NANTES PRIVILEGE 2011

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« JE VOULAIS ÊTRE INDÉPENDANT. L’ENVIE DE PARTIR, DE TRAVERSER LES MERS, D’AVANCER À UN AUTRE RYTHME ME TENTAIT. »

uand je le rencontre, nous sommes en mai, il ne reste plus qu’une semaine de vie à la Jeanne d’Arc. l’officier nantais schricke est ému. Depuis six mois il s’est investi corps et âme pour le prestigieux navire de la marine nationale, au point d’y perdre un peu de lui-même. Grand et bel homme de 40 ans, il est devenu mince comme un fil et ses épaules carrées se sont affaissés sous le poids du travail et des nuits blanches. malgré sa fatigue, ses yeux bleus doux et rêveurs, restent pétillants. le feu sacré n’a pas vacillé. sa vivacité intellectuelle non plus. Cette semaine, c’est le Cadet training, l’entraînement final des 104 officiers-élèves venus clôturer leur formation à bord du porte-hélicoptères. l’exercice : simuler des attaques et des combats en conditions réelles. nous sommes donc au cœur d’une bataille navale géante en pleine mer du nord avec des navires allemands, belges, portugais et un sous-marin. l’organisateur de ce jeu grandeur nature, c’est le capitaine de frégate schricke. Durant cette campagne autour du monde, il a aussi coordonné les entraînements qui rythment chaque jour la vie des 600 marins du navire. son rôle officiel : commandant adjoint des opérations. sa mission : se porter garant d’un équipage performant auprès du commandant et faire monter en niveau les officiers-élèves. Autrement dit, un travail de titan. Assis dans son bureau au troisième niveau du bâtiment flottant, soufflant un peu entre deux exercices, le capitaine de frégate schricke entreprend de me raconter son parcours. un arrêt sur lui-même, enfin, lui qui ne cesse d’aller de l’avant pour les autres. sébastien schricke est né en 1970, à nantes. étrange hasard, il est arrivé sur terre un 27 mai, jour du retour à quai définitif de la Jeanne à Brest en 2010. son père était professeur d’anglais à l’école navale de Brest, son frère aîné, lui, s’était engagé dans la marine. majeur, sébastien schricke a dû choisir sa voie, vite. « Je voulais être indépendant. l’envie de partir, de traverser les mers, d’avancer à un autre rythme me tentait. » la liberté absolue n’a pas de cadre, il le sait. mais il faut un sacré courage pour naviguer sans filet. « Je rêvais d’être libre mais être dans la marine était rassurant, c’était une voie toute tracée. » il choisit donc une liberté encadrée et, après deux années de prépa, intègre l’école navale de Brest. Comme tous les officiers-élèves, il part ensuite six mois sur le porte-hélicoptères la Jeanne d’Arc et fait son premier tour du monde avec escales à Dakar, en Amérique du sud, sur l’ile de Pâques, à tahiti…

sa formation navale terminée, il part en mer quasiment non-stop. Dans un sous-marin d’attaque nucléaire puis dans une corvette Aviso et des frégates. il mène des missions en mer Adriatique (dans le cadre des conflits en ex-Yougoslavie), en méditerranée, dans le Golfe persique. l’officier schricke n’a pas la passion des armes, explique-t-il, loin de là. mais il met un point d’honneur à être le plus professionnel possible. Ce n’est qu’en escales qu’il laisse son esprit rêveur remonter à la surface. « Quand je travaille, je suis à fond. mais en escales, là, je laisse vagabonder mon regard », confie-t-il. la mer qui lui permet le plus d’équilibrer son activité et sa sensibilité, c’est la méditerranée. « Dans chaque pays qui la borde, on retrouve la même couleur de ciel et des odeurs de nourriture identiques. on y ressent le berceau de l’humanité. » la fin des années 90 est marquée par son premier divorce. sa femme ne supporte plus ses longues absences en mer. il accuse le choc, repart en tant que commandant d’un chasseur de mines dans le Golfe persique. l’expérience est salutaire. « C’était de superbes années. Je suis fait pour des équipages modestes car j’aime connaître tout le monde. » il rencontre alors sa seconde femme. Conscient de la contradiction entre son envie de romantisme et son métier « d’égoïste », il décide de rester à terre pour donner toutes ses chances à ce nouveau mariage. il intègre donc l’état major de la marine à Paris. « J’étais capitaine de frégate à terre ! », s’amuse-t-il. mais à terre, il n’est pas heureux. son mariage périclite. Fin des années 2000, c’est le deuxième divorce. Plus rien ne le retenant à quai, il demande à embarquer sur la Jeanne pour sa dernière campagne. « J’étais tellement heureux de retrouver la mer. un marin qui ne navigue plus dépérit. » les six mois de mission à bord du porte-hélicoptères, il les a vécus comme une renaissance. « la marine nationale m’apporte le plaisir de travailler pour un équipage. Je n’ai pas d’ambition de commandement, je veux juste fédérer autour de moi. C’est comme ça que je vis ma carrière. » l’avenir, il dit ne pas trop y songer. il confie néanmoins : « si j’avais eu le courage d’aller au bout de mon rêve de liberté, j’aurais été navigateur sur un petit voilier ou j’aurais aidé un archéologue à déblayer des vestiges dans le désert. » un voyageur qui explore l’humanité en quête de sa voie, voilà donc l’officier schricke. Je l’ai rencontré à nouveau le mois dernier, sur l’île Beaulieu, qu’il trouve de plus en plus « marine » depuis ses aménagements. Après le démantèlement de la Jeanne, il a été affecté à l’état major de toulon. il y est responsable en ressources humaines… À nouveau à terre mais heureux de voir souvent ses deux enfants. il me l’assure : « la vie est une question d’équilibre. »

Nantes Privilège 2011 I 87


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