qui pénètre dans les buts. L’arbitre se retourne et désigne le centre du terrain, mais le ballon frappe à l’intérieur de la cage la barre de soutien métallique avec un bruit caractéristique (gamelle), et ressort à grande vitesse. Les défenseurs adverses et le gardien (avec une mauvaise foi ini45


que) protestent et prétendent que la balle a heurté le poteau. L’arbitre, dans l’incertitude, annule donc sa décision première, à ma grande consternation. A la fin de la partie, en rentrant aux vestiaires, le gardien me glisse à l’oreille “on t’a bien eu !”. Vive l’esprit sportif…. A la rentrée de septembre, nous jouons en coupe de Paris à Châtillon sous Bagneux qui opère deux divisions au-dessus de la nôtre. Dans ma mémoire, c’est un festival de couleurs ! La pelouse, refaite à neuf, est d’un vert éclatant. Nos adversaires ont une tenue orange, la nôtre est bleue et or ! Le ballon tout neuf est d’un blanc immaculé, le temps est magnifique. Le ciel est bleu, le soleil brille. Irrésistibles, emmenés par un Guy éblouissant, nous leur passons cinq buts, en encaissons seulement deux et nous qualifions donc pour le tour suivant. Quel bonheur…. Guy avait une grande spécialité, le jeu de tête. Il sautait haut, mais lorsque son opposant redescendait, il donnait un coup de rein qui lui permettait de rester plus longtemps en l’air, ce qui lui donnait souvent un avantage décisif. Et puis, après deux saisons en équipe première, aux côtés de joueurs beaucoup plus âgés que moi, j’ai enfin été rejoint par mes compagnons d’enfance, les Pierrot, Nanec, Guitou et autres…Nous avons alors constitué une belle équipe, jouant un très bon football, avons obtenu des résultats et, je le pense, pris beaucoup de plaisir. Les femmes des joueurs qui étaient mariés s’entendaient très bien et contribuaient à créer une bonne ambiance. Ils nous arrivaient parfois d’organiser des dîners dans le bâtiment jouxtant les vestiaires. Dès la première saison, nous sommes montés dans la catégorie supérieure et avons même été couronnés champions de Paris. A l’époque, en effet, les premiers de chaque groupe de la même division se rencontraient pour sacrer le champion. Je n’ai pas disputé la finale, car j’accomplissais mes obligations militaires, mais on m’a raconté l’ex46


ploit. L’incontournable Nanec, sur le terrain transformé en cloaque de Chaville, profitant d’une flaque d’eau opportune, ajouta un but à sa liste et consacra ainsi notre équipe. Pendant ce temps, affecté dans l’artillerie, je faisais mon devoir de citoyen et crapahutais par monts et par vaux. Mon régiment, le 68 ème Rald était caserné à Trèves, (en allemand Trier) jolie ville proche du Luxembourg, où plusieurs milliers de bidasses américains et français étaient cantonnés. Bien entendu, nous avions une équipe de football qui disputait le championnat militaire des FFA (forces françaises en Allemagne)) et qui tenait la route. En défense centrale un nommé Kukma qui était titulaire à Giraumont (CFA ex 3ème division), un gardien venant de Sedan, un ailier gauche, mon ami Léon, Ch’timi de Valenciennes, et Tater brillant milieu de terrain titulaire en juniors à Reims. Mais à Trèves, le régiment de blindé (CIDB) était imbattable. Son colonel, un fondu de football recrutait dans les clubs professionnels, des joueurs d’avenir qui n’avaient pas été retenus par le centre de formation de Fontainebleau. L’équipe du CIDB que nous rencontrâmes comptait notamment dans ses rangs un avant centre talentueux, Guicci, un ailier gauche venu de Valenciennes, Goutorbe, et un latéral gauche Bègue issu de Lens. Nous livrâmes une belle performance mais perdîmes cependant cinq buts à deux. Sur la touche, un ami d’enfance, affecté dans ce régiment de blindés, Jacques Coppier, me prodiguait ses encouragements. Arrière central à Fontainebleau (CFA), il n’avait pourtant pas été retenu ce jour-là dans l’équipe de son régiment ! Au cours d’un entrainement ayant lieu sur un terrain extérieur à la caserne, nous eûmes un jour, la visite d’un bidasse ne payant pas de mine qui nous demanda s’il pouvait se joindre à nous. Nous organisâmes un petit match et il évolua en milieu de terrain comme récupérateur. Il était toujours en action, infatigable, et avait tous les contres pour lui. Nous l’aurions bien embauché, mais c’était impossible car il 47


n’appartenait pas à notre régiment. Il s’appelait Daniel Bourgeois et avant d’être appelé sous les drapeaux, jouait en réserve professionnelle à Strasbourg. Je l’ai suivi ensuite en lisant la presse sportive, et il a effectué une carrière remarquable, jouant plus de trois cents matches dans l’équipe pro du Racing Club de Strasbourg, et il fut même sélectionné à plusieurs reprises en équipe de France B. Cette anecdote méritait d’être contée !

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Chapitre lX

Retour de l’armée Libéré, je revins à mes amours rungissois ! Nous avions toujours une belle formation et, bien que renforcés par Marcel, un arrière central d’expérience, (naïf, je croyais qu’il était venu chez nous pour nos beaux yeux, mais j’appris plus tard qu’il percevait quelques sous), nous étions encore bien tendres, car nous avions accueilli dans nos rangs deux juniors : Bob, un excellent gaucher et Jean-Pierre, le fameux “gasoil” ! Nous jouions un bon football, mais les différentes équipes adverses étaient plus rudes et plus expérimentées. Ma chair se souvient encore d’un match mémorable disputé sur le terrain d’un des prétendants à la montée, à Athis Mons, où nous avions gagné brillamment. Au coup de sifflet final, un adversaire particulièrement excité vint vers moi et me porta un coup de tête sur l’arcade sourcilière qui éclata et 49


me couvrit de sang, pour un motif futile. A cette époque, déjà, la violence existait ! C’est beau le sport, n’est-ce pas ? Nos performances étaient toutefois irrégulières, et à la fin de cette saison là, nous devions absolument gagner à l’extérieur, plus précisément à La Ferté Alais, pour nous maintenir. Le terrain était petit, sec et bosselé. A quelques minutes de la fin de la partie, nous étions encore à égalité, lorsque je dribblai leur gardien sur le côté droit de la surface de réparation et adressai une passe à Bob, seul devant le but vide. Nonchalamment, il poussa le ballon du plat de son pied gauche, et nous attendions tous qu’il franchisse la ligne….C’était sans compter sur un grand escogriffe chaussé de baskets à cause du terrain sec, qui surgit soudain à toute allure et tapa désespérément en dessous de la balle qui rebondissait alors, pour la propulser sous la barre transversale. Le ballon revint en jeu, nous fîmes match nul, et descendîmes en division inférieure. Quelle guigne…. Cette rétrogradation provoqua le départ de certains joueurs et l’arrêt d’activité de certains autres. Je restai fidèle à mon club une ou deux saisons encore, puis sollicité par le nouvel entraineur de Chevilly Larue, localité voisine qui avait un projet sportif intéressant et ambitieux (nouveau stade en construction), je décidai de tenter l’aventure.

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Chapitre X

La trahison L’équipe de football de Chevilly stagnait dans les divisions inférieures. Le nouvel entraineur Claude Camensuli venu d’Antony qui opérait en division d’honneur battit le rappel de ses anciens coéquipiers libres de signer dans un autre club. Il faut savoir, en effet, que les mutations d’un club à l’autre sont réglementées dans le monde amateur. Ainsi, un joueur ayant opéré l’année précédente dans un autre club, peut changer de club, mais alors il a une licence estampillée “mutation”. Chaque formation alignée dans un match donné, ne peut (remplaçants y compris) compter plus de deux licences dites “mutation”. Il en est de même pour les joueurs de nationalité étrangère. Dans l’équipe en constitution, nous réunissions quatre étrangers, et plus de deux mutations (dont la mienne). Mais ce conglomérat constitué de vieux briscards et de jeunes joueurs était fort riche ! 51


Dès la première saison, nous accédâmes à la division supérieure sans perdre un seul match. Notre entraineur avait été professionnel et joué à Grenoble (division II) où il avait été victime d’une double fracture tibia péroné qui s’était mal ressoudée. Il boitait légèrement en marchant, mais courait normalement, et depuis son aile gauche débordait souvent ses adversaires grâce à un passement de sa jambe gauche plus courte que l’autre qui les mystifiait. Nous montâmes également les deux saisons suivantes. Cependant, j’ai assez peu joué en équipe première, en raison de ma situation de muté, et parce qu’au tout début, j’ai eu le nez cassé suite à un coup de tête involontaire lors d’un match de coupe et ai dû attendre d’être rétabli. Comme l’équipe gagnait, suivant l’adage “On ne change pas une équipe qui gagne”, j’ai dû souvent faire banquette. Je n’ai pas regretté mon choix, car j’ai croisé et joué avec d’excellents joueurs et, souvenir impérissable, avec Raymond Kopa mon idole de jeunesse, en personne. Il était venu lors d’un entrainement, pour nous vendre des équipements, dans le cadre de sa fonction de représentant pour Adidas. Après l’entrainement, nous sommes tous allés boire un pot, et j’ai pu converser avec mon héros, lui ai rappelé le match de Reims contre Austria de Vienne au Parc des Princes pour la coupe d’Europe auquel j’assistai, et au cours duquel il avait inscrit trois buts ! L’année suivante, bien que revenu au sein de l’ U.S. Rungis, je fus sélectionné dans l’équipe régionale et invité par Claude Camensuli à disputer une rencontre en nocturne contre Chevilly Larue renforcé par Raymond Kopa, à l’occasion de l’inauguration du nouveau stade enfin terminé. Moment magique où le “petit Napoléon”, c’est comme ça que les anglais appelaient Kopa, fit la démonstration de son talent malgré ses quarante ans passés. 52


Avec l’élan de Chevilly, j’ai d’autres bons souvenirs ! En Coupe de Paris, j’ai inscrit trois penalties lors d’un match contre L’Hay les Roses, derby animé et heurté ; deux dans le temps réglementaire et un en prolongation. Tous tirés de la même façon en décroisé à mi-hauteur sur la gauche du gardien. Contre les Arméniens d’Alfortville, nous étions menés deux buts à zéro, lorsque l’arbitre sous les huées du public siffla un penalty en notre faveur parfaitement justifié. Notre petit avant centre vietnamien Van Tran, vif argent pétri d’expérience, fut chargé d’exécuter la sentence. Il dût s’y reprendre à trois fois sur les injonctions de l’arbitre qui regrettait son courage. Il transforma ses trois coups de pied par une pichenette croisée identique dans le petit filet avec un sang froid étonnant. Cet exploit nous stimula et nous avons remporté la rencontre. A l’issue de la seconde saison, nous avons été sacrés Champions de Paris après avoir remporté la finale contre le CA 14 (club du 14 ème arrondissement) sur le terrain du Plessis Robinson. Ce jour là, Moumousse, notre petit “beur” sympathique et souriant, fit un festival et inscrivit deux buts. A ma grande surprise, sans rien demander à personne, je reçus dans ce club argenté, un beau jour, une prime de cent francs. Ce qui m’amène à soulever le problème de l’argent dans le football “dit amateur”. Il parait qu’aujourd’hui, certains clubs de division d’honneur (5ème degré dans l’échelon inférieur), rémunèrent leurs meilleurs joueurs à hauteur de 1 500 euros par mois, sans fiche de paye évidemment. Comment font leurs dirigeants ?

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Chapitre Xl

Le Retour Dans le paragraphe précédent, j’ai évoqué mon retour à Rungis, pressé par Mr Niquet et mon ami Antoine. L’équipe était tombée bien bas, beaucoup de joueurs étaient partis et il me fallu rebâtir une formation tenant la route ! Cependant, deux joueurs au moins me paraissaient avoir le niveau souhaité. Michel Fraissinet, stoppeur intransigeant, que je connaissais bien pour avoir déjà joué longtemps avec lui, et un petit arrière latéral gauche farouche, de nationalité portugaise, Afonso Pinto. Michel amena au club un copain prénommé Bernard, très dynamique, que je positionnai en arrière latéral droit. Jean, le frère de Nanec, jouait autrefois en réserve en qualité de gardien de but, et je lui fis confiance. La suite me prouva que j’avais bien fait. Quant à moi, je 55


pris le poste d’arrière central libre (libero), et ainsi me semblait-il, j’avais constitué une solide défense. Devant, je fis avec les moyens du bord ! Je composai ma ligne d’attaque avec un jeune très rapide prénommé Théo qui confirma ses bonnes dispositions, Yousse marocain attachant à l’aile droite, JeanPierre Clavière, garçon fantasque et son frère Michel. Restait à fournir le milieu de terrain, et j’eus beaucoup de chance ! A Chevilly Larue, j’avais connu un algérien Mohammed El Moussaoui, grand et maigre, d’une modestie et d’une correction exemplaire qui débutait. Il avait une technique rudimentaire mais était doté d’un cœur énorme et d’une détente aérienne exceptionnelle. En une année, il avait fait des progrès stupéfiants, et j’avais été très ému devant la joie qu’il manifesta le jour où on lui avait remis, en début de saison, une paire de chaussures toutes neuves. Or, pendant un léger entrainement que je dirigeais, en fait une revue d’effectifs, j’entendis qu’on m’appelait par mon prénom depuis la main courante. Surprise, c’était mon Mohammed qui me demanda timidement s’il pouvait signer une licence à Rungis, car il ne se sentait plus très bien à Chevilly et m’appréciait. Je sautai bien évidemment sur l’occasion et je recrutai ainsi un excellent milieu de terrain, qui, en outre me présenta un de ses cousins bon footballeur lui aussi. Ma mémoire est encore chargée d’un but extraordinaire inscrit par Mohammed. Sur un centre puissant venu de la gauche, d’un bond fantastique, il reprit la balle d’un coup de boule magistral pour la propulser dans les filets adverses. Action superbe ! Dès la première saison, nous montâmes d’une division malgré les nombreux traquenards tendus par les clubs de l’Essonne. En effet, la ligue avait organisé les différents championnats en tenant compte des nouveaux départements. Mais nous, bien que Val de Marnais, nous fûmes rattachés à l’Essonne pour faire le nombre, du fait que nous étions les plus proches de ce département. 56


Je me souviens notamment d’un match particulièrement tendu disputé à Bruyère le Châtel, gagné par notre équipe grâce à un penalty parfaitement justifié, mais qui déclencha une sorte de folie dans les rangs des spectateurs locaux, des bouseux chauvins. Certains, rentrant de la chasse, avaient même le fusil en bandoulière. Le président de ce club de l’Essonne péta les plombs, et asséna un coup de drapeau de touche sur la tête de notre juge de ligne, ce qui lui valut une suspension à vie. La saison suivante, le succès appelant le succès, Nanec et Bob revinrent au bercail, constituèrent avec moi un triumvirat d’entraineurs et notre équipe de vieux briscards poursuivit victorieusement sa route, d’autant plus qu’un renfort inopiné en la personne de Simon, relation d’Antoine, nous rejoignit. Celui-là, alors, impossible de lui piquer le ballon quand il le tenait. Il le conservait et en était agaçant, mais obtint un nombre important de coups francs qui nous arrangèrent bien. A l’issue d’une rencontre disputée à domicile contre Ris Orangis, postulant lui aussi à la montée, nous gagnâmes et accédâmes encore à la division supérieure. Le capitaine adverse pleurait à chaudes larmes à la fin du match, car il avait 37 ans et il arrêtait sa carrière sur un échec. Mon bonheur en était affecté ! En arrivant au Café des Sports, je fus porté en triomphe par nos fidèles supporters portugais. Afonso, en effet, avait une galerie importante de compatriotes enthousiastes qui nous suivaient par tous les temps, à domicile comme à l’extérieur. Cependant, le match le plus marquant fut celui disputé sur notre terrain en coupe de France contre l’Amicale de Maisons Alfort qui évoluait en 3ème division. Leur entraineur était Mr Mercier, qui entrainait aussi l’équipe de France des Juniors. Nous réalisâmes une performance remarquable, malgré l’absence de Simon qui arriva en retard, car il faisait les marchés et avait été retenu. Nous perdîmes avec honneur cinq buts à deux, en ayant tenu la dragée haute à l’Amicale jusqu’à vingt 57


minutes de la fin. Puis, un élément expérimenté de leur formation, un nommé Bézenet, nous planta trois buts en contre, car nous nous étions découverts pour tenter de marquer. Mr Mercier craignait ce match, pensant que nous jouerions rudement, vu notre niveau inférieur, et il nous rendit hommage. La saison suivante, Mohammed nous quitta, sans explications, ce qui ne correspondait pas à son comportement habituel. Je pense qu’il avait dû partir loin sur un autre chantier, ou rentrer dans son pays. Dommage ! A Arpajon, sur un terrain gelé, donc dangereux, nous n’avions pas de goal de métier, et Michel Clavière se porta volontaire. Avant la rencontre, pendant l’échauffement, car il faisait un froid de canard, il se luxa malencontreusement un doigt. Chaoul notre petit dirigeant pied noir dévoué, se précipita pour le manipuler et lui démit un second doigt, provoquant les hurlements du blessé. En tribune, un poivrot mourut de congestion. Bref, ce fut une journée mémorable…. En Coupe de Paris, à domicile, nous jouâmes contre Morangis Chilly qui opérait alors dans la même division que nous, mais qui avait des ambitions et qui avait monté une forte équipe emmenée par leur talentueux entraineur joueur Marc Berthon. Dans ses rangs évoluait notamment un jeune milieu de terrain nommé Pilorget qui fit ensuite les beaux jours du Paris Saint Germain. Sans être ridicules, nous fûmes toutefois éliminés. En matière d’installations, nous étions vraiment dépourvus, surtout l’hiver où il n’était pas aisé de s’entrainer. J’avais un collègue assureur, Alain Vicaire, qui me parla un jour de son beau frère ingénieur électricien, spécialisé dans l’éclairage public. De fil en aiguille, j’obtins un rendez-vous avec cet homme de l’art, qui étudia pour notre stade la possibilité d’un éclairage pour nocturnes, au moindre coût. Je soumis l’estimation à notre maire qui l’entérina. Il y eut six poteaux en bois 58


disposés autour du terrain avec un éclairage suffisant pour effectuer nos entrainements et même des matches. Progrès considérable qui changea notre vie ! Merci encore à cet ingénieur qui travailla bénévolement et à notre maire qui fit réaliser ce projet !

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Chapitre XIl

Le commencement de la fin La troisième année, nos dirigeants firent appel à un entraineur joueur, Yves Pinon que je connaissais car il avait débuté, lui aussi, à la Saint Jean de Cachan. Il avait joué en réserve professionnelle au Racing club de Paris et me raconta une anecdote. Lors d’un entrainement, Joseph Ujlaki, surnommé Monsieur Joseph, d’origine hongroise, le maître à jouer de l’équipe première, barré en sélection par Kopa, lui tendit des chaussures neuves et lui dit : “dis, petit, tu peux me les casser ?” . C'est-à- dire, que Yves devait les porter pour les assouplir. Le jeudi, souvent, je me rendais au Parc des Princes pour voir jouer le Racing (bien que préférant le stade de Reims), et je fus témoin d’une scène assez drôle. Ce jour là, le Racing rencontrait Nice, et l’un de ses joueurs, Alba, commit le sacrilège de faire un petit pont (action 61


qui consiste à passer le ballon entre les jambes de son adversaire) à Monsieur Joseph. Celui-ci, vexé comme un pou, essaya toute la partie de lui rendre la pareille. Finalement, Alba, technicien hors pair, accepta de se laisser faire. Yves ne réussit pas à devenir titulaire au Racing, mais partit à Saint Germain en Laye où il devint meilleur buteur de CFA (3ème division). Les frères Sotocca, Toc-Toc et Jean- Marc, excellents footballeurs, vinrent également nous renforcer lors de cette troisième année, et à l’issue d’un match mémorable disputé sur le terrain de Dourdan, au cours duquel Afonso Pinto, la tête enrubannée suite à un choc violent avec un adversaire, fit l’admiration de sa galerie de supporters portugais, nous gravîmes encore un échelon. Jean-Marc, garçon bohème mais avant centre adroit des deux pieds, possédait un tir lourd et surpuissant du pied droit. Quand il tirait des coups francs, le mur adverse avait tendance à se fissurer. Lors d’un match, le gardien qui avait eu l’imprudence de s’opposer au projectile déclenché par Jean-Marc, en eut les mains retournées ! Nos succès attirèrent de nombreux joueurs de clubs voisins, alléchés par notre nouveau statut, qui signèrent une licence chez nous. Mais, comme je l’ai précisé auparavant, deux mutés seulement pouvaient jouer en équipe première. Bien évidemment, ceux qui étaient sur le banc ou devaient jouer en réserve, n’admettaient pas toujours le choix de l’entraineur, ce qui, peu à peu, créa des clans et détériora l’ambiance. L’âge commençait à me peser, mais je réussis encore quelques bons coups ! Je me souviens, notamment d’avoir marqué trois buts de la tête au cours d’une rencontre disputée contre les cheminots de Villeneuve le Roi. Cependant, je n’étais plus un titulaire indiscutable…. 62


A 35 ans, l’âge requis, je dus me rendre à l’évidence et rejoignis notre équipe de vétérans, qui animée par Gilbert et Michel Nicolle, attendait mon renfort avec impatience.

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Chapitre XIIl

Le supplément du Lundi Mais avant d’évoquer mon passage chez les vétérans qui dura quand même une dizaine années, je vais revenir sur mon activité parallèle corporative, qui ne plaisait pas beaucoup à mon épouse. Il faut la comprendre ! En effet, je jouais le dimanche après-midi avec l’US Rungis, et le lundi avec l’équipe de mon employeur, La Semeuse de Paris, établissement financier qui comptait plus de cent commerciaux, dont l’âge tournait autour de la trentaine. Notre travail consistait à visiter des clients à leurs domiciles pour leur proposer des crédits sous forme de bons et des assurances, sur toute l’Ile de France. Bien entendu, monter des étages était notre lot quotidien, et entretenait notre condition physique. Nous avons formé facilement une équipe (le choix était grand), et avons commencé dans la division la plus modeste. Notre formation 65


était constituée de joueurs jouant le dimanche en compétition, l’un en 3ème division à Juvisy, un autre en promotion d’honneur à Dammarie les Lys, et trois autres en première division. Ceux qui restaient savaient, eux aussi, manier le ballon rond, mais avaient abandonné le sport pour des raisons diverses. Nous sommes montés durant trois années sans coup férir, car le niveau de nos adversaires était assez modeste. Nous jouions la plupart du temps, sur les terrains de Pershing (près du bois de Vincennes), et parfois à Choisy le Roi sur l’espace départemental. A cet endroit, la quatrième année, nous sommes tombés sur un os ! L’équipe de la police (unité de CRS basée à Bourg la Reine), qui comptait dans ses rangs deux joueurs évoluant en équipe nationale de la police. Nous n’étions pas habitués à pareille opposition… Ça nous a fait tout drôle ! On en a pris sept, ce jour là, mais nous avons sauvé l’honneur. Cependant, l’exigence de notre tache professionnelle, le vieillissement des participants, ont fait que nous avions de plus en plus de mal à réunir onze joueurs. Nous avons disputé notre dernière rencontre à Saint-Denis, avant de raccrocher. Je m’en souviens très bien. Nous n’étions que huit (nombre minimum permis), et nos adversaires, grands seigneurs, nous proposèrent de nous prêter des joueurs et de disputer une rencontre amicale pour du beurre ! Nous déclinâmes et gagnâmes un but à zéro, après avoir ouvert le score en début de partie grâce à notre seul avant, puis résisté jusqu’au bout, à la grande honte de nos opposants. Je me souviens aussi d’un match amical disputé à Pershing, dans une équipe incomplète qui m’avait demandé de jouer dans ses rangs, car notre adversaire du jour avait déclaré forfait. A mes côtés, évoluait Carlos Monin, professionnel au Red Star qui faisait quelques piges le lundi. Le bougre était rugueux, et à la fin de la rencontre, avec un accent sud-américain prononcé, il me demanda de signer chez eux, ce qui m’était impossible. J’étais quand même flatté ! J’étais donc devenu chômeur du Lundi, mais un copain, tavernier 66


de son état, qui jouait dans l’équipe de la coiffure évoluant en division d’honneur, me demanda de venir le rejoindre (deux éléments hors corporation étaient autorisés). Dans la formation, figuraient trois joueurs de l’Equipe de France corporative du lundi : François Merveille, un milieu de terrain à la chevelure rousse et les frères Latapie. Nous pratiquions un très bon football et avions pour terrain celui de la porte de Montreuil. Je n’ai joué dans cette équipe qu’une saison, car mon camarade recruteur avait décidé d’arrêter. J’eus toutefois le temps d’inscrire, sur une reprise de volée à 25 mètres de la cage adverse, un but d’anthologie, analogue à celui du stéphanois Jean Michel Larqué, en finale de la Coupe de France contre Lens… Hélas, pour une raison obscure, l’arbitre ne l’accorda pas. C’est vraiment frustrant !

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C I N Q U I È M E

P A R T I E

Chapitre XIV

Les tournois de sixte Ces joutes ont lieu après les épreuves officielles, coupes et championnats, à partir du mois de mai. Les rencontres se disputent sur des moitiés de terrain (sens de la longueur), avec des buts normaux, et une ligne tracée à cinq mètres de ceux-ci, sur toute la largeur. La règle du hors jeu n’est pas appliquée ! Ce qui modifie la stratégie, car un avant peut rester près du gardien de buts adverse pour le gêner. La durée normale des matches est de six minutes, en deux mitemps de trois minutes. Les formations sont constituées de six joueurs, sans l’obligation d’être licenciés, dont un gardien, qui peut utiliser la main sur toute la largeur, dans la surface tracée à cet effet. Chaque formation (le groupe peut être composé d’un nombre supérieur à six membres qui tournent éventuellement match après 69


match), inscrit autant d’équipes qu’elle le souhaite, ce qui lui donne autant de rencontres à jouer au premier tour, donc autant de chances de se qualifier pour le tour suivant. L’inscription est payante, car des lots sont mis en jeu, et l’organisateur n’a pas vocation de sponsor. L’épreuve commence généralement à neuf heures du matin, et se termine parfois à la nuit, en fonction de l’importance de la participation. Nous avons disputé certains tournois qui comptaient trois cents équipes inscrites ! Dans ce cas, les organisateurs instituent la règle de l’élimination au premier but marqué (et parfois même du premier corner concédé), lors des premiers tours pour activer l’organisation. En cas d’égalité après six minutes de jeu, les équipes se départagent aux tirs au but. Le premier penalty raté vaut élimination. Bien entendu, plusieurs terrains sont utilisés (souvent quatre) et les matches se déroulent simultanément. Dans ces manifestations, il y avait une ambiance festive formidable ! Du mouvement, des couleurs chatoyantes, de l’animation… Les annonces des rencontres se faisaient au micro depuis la tribune réservée aux organisateurs qui diffusaient aussi de la musique. Bien sûr, il y avait tout à côté, un bar qui servait boissons et nourriture aux participants et aux spectateurs. Les joueurs étaient souvent accompagnés de leurs familles et se groupaient à l’écart des autres compétiteurs. Ils montaient même parfois des tentes pour y placer leurs affaires et s’y reposer entre les rencontres. Les formations inscrites étaient constituées bien souvent de copains qui ne jouaient pas forcément dans des clubs, ce qui au premier abord était éminemment sympathique, mais qui se révélait parfois dangereux. En effet, certains étaient plutôt maladroits, et la fatigue aidant, se comportaient brutalement dans un excès d’enthousiasme. Ainsi, pressé par un petit portugais que je qualifierais de “bourrin”, je subis une entorse compliquée de la cheville droite qui me gêna pendant plusieurs années. 70


Il y avait aussi de belles équipes attirées par l’aspect ludique de ces tournois, où figuraient même des professionnels. Nous croisâmes ainsi la route des Farias (argentin qui fit les beaux jours de Strasbourg et du Red Star), Michel Pech (Montrouge, Malakoff, puis FC Nantes), Samper, Ricard (meilleur buteur de Melun alors en 2ème division), Delachet (goal qui joua ensuite à Marseille et qui fut même sélectionné en équipe de France) et Moreira, garçon sympathique, qui jouait en pro dans les buts du Red Star. J’ai marqué un but aux deux derniers cités, de la même façon, en les lobant d’une petite pointe subtile. Je suis très fier de cet exploit ! Tous ne se conduisaient pas de façon exemplaire. Lors d’un tournoi organisé par notre club, plusieurs éléments de Corbeil Essonnes (CFA) se présentèrent, dont un ex international français qui jouait dans cette équipe et l’entrainait, un nommé Charley Rouillon. Il commit une véritable agression heureusement sans grave conséquence à l’encontre de mon ami Pierre qui lui en faisait voir de toutes les couleurs. Le vieux birbe fut copieusement hué par les spectateurs qui avaient pris fait et cause pour notre équipe de jeunots. Avec sept ou huit copains, nous formions une équipe soudée, et je peux dire, sans forfanterie, que nous écumions les tournois de sixte des environs. Nous avions pris le nom de “trompe-la-mort”, jouions en blanc, et avions rapidement mis au point une stratégie appropriée. Un goal libre, deux éléments en défense, deux au milieu, et un avant de pointe chargé de gêner le gardien adverse et de conclure. Pour économiser nos efforts, nous n’engagions que six équipes, car la journée était longue et éprouvante. Nous avons remporté certains tournois, mais figurions souvent parmi les ultimes participants. Je me souviens, notamment, de notre performance accomplie en nocturne à Dourdan. Notre cher Léon Calecki, un dirigeant dévoué, nous avait emmenés là- bas dans sa Citroën DS commerciale avec laquelle il livrait les 71


journaux. Léon était assez maladroit mais adorait le football. Je me souviens qu’un jour, lors de notre échauffement où il s’était mêlé en chaussures de ville, il fit une reprise de volée stupéfiante du pointu. Il nous a, hélas quittés, victime dune longue et cruelle maladie, comme on dit. Ce soir là, nous fûmes éliminés dès le deuxième tour du tournoi principal, mais qualifiés pour la consolante. Au bout de la nuit, en finale, nous rencontrâmes une formation constituée de membres de l’UA 16 qui avait disputé, peu de temps avant, la finale de la coupe Gambardella. Nous l’emportâmes grâce à un but de Michel Niquet qui, s’échappant du milieu de terrain, conclut sa course d’un pointu somptueux, crucifiant le portier adverse. Lors de cette nuit mémorable, j’ai inscrit un but qui illumine encore mes insomnies. En position d’intérieur droit, je déclenche une frappe croisée puissante du coup de pied, et le ballon blanc file inexorablement vers la lucarne du but adverse. Ce qui est extraordinaire c’est que, dès que le ballon part, je sais qu’il va finir sa course au fond des filets, tel un missile lumineux. C’est beau, hein ? Cependant, c’est sur les terres de notre ennemi favori, à Orly que nous avons écrit notre plus belle page de gloire ! Mon ami Pierrot m’a envoyé récemment une gentille petite lettre pour me rafraichir la mémoire, et je le cite : “Pour amener de l’eau à ton moulin, il me revient un souvenir cocasse. De vaillants Rungissois, à Orly, ont gagné après d’âpres batailles, un mouton vivant, gros lot du tournoi. Il a fallu l’emmener avec nous (dans ma deux pattes), et l’installer chez JeanPierre qui habitait un pavillon vétuste à La Fraternelle. Il y avait un peu de gazon que le mouton a pu déguster, avant de se faire égorger par le boucher de Rungis qui était aussi dirigeant. J’ai été le seul à lui donner un coup de main ; tous les courageux se sont sauvés… Après le dépeçage, grillade partie au stade, suivie de viandes saoules, beuveries, et des lendemains qui déchantent ! Je compléterai cet épisode charmant en revenant à l’aspect spor72


tif. En finale, l’opposition était talentueuse et comptait dans ses rangs, Robert Jacques (professionnel à Troyes), Garnier licencié à Orly qui en pleurait presque de rage (comme buteur, il fit ensuite les beaux jours de Dunkerque et de Reims) et un gardien de but officiant au Red Star dont j’ai oublié le nom. Nous avons disputé cette finale sur un nuage, de façon euphorique, comme cela existe rarement dans un sport collectif. Ce soir là, nous étions invincibles, nous : les Pierrot, Bob, Nanec, Guitou, Jean-Pierre, et moi-même ! Plus haut, j’ai évoqué certains professionnels qui ont croisé notre route, mais le joueur qui m’a le plus impressionné avait pour nom Guy Kedim. Il était robuste, rapide, possédait une détente fantastique, et un jeu de tête remarquable. Lorsqu’il filait vers le but adverse, son passement de jambes le rendait irrésistible. Nous l’avons souvent croisé lors de ces tournois, et il disputa à l’occasion quelques matches dans nos rangs, car il appréciait notre façon de jouer. Il me confia un jour, d’une voix grave aux accents banlieusards marqués, bien que d’origine marocaine, qu’il aurait pu franchir le “Rubicon” et devenir professionnel. Il avait été sollicité, notamment par Saint-Étienne, mais il ne voulait pas sacrifier sa qualité de vie pour des chimères. Il avait un métier solide, aimait sortir, et refusait donc d’éventuels déplacements longs et fatigants. Ce malin passait donc d’un club à l’autre, parmi ceux de la banlieue sud évoluant au plus haut niveau amateur : Malakoff, Juvisy, Paris Joinville, Choisy le Roi, en encaissant à chaque fois, des primes à la signature. Mais, petit à petit, les tournois de sixte en Ile de France ont vu leur niveau s’abaisser. Les saisons officielles étaient plus longues, les bons joueurs avaient d’autres compétitions, les éventuels organisateurs étaient moins compétents, c’était la porte ouverte à des individus sans foi ni loi. A Rungis, notre tournoi du 1er mai, s’est terminé par une bataille rangée à cause de voyous venus d’Orly. La maréchaussée a dû intervenir, notre courageux Jojo a mis de l’ordre à coups de manche de 73


pioche, et notre président a sagement décidé de ne plus organiser ce genre de manifestation. L’année précédente déjà, j’avais été pris à partie par une équipe rendue furieuse par une décision d’arbitrage prise à leur encontre (en effet, certains joueurs volontaires officiaient comme arbitres pour aider au déroulement des rencontres). Entouré par la meute, serré un moment par le plus virulent, je le vis s’écrouler et rester à terre, ce qui mit fin à l’échauffourée. Mon père, discret, les mains dans le dos, me dit : “Alors, comme çà, tu te laisses insulter !...”. Ancien boxeur professionnel, il m’avait vengé en plaçant un crochet magistral au bouc de l’excité. Dans un autre domaine, pour tenter de compléter la subvention de la mairie, les rentrées enregistrées par les billets d’entrée aux matches et les consommations prises à la buvette par les spectateurs, nous avons organisé pendant plusieurs années des bals dans la salle municipale prêtée gracieusement par notre maire, Alain Balland, un ami d’enfance. Là encore, des voyous venus des environs, entraient subrepticement et semaient la pagaille. Nous organisâmes ces fêtes sur invitations, en mettant en place un service d’ordre, mais rien n’y fit, les gredins venaient au cours de la nuit par petits groupes dans le seul but de mettre la zizanie. A regret, nous dûmes aussi cesser ces manifestations sympathiques.

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Chapitre XV

Les Arbitres C’est vraiment une fonction difficile ! Il y a parmi eux des gens compétents, des incapables, des autoritaires, des mous, mais aussi certains malhonnêtes. Dans cette dernière catégorie, j’ai rencontré à deux reprises un certain Mr Néant, nom prédestiné s’il en est. Comme disait ma mère, quand je l’ai vu pour la première fois, j’ai tout de suite pensé “qu’il avait une tête à coucher dehors avec un billet de logement” ! Cela se passait à Bagneux, qui ambitionnait comme nous, de monter en division supérieure. Cet arbitre a sifflé trois penalties injustifiés contre nous en vingt minutes. J’étais frais émoulu, donc docile, et pourtant, en croisant l’homme en noir, je n’ai pu m’empêcher de lui dire que s’il continuait à être injuste, il y aurait des blessés. Il m’expulsa pour jeu dangereux ! Ce fut la seule fois, de toute ma carrière… 75


Dans une ambiance exécrable, l’épouse de notre capitaine, ce cher Milou, femme réservée et distinguée, s’énerva quelque peu et joua même du parapluie contre certains spectateurs excités. Plusieurs années après, Gilbert, notre gardien de buts, en compagnie d’autres vétérans, prit en stop cet arbitre, le reconnut et l’emmena boire un verre dans notre repaire, le Café des Sports. Eméché, le misérable avoua qu’il avait été payé par les dirigeants de Bagneux. La seconde fois que je rencontrai cet individu, ce fut dans un match corporatif du lundi, en finale de coupe, opposant la Semeuse de Paris (mon équipe) à la Samaritaine. Il commença par me refuser un but, alors que l’entraineur adverse (un nommé Dilinger, meilleur buteur de division d’honneur, jouant à Champigny), placé derrière la cage, affirmait que le balle avait bien passée la ligne, puis à la fin de la rencontre, alors que j’avais dribblé le goal dans sa surface de réparation et qu’il m’avait pris à bras le corps, estima qu’il n’y avait pas faute. Pauvre type ! Une autre fois, lors d’une rencontre à domicile, un junior qui débutait chez nous en équipe fanion, se rendit coupable d’un tacle dangereux et fut exclu normalement par l’arbitre, du genre psycho rigide. Or, vers la fin du match (bien que jouant à dix, nous menions au score), je décidai de remplacer, en tant que capitaine, un équipier qui trainait la patte. Refus de l’homme en noir qui déclara qu’un exclu ne pouvait être remplacé ! Je lui fis remarquer que nous continuerions pourtant à jouer avec un joueur en moins. Rien n’y fit ! Alors, comme le règlement le stipule, lors de l’arrêt de jeu suivant, je déposai auprès de lui en bord de touche, des réserves techniques. Après la rencontre, convoqué dans son vestiaire, il me supplia au bord des larmes, car il s’était rendu compte de sa bourde, de ne pas confirmer ma réclamation. Il devait être porté à arbitrer en division supérieure, et craignait que cette faute compromette sa promotion. Bon gars, j’acceptai en lui demandant de ne pas être trop sévère dans 76


son rapport vis-à-vis de mon joueur. Il promit, mais convoqué à la ligue, j’appris qu’il avait demandé, au contraire, une sanction exemplaire. La confiance, il n’y a que ça de vrai ! A Villeneuve saint Georges, en Coupe de Paris, après une réception offerte par notre maire, nous n’étions pas très frais, mais l’action nous permit de nous sentir de mieux en mieux. Sur un centre judicieux, je repris la balle de la tête et elle allait pénétrer dans le but, lorsqu’un arrière la détourna de la main sur sa ligne. Tout le monde avait vu la chose, sauf l’arbitre qui nous intima de continuer à jouer. Bien entendu, nous protestâmes et Bob fit le tour de l’homme en noir en bêlant de façon insistante. Celui-ci saisit son petit carnet pour y noter le numéro de l’insolent ! J’avoue que d’un petit revers de la main censé être involontaire, je fis tomber dans la boue le document, si bien que l’arbitre se ravisa, et ne prit aucune sanction. Ouf ! En matière d’arbitrage, à ma grande honte, nous eûmes aussi à pâtir des excès d’un de nos dirigeants. Roger était capable et dévoué, et officiait souvent comme juge de touche, hélas ! Je le revois encore, le bas de son pantalon relevé pour ne pas le salir quand le terrain était boueux, lever son drapeau pour signaler des hors jeu, souvent inexistants, de l’adversaire. Il se faisait vilipender par les joueurs et spectateurs lésés, mais restait de marbre. Bien entendu, l’arbitre de champ comprenait au bout d’un moment son manège, et agissait en conséquence comme nos adversaires indignés. En fait, son chauvinisme se retournait contre nous. Il était connu dans toute la région ! Beaucoup de joueurs confirmés, amateurs ou professionnels, ne connaissent pas toutes les subtilités des règles du football. Ainsi, il n’est pas rare que certains s’insurgent à tort lorsque l’arbitre siffle hors jeu contre un attaquant inscrivant un but alors qu’un arrière replié est positionné sur sa ligne. Cela arrive parfois quand le gardien est sorti 77


imprudemment et qu’il se trouve au-delà de l’avant ! En fait, il faut deux joueurs (dont la plupart du temps le goal), entre l’attaquant et la ligne de but, pour que celui-ci ne soit pas en position illicite. Demandez également, si un penalty peut être tiré à deux joueurs ? On vous répondra probablement par la négative. Or, si le premier tireur pousse la balle vers l’avant d’au moins 70 cm (la circonférence du ballon), un partenaire venu de l’arrière peut s’emparer légalement de la sphère et dribbler le gardien de buts. De même, si un arrière, lors d’un coup de pied dit des six mètres, passe en retrait à son gardien qui, distrait, est en train de rêvasser et que la balle franchit la ligne, que doit siffler l’arbitre ?... Valider le but ? Que nenni… Il y a corner, car la balle n’a pas été jouée, personne ne l’ayant touchée, et a franchi les limites du terrain frappée par un défenseur ! J’ai longtemps été capitaine, et me faisais un devoir de posséder les règles de notre sport. Cependant, il faut bien reconnaître que le métier d’arbitre constitue une tache ardue. Tellement, que notre ligue parisienne, en mal de recrutement, exigea des clubs qu’ils fournissent des candidats. Deux d’entre nous se sacrifièrent. Qu’ils en soient remerciés sincèrement… Mon ami Christian qui se prit au jeu et officia pendants plusieurs années, était calme et imperturbable, qualités qui en imposent aux joueurs. Il dût cependant renoncer ensuite, car son métier de kinésithérapeute était particulièrement exigeant. Jean-Claude, lui, se livra sans retenue pendant longtemps dans cet apostolat. Il me raconta certaines mésaventures et notamment la fois où il dût s’enfermer dans son vestiaire pour échapper à une horde de spectateurs particulièrement chauvins originaires du fin fond de la Seine et Marne. 78


Chapitre XVl

Les blessures - Les drames Mis à part l’entorse de ma cheville droite relatée plus haut, je n’ai pas eu personnellement à déplorer de graves blessures. Le nez cassé à deux reprises et quelques côtes enfoncées (ça fait mal et c’est long à guérir). Mes genoux, articulation fragile pour les footballeurs, ont été épargnés. Je n’étais pas un joueur violent, ne savais pas bien tacler, et comptais surtout sur l’interception et le jeu de tête. J’ai toutefois, comme Alphonse Halimi, champion du monde de boxe, vengé Jeanne d’Arc ! Cela s’est passé au stade Charléty, contre le PUC (Paris Université Club), en coupe de Paris. Il faisait une chaleur torride, notre adversaire évoluait plusieurs divisions au dessus de la nôtre, et j’occupais le poste de libero. Mon opposant direct, avant centre remuant de nationalité anglaise, faisait feu de tous bois, car nous venions d’ouvrir le score en prolongations par l’inévitable Nanec. Sur 79


un centre aérien, le britannique bondit tel un diable sorti de sa boîte, pour placer un coup de boule qu’il pensait décisif. J’en fis de même pour le devancer, et nous ratâmes tous deux le ballon… mais pas nos crânes respectifs ! Je le touchai à l’arcade sourcilière qui éclata comme un fruit mûr. J’appris ensuite qu’on avait dû lui faire douze points de suture et j’étais vraiment désolé, car c’était un adversaire valeureux et courageux. Nous nous qualifiâmes cette fois là. Deux années après, en tribune, je le reconnus et allai vers lui. Il arborait une superbe cicatrice, et la lui montrant du doigt, puis touchant mon front, je lui dis “remember” et lui fis comprendre que j’en étais à l’origine. Fair Play (habituellement les anglais le sont quand ils gagnent), il s’esclaffa et me tapa dans la main ! Moins gravement, au cours d’un match de vétérans, alors qu’un défenseur protégeait le ballon pour que son gardien puisse le saisir, je passais astucieusement le pied entre ses jambes écartées de façon à prendre la balle en dessous pour la faire sauter et pouvoir éventuellement la reprendre. Las, la boucle du lacet de ma chaussure se prit dans la main de l’infortuné portier qui hurla de douleur. Je lui avais cassé un doigt, et il se lamentait, car ouvrier manuel dans le civil, il savait que sa blessure entrainerait une incapacité. A Ris Orangis, Patrick, petit milieu de terrain actif, se fit malencontreusement une rupture des ligaments croisés du genou. Chaque licence comporte une assurance de groupe de la ligue, mais ce marginal vivait aux crochets de sa mère et n’était pas assuré social, condition nécessaire pour que les garanties en cas d’accident soient prises en charge. L’US Rungis, club où l’aspect humain était respecté, lui versa une sorte de pension mensuelle le temps de sa convalescence. En vétérans, sur le terrain de Bonneuil, touché à la cheville de façon non volontaire par un adversaire alors qu’il démarrait, Alain eut une rupture du tendon d’Achille. Artisan, l’arrêt consécutif à cette 80


blessure lui causa un préjudice financier important, et mit fin à son activité footballistique ! Dans le domaine de l’insupportable, c’est toutefois ce match joué sur le terrain gras d’Aulnay sous Bois contre les “Bouchers” (nom authentique de ce club), en championnat corporatif du lundi qui remporte la palme. Je reçois la balle en position d’avant centre et la glisse à mon ailier gauche en position idéale. Il lanterne un peu avant de tirer, et au moment où il tape de toutes ses forces, un petit arrière, la bave aux lèvres, le tacle violemment les deux pieds en avant. A cet instant, je fixe le ballon qui heurte le poteau, et qui revient sur moi. Je le reprends, et je frappe la barre transversale. La sphère revient à nouveau en jeu et un coéquipier tire à son tour sur l’autre poteau avant qu’elle ne sorte. J’entends alors mon ailier qui crie “j’ai la jambe cassée !”. En effet, il tente de se relever en vain. Je m’approche, et vois l’indicible… Son tibia brisé à traversé son bas. Curieusement, il ne ressent pas encore la douleur, et nous appelons les secours. Nous aurions dû arrêter le match, mais probablement choqués, nous avons continué à jouer alors que le bourreau criait à qui voulait l’entendre “à qui le tour ?”. Notre collègue a été arrêté pendant près d’un an, car il s’agissait d’une mauvaise fracture en biseau, et que l’os se ressouda mal. Je regrette encore aujourd’hui de ne pas avoir molesté l’abruti responsable ! Il se prénommait Denis, et était monté à Paris depuis sa Bretagne natale, pour y trouver du travail dans une société industrielle. Il y rencontra Gérard, notre avant centre d’alors, et ils jouèrent tous deux le samedi dans l’équipe corporative de leur employeur. Gérard le convainquit de signer dans notre club de Rungis pour y jouer le dimanche. Denis évoluait au milieu de terrain, était infatigable, récupérait de nombreux ballons et était de surcroît un coéquipier charmant. Il ressemblait quelque peu à Adamo et nous présenta sa jolie fiancée, origi81


naire du même endroit. En fin de saison, sous la douche, j’aperçus au milieu du dos de Denis sur sa colonne vertébrale, un vilain kyste qui suppurait. Interrogé, il m’indiqua qu’il devait le faire enlever bientôt avant d’épouser sa promise qui attendait un bébé. Nous apprîmes ensuite par Gérard qu’il avait dû sortir du terrain au cours d’un match corporatif en raison de violentes douleurs au ventre. Il fut hospitalisé d’urgence, mais le chirurgien resta impuissant car le mal avait progressé d’une façon fulgurante, et Denis succomba quelques jours après. Il avait vingt cinq ans et nous fûmes tous consternés. Sa malheureuse fiancée l’épousa à titre posthume pour donner son nom à leur enfant. Quelle injustice ! Nous eûmes aussi à déplorer la mort accidentelle de Michel Moreau, un gentil garçon, dans un accident automobile. Il était sorti avec trois de ses amis un samedi soir, et le chauffeur avait confondu l’autoroute du sud, avec un circuit de Formule I. Il avait vingt trois ans ! Et puis, notre ami Claude, attaquant vétéran moustachu, perdit également sa belle et charmante épouse sur la route. Percutée violemment, sa voiture prit feu, et elle succomba. Détail scabreux, parmi les pompiers qui la relevèrent, se trouvait l’un de nos joueurs. Quelle tristesse !

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S I X I È M E

P A R T I E

Chapitre XVII

Les Vétérans A 35 ans, j’ai intégré notre équipe de “vieux” car je ne me sentais pas encore prêt à remiser au clou mes belles chaussures de foot J’ai donc retrouvé avec plaisir de vieux complices comme Gilbert, Michel Nicolle, Riton et Antoine plus âgés que moi. Sur ma lancée de l’équipe fanion, je pense avoir amené, en toute modestie, un “plus” incontestable dans la qualité du football pratiqué. Il est vrai que l’ambition principale consistait à s’amuser et tous les protagonistes avaient conscience que faire du sport, se dépenser, était un véritable privilège. Rapidement toutefois, Gilbert et Michel me demandèrent de participer à la composition de l’équipe. Lourde responsabilité, car nous étions une vingtaine de postulants, et certains ronchonnaient lorsqu’ils n’étaient pas choisis. 83


Alors, en accord avec la majorité d’entre nous, pour optimiser nos résultats, je décidai de faire entrer comme remplaçants les plus faibles, dans deux cas de figure : si nous menions largement au score, ou au contraire si nous n’avions plus aucun espoir de revenir dans la partie. Dès la première année, nous sommes montés dans la division supérieure. Notre équipe type n’était pas vilaine ! Dans les bois, le fidèle Gilbert évoluait en maître, en position de latéral droit Michel Nicolle ou Jean Marti, un petit espagnol bedonnant mais vif, veillaient, en défense centrale Paul, le guadeloupéen, bel athlète, essayait d’égaler Thuram, Mimile le secondait et relançait de façon judicieuse. Au milieu, avec Riton, marathonien un tantinet caractériel, Jean, petit vietnamien d’origine, charmant et juvénile (comme tous les asiatiques il paraissait quinze ans de moins et nos adversaires demandaient souvent de voir sa carte d’identité), et moi-même, formions une ligne complémentaire et solide. En attaque, Antoine qui se bonifiait avec l’âge comme le bon vin, et Claude le moustachu, assistés par Michel Clavière essayaient de causer des ravages au sein des défenses adverses. Je citerai aussi les Léon, Roland, Roger, Dante et compagnie. Au cours des ans, qui pesaient insidieusement sur nos épaules, nous avons été renforcés par Nanec (une seule saison), Alain, charmant camarade buteur et Serge (aujourd’hui disparu) que j’avais connus à Chevilly Larue. Puis, Mahmed Hamidi vint également nous apporter tout son talent ! L’histoire de ce dernier mérite d’être contée. Originaire d’Algérie, de Kabylie plus précisément, il vint en France vers l’âge de dix huit ans. Il maîtrisait mal notre langue et n’avait jamais joué dans une véritable équipe de football. Il m’expliqua que pour bien s’intégrer, il évita de trop fréquenter ses compatriotes, et se plongea de suite dans sa nouvelle vie française. C’est un beau et grand garçon aux yeux bleus. Il est charmant et respectueux. En fait, c’est un gars bien, 84


comme on dit. Il s’inscrivit dans le club de foot de Viry Châtillon, et ses qualités athlétiques de vitesse et de détente le firent rapidement remarquer. Son président avait du nez, et il lui offrit un travail de surveillant pour le conserver. Après quelques saisons, il fut titularisé en équipe première qui évoluait alors en CFA (3ème division) et en devint le meilleur buteur. Le conte de fée ne s’arrête pas là ! Il rencontra et épousa une jolie nordiste qui lui donna deux enfants. Puis, nous le recrutâmes comme entraineur joueur, et il s’intégra parfaitement. Nous avons grimpé les échelons pour parvenir enfin en division d’honneur. Mais hélas, il y eut alors une refonte des groupes, si bien que nous sommes restés en promotion d’honneur. Les équipes, cependant, avaient un niveau intéressant. Ainsi, nous avons eu comme adversaire, l’équipe du Racing, qui comptait dans ses rangs, François Heutte, un véritable gentleman, Bruno Bollini aussi teigneux que jadis, tous deux ex internationaux, Francis Magny et Schmitt anciens pros du Racing Club de Paris, et une vieille connaissance de tournois de sixte, Maurice Hageman international en FSGT (fédération dissidente). Nous les battîmes au moins une fois, et je me souviens surtout d’une méchante béquille que me porta Bollini, et qui m’obligea à sortir. Personnellement, durant toutes ces années, je marquais régulièrement six à sept buts par saison au sein d’une formation dont l’ambiance était remarquable. A la fin d’un match que nous gagnâmes aisément, je reçus de la part de mon opposant direct, un bon joueur plus âgé que moi, le plus beau compliment qui soit. Il me dit qu’il avait rarement vu un joueur de mon gabarit posséder un jeu aussi subtil ! Je lui ai alors expliqué que je n’avais pas toujours été aussi enveloppé et que, petit, j’étais frêle et malingre, si bien que j’avais dû développer d’autres qualités que la force. J’étais ravi par cette remarque élogieuse, et j’ai passé un excellent dimanche ! 85


Petit à petit de jeunes vétérans (35 ans tout juste), rejoignaient les équipes de vieux et élevaient le niveau. Cependant, nous en avons croisé de très âgés ! Louis Finot, ex international, avec ses 71 ans et toutes ses dents disputa une partie de match contre nous. Il courait encore bien, le bougre ! Chaque fin de match était ponctuée par la troisième mi-temps traditionnelle, c'est-à-dire l’apéritif, puisque les matches étaient disputés le dimanche matin. Au cours de ces moments de détente, nous refaisions le match et Jean Marti, notre espagnol de service, volubile et vantard, ponctuait ces propos de fréquents “pero” mot qui veut dire “mais” en espagnol, si bien que l’un d’entre nous particulièrement taquin, lui demanda : qui c’est ce Pero dont tu parles tout le temps ? Et Jean qui ne maitrisait pas parfaitement notre langue mais qui avait bien compris la moquerie, lui lança : moi, j’y cause mieux français que vous, et je vous merde !. Ce qui déclencha l’hilarité générale. Notre fonction de dirigeants : J’étais au club depuis de nombreuses années, possédais de l’expérience et avais démontré mes capacités d’organisateur. J’intégrai donc l’équipe de dirigeants constituée du président Fernand Laborie, du trésorier Emile Ritaine, dit Milou, intransigeant gestionnaire, du secrétaire Michel Nicolle, de Gilbert nommé vice président et de Jojo, pied noir farouche et dévoué. Nous formions une bonne équipe concernée et efficace. Pourtant les loups sont entrés, non pas à Paris, comme le chante si bien Serge Reggiani, mais à Rungis. En effet des jeunes aux dents longues tentèrent un putsch pour déboulonner notre vieux président qu’ils trouvaient légèrement cacochyme. Ils étaient emmenés par un certain Marc, nouveau venu qui venait d’ouvrir un restaurant dans notre localité. Il présentait bien et il avait des idées. Nous fîmes bloc contre les intrus, car nous savions que le départ de notre vieux président causerait sa perte. Avec le recul, je pense que nous avons eu rai86


son, car ces jeunes velléitaires manquaient alors d’expérience. Nous avions une gestion rigoureuse, utilisions la subvention de la mairie de façon parcimonieuse, malgré le nombre important de nos licenciés, environ cent cinquante. Les joueurs des équipes pupille, minime et cadet, ne payaient pas leurs licences et avaient les chaussures fournies. D’ailleurs, leurs parents avaient une fâcheuse tendance à croire que nous étions une sorte de garderie du dimanche après-midi ! De notre équipe de dirigeants, il ne reste plus aujourd’hui que Michel et moi-même. Tous les autres nous ont quittés. Qui sera le prochain ? J’ai appris que Marc était enfin devenu président du club et qu’il se débrouillait très bien. Honneur lui soit rendu !

Chapitre XVIII Nos rencontres internationales

Pendant de nombreuses années, nous avons passé en famille nos vacances en Allemagne, plus précisément à Cuxhaven, port de la mer du Nord situé à l’embouchure de l’Elbe, où nous étions reçus comme coqs en pâte chez les beaux parents. J’ai alors lié connaissance avec un voisin, Norbert Kula, passionné de football et pratiquant assidu. Policier, il jouait à la fois dans l’équipe de sa corporation, mais aussi dans un club d’une localité jouxtant la ville principale, une sta87


tion balnéaire du nom de Duhnen. Bien entendu, il m’emmenait régulièrement aux entrainements, et j’ai même disputé des rencontres amicales et noué des amitiés. Là-haut, j’ai retrouvé certaines caractéristiques du football allemand que j’avais découvert lors de matches amicaux pendant mon service militaire : à savoir de la rigueur, de la conviction, de l’engagement, de la simplicité, de l’efficacité ! Le viceprésident de Duhnen, un certain Mr Schildt, ancien marin peu loquace mais tellement dévoué, très intéressé par un voyage de son club vers Paris, me sollicita. Après une préparation intense et une participation absorbante de mon épouse, interprète brillante, et de nombreux coup de téléphone de Herr Schildt qui ne payait pas les communications (il était employé de ce service), un bus entier de Teutons débarqua à Rungis. Je leur avais trouvé un hôtel peu coûteux à Paris, et ils purent donc faire du tourisme. Notre maire sut se montrer à la hauteur et les accueillit proprement dans notre salle des fêtes, avec discours et libations appropriés……Les germains supportent mal le Ricard, et quelques uns rentrèrent à l’hôtel à quatre pattes, après avoir pris une bonne raclée sur notre pelouse. L’année suivante, ce fut à notre tour de nous rendre chez eux, la plupart des participants furent hébergés chez l’habitant et nouèrent à leur tour de solides amitiés, car l’obstacle de la langue ne résistait pas aux gestes, au schnaps et aux bonnes bières locales. Les célibataires, eux, avaient trouvé refuge dans la caserne des marins, et provoquèrent la colère du commandant du régiment, en enivrant la sentinelle qui absorba sur leur insistance une demi-bouteille de Ricard sans le mélanger avec de l’eau. Pauvre type, il ne savait plus comment il s’appelait ! Nous avons encore gagné et profité de leurs installations confortables. Il y eut les deux années suivantes d’autres échanges mémorables. Aujourd’hui, certains joueurs ayant connu ces aventures, me demandent de relancer mes contacts ! Mais beaucoup de dirigeants, aussi bien allemands que Rungissois ont disparu, et nous devons nous 88


contenter de nos souvenirs. Seul, Norbert est resté fidèle, et a organisé il y a quelques années, pour certains ex joueurs de Duhnen, un séjour avec match contre les tchèques de Marienbad, station thermale célèbre, où jadis les empereurs austro-hongrois allaient se refaire une santé. Il y possède une maison. Avec Emi, nous fûmes, bien sûr, invités ! Ce séjour nous a laissé d’excellents souvenirs ! Pourquoi la Tchéquie ? Norbert Kula est originaire de la Silésie, aujourd’hui polonaise, qu’il dû fuir précipitamment avec sa mère venue le chercher à la sortie de l’école à la fin de la seconde guerre mondiale, devant l’avancée menaçante des Russes qui ne faisaient pas de quartiers. Il faut les comprendre, compte tenu des souffrances endurées par leur peuple ! Les deux fugitifs marchèrent pendant des jours entiers vers l’ouest et trouvèrent enfin répit dans un camp situé précisément à Marienbad. Norbert se promit de retourner un jour dans cet endroit béni et il tint parole ! Il n’eut jamais plus de nouvelles de son père disparu dans la tourmente. J’ai évoqué plus haut un épisode historique avec les russes pour acteurs. Il se trouve que mon ami Alain avait joué à Chevilly la Rue contre des soviétiques de l’ambassade située à Paris, et avait conservé des contacts. Comme un grand, il a relancé ceux-ci, et nous avons conclu une rencontre amicale à Rungis entre nos équipes de vétérans. Exotisme garanti, moments inoubliables contre des adversaires coriaces et talentueux, et rencontre couronnée par une réception à la mairie où nous avons échangé champagne contre vodka. Leur commissaire politique, qui n’avait pas l’air de plaisanter, fit un discours dans un français parfait, bien que muté depuis peu à Paris. Le football est un sport, je dirais un jeu, pratiqué dans le monde entier. Chaque peuple a ses qualités, ses défauts, mais tous sont pas89


sionnés. J’ai joué avec ou contre des allemands, des russes, des espagnols, des anglais et même s’il y a des exceptions, les particularités subsistent. Ainsi on peut dire que les portugais sont teigneux, que les arabes sont résistants, que les noirs sont rapides et déconcertants, et que les italiens sont habiles mais truqueurs, très agaçants quand ils deviennent champions du monde contre nous en l’emportant aux penalties. A Rungis, nous avons eu beaucoup d’émigrants italiens attirés par le travail et fuyant le fascisme, et nombre de leurs enfants ont usé leurs crampons sur les pelouses de nos terrains de football. J’aime ces gens ! Ils sont gais comme des “italiens qui savent qu’ils auront de l’amour et du vin”, comme dit la chanson. En plus, ils sont beaux à l’image de la splendide Monica Bellucci. De mon temps, la beauté de leurs femmes était plutôt représentée par Gina Lollobrigida ou Sophia Loren qui soulevaient les fantasmes des jeunes gens ! Pour l’anecdote, j’ai un souvenir ancien (plus de cinquante ans), concernant un de leurs compatriotes. Lorsque j’étais cadet, j’allais assister aux rencontres de l’équipe fanion quand je le pouvais. Le goal titulaire, un italien du nom de Matrudo, gardait nos cages. Il était spectaculaire, plongeait à tout va, à l’image de Vignal (international français fantasque et téméraire), mais était extrêmement colérique. Lors d’un match, abandonné par ses défenseurs, il fit un arrêt fantastique. Puis, se redressant, il les invectiva : “cretini, ma che e non possibile”, puis tel un condottiere majestueux, propulsa d’un tir vengeur le ballon dans ses propres buts, à la stupéfaction générale. C’est ça, la fierté…. Je citerai en vrac les César, Louis, Robert, François, Nicolas, Bruno, Dominique, Fulvio, Sergio, Elie, Dante, Nicolas, Franco et compagnie avec qui j’ai passé de très bons moments.

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Chapitre XIX Triste fin

Ma carrière de footeux s’est terminée en “queue de poisson” à la Queue en Brie, endroit prédestiné. En taclant désespérément un attaquant adverse qui filait vers notre but, je me suis fait une rupture quasi-totale du grand droit, c'està-dire le muscle ischio-jambier qui se trouve sous la cuisse. Il faut préciser qu’à l’époque j’avais déjà quelques kilos de trop, ce qui explique probablement l’accident. J’ai boité bas pendant plusieurs mois, suis allé consulter un grand spécialiste, le professeur Saillant à l’hôpital de la Salpétrière, qui a refusé d’intervenir car la blessure se trouvait proche du nerf sciatique, ce qui rendait une intervention trop risquée.

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J’ai essayé de rejouer, mais je ne pouvais pas courir librement, et finalement je me suis rendu à la raison, la fois où Riton m’a traité méchamment de “chèvre”. Je suis allé voir jouer plusieurs fois mes camarades, les ai arbitré, et finalement ai raccroché mes souliers au clou, car je supportais difficilement cette situation. J’avais quarante cinq ans, et me suis dit qu’il valait mieux que cela m’arrive à cet âge, plutôt qu’à vingt cinq ans. On ne peut pas être et avoir été, comme dit un jour un enquiquineur à Pierre Dac qui lui répondit du tac au tac “si, monsieur, on peut avoir été con, et l’être toujours”. Ce jugement définitif concernant grandeur et décadence, peut cependant être corrigé par une notion : l’espoir… Il parait qu’il fait vivre ! A son sujet, un autre humoriste, Alphonse Allais que j’adore, eut un jour ces propos empreints de dérision : “quand je serai riche, ce qui ne saurait tarder, car je le mérite, j’achèterai une grande propriété avec des arbres centenaires”. Puis, après un temps de réflexion “s’il n’y en a pas, j’en planterai !”. L’espoir pour moi, consistait à refaire du sport. En effet, les premiers dimanches ont été pénibles. Je ne pouvais plus jouer au football à cause des chocs ou des réceptions aléatoires sur des terrains difficiles, car c’était trop dangereux. Mais, j’avais besoin de bouger car l’embonpoint me guettait. Alors je me suis tourné vers le tennis et ai eu la chance de trouver un partenaire plus âgé que moi, ancien professionnel de football qui courait encore comme un lapin. Nous nous sommes bien amusés, mais l’ambiance d’équipe est irremplaçable, et je l’ai beaucoup regrettée. Voilà ! J’ai essayé dans cet ouvrage, d’être le plus précis et honnête possible, mais certains acteurs qui me liraient pourraient avoir des avis différents. C’est normal car ce sont mes propres souvenirs ! Les 92


témoignages de cette nature sont personnels et manquent donc souvent d’objectivité.

Brie, mars 2010 Michel Cagniart

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Edité à 30 exemplaires - Avril 2010




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