Le crime parfait version définitive

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LE CRIME PARFAIT Ça existe !

Michel Traingac 2015 - Brie Comte Robert



Préambule Je conteste l’adage selon lequel ”le crime ne paie pas !” et les propos qui se veulent rassurants, de beaucoup de gens qui affirment que les criminels finissent toujours par se faire pincer, même longtemps après leurs forfaits. Je crois que si un crime est parfait, par définition, on ne peut le déceler. Bien sûr, les méthodes scientifiques modernes, empreintes digitales, relevés d’ADN, autopsie des victimes, examens balistiques, enquêtes policières sur le passé des suspects qui révèlent parfois des mobiles crapuleux ou sentimentaux, alibis qui ne tiennent pas debout, témoignages de dernière heure, contrats véreux passés avec des tueurs amateurs et erreurs techniques ou comportementales des criminels, aboutissent la plupart du temps à la révélation de la vérité. Il convient de préciser que les meurtres sont souvent commis sous le coup de la colère, par jalousie , par vengeance, par intérêt, et pour ceux qu’on qualifie de crapuleux par réaction lorsque le cambrioleur est surpris par la victime. Dans ces cas, la police opère souvent avec succès selon les méthodes citées ci-dessus. Je n’évoque pas le crime organisé commis par les différentes mafias, ni les éliminations politiques qui restent souvent impunies. Non, je souhaite aborder le crime prémédité, pensé, organisé méticuleusement, exécuté avec froideur, sans état d’âme. Cet essai est un pur produit de l’imagination de l’auteur, et met en scène un tueur qui tombe dans un délire meurtrier. 3



Apprentissage Marcel Fournier gara sa voiture devant l’hospice des vieux de Méricourt, au pied de l’aqueduc qui va de Cachan à Arcueil. Ce monument a été construit par les Romains pour approvisionner en eau, Lutèce, ancien nom de la capitale. Plus tard, Marie de Médicis a fait construire un étage supplémentaire à l’édifice. Marcel était soucieux. Sa fille Chantal, âgée de 15 ans, était rentrée à la maison avec une bonne grippe. Elle était pensionnaire dans un établissement spécialisé situé prés de Provins en Seine et Marne, car elle était née trisomique. Elle était très affectueuse, adorait son père qui la bichonnait, et avait une passion pour Michel Sardou, dont elle possédait tous les CD qu’elle écoutait inlassablement. Elle connaissait les paroles des chansons par cœur, mais chantait terriblement faux quand elle accompagnait la voix de son idole. Marcel l’avait emmenée à un concert de Michel Sardou qui lui avait signé un autographe et griffonné un petit mot gentil ”à Chantal, ma meilleure amie”.La gamine gardait précieusement ce trophée. Sa mère, prénommée Martine, n’avait jamais accepté d’avoir donné le jour à cet enfant handicapé, et vivait dans un état de neurasthénie permanent. Au cours des années, les relations s’étaient 5


distendues entre les époux, et leurs rapports sexuels notamment, étaient quasiment inexistants. Marcel travaillait comme responsable du rayon jardinage au magasin Carrefour de L’Hay les Roses depuis un sacré bail. Mais un nouveau directeur arrivé récemment, un nommé Magis, le harcelait et lui gâchait la vie. Vexations, humiliations, harcèlement, voilà ce qu’il vivait au quotidien. Heureusement, il avait le soutien affectif de Sylvie, sa collègue des fruits et légumes. Il entretenait des relations extra-conjugales avec celle-ci, qui aurait bien voulu davantage, à savoir faire sa vie avec son Marcel qui ne lui avait pas laissé le moindre espoir. Il ne pouvait laisser tomber sa petite Chantal, et Sylvie avait accepté sa décision. Marcel descendit de voiture, ajusta son bandeau car il faisait frisquet, et se dirigea vers le chemin qui longe l’aqueduc, pour effectuer son jogging hebdomadaire. Il ne pouvait pas trainer, car il prenait son service à 13 heures et devait passer à son appartement situé dans le haut de Cachan pour s’y changer. Il ignorait qu’il vivait ses derniers instants !.... Un homme se dressa devant lui sur le chemin creux et lui plongea une tige d’acier dans la poitrine, à la hauteur du cœur. Il eut un hoquet de surprise et s’effondra comme une masse. Son agresseur extirpa la tige de son corps, l’essuya au pantalon de sa victime, s’éloigna tranquillement (personne à l’horizon ), et enfourcha une bicyclette adossée à un pilier de l’aqueduc, avant de disparaitre. Quelques minutes après le drame, une jeune femme replète, soufflant comme un phoque, et dont la poitrine imposante tressautait à chaque foulée, aperçut un homme étendu au milieu du chemin. Elle pensa d’abord à un malaise, mais, se penchant sur lui, et voyant du sang sur sa poitrine, comprit qu’il avait été 6


victime d’un meurtre. Effrayée, elle s’enfuit à toutes jambes pour aller chercher du secours, offrant à un éventuel poursuivant une croupe plantureuse. Elle croisa bientôt un vieil homme, promenant un superbe berger allemand, et, bredouillant, lui expliqua sa rencontre macabre.Tous deux, accompagnés de l’animal qui se mit à hurler à la mort près du corps sans vie, se rendirent sur les lieux du drame. La jeune femme avait son portable avec elle, et, sur les recommandations du vieil homme, appela derechef la police. Un panier à salades qui patrouillait dans les parages, survint rapidement. Le brigadier constata le décès, chargea le corps dans le véhicule et prit les références des deux témoins en présence du clébard qui grognait, menaçant. Peut-être n’aimait-il pas l’uniforme ? le nez au sol, il allait du cadavre jusqu’à un pilier de l’aqueduc, puis revenait la langue pendante. Marcel avait sa carte d’identité sur lui, et il fut identifié immédiatement.

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L’enquête Le commissaire Yves Le Tadic, breton méthodique et têtu, fut chargé de l’enquête. Son commissariat se situait à Bourg-laReine Il n’aimait pas cette banlieue sud, et aspirait à une mutation dans le Finistère, sa province d’origine. L’idéal aurait été de revenir à Saint-Pol de Léon où il avait grandi. Ses parents vivaient encore là-bas et constituaient sa seule famille. En effet, il était fils unique, et célibataire sans enfant. C’était un bon flic, comme on dit.Son premier travail consista à fouiller dans la vie de Marcel Fournier. Il convoqua donc les deux témoins qui lui dirent qu’ils n’avaient strictement rien vu, ni croisé de passants. Puis, il se rendit sur le lieu de travail du défunt pour recueillir des informations sur sa personnalité. Les langues se délièrent et il apprit très vite sa liaison avec Sylvie qui n’avait pas encore été avisée de l’assassinat de son amant. Elle s’effondra en pleurs, et sa peine sincère toucha le commissaire qui demanda un entretien au directeur. Cet individu au teint olivâtre et à la chevelure gominée lui déplut d’emblée ! Il ne manifesta aucune compassion, et ne pensa qu’au côté médiatique qui 9


allait mettre en valeur son magasin. Désolant… Puis, il alla au domicile de Marcel, pour entendre sa veuve. Le brigadier qui avait averti celle-ci du meurtre de son mari, avait rendu compte au commissaire de sa réaction ou plutôt de son manque de réaction. L’accablement, peut-être ? Les grandes douleurs sont parfois muettes, n’est-ce-pas ? Chantal, la petite trisomique, qui écoutait Sardou dans la chambre d’à côté, sortit et demanda plaintivement ”Où il est, papa ?”. Le Tadic décela chez Martine un embarras, des réponses gênées à ses questions et cet entretien le mit mal à l’aise. Pourtant, l’entourage et les gens du quartier ne tarirent pas d’éloges sur la personnalité de Marcel, et sur sa vie de couple apparemment sans nuages. Le commissaire décida cependant de faire suivre discrètement la veuve... Joyeuse ? Il confia cette tâche à un jeune stagiaire malin et débrouillard, un dénommé Pierrot. Il suivit inlassablement sa proie dans ses allées et venues. Ses courses chez l’épicier du coin, le boucher, le boulanger, l’ordinaire quoi, pendant plusieurs jours. Il avait assisté au départ de la petite handicapée pour son internat. La maman se retrouvait seule et avait donc le champ libre. Il y avait marché non loin du domicile de Martine le samedi suivant, au coin de l’avenue Dumotel, et elle partit munie de son sac à provisions. Le marché était animé, il y avait du monde à foison, mais Pierrot intercepta un signe de connivence entre la femme et un grand escogriffe de type maghrébin qui flânait tranquillement dans les allées. Bigre ! Surtout qu’un rapide attouchement entre ces deux personnes révéla au stagiaire l’évidence d’une relation intime. 10


Martine, ses achats effectués, rentra chez elle. Pierrot décida de filer l’homme, pour le loger, comme on dit dans la police. Apparemment, il habitait à proximité, au 18 de la rue Cousté, et un voisin l’appela clairement Moumousse. Mission accomplie, le jeune stagiaire rentra tout fier au commissariat pour informer le commissaire. Ainsi donc, on était sur le point de régler une banale affaire d’adultère, ayant entrainé un meurtre commandité par un couple d’amants pour se débarrasser de l’époux gênant. Cette solution réglait le mystère de l’assassinat de Marcel. En effet, la police scientifique n’avait relevée aucune trace sur les lieux du drame, et l’autopsie de la victime n’avait pu déterminer l’origine de l’arme blanche ayant donné la mort. Ce n’était pas une épée, ou un sabre ou même un poignard ! La blessure profonde révélait toutefois un impact triangulaire. Le commissaire allait interroger rapidement les amants probablement meurtriers, ravi d’avoir solutionné ce crime. Mustapha Bousaîd était estimé dans son quartier. Il vivait de petites combines en petites combines et avait beaucoup de succès auprès des femmes. Il était venu d’Algérie depuis de nombreuses années, était célibataire et les témoins le décrivaient comme quelqu’un de gentil qui n’aurait pas fait de mal à une mouche. Un jour de cafard, Martine l’avait croisé au marché, ce beau garçon lui avait souri puis avait engagé la conversation. Il l’avait invitée à prendre un café, et la farouche jeune femme, se surprenant elle-même de son audace, avait accepté. Ce moment éclaira sa journée. Le samedi suivant, il l’entraina chez lui, non pas pour lui montrer 11


ses estampes japonaises, mais des tapis berbères. Martine, réservée et timide habituellement, se laissa aller et céda complètement au charme de Moumousse. Un vrai coup de folie ! Un éblouissement pour cette femme qui eut alors la révélation du plaisir charnel. Il faut dire que son amant était un expert qui la fit jouir intensément, lui fit découvrir des horizons nouveaux, ce qui bouleversa sa vie de petite bourgeoise étiolée. Evidemment, elle se sentit coupable vis-à-vis de Marcel qui décela un changement de son attitude sans en comprendre les raisons. Le Tadic n’eut aucun mal à faire avouer leur liaison aux deux amants, mais tous deux nièrent farouchement lorsqu’il leur demanda leur participation directe ou indirecte dans la disparition du mari devenu encombrant. Ils avaient chacun, un alibi en béton, le matin de l’assassinat, Moumousse tenait un stand aux Puces de Saint-Ouen, confirmé par de nombreux témoins et Martine était allée chez le médecin pour y faire soigner sa fille. Donc, le commissaire devait poursuivre son enquête, même s’il pensait sans conviction, que les deux lurons avaient pu commanditer le crime. Il les mit cependant en garde à vue. Le lendemain, coup de tonnerre, on trouva une deuxième victime du côté de Fresnes, assassinée de façon identique.

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Confirmation Ce nouveau crime innocentait les deux suspects. Ils furent relâchés. Le Tadic se rendit sur les lieux du drame, un petit jardin attenant à la Bièvre, découverte à cet endroit, en face de la prison de Fresnes. La victime, un homme âgé d’une petite soixantaine, gisait sur le ventre, la tête en partie dans l’eau de la rivière. A ses côtés, une canne à pêche, et un seau rempli de grenouilles. Probablement un amateur des cuisses de ce batracien. Contrairement à Marcel, il avait été touché violemment dans le dos, à la hauteur du cœur, transpercé de part en part. Aucune trace, pas d’empreintes ! Le médecin légiste confirma que l’arme blanche meurtrière était bien similaire à celle ayant tué Marcel Fournier qui avait été inhumé en présence des nombreux amis de son épouse et de la petite Chantal, inconsolable, au cimetière communal. Le Tadic était présent, et, oh surprise, Moumousse y était aussi, discret, venu courageusement malgré l’opprobre générale. Manifestement, on avait affaire à un tueur en série, un déséquilibré 13


qui agissait apparemment sans raison. Le commissaire était perplexe, abasourdi ! La presse s’empara de cette actualité morbide qui faisait la une de plusieurs quotidiens, et posait la question : Que fait donc la police ? Le Tadic fut convoqué par le préfet qui lui demanda instamment de tout mettre en œuvre pour retrouver le criminel.

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Portrait de Lulu - Un homme normal Je n’ai pas eu de chance. Mon père s’est tiré avec une voisine aguichante lorsque j’avais 9 ans, et nous a laissé seuls, sans ressources, ma mère et moi. Nous n’avons jamais plus entendu parler de lui. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ! J’ai compensé par la lecture et me suis enfermé dans la solitude. J’habite toujours dans l’appartement situé au deuxième étage d’un immeuble vétuste au coin de la rue Guichard, où j’ai grandi seul avec maman. Après une période de déprime, celle-ci a réagi courageusement, et trouvé un emploi par une amie d’un ami d’un ami, comme gardienne femme de ménage aux bains douches de la commune, nous permettant de mettre quelque nourriture dans nos assiettes et de payer un loyer, heureusement modique vu la précarité de notre logement : un deux pièces sans chauffage central, sans salle de bains, avec une petite cuisine et toilettes à la turque sur le palier, à partager avec les autres locataires de l’étage, la famille Durand, égayée par Héliane, leur fille unique qui émoustilla ma puberté naissante. J’étais un bon élève à l’école communale Paul Bert, et entrait même au lycée Fénelon grâce à une bourse d’état et aux sacrifices 15


de ma mère qui, en outre, faisait ici et là, quelques ménages en plus de son emploi. Je me débrouillais aussi très bien en pratiquant mon sport favori, ma passion, le football. J’ai d’abord joué pupille, dans une équipe de patronage, puis à Chevilly Larue dans un club plus ambitieux, et j’osais alors envisager une carrière prometteuse, interrompue à l’aube de mes 18 ans par un petit portugais belliqueux qui m’explosa la cheville dans un tacle scandaleux, un véritable attentat. Ce misérable, loin de regretter son geste, expliqua qu’il avait joué virilement le ballon. Je n’ai décidément pas eu de chance ! Lors de ma convalescence, autre malheur, ma mère mourut dans les locaux des bains douches. Elle passait pieds nus l’aspirateur sur un sol humide et un fil dénudé provoqua son électrocution. Après les obsèques que je pus régler grâce à un petit capital décès versé dans le cadre des accidents du travail, je fus appelé sous les drapeaux, d’abord à Poitiers dans l’artillerie, puis à Trêves (en allemand Trier ). C’est une très belle ville située sur la Moselle. Notre caserne était construite sur une colline du nom de Petrisberg qui dominait l’agglomération groupée autour de la Moselle. J’étais devenu taciturne aprés tous ces malheurs, mais la vie en communauté, avec des gars venus de tous horizons, les marches forcées, l’équipe de foot du régiment que j’intégrais une fois guéri, me permirent de passer un épisode douloureux de mon existence. J’aimais particulièrement les séances de tirs au fusil ou autre arme à feu, sans compter nos manœuvres d’artilleurs. Ainsi, nous sommes allés jusqu’à la frontière germano-tchécoslovaque à Grafenwhor,plus précisément, où se trouvait un camp d’entrainement des forces de 16


l’ Otan, américains, belges, canadiens, britanniques et allemands. Puis, après quelques 16 mois avec béret et rangers, je suis rentré à la maison pour la première fois, car, personne ne m’attendant, je n’étais jamais parti en permission. Pour quoi faire ? Il fallait subsister, et je devais trouver du boulot. Je n’avais pu passer le bac à cause de ma blessure à la cheville, me retrouvai sans diplôme, et après avoir galéré, acceptai de signer un contrat à durée indéterminée avec période d’essai, à la ville de Paris comme éboueur. Ce travail considéré comme peu reluisant, pénible physiquement, présentait certains avantages. Nous commencions tôt, certes, mais finissions à mi-journée, et formions une belle équipe, avec Hibou le malien, Afonso le portos, et Léon le ch’ti. Cette bonne période ne dura pas, une fois de plus, la guigne me rattrapa. Beau gosse, mais pas veinard, comme disait Mr Durand, mon voisin de palier.

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L’Enquête se poursuit Le commissaire Le Tadic tournait en rond dans son bureau. IL avait punaisé au mur une carte de l’île de France et planté 2 petits drapeaux noirs indiquant les lieux où les crimes avaient été commis. On lui avait attribué des renforts de police, inspecteurs en civil ou patrouilles en uniformes. Le seul élément tangible consistait dans le fait que le meurtrier connaissait bien la banlieue sud. Les victimes de sexe masculin étaient âgés respectivement de 44 et 58 ans, et les meurtres avaient été commis, selon le médecin légiste, à des heures différentes : le matin à 8 heures pour Marcel, et l’après-midi à 17 heures pour l’autre. Il n’y avait aucune logique et les deux victimes ne se connaissaient pas ! On était dans l’impasse la plus complète. Mystère et boule de gomme….mais Le Tadic, en vieux routier à l’instinct sans faille, sentait que l’autre cinglé ( vocable attribué par Pierrot ), allait encore frapper. Effectivement, un coup de fil de l’inspecteur du commissariat 19


de L’Hay-les Roses, lui apprit qu’on avait retrouvé le corps d’un jeune homme assassiné à l’arme blanche, connu dans les milieux homos, dans une allée déserte de la roseraie de L’Hay les Roses, dont l’entrée n’était pas gardée et accessible à tous les visiteurs. Comme pour les autres meurtres, on enregistrait les mêmes procédures : pas de traces, pas d’empreintes, la blessure faite par une arme blanche triangulaire (une baïonnette peut-être ), ce qui signifiait que le forfait était signé. L’assassin était-il homophobe ? Bien entendu, les médias, la presse, la radio, la télévision tirèrent à l’unisson sur le baudet, la police en l’occurrence. Chez lui, tranquille, le criminel devait se délecter à la lecture des journaux, et sourire de l’embarras de Le Tadic devant les micros ou face à la caméra. Le commissaire s’était borné à ajouter un autre drapeau noir sur sa carte de la région.

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Lulu - Un gars normal (suite) Je reprends mon monologue. Pourquoi le surnomme-t-on Hibou notre africain ? Parce qu’il se prénomme Boubacar. Son nom est Diallo Mémé. Il vit bien, le bougre, avec les allocations familiales, l’allocation logement, ses deux femmes et ses treize petits négrillons. Dernièrement, il s’est insurgé car sa jeune favorite ayant donné naissance à six enfants, touchait moins que l’ancienne, maman de sept rejetons, ce qui provoquait la jalousie de la première et des histoires interminables. Il est sympa, Hibou ! Lors de notre petite fête annuelle, surpris en train de consommer un demi de bière, musulman soi-disant pratiquant, il nous a expliqué qu’il respectait scrupuleusement le verset du coran ”Tu ne boiras pas la première goutte d’alcool !”. En effet, à chaque entorse au régime, il trempe son doigt dans le liquide, et le secoue à l’extérieur. Envolée la première goutte ! On l’a traqué sur le cochon. Là, il est très strict... C’est un animal sale, il va avec différentes truies (pour lui, le polygame, ce n’est pas la même chose) et surtout il y a dans cette bête repoussante une partie impure contenue dans son corps (on ne sait pas 21


laquelle) qu’il ne faut pas manger sous peine de ne pas aller au paradis après sa mort. Pourtant certains maliens musulmans le font, à la nuit tombée, sous des parapluies pour ne pas être vus par Allah. Sympa, ce Hibou, je le répète, mais vraiment fêlé.. Afonso Barreiros est un petit homme noiraud, vif et costaud, rompu aux travaux manuels. Il parle avec un accent prononcé, pourtant en France depuis de nombreuses années, venu en clandestin. ”Yé souis passé sous le grillage, comme oune lièvre” nous expliqua-t-il. Son épouse qu’il a fait venir ensuite, s’est remarquablement intégrée. Depuis quelque temps, comme c’est un macho prononcé, elle a décidé de faire la grève du sexe. C’est ce que nous a avoué, furieux, Afonso. Léon, originaire du ch’nord, a eu une enfance difficile. Il est descendu tôt dans la mine, comme poulbot. Son père est décédé précocement de la silicose. C’est un passionné de la pêche et dés qu’il le peut, il part sur les rives de la Marne avec son épouse ct’tie également jusqu’au bout des ongles, dans une petite Ford Fiesta d’occasion, acquise à force d’économies. Voilà, je ne travaille plus avec eux, car un matin ténébreux, alors que je descendais en voltige du marchepied du camion benne à ordures, un salopard alcoolisé m’a percuté à toute vitesse. Je vous le répète, je n’ai jamais eu de chance ! Les dommages dus au choc, fractures du fémur, du bassin, mais surtout le bras gauche brisé en mille morceaux, m’ont plongé dans la douleur .Ma convalescence a été longue, très longue !. Mon bras a 22


conservé des séquelles importantes, et la médecine du travail m’a mis en invalidité permanente. A ce titre, je perçois une pension équivalente à mon salaire. Lorsque cet accident est intervenu, je vivais avec Lucette depuis quelque temps. Je l’ai connue dans une kermesse organisée par la paroisse de Cachan. Elle envoyait des boules de chiffon sur des boîtes de conserves entassées dans le fond du stand, sur une planche. Le lot attribué, si la pyramide s’écroulait, était un animal en peluche. Malgré deux tentatives, elle ne parvenait pas à remporter le lot désiré. J’ai réussi, moi, dés la première partie et lui ai offert un petit singe en peluche. Nous avons devisé, goutant à la barbe à papa, buvant quelques verres de cidre, ici ou là. Orpheline, elle était vendeuse dans une boulangerie de la place Gambetta, et logeait au- dessus du commerce dans une toute petite mansarde. Plus tard, je l’ai emmenée dans mon (immense) appartement, et elle me fit, excitée, des suggestions pour l’arranger. Nous avons uni nos deux solitudes, et nous nous sommes mariés civilement. Nous partions nous promener à l’occasion. Lucette était bonne ménagère et bonne cuisinière . J’avais fait aménager plus décemment les toilettes sur le palier, fait l’acquisition d’ un téléviseur et pris un abonnement à Canal + pour voir surtout les matches de foot. Tout allait bien, sans grande passion mais nous faisions semblant d’être heureux. Mon accident a brisé mon bras gauche, et, en même temps notre équilibre de couple. J’ai sombré, inactif, dans l’ennui, j’ai commencé à boire et suis devenu lugubre. Un matin, il y a un bail maintenant, j’étais parti boire un coup 23


au café du coin et jouer au tiercé. J’ai trouvé un mot en rentrant, sur la table de la salle à manger, coincé sous la bouteille de vin rouge, ”Lulu, je pars car notre vie est vraiment devenue trop triste. Je suis encore jeune et souhaite profiter de l’existence avant qu’il ne soit trop tard. N’essaie pas de me rechercher, ma décision est irrévocable. Lucette”. Cela m’a fiché un sacré coup au moral déjà chancelant, mais j’étais le grand responsable. Ma vie a changé, il a fallu que j’apprenne à faire un peu de cuisine, le ménage et à utiliser la machine à laver. Lucette avait vidé notre compte bancaire ouvert à nos deux noms, monsieur ou Madame Lucien Besnard (mon patronyme) pour démarrer dans sa nouvelle vie. J’ai ramé un bon moment avant de retrouver un semblant d’équilibre financier et psychologique. Je suis devenu un grand téléspectateur sportif, supporter inconditionnel du PSG, mais aussi assidu et passionné par les enquêtes criminelles fictives ou véritables, en trouvant à chaque fois que les assassins étaient vraiment maladroits et naïfs. Je n’avais pratiquement plus de rapports avec mes anciens collègues. Mon existence s’éclaira soudain de façon éclatante. Une vielle dame mourut laissant un jeune chien, une sorte de ratier blanc et noir que je recueillis, car j’adore les animaux et plus particulièrement les chiens. Je l’ai appelé Kiki et nous avons connu ensemble plusieurs années magnifiques. Certains affirment que les animaux ne sont pas intelligents qu’ils n’ont que leur instinct ! Kiki connaissait beaucoup de mots, 24


manger, promener, dormir, sage, chut, bonbon, gamelle, doucement etc… Et même quand je lui disais, fais risette à Papa, il esquissait une sorte de sourire. Au jeu de balle, c’était un goal hors pair. Il me regardait toujours avec admiration, avec amour.

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Zizi En ce qui concerne l’amour, ou plutôt le sexe, j’ai trouvé chaussure à mon pied, tout prés de chez moi ? c’est très commode. En effet, depuis quelques mois, un nouveau couple de concierges a pris place dans l’immeuble. Roger Jeanmaire et son épouse y règnent maintenant en maîtres. Le pauvre mari porte d’immenses cornes panoramiques, car sa dame, très portée sur la chose, possédant des besoins insatiables, le trompe à tire-larigot. Elle passe donc d’un amant à l’autre, en alternance, sans jamais en pratiquer deux à la fois. Un peu de décence, quand même ! Elle est très sexy, un peu enveloppée, certes, mais exhibe une paire de tétons défiant la loi de la pesanteur, à faire damner un saint. Comme elle fait souvent des parties de jambes en l’air, on la surnomme Zizi en allusion au nom de son mari et de la chanteuse de cabaret. Son époux vient de mourir d’une longue et cruelle maladie, et il faut le reconnaitre, Zizi l’a soigné jusqu’au bout avec dévouement. 27


En fait, Zizi se prénomme Gina, de père italien mort précocement de la tuberculose. Elle a été élevée par sa grand-mère paternelle, très sévère, car sa bretonne de mère, avait un comportement frisant la prostitution, et mettait Gina souvent aux premières loges de ses ébats, ce qui explique peut-être le gout prononcé de Zizi pour les mâles. Elle a commencé très jeune à travailler en usine, et n’a pas eu une vie facile, jusqu’à sa rencontre avec Roger. Elle est généreuse, agréable, aime bien boire, bien manger, profiter de la vie, quoi ! Elle a reçu une bonne éducation grâce à sa grand-mère, mais n’a pas suivi de longues études. Elle sait lire mais est pratiquement inculte. A une question que je lui posai : ”connais-tu le roi Pelé ?”, elle me répondit par l’affirmative en m’affirmant que c’était un roi africain. Au lit, en revanche, c’est une experte, dure à la besogne, infatigable. Je passe d’excellents moments avec elle quand cela nous chante. Elle n’en refuse jamais l’occasion, mais nous restons prudemment dans nos pénates. C’est extra... ”Il faut bien que le corps exulte”, comme dit Brel dans une de ses chansons.

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Enquête - La police impuissante L’autopsie du jeune homme identifié prénommé Jean –Charles, confirma les suppositions du commissaire. Il s’agissait bien de la même arme. Le préfet exerçait sur le commissaire une pression continuelle. Ce nouveau crime confirmait que le meurtrier en série habitait dans la banlieue sud. L’assassinat avait eu lieu peu avant la fermeture de la roseraie vers 18 heures. Le Tadic, sans autre élément notable, entreprit d’interroger les petits copains de la victime et généralement bon nombre de ceux qui évoluaient dans le cercle d’homosexuels que fréquentait JeanCharles auparavant. Il fit toutes les boîtes de nuit spécialisées du coin, et de confidences en bavardages sans fondements, il perdit son temps et se retrouva gros jean comme devant. On fit appel à des ”profileurs” pour déterminer la psychologie du tueur et ils n’eurent pas grand élément à se mettre sous la dent. Dans la presse, devant la caméra, au micro des radios, le commissaire continuait d’affirmer qu’à part Jack l’éventreur, tous les sèrial killers, se faisaient prendre un jour ou l’autre .Devant sa télé, celui que tous les limiers cherchaient, se régalait. La peur 29


s’emparait des populations et nombre de personnes commençait Ă raser les murs, surtout la gente masculine.

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Portrait de Lulu Un homme qui devient anormal Kiki avait besoin de moi, et moi de lui. Nous entretenions une étroite relation. Ce jour maudit, nous partîmes nous promener. Je ne l’attachais jamais, car il obéissait au doigt et à l’œil. Avenue Dumotel, un chat traversa la rue, et Kiki s’élança à sa poursuite…..une moto arriva en trombe et heurta de plein fouet mon adorable petit chien. Le motard voltigea, mais cela m’était bien égal. Je n’avais yeux que pour mon pauvre petit chien, qui, les reins brisés, le regard plein de souffrance, gémissant, après quelques spasmes terribles, expira dans mes bras . Le monde s’écroulait à mes pieds, je suis rentré à la maison comme un zombie, complétement abattu. La guigne me poursuivait, je vous l’ai déjà dit, je n’ai jamais eu de chance. J’ai d’abord mis le corps de Kiki dans mon frigo, pour le rattacher encore à la vie et surtout à ma vue. 31


Puis un sombre soir pluvieux, je l’ai mis dans un grand carton, creusé un trou avec une pelle à charbon trouvée dans ma cave, au pied d’un immeuble attenant à un terrain vague situé à proximité, en prenant comme repère une pierre blanche placée dans le mur, pour pouvoir me recueillir de temps à autre sur sa tombe. J’étais en totale dépression, me suis mis à boire encore plus, ne sortais presque plus, et passais mon temps devant la télé, écoeuré, dégouté de la vie, au bord du suicide. En visionnant une série de crimes sur une émission appelée ”enquêtes criminelles”, j’ai pris alors ma décision. Il me fallait absolument rebondir, donner un sens à mon existence, faire couler dans mes veines des flux d’adrénaline, me venger du sort contraire qui s’acharnait sur moi. J’allais passer à l’acte, ils allaient tous voir de quoi j’étais capable ! Dans mon délire meurtrier, j’ai imaginé les conditions nécessaires pour éviter de me faire pincer, et ai établi une sorte de lexique.

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Règles du parfait criminel - La victime ne doit avoir aucun lien avec le criminel. - Le criminel ne doit avoir aucun motif, sentimental, ou pécunier avec sa victime. - Le criminel ne doit laisser aucune trace ou empreinte exploitables - Il doit porter des gants, des chaussures communes, des vêtements anodins, facilement interchangeables. - L’arme utilisée ne doit pas être traçable ou identifiable. L’arme à feu peut-être identifiée. Un poignard, un couteau ou une hache aussi. - Aucun témoin ne doit assister au meurtre ou croiser le meurtrier. Dans ce cas, il doit aussi être éliminé. - Il faut, si possible, éviter les meurtres sanglants. L’assassinat doit être propre, net, sans bavure, chirurgical. - En cas de meurtres en séries, les lieux et heures doivent être variés, et les victimes de sexes différents pour éviter un amalgame des enquêteurs. - Il faut se déplacer le plus incognito possible. - Il convient également de connaître le policier chargé de 33


l’enquête pour anticiper ses réactions. J’ai établi ces 10 règles et je vais maintenant passer à l’action. Vous savez que je m’appelle Lucien Besnard (Lulu pour les intimes), et je n’ai plus rien à perdre. Je vais avoir 52 ans. Par prudence, je me déplace toujours à pieds ou à bicyclette. Pas de ticket de bus ou de métro ! pas d’engin à moteur, pas de voiture. J’ai varié au maximum les endroits des meurtres et les horaires. J’en suis à 3 crimes à ce jour, et j’ai agi rapidement sans faire souffrir inutilement les victimes, sans tomber dans le côté sanglant. Je dois avouer que mon intervention sur le jogger de l’aqueduc, m’a procuré un certain plaisir. Donner la mort constitue un sentiment de puissance, et j’ai découvert en moi, en cet instant, des abîmes inconnus. Mon arme est tout simplement une broche effilée d’un barbecue placé dans ma cave dans l’attente des beaux jours. Je la glisse dans la jambe de mon pantalon en la maintenant avec des grippes adaptés, par discrétion. Génial, n’est-ce pas ? Il faut maintenant que je trouve des victimes de sexe féminin pour tromper la conviction du commissaire Le Tadic que j’ai vu à plusieurs reprises à la télé, qui fait le maximum et que je commence à respecter. J’ai pensé chercher du côté des prostituées. Je connais un endroit propice, dans une ruelle proche de la station du RER d’Arcueil-Cachan J’ai déjà reconnu les lieux…..sombres mais trop fréquentés. Il faudra faire très attention, je ne veux pas me faire repérer. J’y vais quand même ! je suis aux aguets, et J’allais partir bredouille quand une belle de nuit solitaire, perchée sur des 34


hauts talons vertigineux, portant un manteau de fourrure dévoilant sa lourde poitrine m’interpelle. Je la cloue sans vergogne sur le mur où elle était adossée . Elle tombe en avant dans une posture ridicule, les fesses nues en l’air. Elle ne porte pas de sous-vêtement, et j’ai une révélation stupéfiante. La dame, ou plutôt l’homme est pourvu d’attributs masculins conséquents. Zut, un travelo, moi qui voulais me faire une femme pour tromper mon limier favori. C’est raté, il va falloir recommencer.

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L’Enquête passe à la vitesse supérieure C’est le branle- bas de combat au commissariat, dans la presse, partout. Le Tadic ne sait plus à quel saint se vouer. Sa mutation espérée en Bretagne, a pris du plomb dans l’aile. Je compatis hypocritement en lisant les journaux. Une grande réunion se tient au commissariat de Bourg la Reine. Le commissaire recense les éléments : - L’assassin demeure dans la banlieue sud - C’est un homme de taille moyenne, vu les impacts des blessures infligées aux victimes. - Il est probablement sans emploi, considérant sa grande disponibilité et aussi sa mobilité. Une décision est prise : il faut recenser tous les célibataires ou veufs de la région, entre 25 et 60 ans au chômage ou à la retraite, telles des fourmis interroger ces gens là, et vérifier leurs alibis éventuels aux heures des crimes. En fait, chercher une aiguille dans une botte de foin. C’est parti... Dans un premier temps, l’administration établit des listes et on 37


convoque les hommes concernés dans les mairies de leurs domiciles où ils sont interrogés par des enquêteurs. Un travail de titans... Ceux qui ne viennent pas sont listés une seconde fois, puis visités chez eux, par des policiers. Au total 722 suspects sur l’ensemble du Val de Marne, selon les journaux. Un bazar pas possible... Je me tiens tranquille pendant quelque temps. Aurai-je échappé à la rafle ? Probablement car, en fait, je ne suis pas sans emploi, mais en invalidité ! Le Tadic a dû penser qu’un invalide ne pouvait être l’assassin. Je vais lui faire voir qu’il court toujours, le cinglé, et lui prouver que sa cible est variée, que les femmes peuvent faire partie des victimes potentielles. En pleine préparation, j’ai besoin de réconfort, et je le trouve dans les bras de Zizi, en faisant des galipettes, en jouant à la bête à deux dos. Elle est vraiment coopérante et me place dans des conditions optimales. La suite se déroule à la Croix de Berny, dans le bas de Fresnes, prés de la nationale 20, à environ 10 kilomètres de chez moi J’y vais en début d’après-midi à bicyclette. Je sais qu’à côté de la piscine, il y a plusieurs courts de tennis. Il me suffit d’attendre ma proie, tapi derrière un transformateur. Elle arrive seule, personne à l’horizon. Elle est vêtue d’un survêtement blanc, porte des tennis de même couleur, et avance d’une démarche féline et sensuelle. A son bras, pend un sac de sport qui laisse sortir le manche de sa raquette. Elle est jeune, magnifique, son front est entouré par un bandeau rouge. Elle est noire, complètement noire, c’est une beauté africaine ou antillaise. Je l’intercepte à la volée, et vise sa poitrine…mais elle est 38


prompte et esquive le coup en partie. La tige a pénétré prés de l’épaule, et elle commence à geindre et à hurler. Elle tombe à genoux et me prie de ne pas la tuer. Je ne peux plus reculer, elle pourrait m’identifier, alors je continue à la frapper. Elle pleure, gémit et me regarde de façon suppliante, les yeux exorbités par la souffrance. Cette scène, je l’ai déjà vécue…..j’ai un flash ! Kiki lors de son agonie. Je suis au bord de l’évanouissement et soudain je réalise qui je suis, que j’ai fait quelque chose de monstrueux. Une véritable boucherie ! Hébété, du sang sur mon blouson, sur mes chaussures, sur mon pantalon, je ramasse le sac de sport, et y fourre mes vêtements les plus tachés. Tel un zombie, j’enfourche mon vélo et rentre à la maison. Je m’écroule sur mon lit. Apparemment, je n’ai pas aperçu de curieux. La nuit est interminable, je ne ferme l’œil à aucun instant. Je sors d’une longue période de folie meurtrière…Comment ai-je pu commettre tous ces crimes ? Ce n’est pas moi, ce n’est pas possible ! Je vis curieusement, un dédoublement de la personnalité. Non, maman, je ne suis pas un assassin. Je vais arrêter... Machinalement, je me nettoie soigneusement, et place les vêtements compromettants dans le sac de la malheureuse. Demain, j’irai brûler le tout, dans une décharge tranquille que je connais, située dans le haut de Cachan, dans un lieu-dit du ”Fort de la Butte”.

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Le Commissaire Le Tadic La partenaire de tennis de la malheureuse victime de la Croix de Berny découvre le corps ensanglanté de son amie. Epouvantée, elle court chercher des secours et alerte la police. Le Tadic arrive rapidement sur les lieux accompagné de Pierrot, son adjoint. Ils fouinent tous deux à la recherche d’indices. Cette fois, ils relèvent une empreinte de chaussure dans une flaque de sang, puis ils remontent dans leur voiture. Comme pour les autres crimes, à part cet indice, il n’y a rien de probant. L’autopsie confirme que l’arme utilisée est bien la même. Pourtant, le commissaire confie à Pierrot son optimisme. L’assassin a perdu son sang- froid, on va finir par le coincer. La nouvelle de ce nouveau meurtre sauvage, émeut l’ensemble de la population locale, et déclenche une chasse à l’homme. Des dizaines de témoins font des déclarations, souvent en dénonçant leurs voisins par vengeance ou simple méchanceté. Pourtant, un témoignage retient l’attention du commissaire ”A l’heure approximative du crime, j’étais sur la plateforme du bus 41


n° 187 qui fait le trajet de Cachan à l’église de Fresnes, le terminus. Un homme à vélo est passé comme une flèche à la hauteur de la station ”Le Petit Robinson”. On aurait dit qu’il avait le diable aux trousses, et portait sur son guidon un sac de sport de couleur blanche. Je ne pourrais pas l’identifier…C’était un homme entre deux âges . Je ne peux rien dire de plus.” C’est une véritable révélation pour Le Tadic. La bicyclette, bon dieu, mais c’est bien sûr, cela explique la mobilité de l’assassin ! et le sac, dérobé à la malheureuse victime….pourquoi donc ? peutêtre pour y dissimuler provisoirement certains vêtements ensanglantés. Je le tiens, se dit-il. Sur sa carte, il ajoute un drapeau noir et examine attentivement les différents endroits où ont été commis les méfaits. Il détermine alors un triangle géographique partant de Fresnes et allant en direction d’Arcueil et de Cachan, dont l’axe serait l’avenue Camille Desmoulins. Je brûle, pense-t-il.

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Lulu - Le repenti Le lendemain, très tôt, je pars à vélo vers la décharge dont je vous ai parlé précédemment. J’emporte quand même mon arme blanche. On ne sait jamais. La rue du Côteau est très pentue, et j’arrive enfin à la déchetterie, tout essoufflé. Personne à l’horizon, je pose ma bicyclette, et prends le sac de sport porteur de traces de sang, malgré mes efforts pour le nettoyer complètement. Il y a une petite porte grillagée, grande ouverte, et je me dirige vers le brasier fumant au milieu des ordures. Soudain, une voix retentit dans mon dos ”que faites-vous là, c’est interdit !” Je me retourne, et surprise énorme, un grand gaillard me toise. Lulu…. Léon le ch’ti ! que je reconnais aussitôt. Quelle déveine, quel manque de pot ! Il me connait, va probablement me dénoncer car il lorgne le sac avec insistance. Je suis pétrifié, mais je ne peux faire autrement, rappelez-vous, pas de témoin. Rageusement, je le pourfends ; Il a le temps de prononcer ”Alors, c’est toi ?”, puis ses yeux se révulsent et il s’écroule au milieu des immondices. Je précipite le sac et les vêtements dans la fournaise et attends malgré ma grande inquiétude 43


que ne subsistent que des cendres non identifiables. J’ai peur d’être surpris prés du cadavre de Léon. C’est de sa faute aussi ! Que faisait-il là ? Je saute sur mon vélo, et je m’enfuis comme un brigand que je suis . Un pauvre type qui a tué un de ses rares amis. J’arrive au pied de mon immeuble et j’introduis ma bicyclette dans la courette intérieure du bâtiment par précaution Il y a de plus en plus de vols dans le quartier. Puis je grimpe dans mon appartement avec la broche, mon arme meurtrière que je nettoie consciencieusement avec du white spirit. Pa de traces, pas de preuve ! J’ai repris mes esprits, j’arrête définitivement. Je vais partir dans le midi, au soleil, je jouerai à la pétanque paisiblement, j’achèterai un petit chien du genre de Kiki, nous serons heureux.J’oublierai.. Je descends l’escalier étroit avec ma broche dissimulée dans mon pantalon, pour me rendre dans la cave et y porter la tige d’acier. Je me heurte à Zizi qui, profitant de l’étroitesse des lieux, me masse prestement l’entre-jambes, et me souffle à l’oreille d’un air salace ”le Lulu, qu’est-ce qu’il dirait d’une petite pipe ?” puis elle promène une langue pointue sur ses lèvres pulpeuses, dans une mimique suggestive. Je la repousse, ce n’est vraiment pas le moment. Elle regagne sa loge, vexée, furieuse, en maugréant des insanités, du genre ”vas te faire voir chez les grecs !” Dans la cave, dans mon box, je replace la broche sur le barbecue, soulagé après cette longue période de folie criminelle. Je reviens à moi. 44


L’enquête continue Le commissaire Le Tadic fulmine…les médias font feu de tout bois. La police embête les honnêtes gens, donne des procès verbaux, traque les petits délinquants, mais montre ses limites quand il s’agit d’arrêter les agissements d’un criminel pervers. Il faut virer tous ces incapables qui perçoivent de bons salaires de fonctionnaires, mais qui se la coulent douce. Le temps passe, les assassinats ont cessé. Un événement va pourtant précipiter les choses. L’ancienne femme de Lulu se suicide sans laisser le moindre mot explicatif. Elle avait trouvé un emploi de concierge dans un immeuble situé en face de la prison de Fresnes, à l’angle de l’avenue de la République, à côté du café restaurant arborant fièrement l’enseigne ”Ici, mieux qu’en face”. Elle n’était donc pas partie très loin de son ancien domicile, contrairement à ce qu’elle avait laissé entendre dans son mot d’adieu. Il s’agit peut-être d’une déconvenue amoureuse ? Lucette a ouvert le gaz et une locataire ayant actionné la minuterie, a fait exploser le rez-de-chaussée du bâtiment. 45


Dans les décombres, on découvre la carte d’identité de la désespérée et son ancienne adresse. Deux agents de la maréchaussée sont chargés de prévenir le mari - car il n’y a pas eu divorce et c’est sa seule famille connue. Ils se présentent donc rue Guichard et sont accueillis par la concierge. Porteurs d’une triste nouvelle, la mine soucieuse, ils demandent à parler en personne avec Monsieur Lucien Besnard. Impressionnée, Zizi se précipite dans l’escalier en criant, ”Lulu, c’est la police qui veut te voir.

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La fin de Lulu, l’ex-criminel en série, redevenu normal J’entends les cris de Zizi, sa voix inquiète. La police ? Quelqu’un a dû m’apercevoir au Fort de la Butte, j’ai été identifié, c’est la fin... Ils ne m’auront pas vivant, j’aurais trop honte maintenant que je suis sorti de mon cauchemar meurtrier. J’ouvre la fenêtre, enjambe la rambarde, et me précipite la tête en avant dans le vide, du haut du 2ème étage…. Une chute vertigineuse, une douleur atroce lors de l’impact, le néant... Un groupe se forme autour du cadavre qui git au milieu de la rue Cousté, la tête explosée, dans une mare de sang. Zizi accourt affolée, trainant dans son sillage les deux pandores qui n’y comprennent rien. C’est Lulu, dit-elle en sanglotant, le Lucien Besnard que vous vouliez voir. Il a certainement appris la nouvelle de la mort de sa femme, et s’est suicidé. Déjà hier, je l’ai trouvé tout drôle !

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Epilogue mi-figue, mi-raisin Au commissariat de Bourg la Reine, les deux agents commentent auprés de leurs collègues leur triste mission. Le Tadic a une oreille qui traine, se fait répéter les circonstances du drame, trouve l’issue bizarre, le suicidé saute par la fenêtre juste au moment où la police demande à lui parler, aurait-il quelque chose à se reprocher ? Il décide d’aller se rendre compte sur place, au 19 rue Guichard à Cachan, l’adresse de Lucien Besnard. Il sonne à la loge, une Zizi encore larmoyante l’accueille et le conduit, à sa demande, dans l’appartement du défunt. C’est un logement modeste de célibataire. Le lit, dans la chambre est défait, la vaisselle sale repose sur l’évier de la toute petite cuisine, dans l’armoire il y a peu de vêtements suspendus aux cintres, dans la pièce principale trônent une cuisinière à charbon, un antique poste de radio, mais aussi une télé grand écran moderne .Vraiment rien de spécial ! sur la table de la salle à manger, il y a quelques journaux arborant des titres qui relatent les deux derniers assassinats. C’est tout… 49


Déçu, Le Tadic redescend avec une concierge bavarde qui défend la mémoire de son Lulu. Il n’a vraiment pas eu de chance, rendez-vous compte, l’homme retrouvé mort dans la décharge, Léon le ch’ti que je connaissais, était un de ses anciens collègues ! cette nouvelle alerte le commissaire déjà rempli de doutes à la suite de ce suicide opportun. Il ne croit pas, homme d’expérience, au cumul des coïncidences . Une idée le traverse, et il demande à Zizi qui commence à lui faire des yeux de merlan frit, séduite par ce grand gaillard, au prestige policier indéniable, si son locataire avait l’usage d’une remise. Bien sûr gazouille-t-elle, il a un box dans la cave où il remise son charbon. Elle lui montre derechef le chemin, et pour ce faire passe par la courette intérieure... Et là, un vélo dressé sur ses béquilles attire de suite l’attention du commissaire. A qui, cette bicyclette ? À Lulu évidemment. Le puzzle commence à se mettre en place. Dans la cave étroite où Zizi en profite pour se coller à Le Tadic, il n’y a pas grand-chose. Un tas de boulets de charbon, 2 ou 3 pneus de vélo, et... un barbecue sérieusement rouillé. En revanche, l’appareil supporte une broche triangulaire rutilante ( ce n’est plus un hasard ) que l’enquêteur emporte avec lui, sous l’œil énamouré de Zizi. L’examen de cet objet confirme par spécialiste qu’une tige d’acier identique a été utilisée par le tueur en série. La conviction du commissaire est faite. Le fou meurtrier est mort, et il ne continuera plus à semer la terreur. Toutefois, il ne possède aucune preuve, seulement un faisceau de présomptions. Il est convoqué par le préfet qui lui demande où en sont ses investigations. Il se borne à lui dire qu’il est certain du décès de 50


l’assassin sans lui donner les raisons de cette certitude. Dans la presse, à la télévision, à la radio, le préfet se félicité de l’efficacité de la police dirigée par lui, d’une main de maître. En récompense, Le Tadic est muté dans son Finistère natal, soulagé d’avoir enfin échappé à cette banlieue parisienne qu’il exécrait. Je me sens obligé, à la mémoire des victimes, de rappeler leur identité complète, par ordre chronologique de leur assassinat. Elles ont eu la malchance d’être au mauvais endroit, au moment précis où elles ont croisé un fou meurtrier. Ce sont : - Marcel Fournier, le jogger, âgé de 44 ans. - Gustave Batardi, le pêcheur de grenouilles, âgé de 58 ans. - Jean-Charles Bouissou, le jeune homosexuel, âgé de 22 ans. - Serge Huet, le travelo alias Sandra, âgé de 37 ans. - Philomène Flambeau, la jolie antillaise sportive, âgée de 23 ans. - Léon Crespin, le ch’ti éboueur, pêcheur émérite, âgé de 51 ans. Voilà. Ces pages se déroulant dans un milieu familier sont le fruit de l’imagination débordante de l’auteur, qui a essayé péniblement de se glisser dans le psychisme d’un sérial killer, comme on dit pour faire bien. Ce n’était pas facile... Quoique !

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