Extrait "Lungomare" de Sébastien Berlendis by Actes Sud Issuu

Lungomare Trois palmiers protègent toujours les balcons de l’hôtel Miramare, les lettres jaune citron de son nom impriment le blanc des façades, rien de clinquant mais une désuétude bienvenue. Les bains de l’hôtel en face de celui-ci, il n’y a qu’à traverser le boulevard, poser sa serviette sur les transats de couleur crème, déplier le parasol rouge, regarder le spectacle de la plage, cet art italien de la pas seggiata qui se déploie jusque dans la mer, attendre enfin que passe Annabella.

Sébastien Berlendis

« un endroit où aller »

Lungomare Sébastien Berlendis

DÉP. LÉG. : JANV. 2024 14,50 € TTC France www.actes-sud.fr

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Photographie de couverture : © Sébastien Berlendis

Né à Avignon, mais vivant entre Saône et Rhône, Sébastien Berlendis est professeur de philosophie à Lyon. Photographe, il est aussi l’auteur de plusieurs romans, notamment Maures (2017) et Revenir à Palerme (2018) aux éditions Stock. Chez Actes Sud ont paru Des saisons adolescentes (2020) ainsi que Seize lacs et une seule mer (2021).

Lungomare

S. B.

ISBN 978-2-330-18662-3

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LUNGOMARE

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DU MÊME AUTEUR UNE DERNIÈRE FOIS LA NUIT, Stock, 2013. L’AUTRE PAYS , Stock, 2014. MAURES , Stock, 2016.

REVENIR À PALERME , Stock, 2018.

DES SAISONS ADOLESCENTES , Actes Sud, 2020.

SEIZE LACS ET UNE SEULE MER , Actes Sud, 2021.

L’auteur de cet ouvrage a bénéficié d’une bourse d’écriture de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et de la Drac Auvergne-Rhône-Alpes

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SÉBASTIEN BERLENDIS

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À vingt ans, corps fins pas encore bronzés par le soleil d’été, mes parents promènent leur amour de jeunes adultes sur les routes de la côte ligure, s’arrêtent à la fin du mois de février, à l’hôtel Morandi de San Remo, vieil hôtel de famille construit, comme il est écrit à l’entrée, en 1894 ; de style Liberty, façades de couleur beige, fenêtres et persiennes vertes, des drapeaux internationaux trônent au-dessus du porche en verre. Le Morandi impose sa silhouette de petit palais sur le corso Matuzia en retrait de la via Aurelia, cette première route d’Italie maintes fois empruntée qui finit à Rome ; j’occupe la chambre 208, front de mer, couvre-lit à fleurs jaune pâle, pâle comme un ciel et un horizon de fin d’hiver. Le soir mes parents ignorent les promenades de bord de mer, ils se rendent au casino à quelques minutes de l’hôtel pour écouter les jeunes stars de la chanson italienne. Aujourd’hui, le luxe des tapis, l’espace des chambres, les miroirs des salles de bal, le faste rénové étourdissent, c’est

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le plein été, le festival de musique dort, l’hôtel Morandi ne m’accueillera qu’une nuit. Vacillement des lumières au bout du quai, stupeur de l’orage, clameur des vitres des hôtels, les garçons et les filles cessent de déambuler sur le lungomare, cherchent un abri provisoire ; depuis le jardin le parfum des citronniers infiltre les longs corridors, glisse jusqu’à la chambre, éclairs, embruns, l’insomnie est en marche, sans poudre aux joues ni mascara à mes côtés. Ma mère ne quitte presque jamais le cadre des photographies que je garde avec moi. Petit format carré, huit centimètres de large, noir et blanc qui tend vers un gris uniforme, elle porte sur chaque image une mini-robe, des bottes noires à talons hauts, une veste en laine blanche barrée à deux endroits par des motifs étranges, des losanges bariolés, un bonnet, de laine blanche également. Elle balade sa taille minuscule sur les quais de San Remo, de loin, de dos, accompagnée d’un gros chien noir inconnu, elle s’arrête, tourne la tête, lève les yeux vers l’objectif, pose à l’arrêt frigorifiée les mains dans les poches. Une seule photographie montre mon père, en équilibre sur les rochers de la baie, veste militaire informe, je crois déceler une moustache, est‑il en permission, il fixe lui aussi la 6

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caméra. Et d’autres images que je montrerai au directeur de l’hôtel Morandi, la façade inchangée, les jardins à l’arrière en friche à l’époque. La venue de mes parents suivait au mois près la prise de fonction de Paolo, nous nous étonnons de cette coïncidence, il regarde les images encore, évoque sa jeunesse, le temps présent du départ, il a soixantetreize ans, la difficile succession. 32 °C à neuf heures du matin malgré les orages de nuit, la via Aurelia n’avance pas, je peux prendre le temps d’admirer les maisons centenaires, anciens palais, anciens palaces, au bord de la route, à l’arrêt pour la plupart, en voie de délabrement aussi. Noter les noms, les enregistrer, fixer leur dernier éclat. La villa Marie e Joseph, l’hôtel Astoria, la villa delle Bouganville, la villa Helios, maison de cure encerclée par des parkings que le soleil écrase, un terrain de base-ball, un campement, les jardins Hanbury enfin. Je me promets de réserver plus tard quelques heures pour creuser l’histoire de ces lieux.

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Sébastien Berlendis

« un endroit où aller »

Lungomare Sébastien Berlendis

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ISBN 978-2-330-18662-3

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