NANTES PRIVILEGE 2011

Page 13

Il y a 25 ans, la prise d’otages du palais de justice

De la réalité à la légende Par son audace et sa médiatisation, elle reste l’une des prises d’otages les plus fameuses de ces dernières décennies. En 1985, l’affaire Courtois a donné lieu à un incroyable suspens vécu en direct par les journalistes et les caméras de télévision. Personne à Nantes n’a oublié ces images incroyables. Moustache noire, visage émacié, cigare à la bouche, brandissant son magnum 357, Georges Courtois dénonce la mascarade judiciaire devant les magistrats et le public de la cour d’assises devenus ses otages. Le tout sous l’œil des caméras de France 3 dont il a exigé la présence ! Nous sommes le 19 décembre 1985. Courtois, Thiollet et deux femmes considérées comme leurs complices sont jugés pour avoir braqué la banque de Sucé-sur-Erdre, sans violence ni résultat. Les deux principaux inculpés ne sont pas des inconnus : figure du milieu nantais, Georges Courtois, 38 ans, a déjà passé près de vingt ans derrière les barreaux pour des braquages et des affaires de proxénétisme. Il a mis son incarcération à profit pour étudier les lettres et le droit. Thiollet a passé une bonne partie de ses jeunes années en prison. À 10h30 tout bascule. Abdelkarim Khalki franchit les portes de l’enceinte judiciaire. Ce Marocain installé en France, déjà condamné pour vols à main armée, a fait la connaissance de Courtois en prison. Brandissant une grenade et un revolver, il pénètre dans la salle d’assises, tire deux coups de feu, tend des armes à ses complices. La prise d’otages du palais de justice vient de commencer. Elle durera 36 heures.

« Vous savez ce que ça fait une balle de 357 dans la tête ? »

Courtois fait sortir les gardiens de la paix et ses amies co-accusées ; il libère une partie du public, gardant une trentaine de personnes : les juges, les jurés, la greffière, ainsi que des étudiants en droit et les journalistes présents. Il obtient la présence dans la salle d’une équipe de FR3-Nantes qui retransmettra les images. Les téléspectateurs médusés l’entendront disserter sur le théâtre judiciaire et la condition carcérale sans cesser de menacer ses otages : « Vous savez ce que ça fait une balle de 357 dans la tête ? » C’est entendu, l’affaire sera politique, d’autant que Khalki se réclame pour sa part de la cause palestinienne. Courtois demande un car pour s’enfuir. Le pourtour du palais de justice est bouclé. Les policiers du GIPN de Rennes sont rejoints par les tireurs d’élite et les hommes du RAID nouvellement créé, avec à sa tête le tandem formé par le commissaire Mancini et le préfet Broussard. Les négociations peuvent s’engager.

Courtois rebrousse chemin avant de revenir, précédé cette fois de Khalki et Thiollet qui tirent pour protéger sa fuite. Le commando s’engouffre dans le véhicule qui démarre en trombe, suivi par une escouade de voitures de police. Le convoi traverse le centre-ville, jusqu’à la gare où Courtois extrait d’un casier des consignes un sac lesté d’un pistolet mitrailleur. Puis l’Espace prend la direction de l’aéroport de Château-Bougon. Le véhicule s’immobilise devant les grilles d’accès à l’aérogare. Broussard se dirige vers Courtois. Un dernier marchandage s’amorce. Contre l’ouverture des grilles, le préfet obtient la libération de deux nouveaux otages. Enfin l’Espace se dirige jusqu’en bout de piste où il est encerclé par les véhicules de police. L’aventure est finie. Courtois a perdu. La légende peut naître.

Broussard vs Courtois

Le premier flic de France contre le bandit devenu le plus célèbre de l’Hexagone. Les deux hommes vont dialoguer pendant des heures dans un climat de tension extrême. Broussard joue la montre. Les malfrats ont les nerfs à vif. À 4h30 du matin, les accusés enchaînés à leurs otages tentent une sortie. Broussard fait couper le courant. Le groupe doit regagner la salle d’audiences. Des médiateurs sont convoqués : l’épouse de Courtois, le consul du Maroc et même une religieuse qui a connu Khalki lors de ses séjours en prison. Au cours de la matinée, Courtois va accepter de libérer peu à peu les otages, n’en gardant que quatre, les magistrats de la cour d’assises. Pour les policiers, il est temps d’agir. À 15h, Courtois est prévenu qu’un Espace Renault l’attend à la sortie. Il apparaît une première fois sur le perron, enchaîné au président Bailhache, une grenade dégoupillée dans une main et dans l’autre son 357 Magnum. La cigarette aux lèvres, il tire au hasard, atteignant la caméra d’un journaliste britannique. Les images feront le tour du monde.

Une histoire agitée

Construit dans le centre-ville, à deux pas de la maison d’arrêt, le palais de justice a été le témoin muet de bien des événements. Si les transferts de prisonniers ont souvent occasionné des troubles, c’est au début du XXe siècle que la place Aristide-Briand (alors place Lafayette) connaîtra ses rassemblements les plus houleux. Après la dissolution des ordres religieux en 1903, le procès des Pères Prémontrés donnera lieu à d’immenses manifestations où s’affrontent catholiques et laïcs nantais.

Les statues du palais de justice contempleront également la dernière exécution publique de Nantes : le 12 juillet 1920, la tête d’Henri Laval tombe sous la lame de la guillotine du bourreau Anatole Deibler. Connu dans le milieu sous le nom de « Bébert », le malfrat a été reconnu coupable du meurtre d’un agent de police lors du braquage d’une bijouterie. Sans quitter vraiment le registre dramatique, mais pour le plaisir cette fois, la salle des pas perdus du palais de justice a servi récemment de cadre aux dernières scènes du film d’Abdellatif Kechiche, Vénus noire.

Nantes Privilège 2011 I 11


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.