Extrait "Centaures et centauresses" sous la direction d'Alexandre Blaineau

ALEXANDRE BLAINEAU

Depuis plus de deux millénaires et demi, les centaures peuplent nos imaginaires. Générateurs tout à la fois de chaos et de sagesse, ils intriguent nos esprits décidément trop logiques. Leur dualité contre nature nous inquiète en même temps qu’elle nous fascine.

Cette anthologie montre combien les centaures et centauresses agissent comme de puissants révélateurs des rapports entre l’homme et l’animal, mais aussi combien semble pertinente leur assimilation au couple que forment le cavalier et son cheval.

Alexandre Blaineau est écrivain et docteur en histoire. Il a notamment publié Xénophon. L’intégrale de l’œuvre équestre (Actes Sud, 2011) et Le Neveu de Rimbaud (L’Harmattan, 2023). Il est également l’auteur des Chevaux de Rimbaud (Actes Sud, 2019), prix Pégase et prix Khôra-Institut de France.

Les Cahiers Arts équestres

Centaures et centauresses

Arts équestres

ACTES SUD

DÉP. LÉG. : JANV. 2024 23 € TTC France www.actes-sud.fr

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ISBN 978-2-330-17550-4

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ACTES SUD

Illustration de couverture : Eugène Fromentin, Centaures, huile sur toile, 205 × 131, 1868, musée du Petit Palais.

Arts équestres

CENTAURES ET CENTAURESSES

Sous la direction d’Alexandre Blaineau

Arts équestres

ACTES SUD

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ARTS ÉQUESTRES

Collection dirigée par Jean-Louis-Gouraud

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centaures et centauresses

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Du même auteur Le Neveu de Rimbaud, L’Harmattan, 2023.

L’Offre des possibles, Milagro, 2022.

D’être en ce monde, Milagro, 2021.

Les Chevaux de Rimbaud, Actes Sud, 2019.

Le Cheval de guerre en Grèce ancienne, Presses universitaires de Rennes, 2015.

Xénophon. L’intégrale de l’œuvre équestre, Actes Sud, 2011.

© ACTES SUD, 2023 ISBN : 978‑2-330‑17550‑4

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centaures et centauresses

sous la direction

d’Alexandre Blaineau

Arts équestres

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À la mémoire de Laurence Bougault (1970‑2018) et de François Lissarrague (1947‑2021).

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Si on m’avait laissé le choix de ma condition, j’eusse opté pour celle du Centaure.

Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien

Jason : c’est une vision ? […]

Centaure : Oui, c’est toi qui la produis.

Nous sommes tous deux à l’intérieur de toi.

Pier Paolo Pasolini, Medea1

1. Traduction de Luca Caproni in Luca Caproni, “Médée de Pier Paolo Pasolini : le sacré et le barbare”, Cahiers d’études romanes, no 27, 2013, p. 189-208, en ligne.

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sommaire

INTRODUCTION _____________________________________

15

le centaure déconstruit, par Alexandre Blaineau LES CENTAURES DE L’ANTIQUITÉ GRÉCO-ROMAINE : mythes, récits et symboles FRANÇOIS LISSARRAGUE______________________________

25

une brève mythologie des Centaures, entre violence et sagesse SOPHOCLE_____________________________________

39

les Trachiniennes XÉNOPHON____________________________________

45

la Cyropédie OVIDE ________________________________________ les Métamorphoses

49

LUCIEN DE SAMOSATE ____________________________

59

Zeuxis ou Antiochos LES PÈRES DE L’ÉGLISE_____________________________

65

Clément d’Alexandrie et saint Augustin

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CENTAURES ET SAGITTAIRES MÉDIÉVAUX : (ré)interprétations et foisonnements chrétiens JACQUELINE LECLERCQ-MARX_______________________

73

le centaure médiéval, entre tradition, confusions et innovations DE MONSTRIS ET DE BELLUIS

Liber monstrorum de diversis generibus_____________

89

LETTRE DU PRÊTRE JEHANS À L’EMPEREUR DE ROME _______

93

DANTE ALIGHIERI ________________________________

97

l’Enfer LE CENTAURE RENAISSANT (XVe-XVIe SIÈCLE) : une figure ambivalente ALEXANDRE BLAINEAU____________________________

107

Botticelli, l’ornemental et l’allégorique MACHIAVEL ____________________________________

111

le Prince CLAUDIO CORTE_________________________________

115

il Cavallarizzo PIERRE DE RONSARD ______________________________

119

les Amours (“Au cœur d’un val, émaillé tout au rond / De mile fleurs…”) À L’ÉCOLE DU CENTAURE (XVIIe-XVIIIe SIÈCLE) WILLIAM SHAKESPEARE____________________________

127

le Roi Lear

12

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WILLIAM CAVENDISH _________________________________

131

méthode nouvelle et invention extraordinaire de dresser les chevaux FÉNELON __________________________________________

135

dialogue des morts ALEXANDRE BLAINEAU____________________________

139

les savoirs équestres du centaure CHEVALIER DE JAUCOURT__________________________ 147 l’Encyclopédie, article “Hippocentaure” CENTAURES ET CENTAURISATION (XIXe SIÈCLE) MAURICE DE GUÉRIN______________________________

155

le Centaure FRANÇOIS LISSARRAGUE ET FRANÇOIS POUILLON _________

165

les Centaures d’Eugène Fromentin COMTE SAVARY DE LANCOSME-BRÈVES _________________

187

théorie de la centaurisation JOSÉ MARIA DE HEREDIA __________________________

191

la Centauresse ALEXANDRE BLAINEAU____________________________

195

l’âme et le corps (à propos de La Centauresse de Rodin) HENRI DE RÉGNIER _______________________________

197

le Centaure blessé

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LES MÉTAMORPHOSES DU CENTAURE (XXe SIÈCLE) FILIPPO TOMMASO MARINETTI_______________________

205

manifeste du futurisme ALEXANDRE BLAINEAU _______________________________

211

la figure du centaure chez Primo Levi JORGE LUIS BORGES______________________________

215

le Centaure ALEXANDRE BLAINEAU____________________________

219

les masques de César ALEXANDRE BLAINEAU____________________________

221

le centaure retrouvé LES CENTAURES EN NOTRE MONDE (XXIe SIÈCLE) ROBIN DE LA MEUSE______________________________

227

les Jumeaux de la centauresse LAURENCE BOUGAULT_____________________________

233

le Cœur de l’Altaï ALEXANDRE BLAINEAU____________________________

247

les centaures et le petit magicien MANOLO______________________________________

249

le Théâtre du Centaure OUVERTURE ALEXANDRE BLAINEAU____________________________

279

l’autre corps

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introduction

ALEXANDRE BLAINEAU

le centaure déconstruit

D

epuis plus de deux millénaires et demi, les centaures peuplent nos imaginaires. Générateurs de chaos et de sagesse, et portant le poids insupportable de l’insta‑ bilité, ils intriguent nos esprits décidément trop logiques. Leur na‑ ture double et contre nature nous inquiète en même temps qu’elle nous fascine.

Leur hybridité est pourtant bonne à penser, car elle peut dire un monde possible, libéré de toute taxinomie, de toute morale, de toute contrainte esthétique. L’homme-cheval symbolise en effet l’alliance des contraires, de la verticalité et de l’horizontalité, de la rationa‑ lité et de l’instinct, de la mesure et de la fougue. En même temps, il constitue un être aporétique, jouant avec ces contraires et son am‑ bivalence, se situant assurément par-delà la culture et la nature.

La lisibilité d’une telle figure s’avère donc complexe, et il faut peut-être tenter de la déconstruire pour en comprendre les aspects sous-jacents. Quel est en effet son fonctionnement intime ? De quoi est fait son sang ? Comment se répartissent, en son être, la part hu‑ maine et la part équine ?

Une expérience artistique permet de baliser de tels questionne‑ ments. En 2011, lors d’une performance à Ljubljana en Slovénie, l’ar‑ tiste Marion Laval-Jeantet se fait injecter du sang de cheval par son 15

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partenaire Benoît Mangin1. Les effets de cette transplantation san‑ guine sont décrits par Marion Laval-Jeantet2 : “On est très très ner‑ veux, au sens d’un métabolisme accru, d’une impression de puissance, avec en même temps une émotivité très supérieure en raison d’une stimulation des glandes surrénales, de l’hypophyse, qui fait qu’on est très inquiet et très émotif. Cette contradiction apparente entre une puissance physique et une fragilité psychologique m’a semblé très intéressante, parce qu’en opposition avec la structure psycho‑ logique de l’homme où, en général, on a un sentiment soit de puis‑ sance, soit de fragilité, mais rarement les deux en même temps. Ce genre de phénomènes contradictoires, qui sont peut-être inhérents à l’essence chevaline – on ne sait pas – constituent une impression tout à fait étonnante, parce qu’elle est très clairement évocatrice d’une al‑ térité. C’est comme si j’avais momentanément vécu une altérité.” En somme, cette performance intitulée “Que le cheval vive en moi” per‑ mettait à l’artiste d’éprouver cette extrême sensibilité équine et de devenir une centauresse. Être centaure, c’est ressentir sans doute l’état instable et constant d’une métamorphose. Perpétuellement dans le corps de l’hybride, des forces opposées s’affrontent entre le cheval et l’homme. S’agglomère le double sang d’où naissent l’ébullition, la force, l’hubris. Peut-être les savoirs et les expériences fusionnent, et de ce fait le centaure est une forme de passage entre le monde des humains et celui des non-humains.

1. Ces deux artistes forment le duo Art orienté objet.

2. L’expérience avait débuté trois ans auparavant avec des chercheurs, afin d’ob‑ server les effets de “compatibilisation” du sang : “En fait il y a eu tout un processus de mithridatisation, c’est-à-dire qu’on m’a progressivement habituée à différentes familles d’immunoglobulines, pour qu’il n’y ait pas un rejet massif du corps lors de l’injection. Au tout début, j’y allais un peu inconsciemment, puis à un moment j’ai commencé à ressentir des effets, à avoir des troubles du sommeil. Je me suis alors dit que ce n’était pas anodin”, indique Marion Laval-Jeantet dans un article du blog de D. Birck, “« Que le cheval vive en moi », ou quand l’art contempo‑ rain explore « la part animale »”, https://debelleschoses.com/2011/04/16/«-que-lecheval-vive-en-moi-»-ou-quand-l’art-contemporain-explore-«-la-part-animale-»/ (consulté le 27 novembre 2021). Après cette injection, l’artiste enfile une paire de prothèses qui lui permet de se trouver à hauteur de cheval. Elle est peut-être alors devenue jument, observant le monde du point de vue animal.

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Physiquement, il est d’usage de le représenter avec le corps qua‑ drupède du cheval et le buste de l’homme. Mais il est possible de l’imaginer tout aussi bien avec un corps bipède d’humain et une tête de cheval3. Des traditions folkloriques très anciennes mettaient en scène, lors de rituels marquant la fin de l’hiver, de jeunes gens ar‑ borant un masque-cheval : cette manière de faire-le-cheval pour‑ rait d’ailleurs être une des origines possibles du centaure, comme le suggérait Georges Dumézil4. La représentation physique et sym‑ bolique du centaure n’est ainsi pas figée. Les deux entités du couple ­composent un hybride aux frontières mouvantes, ouvrant le champ des possibles pour les artistes. Le centaure est assurément un devenir.

La philosophie de Deleuze et Guattari peut être sur ce point riche d’enseignements. Dans Mille plateaux, ces auteurs précisent par exemple ce qu’est un “devenir-animal”, qui n’est en aucun cas une imitation : le devenir, écrivent-ils, “travers[e] et emport[e] l’homme [et] n’affect[e] pas moins l’animal que l’homme5”. C’est donc faire l’expérience par-delà le sujet 6, en opérant une déterritorialisation. Dès lors, il conviendrait de se demander ce que constituent plus précisé‑ ment le “devenir-cheval” de l’homme et le “devenir-homme” du che‑ val dans cette opération de déconstruction de la figure du centaure.

Dans la mesure où la question du devenir est “une carte d’intensi‑ tés7”, “il n’y a plus homme ni animal, puisque chacun déterritorialise l’autre, dans une conjonction de flux, dans un continuum d’intensités 3. Le sculpteur Kira Od (1960) a réalisé une telle figure (Hybrid Two) en 1996.

Dans une scène saisissante de son spectacle Le Centaure et l’Animal (2010), le vi‑ sage de Bartabas est masqué par la tête de son cheval, donnant l’illusion d’une figure hybride.

4. Georges Dumézil, Le Problème des centaures. Étude de mythologie comparée indoeuropéenne, Librairie orientaliste Paul Geuthner, Paris, 1929 (Annales du musée Guimet, Bibliothèque d’études, t. XLI), p. 170‑174.

5. Gille Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie 2. Mille plateaux, Les Éditions de Minuit, Paris, 1980, p. 342.

6. Denis Viennet, “Animal, animalité, devenir-animal. Mise en question à travers les impératifs de développement technoscientifique”, Le Portique, nos 23‑24 (en ligne : https://journals.openedition.org/leportique/2454, consulté le 9 novembre 2021).

7. Gilles Deleuze et Félix Guattari, Kafka. Pour une littérature mineure, Les Éditions de Minuit, Paris, 1975, p. 65.

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réversibles8”. Ainsi, le centaure pourrait être analysé comme une construction graduelle et réversible des caractères qui le composent9 : l’équilibre ou l’harmonie recherchés masqueraient les enjeux d’af‑ frontements ou de colonisations partagés.

Cet hybride homme-cheval est ainsi un être de l’écart, toujours en quête de la définition de son identité. Cela expliquerait la tumul‑ tueuse histoire de son espèce et de sa relation avec les sociétés hu‑ maines, depuis l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui. *** Ce que l’on va lire dans les pages qui suivent constitue une antho‑ logie des centaures et des centauresses. Elle se veut hybride : elle rassemble des textes divers (nouvelles, articles de recherche ou de vulgarisation, poèmes, interview), classés par périodes historiques, qui révèlent le foisonnement des approches dans la culture occiden‑ tale10. Ces textes sont comme des sondages dans l’épaisseur du temps, qui prennent partiellement la mesure de la diversité des représen‑ tations des centaures masculins et féminins. Ils permettent de cer‑ ner les évolutions de ces figures, mais aussi quelques permanences.

Décrits comme violents, buveurs et violeurs, les centaures se trouvent résolument aux lisières du monde civilisé. Ils sont les sym‑ boles de très nombreuses interprétations symboliques, religieuses et politiques, ce qui s’explique par la dualité de leur être : ils incarnent ainsi la lutte entre la passion et la raison, entre la sauvagerie et la 8. Ibid., p. 40. Cette question philosophique du devenir (animal ou humain) tra‑ verse la pensée deleuzienne à propos de l’art et de la création.

9. Par ailleurs, Deleuze et Guattari, dans Mille plateaux, op. cit., p. 389, distinguent le fait d’être hybride, qui empêche la possibilité du mouvement et de la transfor‑ mation, et le fait de devenir hybride, qui offre des virtualités infinies.

10. Il existe des hybrides hommes-chevaux dans d’autres civilisations, comme Al-Bouraq, la centauresse qui transporta le Prophète vers le ciel, ou bien encore les Gandharva, évoqués notamment dans la littérature épique indienne. Ces Gandharva pouvaient avoir le corps humain et la croupe chevaline (Nara) ou une tête de cheval sur un corps d’homme (Kimnara). Cf. à ce sujet Marc-André Wagner, Dictionnaire mythologique et historique du cheval, Éditions du Rocher, Mo‑ naco, 2006, p. 43‑44.

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civilisation, entre la force et la ruse, entre les tentations sexuelles et la pureté, entre le Diable et Dieu. Par exemple, la centauresse porte longtemps la marque d’une sensualité bestiale – et donc condam‑ nable. Le double corps est celui de la lutte permanente entre l’ins‑ tinct et la pensée rationnelle. À l’inverse, Chiron est une exception ; il est défini comme le détenteur d’une sagesse quasi philosophique et d’un savoir important – et à ce titre comme un pédagogue essen‑ tiel –, à tel point qu’il est devenu, à l’époque moderne, un maître écuyer. Plus généralement, l’art équestre s’empare, dès l’Antiquité, de l’image de l’hippocentaure pour signifier l’union du cheval et du cavalier, et leur dialogue intime et espéré.

Ces hybrides agissent donc comme de puissants révélateurs des stratégies employées par les hommes pour appréhender le monde animal. Voici donc, entre fracas, vitesse et ambiguïté, cette histoire partielle des centaures et des centauresses, au gré des siècles et des imaginaires…

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LES CENTAURES DE L’ANTIQUITÉ GRÉCO-ROMAINE :

mythes, récits et symboles

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Dans la nature on ne voit pareille apparition !

Mais si d’un homme et d’un cheval par hasard les images Se heurtent, je l’ai dit, sans peine s’embrouillent leurs fils, Tant leur nature est déliée et leurs tissus subtils.

Toute chimère du genre est taillée à même toile.

Lucrèce, La Naissance des choses1

1. Traduction de Bernard Combeaud, Bouquins-Mollat, Paris, 2021.

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PAR UNE LENTE MATURATION, LE CENTAURE, DONT LA FORME n’est tout d’abord pas fixée, intègre les discours des Anciens dès l’époque archaïque. Ceux-ci constatent sa violence, sa propension au chaos, sa brutalité. Ils conviennent aussi qu’il est avant tout un symbole qui peut servir à décrire autrement l’art de l’équitation, mais aussi à définir le barbare et ce qui strictement l’oppose au hé‑ ros. Ils cernent, parmi les dangers de la métamorphose, ce qui dif‑ férencie l’homme de l’animal, mais ce qui les rapproche aussi. La limite de cet hybride est sans cesse mouvante, et c’est uniquement par une virtuose illusion que l’on peut le représenter. Il faudra alors que la morale, la religion et la philosophie s’emparent de cet impos‑ sible monstre pour qu’il signifie, devant les yeux horrifiés de Dieu, ce qu’en ce bas monde peut être l’âme unie à un corps.

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Depuis plus de deux millénaires et demi, les centaures peuplent nos imaginaires. Générateurs tout à la fois de chaos et de sagesse, ils intriguent nos esprits décidément trop logiques. Leur dualité contre nature nous inquiète en même temps qu’elle nous fascine.

Cette anthologie montre combien les centaures et centauresses agissent comme de puissants révélateurs des rapports entre l’homme et l’animal, mais aussi combien semble pertinente leur assimilation au couple que forment le cavalier et son cheval.

Alexandre Blaineau est écrivain et docteur en histoire. Il a notamment publié Xénophon. L’intégrale de l’œuvre équestre (Actes Sud, 2011) et Le Neveu de Rimbaud (L’Harmattan, 2023). Il est également l’auteur des Chevaux de Rimbaud (Actes Sud, 2019), prix Pégase et prix Khôra-Institut de France.

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Illustration de couverture : Eugène Fromentin, Centaures, huile sur toile, 205 × 131, 1868, musée du Petit Palais.

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