Fdt Juin 2011

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On a testé pour vous

Le niqab

Impossible donc de trouver une tenue dans les commerces traditionnels qui ne soit pas en tissu synthétique ou trop grande. Je me décide alors à faire faire une tenue sur mesure. Ma couturière retoucheuse est très surprise de ma demande, elle a plus l’habitude de voir passer des mini robes que des « jebbas ». Quoi qu’il en soit, elle prend les mesures et me fait faire une jebba noire avec le niqab qui va avec.

Le jour J

Le niqab fascine inquiète, alimente les plus grands débats. Pour ? Contre ? Tolérer, interdire ? Vertu totale ou soumission totalitaire ? Le niqab divise la classe politique et les Tunisiens. Nous avons donc décidé de tester ce bout de tissu qui fait couler tant d’encre et suscite autant d'émoi !

Le niqab c'est quoi ? Le niqab n’est pas un voile mais plutôt un masque qui couvre tout le visage sauf les yeux. Les femmes y ajoutent souvent des lunettes de soleil et/ou des gants. Le niqab est porté essentiellement au Moyen-Orient. Mais on retrouve également des femmes musulmanes vêtues de cette tenue en Asie du Sud-Est et en Afrique du Nord. Et depuis peu, en Tunisie…

Le choix de la tenue :

Ça a l’air simple comme cela, mais trouver une tenue adéquate à porter avec le niqab n'est pas facile, surtout lorsque tu fais du 34 et que tu as plus l’habitude de faire ton shopping chez Zara et Mango … 64

J’enfile ma tenue de « niqab woman » et je regarde la fenêtre avec beaucoup d’inquiétude. Nous sommes le 25 mai, il fait un temps splendide… mais le soleil a l’air de taper bien fort. Je jette un coup d’oeil au miroir pour voir si tout est au point. 1er constat : le niqab ne me va pas, je suis trop maigre pour la jebba et j’ai l’air d’un cintre / épouvantail dans cette tenue large et noire, mais je me dis que c’est peut-être ça le but, rompre avec toute tentative de séduction sur les hommes... C'est sûr, mon quotient de séduction est divisé par 1000 ! Le jour du test : par souci déontologique, j'essaie de reproduire le même parcours que j'avais fait pour le test de la mini-jupe (numéro de mars 2011). 11 h du matin avenue Habib Bourguiba, je constate avec bonheur que grâce à mon niqab, je suis à la fois protégée du soleil et de la pollution. Un bus passe à côté, aucune crainte à avoir, mon niqab ne laisse pas passer la poussière, il peut y avoir une nouvelle épidémie de grippe H1N1, je m’en fous, je suis protégée (enfin, je crois). En revanche, il fait drôlement chaud là-dedans, forcément, le noir absorbe les rayons du soleil et ça chauffe. D'ailleurs, je me suis toujours demandé si le noir est une coutume ou une obligation... Le sefsari tunisien est blanc lui, cela tombe sous le sens dans un pays nord-africain où nous avons 6 mois de soleil sur 12. Bref, la première chose qui me frappe est le regard que posent les gens sur moi, un peu comme une bête de foire. Tout le monde me dévisage (enfin, ce qu’on peut voir de mon visage), moi qui pensais fondre dans la masse avec cette tenue, je me rends compte qu’on me regarde autant si ce n’est plus qu’avec une mini jupe. Certes, les regards ne sont pas des regards

de séduction, rendant au niqab ce qui appartient au niqab, mais tout de même, j’en arrive à me sentir un peu gênée. Les Tunisiens n’ont pas encore pris l’habitude de cette tenue, le niqab donne cette sensation étrange de « super pouvoir», tu regardes les gens mais eux ne peuvent pas te voir, un peu comme la cape de l’homme invisible…

1H plus tard...

Je commence à fatiguer du soleil qui tape ! Je décide de me rafraîchir en prenant un coca... Je rêverais d’une cigarette avec mon coca-cola, mais ce serait incongru, l'image de la femme qui allume une cigarette sous son niqab aurait été une bombe lâchée sur Facebook. Je m’abstiens en constatant ainsi l’effet « positif » de ma tenue : le niqab est une arme antitabac ! Les labos pharmaceutiques n’ont qu’à bien se tenir, si tout le monde se met au niqab, on n'aura plus besoin de Nicopatch pour combattre cette invention « sioniste » et nocive qu’est le tabac du géant américain (dont on ne citera pas le nom pour des raisons légales évidentes). Je m’arrête donc à côté du théâtre et j’achète un soda pour me rafraîchir, lorsqu’ un jeune homme m’aborde. Look d’artiste, barbe de 3 jours, t-shirt blanc. Pas mal, en fait. La prétentieuse qui est en moi a cru à une tentative de drague imaginant que son pouvoir de séduction était tellement fort qu’il transperçait le niqab . Fausse alerte, le mec s'est lancé spontanément dans une tirade interminable sur le droit des femmes, la modernité, Bourguiba, bref, tout pour me dire indirectement que j'étais une femme soumise à des règles inventées par les hommes, grâce à une interprétation exiguë des textes religieux, afin de mettre les femmes à leurs pieds. Moi qui suis une féministe née, j'avais vraiment envie de lui foutre une claque ! Comment peutil se permettre de donner des leçons et d’être aussi condescendant envers une femme qu'il connaît à peine ? Quel que soit ce qu'on porte, il y a aura en fait toujours un con qui viendra manifester son degré d’accord ou de désaccord d'une manière inopinée et intempestive, à aucun moment il ne pensera que si cette fille porte le niqab et que l’autre porte une minijupe, c’est un choix personnel ni dicté par un mari jaloux ni par un père permissif, elle peut

l'avoir décidé en son âme et conscience ! C’est ce qu’on appelle la liberté individuelle ! Je préfère couper court au faux débat qu'il a essayé de lancer (je dis faux parce qu'il voulait juste donner son avis et non pas écouter le mien) et je décide de me rendre au Lac pour déjeuner. Mais le fait d’envisager de déjeuner avec mon niqab m’angoisse : comment faire pour avaler ton sandwich quand ta bouche est couverte ! Je laisse donc tomber l'idée du déjeuner et je me décide de mettre fin à l'expérience, j'ai trop chaud et je suis restée trop longtemps debout. De retour chez moi, j’enlève le niqab et je retrouve mon apparence « normale ». Finalement, l’expérience aura tout de même répondu en grande partie à mes questions. Humour à part, il n'est clairement pas facile d’adopter cette tenue en Tunisie pour des raisons pratiques mais aussi parce que la culture de la tolérance n'est pas encore parfaitement ancrée chez nous : le Tunisien n’aime pas la différence, elle l’inquiète. Dans cette intolérance ambiante, la femme reste au centre des conflits, sa tenue vestimentaire en première position. L’habit ne fait pas le moine et le voile ne fait pas la vertu. Au fond, je suis la même en niqab ou en mini-jupe, c'est le regard des gens qui change mais c’est tellement plus simple de coller des étiquettes, de diviser la société en 2 parties, d’une part les femmes voilées vertueuses, de l'autre côté les filles « légères » en minijupe, cela demande moins de réflexion qu'un vrai débat sociopolitique... Ici il fait trop chaud pour réfléchir, alors jugeons ! Accusons ! Vive la révolution et vive la liberté. Emna DARGHOUTH

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