Il était une fois la différence – Les archéologues racontent le handicap - Valérie Delattre

VALÉRIE DELATTRE

VINCENT BERGIER

il était une fois la

DIFFÉRENCE LES ARCHÉOLOGUES RACONTENT LE HANDICAP

ACTES SUD junior

Sommaire C’est quoi le handicap ?

p. 8

Les grandes familles actuelles de handicaps

p. 10

Qui diagnostique les handicaps des hommes et des femmes du passé ?

p. 13

Chez l’homme de Néandertal

p. 14

Les neurochirurgiens du Néolithique

p. 16

Le manchot du Néolithique

p. 19

Dans l’Égypte pharaonique

p. 20

Toutankhamon, le jeune pharaon boiteux

p. 22

L’incroyable histoire de l’enfant singe d’Hermopolis

p. 25

En Grèce antique

p. 26

Un squelette peut en cacher un autre !

p. 28

Le pire comme le meilleur chez les Romains

p. 31

La rude vie des gladiateurs

p. 32

En Gaule

p. 34

Guérir les corps, prier les dieux en Gaule romaine

p. 37

Célébrer le handicap chez les Mochicas

p. 38

Soigner la folie en terre d’Islam

p. 40

Le Viking Ivar le Désossé

p. 43

Une solidarité à la vie, à la mort au début du Moyen Âge

p. 44

Deux femmes de caractère

p. 46

L’accueil des vulnérables dans le Moyen Âge chrétien

p. 47

Du pilon médiéval à la prothèse de guerre moderne

p. 48

Le grand chirurgien Ambroise Paré

p. 50

Le fauteuil roulant a-t-il toujours existé ?

p. 52

S’étonner, se moquer, rejeter ou enfermer

p. 54

L’hôtel des Invalides

p. 56

L’éducation pour tous à partir du siècle des Lumières

p. 58

Les gueules cassées

p. 61

Quand Hitler éliminait les plus faibles

p. 62

Sacrés champions ! Les Jeux paralympiques

p. 64

Peut-on travailler quand on est handicapé ?

p. 67

Prothèses d’aujourd’hui : très haute technologie pour les uns, moyens du bord pour les autres

p. 68

Pourra-t-on augmenter l’homme à l’infini ?

p. 70

Lexique

p. 72

C’EST QUOI LE HANDICAP ?

Pour la plupart des gens, le handicap est lié à une impossibilité, comme celle de marcher, de voir ou d’entendre. Être handicapé serait donc être diminué et incapable. Vraiment ?

HAND IN CAP Le mot “handicap” vient de l’anglais hand in cap qui signifie “la main dans le chapeau”. Au XVIIIe siècle, c’était un jeu de loterie où des récompenses de valeurs différentes étaient cachées dans un chapeau.

Puis, dans le monde des courses de chevaux, on a imposé aux meilleurs concurrents de courir plus longtemps que les autres ou de porter un poids plus lourd. C’était ça, le handicap : égaliser les chances de tous les participants. D’ailleurs, on utilise encore ce terme dans certains sports, comme le golf, pour la classification des joueurs. Peu à peu, ce mot est passé dans le vocabulaire de tous les jours : d’abord synonyme d’une gêne temporaire ou définitive, il caractérise une réelle infériorité.

DERNIÈRE MINUTE !

Depuis 2019, des associations de personnes handicapées, des militants et des avocats travaillent avec les éditeurs de dictionnaires. Ils en ont assez que la définition du mot “handicap” insiste seulement sur l’infériorité et ils exigent qu’elle soit modifiée.

Ils veulent qu’il soit considéré comme un empêchement et qu’il n’y ait plus de discrimination entre personnes handicapées ou non. Ainsi, être handicapé ne signifierait plus qu’on est diminué : c’est une différence, physique ou mentale, pas une infériorité.

ET DE NOS JOURS ?

L’Organisation mondiale de la santé affirme encore que le handicap “provoque une incapacité qui empêche une personne de faire une chose que les autres gens peuvent faire”. Il peut être de naissance, provoqué par une maladie génétique par exemple, ou la conséquence d’un accident de la vie.

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LES GRANDES FAMILLES ACTUELLES DE HANDICAPS On parle souvent du handicap et pourtant il faudrait évoquer les handicaps.

Ils sont si nombreux et si divers qu’on les a regroupés en cinq grandes familles.

Le handicap moteur (13 % des situations) empêche de se déplacer ou de bouger certains membres.

Il peut être la conséquence d’une amputation, d’une myopathie – atteinte des muscles –, ou de différents types de paralysie.

De nombreuses maladies invalidantes, respiratoires, digestives, infectieuses ou autre (48 % des situations) ont parfois des effets secondaires débouchant sur un handicap, comme dans le cas de l’épilepsie, du cancer ou du sida.

Le handicap sensoriel (4 % des situations) signifie que certains sens sont touchés. On différencie : • le handicap visuel comme la cécité – être aveugle – ou la malvoyance ; • le handicap auditif, comme la surdité, qui entraîne une perte incomplète ou totale de l’audition.

À l’école, lors des visites médicales, un handicap peut parfois être dépisté. On diagnostique ainsi les “troubles dys”, qui sont liés à l’apprentissage, comme la dyslexie (difficultés avec le langage écrit) ou la dysphasie (problèmes avec le langage oral).

Le handicap psychique (20 % des situations) provoque des troubles mentaux, affectifs ou émotionnels, et parfois des modifications du comportement.

Ils peuvent être dus à une schizophrénie, à une maladie bipolaire ou à un traumatisme crânien. Les capacités intellectuelles ne sont pas atteintes.

Plus de 80 % des handicaps sont invisibles.

Pourtant, le pictogramme universel symbolisant le handicap, dans les transports, les toilettes ou les parkings, représente un homme en fauteuil roulant ! Étonnant, non ?

Le handicap mental (15 % des situations) concerne, lui, les facultés intellectuelles. Il entraîne des difficultés de réflexion et de compréhension. La personne atteinte d’un handicap mental (trisomie 21…) éprouve souvent des troubles de la communication.

Les mots en gras sont expliqués dans le lexique page 72.

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QUI DIAGNOSTIQUE LES HANDICAPS DES HOMMES ET DES FEMMES DU PASSÉ ?

Les squelettes anciens sont comme des cartes d’identité qui racontent aux chercheurs l’histoire de vies tranquilles et de parcours plus compliqués.

L’ANTHROPOLOGUE

LE PALÉOPATHOLOGUE

Du grec anthrôpos, qui signifie “homme”, et logos “science”, ce mot désigne un scientifique qui étudie les squelettes en mesurant et en pesant les os.

Grâce à des formules mathématiques compliquées, il peut déterminer le sexe, l’âge au moment du décès, la taille et la robustesse de l’individu. Certains retards de croissance, provoqués par des famines durant l’enfance, sont même lisibles sur les os qui se sont mal développés.

Formé avec les mots grecs palaios, páthos et logos, qui veulent dire “ancien”, “maladie” et “étude”, le spécialiste qui porte ce nom est souvent appelé “médecin des hommes du passé” : il diagnostique les maladies qui ont laissé une trace sur les os.

Il peut détecter les fractures, mais sûrement pas le rhume ou la varicelle ! Son patient, qui a parfois plusieurs centaines ou milliers d’années, ne se plaint jamais et, bien sûr, il ne peut pas indiquer où il avait mal. Mais on peut lui faire passer une radio ou un scanner, comme on le fait souvent pour les momies égyptiennes.

Il observe aussi la tombe elle-même, la façon dont elle a été creusée, son orientation, la position du corps : est-il allongé ? replié sur le côté ? sur le ventre ?

Il examine enfin les objets, comme des bijoux, des outils ou des armes, avec lesquels le défunt a été enterré.

Toutes ces informations racontent l’histoire des sociétés du passé. Bien sûr, il doit connaître les religions, les rites et les pratiques de deuil pour comprendre les mentalités de nos ancêtres.

En plus des maladies, il pourra aussi identifier les handicaps moteurs, comme la poliomyélite.

Mais il lui sera difficile de reconnaître la trisomie 21 ou la surdité.

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CHEZ L’HOMME DE NÉANDERTAL Les archéologues n’ont retrouvé qu’une centaine de tombes de Néandertaliens en Europe et en Asie. Certaines révèlent que des liens d’entraide et de protection unissaient déjà ces hommes et ces femmes vivant à la préhistoire.

ACCOMPAGNER UNE ENFANCE VULNÉRABLE À Qafzeh, en Israël, les archéologues ont découvert les plus vieilles sépultures connues à ce jour : elles datent de 100 000 ans avant J.-C. Parmi ces morts enterrés avec soin, parfois avec des fleurs, des enfants étaient atteints d’un lourd handicap moteur. L’un d’entre eux, âgé de 12-13 ans, souffrait de graves troubles neurologiques et sa paralysie nécessitait une surveillance constante. Il fallait autant le protéger de lui-même que des autres. À sa mort, on a déposé sur son corps les bois d’un cerf. Était-ce son jouet ? un outil ? Non !

Ce geste protecteur rappelle que, dans de nombreux récits mythologiques, le cerf est un animal qui connaît le monde des morts et accompagne les défunts dans l’au-delà. Sa mission était, pour ce long voyage, de prendre soin de cet enfant handicapé et non autonome.

SOMMES-NOUS AUSSI DES ENFANTS DE NÉANDERTAL ?

Longtemps considéré comme un être fruste, il sait pourtant chasser et pêcher, fabriquer des parures, et il ensevelit ses morts avec des rituels de protection.

Et s’il a disparu de la Terre, laissant seul Homo sapiens, de récentes études génétiques confirment que nous avons tous, au plus intime de nos cellules, grâce au métissage de ces deux espèces, le souvenir de ce lointain ancêtre commun.

LE PLUS VIEIL HOMME AMPUTÉ DU MONDE Il y a 45 000 ans, à Shanidar, en Irak, un vieux Néandertalien borgne et privé de son avant-bras droit a été enterré dans une grotte. Son squelette est en mauvais état et les anthropologues ignorent s’il a été amputé volontairement ou s’il était né avec une malformation. Quoi qu’il en soit, ce vieil homme infirme a survécu de façon très amoindrie, en étant assisté par ses proches.

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LES NEUROCHIRURGIENS DU NÉOLITHIQUE Les premières interventions chirurgicales datent de plusieurs milliers d’années.

Les compétences techniques sont déjà très précises et supposent de réelles connaissances anatomiques.

FAIRE DES TROUS DANS LA TÊTE

L’EXPÉRIMENTATION ANIMALE : UNE DÉCOUVERTE UNIQUE !

La trépanation est l’un des plus vieux gestes chirurgicaux : il s’agit de percer le crâne pour soulager le cerveau qui est comprimé suite à un traumatisme ou à une maladie.

Elle a beaucoup été pratiquée au Néolithique, entre 6 000 et 2 200 ans avant J.-C., à l’époque des premiers villages et de la domestication des animaux et des plantes. Sans doute, à la frontière entre la médecine et la magie, voulait-on expulser des esprits malins installés dans la tête ? Le prélèvement du fragment – parfois remplacé par un autre morceau d’os ou par un coquillage – s’effectuait avec un silex tranchant qui raclait, grattait et découpait.

Ce geste chirurgical, qui intervient très près du cerveau, est minutieux. Le crâne trépané d’une vache datant du Néolithique, trouvé par des archéologues à Nieul-sur-l’Autise, en Vendée, rappelle combien la décision d’opérer un proche, peut-être un membre de sa propre famille, devait être difficile. Il est donc possible que des expérimentations sur des animaux, pour répéter chaque geste, se soient déroulées avant de tenter une intervention très risquée sur un être humain.

Survivait-on à cette opération ? Les anthropologues, qui ont examiné des centaines de crânes trépanés et observé la cicatrisation des os, estiment que 70 % des personnes survivaient. Mais dans quel état ? La plupart souffraient de migraines violentes, de troubles de l’équilibre et de paralysies. Certains devenaient handicapés et dépendants.

QUI OPÈRE ?

Il a toujours existé des “hommes médecine”, des chamanes ou des sorciers. Ils affirment détenir leur savoir des dieux et de la nature. Ils opèrent et soignent avec des mixtures : ils connaissent les vertus guérisseuses des herbes, de la verveine comme du pavot, utiles pour atténuer les douleurs du patient pendant les longues heures d’une opération périlleuse.

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