Supplément au numéro 60 du jeudi 24 octobre 2013

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Rentrée solennelle

Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35

Remise de la médaille du Barreau par Alin Postelnicescu à Tarek Koraitem

« Chez les animaux, il n’y a pas d’infractions. Vous savez, dans la ruche l’ouvrière va butiner jusqu’à sa mort, la reine va pondre jusqu’à sa mort. Et cela depuis des millions d’années... Et cela va continuer pendant des millions d’années encore, jusqu’à ce qu’il y ait une catastrophe qui mettra fin au règne des abeilles. L’ouvrière ne pensera jamais qu’elle peut faire grève et la reine, qu’elle peut se faire avorter. C’est seulement chez les hommes, depuis que nous avons goûté au fruit de la connaissance que l’infraction caractérise la société humaine et c’est ce qui fait que la société humaine n’est pas répétitive, mais « devient » et c’est ce qui fait qu’il y a, sur le plan collectif, une histoire et sur le plan individuel, un destin » . Pour lui, donc, il n’y a pas d’indéfendable. Et il parvient avec un talent rare à faire émerger de tout homme, quel que soit son parcours, quel que soit son destin et... quel que soit son crime, et bien il parvient à faire jaillir du monstre, de celui qui se trouve dans le boxe... sa part d’humanité ! Et je le cite : « Un dossier de justice, c’est toujours le début d’un roman, le commencement d’une tragédie ». Mais, pour lui, « ce roman et cette tragédie sont inachevés et de ce drame en train de se dérouler, nous sommes, les avocats, successivement, les spectateurs puis les confidents du personnage principal, de celui qui donne son nom à la tragédie.

Remise du prix Albert Joly par Jean-Christophe Caron à Charlène Brosse, Maxime Filluzeau et Guillaume Normand

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comme si l’on évoquait de grandes batailles du passé : Le FLN, Djamila Bouhired, qui deviendra sa femme, Carlos, Magdalenna Kopp, la compagne de ce dernier, les acteurs d’action directe, Klaus Barbie, bien sûr, l’ancien Président Serbe Slobodan Milosevic, Khieu Samphan, l’un des trois dirigeants Khmers rouges. Mais aussi, Simone Weber, la diabolique de Nancy, Omar Raddad, le jardinier marocain partiellement gracié, Louise-Yvonne Casetta, la trésorière du RPR, et d’autres encore… Aucune affaire n’est assez difficile pour lui, il est de tous les grands procès de la fin du XXème siècle, de tout ces procès de l’extrême où l’avocat y laisse nécessairement une part de lui-même, de son temps, de sa santé, de ses amitiés, de sa vie et n’en ressort jamais tout à fait indemne... Ne vous trompez pas : Ses affaires ne sont pas simplement des « dossiers », se sont des « causes » qui le passionnent. Parce qu’une cause pour laquelle on ne s’exalte pas est une cause vaine, parce qu’une défense, pour triompher, ne peut tolérer qu’un dévouement complet à son client. Dans son cabinet de la rue de Vintimille, vous y auriez croisé toutes les strates de la société, des personnes aux vies et aux destins diamétralement différents et que tout oppose : Du petit jardinier immigré qui clame son innocence, à qui veut l’entendre, au Haut Fonctionnaire de l’Etat empêtré dans l’affaire des « paillotes Corses », d’un Président Ivoirien déchu… à une petite mamie de province accusée d’avoir tronçonné son amant à la meuleuse à béton. Car, affirme-t-il : « Nous, les avocats, avons ce privilège extraordinaire c’est d’assumer l’humanité entière, c’est d’être auprès de toutes ces personnes dans leur malheur ». Mais alors comment pouvait-il se passionner pour ces affaires ? Ce qu’il faut bien appeler sa « fascination » pour l’interdit, pour le crime, il l’explique en réalité par un humanisme qui a toujours guidé sa vie. Pour Jacques Vergès, le crime est ce qui distingue fondamentalement la société humaine de la société animale :

Toujours l’accusé, et parfois même le criminel... (...) Et puis, en tant qu’avocat, nous sommes les coauteurs de cette tragédie, car nous allons aider notre client à vivre le Vème acte de sa pièce, à écrire l’épilogue de son roman. C’est que, ces criminels... sont nos semblables, ils sont des hommes comme nous, ils ont comme nous deux yeux, deux mains, un sexe, un cœur. Les mots sur leurs lèvres ont le même sens que dans notre bouche, nous comprenons leur silence, ils comprennent notre sourire. (...) Qu’est-ce qui en somme sépare un tueur à la chaîne du plus honnête des contribuables ? Un détail infime, un fétu de paille tout de suite envolé et qui cependant constitue pour la plupart d’entre nous une barrière infranchissable : Le passage à l’acte ». Alors, défendre l’indéfendable signifie également que l’avocat ne doit reculer devant aucune tâche quelle qu’en soit la difficulté et… Quelles qu’en soient les conséquences. Parce-que la recherche de la justice est un sacerdoce au service de la vérité et parce-que lorsqu’il accepte sa mission, l’avocat se situe par delà le bien et le mal. Ainsi, sans jamais chercher à rompre avec cette logique de défense sans borne, il y eut… Pour lui... Le procès Barbie... Pourquoi avoir accepté de défendre Klaus Barbie ? Indéfendable parmi les indéfendables. Était-ce par adhésion ? Bien sur que non ? Était-ce pour le défi ? Était-ce par défiance ? Peutêtre ? Était-ce pour honorer son serment de défenseur ? Oui sans hésitation. Car pour Vergès plus l’accusation est lourde plus le devoir de défendre est grand. Hippocrate disait : « Je ne soigne pas la maladie, je soigne le malade ». Jacques Vergès, lui, ne défendait pas le crime, il défendait celui qui l’avait commis. A quoi servirait la défense sinon ? C’est précisément celui à qui l’on reproche le plus effroyable des crimes qui a le plus vigoureusement besoin d’être défendu ; car il est trop facile de défendre ceux qui n’en n’ont pas besoin. Car enfin avocat c’est cela, avocat c’est être au chevet de ces personnes abandonnées de tous et leur dire : « Je veux vous aider ». Et puis, si nous avons cités les qualités de Jacques Vergès, celui-ci, comme tout un chacun, ne manquait pas, bien sûr, d’avoir ses défauts.

Les Annonces de la Seine - Supplément au numéro 60 du jeudi 24 octobre 2013

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