Ci-dessus: L’œuvre Sea Grass qui est affichée dans l’entrée de 3.1 ART à Saissac, en France. Cette photo a été prise par Linda Wolf, notre artiste en résidence durant l’automne 2023. Cette œuvre semblait être la parfaite représentation du concept d’ “ ESPACE LIMINAL ”, concept qu’on retrouve symbolisé dans la manière dont l’eau rencontre la terre, et voilà toute l’alchimie de l’espace liminal.
Après avoir fait des études de photographie en France, LINDA WOLF a eu une carrière phénoménale en tant que photographe spécialisée dans le rock’n’roll. Son travail est superbement documenté dans un livre publié par Insight editions, intitulé Tribute, Cocker Power. Durant son séjour à 3.1 ART Saissac, Wolf a visité l’atelier de Gary Palmer, un artiste de Saissac/Venice Beach, c’est à ce moment-là qu’elle a pris la photo qui se trouve page vi. IG @mamalindawolf
On tentera dans cette première parution de 3.1 Liminal Space de décrire la transition incertaine entre l’endroit d’où l’on vient et celui vers lequel on se dirige, par le biais d’interviews et d’oeuvres d’arts qui nous viennent de deux coins différents du globe: Venice Beach, aux U.S.A (soit le berceau de ce magazine) et de Saissac, en France (le nouvel espace dédié au programme de résidence artistique de 3.1 ART ). 1
3.1 ART SAISSAC — Un programme de résidence artistique, qui a été créé dans une ville du littoral Californien, soutient à présent des esprits créatifs dans le sud de la France, et plus précisément, dans la Montagne Noire. 4
PROFIL DES RÉSIDENTS
ART
Bill Attaway — Céramiste, sculpteur et peintre Attaway dans son propre univers l’ “Attaverse” . Attaway nous éblouit avec l’étendue exhaustive de ses talents. On essaie de découvrir ce qui se cache derrière la créativité époustouflante du résident estival, 2023, de 3.1ART. 10
MB Boissonnault — Peintre
A près avoir séjournée à 3.1 ART, durant l’été 2022, MB se réinvente en milieu de carrière. Elle ralentit enfin et en profite pour contempler en quoi son déménagement en France était une idée judicieuse. 22
Présente ses idées sur l’Espace, la Couleur, les Lignes, et la Vie
Une discussion philosophique avec l’artiste à propos de sa démarche créative et des projets qu’il envisage lors de ce moment crucial de sa carrière. 70
MUSIQUE
Aoife Wolf — Musicienne
Avec ses Propres Mots
Elle nous dévoile les secrets de la chanson, unique en son genre, qu’elle a composée lors de son séjour à 3.1 Art : Beyond Saving. 18
Sunny War — Musicienne
War and Peace, Comment Sunny War Réconcilie ses Dualités
On examine la nature complexe du talent de War et on en apprend davantage sur ce qui motive ses créations musicales. 36
Mariana Bevacqua — Musicienne et Compositrice
La Muse de la Montagne Noire
Le cœur et l’âme derrière son Tango. 40
Richie Healy — Musicien
Le Barde Obscur de Kilkenny
Le poète des champs puise son inspiration dans les forces obscures et captivantes de la nature des campagnes irlandaises qui l’entourent. 54
Tony Mac — Animateur Radio et Musicien
Venice 99.1 F.M. — Une station de radio locale, qui a de l’influence bien au-delà de sa portée de 8 kilomètres. 86
TABLE DES MATIÈRES
LIVRES ET POÉSIES
Alexis Nolent — Auteur de bandes dessinées romanesques
Graphiquement parlant… Alexis Nolent est l’homme de la situation
Un aperçu de ce qu’il se trame dans l’esprit de cet auteur talentueux. 30
Chaya Silberstein — Poète
Les Spectres Qui Nous Suivent
La poète examine les histoires personnelles que l’on porte dans nos cœurs. 52
FILM
Gilles Thomat — Cinéaste
Le Geste
Un portrait cinématographique, intimiste, de trois artistes et de leurs démarches créatives. 46
ÉGALEMENT DANS CE NUMÉRO...
Juri Koll — Artiste et fondateur de VICA (Institut d’Art Contemporain de Venice)
Un sentiment d’appartenance — un article qui examine l’importance d’éprouver un sentiment d’appartenance afin de fonder une communauté. 64
Boise Thomas — Acteur / Auteur
Lettre d’Amour à Venice Beach — Ode mélancolique à Venice Beach, Californie. 82
LETTRE DE L’ ÉDITEUR
Taylor Barnes — Présente 3.1 Liminal Space vi
CANDIDATURE À LA R ÉSIDENCE ARTISTIQUE 3.1 Art * TROISIÈME DE COUVERTURE
Tous droits réservés Rien de ce qui apparaît dans ce numéro ne peut être reproduit sans l’autorisation du détenteur des droits d’auteur.
Pour plus d’informations ou pour soumettre un article:
E-mail 3.1liminal.space@gmail.com
Website: 31venice.com
PHOTO
LETTRE DE L’ÉDITEUR
Welcome et Bienvenue au premier numéro de
3.1 LIMINAL SPACE
3.1 LIMINAL SPACE représente plusieurs choses pour moi d’un point de vue philosophique que j’aimerais partager avec vous.
Je vais d’abord vous parler du chiffre “ 3.1 “. Beaucoup m’ont d’ores et déjà demandé ce que cela signifiait, réponse courte: c’est l’approximation de Pi. Ça correspond aussi à la longueur de la plage de Venice Beach en Californie; une plage que j’ai parcourue à de nombreuses reprises, au fil des années, afin de méditer sur les rebondissements de ma vie.
“LIMINAL SPACE”, soit espace liminal, est un terme qui symbolise plusieurs choses simultanément, chacune d’entres-elles ayant un rapport avec l’espace que l’on occupe en ce monde:
• L’espace que nous occupons quand nous ne sommes ni dans le passé, ni dans le futur
• L’espace créatif dans lequel on se perd, oubliant qui nous sommes et où l’on se trouve
• L’espace inventif qu’habitent les esprits créatifs
• L’espace temps dans lequel on se trouve à l’échelle mondiale et historique: pas tout à fait dans le passé, mais pas non plus pleinement réalisé dans le futur
CONTRIBUTEURS
Léah Briqué
EDITRICE, LMNL|SPC
Née à Londres, elle habite à présent à Montolieu, en France. Bilingue à part entière (Français et Anglais), grâce à ses merveilleux parents: Terri et Bernard. Cette parution n’aurait jamais pu voir le jour sans son intelligence et sa force.
Chance Foreman
Photographe basé en Californie, Foreman est également un poète, cinéaste primé, réalisateur, et aventurier intrépide. IG @chance_foreman
Ian McDonnell
Basé à Kilkenny en Irlande, Ian McDonnell prend pour sujets des musiciens et des événements musicaux. McDonnell a pris les photos en noir et blanc du musicien Richie Healy, figurant dans ce numéro. IG @mcgigmusic
Merci
À Tristan et Terri, du Bar Restaurant de la Montagne Noire, à Saissac. Ils se sont assurés que l’on soit bien ravitaillées en grand crèmes et en pâtisseries savoureuses pendant que l’on travaillait d’arrache-pied sur ce numéro.
IG @bar_lamontagnenoire
Chaya Silberstein
Poète, écrivaine, et éditrice professionnelle. Silberstein a fait des lectures de ses poésies sur la scène internationale. Elle propose parfois des “Cookies Poétiques“, sa façon charmante et goûteuse d’amener les gens à consommer de la poésie. IG @chayapoetry
Juri Koll
Artiste, réalisateur, conservateur, écrivain, et fondateur/directeur de l’Institut d’Art Contemporain de Venice (VICA). L’institut s’est engagé à préserver, protéger, et promouvoir le patrimoine artistique de la communauté de Venice Beach, en Californie. IG @veniceica
Boise Thomas
Acteur et écrivain, Thomas a écrit How’s Your Heart? A User’s Guide for Building a Better Humanity: Une collection captivante d’interrogations, de problèmes, et d’énigmes sous forme poétique. IG @boise.thomas
LETTRE DE L’ÉDITEUR
SUITE DE LA PAGE vi
3.1 LIMINAL SPACE représente des possibilités infinies, ainsi que l’espace où nous les poursuivons. Cette publication est la voix du programme de résidence artistique 3.1 ART qui a vu le jour en 2022, à Saissac, en France.
J’ai visité la Montagne Noire, qui se trouve dans le sud de la France, pour la première fois en 2018, lorsque j’ai été invitée à l’atelier du peintre Gary Palmer (lui aussi originaire de Venice Beach). C’est à ce moment là que je suis tombée sous le charme d’un village qui s’appelle Saissac. Depuis 2013, j’avais pour rêve de développer un programme de résidence artistique, je voyais ce rêve comme une extension de ma carrière d’artiste et d’enseignante. L’ancien restaurant La Fage, avec sa vue imprenable sur les Pyrénées et le Château médiéval de Saissac, est un lieu où une personne peut aisément tomber dans l’espace liminal et momentanément suspendre le temps. J’ai senti que ce serait l’endroit idéal pour la résidence artistique 3.1 ART.
Cela fait trois ans que le programme accueille des artistes, et à chaque fois qu’un ancien résident me passe le bonjour, ou qu’il me montre sur quoi il est en train de travailler, je constate que notre communauté voit sa portée s’élargir un tant soit peu.
3.1 LIMINAL SPACE s’efforce de documenter les idées, et les démarches créatives, de ces artistes. Nous ratissons large dans l’espoir de capturer l’inspiration du monde entier. Je vois chaque résident du programme comme étant un univers créatif à part entière: les artistes que nous acceuillons peuvent, potentiellement, entrer en collision les uns avec les autres et susciter encore plus d’idées. C’est mon rêve, et il est en train de devenir réalité.
—Taylor Barnes
Gary Palmer travaillant dans son atelier qui se trouve Rue d’Autan, à Saissac
IG @garypalmerart
Photo prise par la résidente 2023 de 3.1 ART, Linda Wolf
IG @mamalindawolf
Tous les événements organisés par 3.1 ART ont été agrémentés de planches de fromages exquises conçues par Sophie, la charmante propriétaire de l’épicerie des Tours à Saissac. Dans son magasin, vous trouverez toujours des œuvres d’arts culinaires telles que: des croissants pur beurre, des galettes, des crêpes, des cafés, le tout servi avec son beau sourire!
Aujourd’hui, sa boutique met aussi en avant une autre sorte d’art: sa collection d’œuvres produits par les résidents de 3.1 ART, ainsi que ceux de divers artistes de passage. Nous profitons de cette opportunité pour la remercier de son accueil chaleureux envers les artistes qui viennent à Saissac.
Photo en haut à gauche: (dessin de gauche) réalisé par William Attaway, résident de 3.1 Art IG @attawayfineart
Photo en bas à gauche: (tableau de gauche) réalisé par MB Boissonnault, résidente de 3.1 Art, IG @mbbartworks (tableau de droite) réalisé par Joshua Elias, résident de 3.1 Art, IG @joshuaelias57
Photo en haut à droite: portrait de Sophie Rice réalisé par l’artiste de passage, Elizabeth Decker, IG @elidecker
Photo en bas à droite: tableau réalisé par Taylor Barnes, IG @taylorbarnesart
Vous pouvez suivre l’Épicerie des Tours sur IG @epicerie_des_tours
Merci À l’Épicerie des Tours!
LIMINAL SPACE
LA TRANSITION INCERTAINE
ENTRE
L’ENDROIT D’OÙ L’ON
VIENT ET CELUI VERS LEQUEL ON SE DIRIGE….
LA MONTAGNE NOIRE, et le sud de la France, ont toujours été riches en termes de communautés créatives. Ces régions ont continuellement été des incubateurs pour les écrivains, les artistes, et les musiciens. Ces derniers temps, on a vu avec quelle rapidité on peut se retrouver pris par nos situations actuelles et, c’est pour cette raison, que de nombreux esprits créatifs ont choisi de migrer à la recherche de l’environnement idéal. Dans ce numéro, nous vous présentons 3.1 ART, qui se trouve à Saissac, en France; un lieu qui traverse l’ESPACE LIMINAL entre village médiéval d’autrefois et haut lieu de la création artistique future.
Les artistes qui travaillent pour d’autres artistes c’est avant tout: connaître, apprendre, désapprendre, initier des dialogues artistiques à long terme, établir des liens, créer des confréries, et se mettre temporairement à l’abri de la tempête.
Jerry Saltz
Critique d’art, New York Magazine
3.1 ART Saissac
3.1
ART a ouvert ses portes et a accueilli ses deux premiers résidents à l’été 2022. Les peintres MB Boissonnault et Joshua Elias ont bravé la poussière et le bruit qui accompagnaient les derniers jours de la rénovation de l’ancien restaurant La Fage, afin de pouvoir travailler dans notre atelier tout juste finalisé. Depuis, nous avons eu le privilège d’accueillir de nombreux artistes talentueux, venus de partout dans le monde. Ces artistes ont eu confiance en notre capacité à leur offrir un espace de créativité collective, et pour cela, nous les remercions. Seuls quelques-uns des anciens résidents figurent ici.
Dans ce numéro, nous avons tenté de donner une petite idée quant à l’éthos de la résidence. Que ce soit le concert sensationnel pour la fête nationale (avec le feu d’artifice au-dessus du château de Saissac), ou le repas de moules-frites traditionnel préparé dans notre résidence par notre voisin (et ami): Marc Paule; toutes ces expériences ont dépassé nos plus grandes espérances. Nous remercions tout particulièrement le village de Saissac et ses habitants qui, de par leur accueil chaleureux, nous ont vraiment permis de nous sentir chez nous.
De tous les événements auxquels nous avons eu l’occasion de participer, les plus mémorables étaient ceux qui étaient improvisés, sans organisation préalable. Ceux qui sont nés simplement grâce à l’alchimie d’avoir mis des esprits talentueux/créatifs dans un environnement propice, avec une touche de météo incroyable, de la nourriture délicieuse et voilà! À tous ceux qui nous ont rejoint dans cette aventure, ceux qui nous ont aidés grâce à leur savoir-faire en construction et en menuiserie, ceux qui ont joués pour nous, qui ont bravés le Covid pour être avec nous, ceux qui nous ont recommandés à leurs amis, qui ont écrit à notre sujet et qui ont cru en notre mission …. MERCI!
Saissac est un village médiéval situé dans la Montagne Noire, une région inaltérée du Sud de la France. Il s’agit là de l’emplacement, digne d’un décor de film, de la résidence artistique 3.1 ART. L’atmosphère conviviale de l’ancien restaurant semble perdurer, on le ressent surtout lorsqu’on organise des événements centrés autour d’art, mais aussi quand on accueille et que la conversation fuse; tout ceci accompagné d’une merveilleuse cuisine locale bien entendu. Pour tous ceux qui
3.1 ART Saissac
3.1 ART Saissac
restent perplexes face à la grande sculpture métallique en forme d’écrevisse sur la façade, c’est quelque chose qu’on a choisi de garder en hommage à l’histoire du restaurant et afin de célébrer le ferronnier qui l’a créée.
Le Covid a mis en évidence les limites de nos vies et, dès lors, la qualité de celle-ci est devenue d’importance primordiale. La Montagne Noire offre un mode de vie plus simple, qui valorise la nature, la communauté et la joie de vivre. Le Sud de la France a toujours attiré les artistes, notamment: Paul Gauguin, Pierre Bonnard, Vincent Van Gogh et Paul Cézanne; pour n’en citer que quelquesuns qui ont habité et peint dans la région. En cette période de changements, que ce soit climatiques, environnementaux, ou politiques, il semblerait qu’un nouveau mouvement ait émergé: celui de recapturer le romantisme d’une époque révolue.
La résidence artistique 3.1 ART correspond à un environnement intime et chaleureux qui met l’accent sur le partage d’idées, la conversation, et l’inspiration. L’atmosphère “salon“ s’inspire des célèbres salons créatifs d’une autre époque. Cependant, 3.1
ART reste un programme moderne qui intègre la technologie et la science comme éléments essentiels au développement de l’art au jour d’aujourd’hui.
Les programmes de résidences artistiques sont loin d’être un nouveau concept, mais il se pourrait bien que la nécessité pour de tels programmes soit en train d’accroître. L’idée d’un programme multidisciplinaire a vu le jour à Venice Beach, en Californie, une région qui a une histoire riche quant au développement des artistes américains de la côte ouest. C’est dans l’atmosphère antagoniste créée par la violence entre gangs, les drogues, les logements sociaux, et la détérioration d’un quartier que la California Light and Space Movement est née. Venice Beach a peut-être été considérée comme le rejeton de Los Angeles, mais son environnement de contreculture a été un incubateur pour plusieurs mouvements culturellement influents, dont la culture du surf et skate de Dogtown, notamment.
C’est dans cet environnement fertile que se sont installés certains des plus grands noms de l’art moderne américain: Richard Diebenkorn, Frank Gehry, Laddie Dill, Ed Ruscha, John Baldessari, Larry Bell, Peter Alexander, et bien impossible
3.1 ART Saissac
3.1 ART Saissac
de tous les nommer ici. Cependant, la hausse des prix de l’immobilier et la gentrification ont progressivement poussé les artistes de Venice Beach à migrer vers de nouveaux horizons méconnus. En un claquement de doigts, l’association magique et alchimique d’artistes, de musiciens, et d’écrivains, ainsi que le soleil et la mer, ont disparu. Les anciens résidents de Venice Beach ont emmené leur héritage aux quatre coins du globe: de Joshua Tree en Californie, en passant par l’État de New York, la Caroline du Sud, Lisbonne, Gibraltar, l’Espagne, l’Italie et pour finir… Saissac, en France. La résidence artistique 3.1 ART a une vision, peut-être idéaliste, que le programme permettrait aux artistes de rester connectés, en agissant comme un lien entre les anciens et les nouveaux résidents, ce qui contribuerait à élargir la communication créative jusqu’à se défaire des contraintes de langues et de tisser des liens entre de nombreuses cultures.
LÉGENDE PHOTOS
PAGE 4
Gauche: Yasmin Patel @_yasminpatel, résidente à 3.1 ART pour la session estivale de 2023. Après avoir fait sa résidence artistique, Patel s’est rendue à Londres où elle a suivi le cursus de conservation d’art à Sotheby’s Institute of Art. Droite: Des musiciens irlandais s’entraînant pour le concert d’ouverture de la saison 2024 à 3.1 ART.
PAGE 5
Gauche: Amy Jackson @zikova19, graphiste et styliste américaine, est passée à la résidence après avoir visité des studios de design textile en Italie. Dans cette photo elle travaille dans l’atelier de 3.1 ART.
Droite: La musicienne irlandaise Aoife Wolf @aoifewolf, qui est basée à Dublin, était en résidence pendant l’été 2023. Son concert, le jour de la fête nationale, comportait une chanson pour laquelle elle a utilisé notre piano terriblement mal accordé pour accompagner sa voix poignante. L’effet que cela a produit sur son morceau, intitulé Beyond Saving, était envoûtant. Vous en découvrirez plus sur Aoife dans ce numéro.
PAGE 6
Gauche: Des musiciens irlandais donnent le coup d’envoi pour la saison 2024, à 3.1 ART, grâce à leur concert endiablé et à leurs danses traditionnelles. (De gauche à droite): Irene Brewer-Joyce @ibrewerjoyce; 3.1 ART associé / Billy Keane @loc. liam.ocathain; Renate Helnwein @renatehelnwein; Camilla Schmitt, et Brian Bayard. Droite: François Legoubin, un artiste français, photographié en train de se détendre sur le “Canapé Vert“ de l’atelier dédié aux résidents de 3.1 ART. Legoubin était l’invité de 3.1 ART durant l’été 2022. C’est l’un des trois artistes qui apparaît dans le film Le Geste, de Gilles Thomat (dont il est question dans ce numéro). Legoubin était présent pour une session de questionsréponses après la projection du-dit film à 3.1 ART.
PAGE 7
Gauche: Le peintre américain, et l’un des premiers résidents de 3.1 ART, Joshua Elias @joshuaelias57, avec le sculpteur français, Hugo Bel @hugobel_ (qui apparaît dans le film documentaire Le Geste de Gilles Thomat). Joshua Elias est l’un des artistes interviewés dans ce numéro.
Droite: Linda Wolf @mamalindawolf, photographe célèbre dans le milieu du rock’n’roll, en train de profiter de la vue depuis l’atelier, tout en prenant son café du matin avec son mari, Eric.
PAGE 8
Gauche: Un repas traditionnel de Moules-frites préparé avec amour par notre voisin Marc Paule, et apprécié de tous à 3.1 ART. La mère de Marc Paule tenait la cuisine du restaurant La Fage il y a soixante-dix ans!
Droite: La peintre MB Boissonnault @mbboissonnault qui était notre première résidente artistique (2022). Suite à son séjour, elle a déménagé de Venice Beach, en Californie, pour venir à Saissac, en France. Découvrez-en plus sur MB dans ce numéro.
PAGE 9
Gauche: Peintre Mexicain, Dennis Miranda Zamorano @dennis_mirandaa, résident artistique d’automne 2023 à 3.1 ART. Après son séjour, il a décroché sa première exposition solo dans la Galerie Marguo, à Paris @galeriemarguo
Droite: Brian Bayard, musicien irlandais accompli, assis avec Storm: aficionado de musique.
3.1 ART Saissac
ATTAWAY…
DANS SON PROPRE UNIVERS “L’ATTAVERSE”
Bill Attaway a passé son enfance entre New York, la Californie, et la Barbade. Et à la manière des patates douces épicées des caraïbes, son enfance n’a
été
qu’enrichie par des influences culturelles variées.
Sa diversité de style et son débit de production artistique phénoménale l’ont amené à inventer l’expression “Attaverse“ afin de décrire son univers, et on peut dire qu’il a véritablement développé un univers créatif qui lui est absolument unique. Avec une confiance sans parallèle, la vision d’Attaway est toujours 100% originale, et ce quel que soit le médium ou le style qu’il utilise. Pour ce qui est de la création, c’est une force de la nature: il a été un mentor, un enseignant et une source d’inspiration pour les nombreux jeunes artistes qui ont eu la chance d’être pris sous son aile.
Attaway avait seize ans lorsqu’il a ouvert son premier atelier de céramique à Venice Beach, en Californie. Celui-ci a connu un grand succès pendant trente-huit ans, jusqu’à ce que le bâtiment soit démoli par des promoteurs immobiliers pour faire place à des bureaux. Il est l’un des nombreux artistes à avoir été délogés par la gentrification. Cependant, ce n’est pas chose qui allait arrêter Bill Attaway. Avec une liste de clients tels que les urbanistes de Los Angeles, des politiciens, des entreprises, des groupes de jeunesse et des groupes communautaires, il avait une réputation solide, surtout pour la création d’installations d’art public. Son engagement à rétablir un cursus artistique dans les écoles publiques de Los Angeles a contribué à sa réputation d’artiste socialement conscient.
Bill Attaway était l’artiste en résidence à 3.1 ART Saissac durant la session estivale 2023. Il a effectué sa résidence à un moment où il avait besoin de prendre du recul par rapport à la vie urbaine et aux difficultés qui en découlent, il avait besoin de se réorienter et de renouer avec sa créativité.
L’espace de travail de Bill Attaway dans l’atelier de la résidence 3.1ART, où la créativité fuse.
BILL ATTAWAY
Il déclare: “Vivre dans un hébergement cinq étoiles est une révélation pour le système nerveux d’un artiste qui, dans l’objectif de créer, a adopté le point de vue ‘l’art c’est la souffrance’.” Attaway poursuit en disant: “Cela m’a donné le temps de réfléchir, de mettre le passé derrière moi, de voir où j’en étais dans ma vie et dans ma carrière.”
À Saissac, ce petit village du sud de la France, il a trouvé un mode de vie qui lui parlait; de longs déjeuners, des siestes, et de la bonne conversation, soit l’art de vivre
“Vivre dans un hébergement cinq étoiles est une révélation pour le système nerveux d’un artiste qui, dans l’objectif de créer, a adopté le point de vue ‘l’art c’est la souffrance’.”
typiquement français. Le village abrite une communauté artistique florissante, pour Attaway c’était une expérience inspirante. Il déclare: “Il est vital de côtoyer d’autres personnes, de se confronter à l’humain, afin de se livrer cœur et âme à autrui et pouvoir mettre son égo de côté.”
Attaway a fêté ses soixante ans cette année, un anniversaire marquant, l’occasion idéale de prendre de ses nouvelles et de voir ce que l’avenir lui réserve. Ceci étant dit, il est loin d’avoir terminé, sa tête encore remplie d’objectifs à poursuivre. Il nous a confié qu’il se sentait “frais et encore d’attaque“. Le dévouement ardent qu’il consacre à l’exploration et à l’expérimentation dans son travail lui a permis de cumuler des sources d’inspirations nombreuses et variées. Son père, William Attaway, auteurcompositeur et romancier, était une force directrice dans son développement créatif, mais il nous confie que c’était sa mère, l’artiste Frances Attaway, qui l’a inspiré tout au long de sa carrière. Il considère ses deux parents comme ses plus grands soutiens dans ses poursuites créatives. Les artistes qui l’ont influencé incluent Gaudí et Hundertwasser qui ont incorporé la céramique à l’architecture. Leur travail a éclairé la pratique d’Attaway et l’a aidé à formuler une méthode lui permettant de traduire ses poteries céramiques en sculpture.
PAGE 10: Une Orisha d’une nouvelle ère, une sculpture de Bill Attaway.
DROITE: Bill Attaway lors de son vernissage à 3.1 ART, faisant une démonstration de certaines techniques qu’il utilise dans sa pratique créative.
Quelle est sa philosophie créative après six décennies dans le milieu artistique? Attaway admet: “Je repense souvent à l’insouciance dont je faisais preuve quand j’acceptais de faire des projets auxquels je ne m’étais jamais essayé auparavant. Mais je pense que c’est ce qui a fait de moi un artiste chevronné: me jeter sans crainte dans l’inconnu.” Est-ce là son super pouvoir? Le portfolio d’Attaway frise un niveau de production artistique surhumain. En 1993, il réalise sa première installation publique à Pomona, en Californie, pour laquelle il a développé trois colonnes impressionnantes sur le thème du Passé, Présent et Futur. Attaway a également créé une série de tableaux, d’une taille phénoménale de 4.5 mètres, pour la conférence mondiale des Nations Unies sur la durabilité, il l’a intitulé Recycle, Restore . D’autres accomplissements notables incluent: son travail sur le décor de la 35ème édition des NAACP Image
PHOTO
BILL ATTAWAY
BILL ATTAWAY
BILL ATTAWAY
Awards, ou le design de la pochette intérieure de l’album River , de Herbie Hancock, qui a été lauréat d’un Grammy Award. Lorsqu’il repense à sa carrière très diversifiée, Attaway en dit: “Maintenant j’ai le désir, et le besoin, de tout rassembler.”
Cependant, cet homme ne se limite pas qu’à ses accomplissements, sa communauté lui tient à cœur et il souhaite redonner à celle-ci. Il a toujours voulu aider les jeunes à risque de Los Angeles, il a créé pour eux un programme de formation professionnelle par le biais de Venice Clay Works. Selon Attaway: ”Les étudiants qui participaient au programme avaient grandis dans un ‘système d’oppression’.” Ils ont trouvé leur place dans des programmes communautaires bénéfiques tels que: VCH (Venice Community Housing), Lennox School, ou la Sankofa foundation. Dans le cadre de ces programmes, Attaway a enseigné aux étudiants les compétences requises pour la
“Il est vital de côtoyer d’autres personnes, de se confronter à l’humain, afin de se livrer cœur et âme à autrui et pouvoir mettre son égo de côté.”
céramique et la mosaïque. Ceci a abouti à des installations publiques de mosaïques et de peintures murales colorées et magnifiquement conçues que vous pouvez retrouver dans de nombreux espaces publics de Venice Beach. Attaway a laissé sa marque sur la ville, notamment grâce à l’une de ses œuvres les plus connues, un totem intitulé A Dream Come True . Cette sculpture en céramique de 6 mètres, qui est inspirée du parcours de Los Angeles pour trouver sa propre identité, occupe une place d’honneur sur la promenade de Venice Beach, où elle peut-être vue par les milliers de touristes qui visitent Los Angeles tous les ans.
Attaway a le sentiment que sa route vers la création artistique était toute tracée, orchestrée par le destin. Et pour cause, lorsqu’il avait seize ans, les ordinateurs étaient utilisés pour la toute première fois dans l’administration scolaire de Los Angeles afin d’attribuer les emplois du temps aux élèves de l’ensemble du système scolaire de la ville. Cette année-là, Attaway s’est retrouvé avec l’emploi du temps suivant: 1. ART, 2. ART, 3. ART, 4. ART, 5. ART, 6. ART! Une journée complète où il n’avait que des cours d’art. Il a proclamé à ses camarades de classe: “Ceci est un acte de Dieu!“ Attaway a peut-être raison sur ce point, au vu du fait que le bug informatique qui lui a assigné que des cours d’art lui a également ouvert les yeux à l’idée qu’il pouvait, et même qu’il se devait de, devenir artiste. Depuis cette année fatidique, il a continué de laisser sa marque dans les rues, et sur les communautés, non seulement de Venice Beach et de Los Angeles, mais aussi de la NouvelleOrléans, La Barbade, New York, Chicago… et maintenant, Saissac.
PAGE 14: Une sculpture qu’Attaway a faite à partir d’objets trouvés sur le terrain de 3.1 ART.
IG @attawayfineart
AOIFE WOLF
Avec s es propres mots
Sa voix emplit la pièce d’un calme feutré.
“Envoûtant” est un mot qu’on peut utiliser pour décrire la musique d’Aoife Wolf: elle vous enveloppe dans un voile de sons sortis d’un autre monde, des sons qui traversent plusieurs octaves ou déferlent dans un hurlement exotique et inattendu. Wolf vous tient dans une anticipation hypnotique, dans l’attente d’être plongé dans cette expérience étrange et magnifique encore et encore.
C’est le pouvoir tranquille et transformateur de sa musique.
Le
piano malaccordé dont Aoife s’est servie pour sa chanson Beyond Saving
AOIFE WOLF
C’etait l’été 2023, Wolf vivait à Belfast, elle venait tout juste de terminer une tournée en Allemagne, et elle voulait s’éloigner de l’agitation de la ville pour travailler sur ses compositions personnelles dans un environnement calme, mais ne savait pas où aller. 3.1 ART avait besoin d’un musicien pour sa célébration annuelle du 14 juillet et a décidé de contacter Aoife Wolf, la sérendipité a fait le reste. Le concert était un succès et, on peut dire avec certitude, qu’Aoife a estimé que sa résidence l’a également été. Dans la conversation qui suit, nous interrogeons Aoife sur son séjour à Saissac et sur les transformations personnelles qui ont pu s’y produire.
Deux jours avant le concert du 14 juillet, Aoife a composé un morceau en utilisant le piano désaccordé de la résidence. Elle l’a intitulé Beyond Saving , un clin d’œil au piano cassé à partir duquel elle a enregistré son accompagnement de notes mystérieuses. Il semblerait que ceci ait ouvert la porte à une exploration musicale plus poussée. La résidence a donné à Wolf le temps de lire, de réfléchir, et de faire une introspection.
“Ma tête est quasiment tout le temps en surmenage sauf quand j’écris, dans ces moments-là, tout ralentit. Quand c’est une bonne chanson, c’est comme faire un blackout, une heure passe et, entre-temps, une chanson est apparue .”
Les choses ont changées après qu’elle ait écrit le nouveau morceau au piano, elle nous confie: “J’avais un concert le jour de mon retour en Irlande, et je me suis dis (en pensant à sa composition Beyond Saving ), ‘Est-ce que je le tente? Je vais le tenter!’ C’est passé crème quand je l’ai joué ce soir-là, un vrai boost pour ma confiance. Tout cela m’a fait voir le son d’une autre manière.”
“Je suis fortement influencée par le rock. Je suis une grande fan de Nirvana, des Pixies, de Sonic Youth. Je trouve ce genre de sons très attrayant. Quand je joue ma musique avec ce genre de plages sonores, j’ai l’impression que mes chansons sont fades, parce que je ne sais pas comment les arranger de manière dynamique.” Aoife ajoute: “J’ai senti, après mon passage en France, que j’avais une nouvelle idée de ce que je voulais faire. Jusque-là je jouais avec un groupe composé d’une basse, d’une batterie, et de guitares.”
À son retour en Irlande, Wolf a décidé qu’elle ne voulait plus jouer dans un groupe. Au lieu de cela, elle a choisi de jouer avec un violoncelliste et, peutêtre, deux chanteurs; ce qui semble mieux lui correspondre. Elle a dit à propos des concerts qu’elle a donnés après avoir réorganisé ses arrangements, que c’étaient les meilleurs qu’elle ait jamais fait.
Cependant, Wolf ne peut pas aisément définir la démarche qu’elle utilise pour écrire ses chansons. Elle nous dit: “Avant, je pensais que mes chansons étaient issues d’un trop émotionnel, mais je n’en suis plus si sûre. Je pense que ça dépend, si la chanson est bonne, alors l’écriture se fait très rapidement. On dirait que tous les couplets, le refrain, les paroles, tout s’assemble parfaitement
AOIFE WOLF
en même temps. J’écris la plupart de mes chansons en une seule fois, mais c’est parce que je donne en permanence matière à mon subconscient. Ma tête est quasiment tout le temps en surmenage sauf quand j’écris, dans ces moments-là, tout ralentit. Quand c’est une bonne chanson, c’est comme faire un blackout, une heure passe et, entre-temps, une chanson est apparue.”
Aoife Wolf a grandi dans la campagne irlandaise du comté d’Offlay, ce qui a contribué à la richesse du monde intérieur qui semble inspirer sa musique. Lorsqu’on lui a demandé si elle avait des influences musicales dans sa famille, Wolf a répondu: “Eh bien, il n’y a pas vraiment de musiciens dans ma famille. Mon père chantait… Mon frère aussi, mais je ne pense pas que ma famille ait eu une grande influence sur mon parcours musical. En tant que musicienne, je me sens effarée, même au jour d’aujourd’hui, c’est pour cette raison que je suis fascinée par toutes ces femmes dans le milieu de la musique. Je lis toujours des autobiographies de musiciens rock, comme celle de Patti Smith, Just Kids, ce livre était l’une des raisons pour laquelle j’ai commencé à jouer de la musique.
J’imagine que, quand on lit un livre, on entre vraiment dans l’univers de celui-ci.“
“Je lis toujours des autobiographies de musiciens rock, comme celle de Patti Smith, Just Kids . …Il y a un passage dans lequel elle dit qu’elle a commencé à se qualifier de poète, même si elle travaillait dans un restaurant… j’ai commencé à faire pareil après avoir lu ça. J’ai
commencé à dire: ‘Je suis musicienne.‘ et on dirait que ça a fonctionné.“
“J’ai lu Just Kids quand j’avais vingt-quatre ou vingtcinq ans, c’est l’âge qu’elle avait dans le livre, elle n’avait pas encore commencé à jouer, et moi qui pensais que j’étais trop vieille pour me lancer. J’ai retiré tellement de choses de ce livre. Il y a un passage dans lequel elle dit qu’elle a commencé à se qualifier de poète, même si elle travaillait dans un restaurant, si quelqu’un lui demandait ce qu’elle faisait, elle répondait: ‘Je suis poète.’ J’ai commencé à faire pareil après avoir lu ça, j’ai commencé à dire: ‘Je suis musicienne’, et on dirait que ça a fonctionné. À l’époque, j’ai fait circuler ce livre dans mon groupe d’amis, on était tous obsédés.”
Qu’est-ce que le futur réserve à Aoife Wolf? Est-ce que le fait de manifester l’a propulsée dans la vie de musicienne dont elle a toujours rêvé? Tout semble l’indiquer. Après quelques années à Belfast, elle est de retour à Dublin où elle se concentre sur la préparation de son prochain album. “L’une des décisions que j’ai prises pendant ma résidence a été de restreindre l’ensemble, je voulais qu’il ne reste que la guitare, le chant, et le violoncelle. …C’était la base de mon projet.” Avec un nouveau son, un album en préparation, et sa concentration revigorée, on peut s’attendre à de nombreuses surprises de la part de la toujours originale Aoife Wolf.
Vous pouvez la suivre sur IG @aoifewolf
MB BOISSONNAULT
Des images de bombardiers furtifs se retrouvent à côté de toiles représentant des vagues
luxuriantes, des couchers de soleils abstraits
et resplendissants, ou des paysages de villes lointaines qui existaient autrefois. Ces images disparates sont réalisées par le pinceau très accompli de MB Boissonnault.
Pendant 23 ans, MB Boissonnault a été active et engagée dans sa communauté de Venice Beach, en Californie. C’était donc une énorme surprise pour ses voisins et amis lorsqu’elle et son mari ont décidé d’entreprendre un déménagement vers un petit village dans un coin isolé du sud de la France. Elle a, par la même occasion, relocalisé sa pratique artistique, ce qui soulève de nombreuses questions….
“Pourquoi une artiste urbaine irait-elle à la campagne à ce stade de sa carrière?”
“Est-ce que Boissonnault a abandonné son militantisme pour une vie plus tranquille et isolée?”
“Qu’est-ce qui a inspiré ce changement radical mi-carrière?”
MB Boissonnault
Le fait de quitter les États-Unis était une idée qui trottait dans la tête de Boissonnault et de Calford bien avant qu’ils plient bagages et quittent Venice Beach, pour s’installer à Saissac. Pour Boissonnault, l’élément déclencheur était en 2020, lorsqu’il y a eu le confinement dû au Covid, à Los Angeles.
Boissonnault déclare : Le Covid a tout changé: pour la première fois dans ma carrière d’artiste, je n’avais plus de studio…. Je ne pouvais absolument pas le garder ouvert étant donné les circonstances.”
Après le Covid, elle et Calford ont été harcelés par leurs propriétaires qui avaient dans l’espoir qu’ils déménageraient, mais ils n’avaient nulle part où aller au vu des loyers exorbitants. Le bruit, les embouteillages, et les sans-abris sont les caractéristiques dominantes du Venice Beach actuel; un endroit que Boissonnault porte dans son cœur depuis vingt-cinq ans. En ces temps de gentrification effrénée, Boissonnault se pose la même question que de nombreux autres artistes à Venice Beach: “Où est-ce qu’on est censé aller quand on a jamais prévu de partir?” À ses yeux: “l’avantage d’ être artiste c’est que, tout comme un escargot, vous pouvez porter votre maison sur votre dos si nécessaire”. Il y a une dizaine d’années, la communauté artistique de Venice Beach, une force dynamique et inventive, comptait une centaine d’ateliers professionnels. Depuis, ils ont vu leur nombre chuter, on en trouve aujourd’hui moins de vingt-cinq. Beaucoup de ces artistes se sont dispersés aux quatre coins du globe: à Joshua Tree, dans le désert Californien, en Afrique du Sud, en Australie, au Portugal, en Espagne, en France, en Italie, au Royaume-Uni et en Irlande, pour ne citer que quelques endroits où l’héritage de Venice s’est implanté. MB Boissonnault fait partie de la diaspora créative qui se produit actuellement aux États-Unis, les artistes sont à la recherche d’espaces de travail abordables et d’un coût de vie plus juste.
Boissonnault repense à son expérience: “C’était impossible de garder un logement à Los Angeles, ça devenait de plus en plus cher. Pendant le Covid, les propriétaires n’accordaient aucune réduction de loyer aux artistes pour leurs ateliers. Dans une communauté artistique, orientée vers une classe créative, il paraîtrait logique, au vu de la situation, qu’ils se disent: ‘oh, vous pouvez pas ouvrir votre studio, vous ne pouvez pas vendre d’œuvres, vous ne pouvez pas faire de vernissages, vous ne pouvez pas recevoir de clients? On va vous aider.’ Au lieu de cela, les artistes se sont retrouvés dans cet entre-deux où les propriétaires ne les considéraient pas comme des entreprises légitimes.”
MB Boissonnault n’a jamais eu peur de se battre pour ce en quoi elle croît, et une grande partie de son travail est inspiré par sa douleur et son indignation vis-à-vis du sort des moins fortunés, du climat, de l’hypocrisie de nos gouvernements, et aux divers insultes faites à la dignité humaine. Lorsqu’ils ont été harcelés, il était évident pour Boissonnault et Calford que leurs propriétaires n’étaient pas investis dans la culture de Venice Beach, leur intérêt était seulement pour le terrain qu’ils avaient acheté. Face à cela, MB et son mari ont décidé de riposter. D’avoir à se battre pour leur toit a mis les choses en perspective, leur nouvelle priorité était d’obtenir un local permanent, où que celui-ci se trouve.
Boissonnault commente: “…nous avons eu la chance d’avoir effectué ce changement à un moment où je pense que c’était quitte ou double”.
En 2022, alors que le monde s’est à nouveau ouvert aux voyages à l’étranger, MB Boissonnault est venue à Saissac, elle en dit: “J’ai adoré pouvoir venir ici pour faire une résidence artistique à 3.1 ART (c’était la première résidente). 3.1 ART m’a fourni l’espace et l’opportunité dont j’avais besoin afin de voir les choses sous un nouvel angle. Il était temps de penser à ma carrière et à mon futur. Où est-ce que j’allais passer la prochaine partie de ma vie? Ça n’allait certainement pas être L.A. Le fait de venir ici m’a permis de renouer avec des bases plus simples, plus calmes. Avoir l’occasion de voir du vert, des oiseaux, de la lumière, comme on ne les voit pas à Los Angeles.” Boissonnault poursuit en faisant allusion aux dix ans de sécheresse en Californie: “… et d’entendre l’eau! L’endroit en son intégralité est une pièce d’eau!”
Un autre attrait, tout aussi fort, envers le sud de la France était ses habitants et leur soutien enthousiaste pour les arts. Boissonnault remarque: “Aux États-Unis, ils tiennent de beaux discours, ils parlent beaucoup de la façon dont ils financent les arts et leur appréciation de celles-ci, ainsi que de la culture, bien entendu qu’ils le font. Une tonne d’argent y est injectée, mais lorsque vous n’êtes qu’une seule personne en bout de file, vous ne voyez pas vraiment ce financement ou ces subventions.”
Boissonnault n’est pas étrangère au contraste qui existe entre l’U.E et les U.S.A en termes du financement des arts. En effet, elle a effectué une partie de sa formation à l’École du Musée des Beaux-Arts à Boston, MA, et elle a complété sa licence en peinture à la Kunstakademie, à Düsseldorf, en Allemagne. Ces deux expériences lui ont donné un aperçu unique du métier d’artiste, des obstacles et avantages que celuici présente. À ce stade de sa carrière, elle a participé à de nombreuses expositions,
que ce soit collectives ou individuelles. Elle possède une liste de collectionneurs fidèles, tels que: la famille Matisse, la Deutsche Bank, et le Tennessee State Museum, entre autres. En 2020, Boissonnault a reçu le prix “Legendary Women Artists of Venice Award“ pour ses qualités de leader dans le domaine des arts à Venice Beach, en Californie.
Sa carrière n’a cessé de monter en puissance au fil des années, ce qui pousse à se demander si MB Boissonnault prend un risque en quittant la ville de Los Angeles et la communauté de Venice Beach. Ou bien est-ce Venice Beach qui n’est plus en mesure d’attirer, et de conserver en son sein, la génération future de génies artistiques? Au cours des décennies précédentes, la communauté du littoral a compté des résidents artistes tels que: Richard Diebenkorn, Frank Gehry, Ed Ruscha, Laddie Dill, Clyfford Still, John Baldessari, et nombreux autres artistes, musiciens, acteurs et écrivains célèbres de la côte ouest. Leur héritage est resté sur le carreau à la suite d’une gentrification effrénée et de projets de développement immobilier accablants.
“Une famille a acheté la première église moderne Afro-américaine, qui date du milieu du siècle. Elle se trouve du côté ouest de Los Angeles (faisant référence à l’église baptiste du quartier historiquement afro-américain d’Oakwood, à Venice Beach). Un joyau historique de la ville que la famille avait l’intention de démolir et de transformer en maison familiale. Ça en dit long. Rien n’était à l’abri. J’habitais dans une maison de 1926, une petite adobe espagnole, très révélatrice de la façon dont ils construisaient toutes les maisons à Venice Beach à l’époque. Il n’en reste qu’une poignée, elles devraient être classées au patrimoine.”
“Beaucoup de personnes aux États-Unis pensent que vous êtes une hippie, libérale, déjantée quand vous parlez de telles choses (du surdéveloppement etc.). Ils diront: ‘ça n’arrivera pas ici’, mais ça se fait et, à partir de là, il n’y a pas de retour en arrière possible. J’ai vécu longtemps en Allemagne, et je sais que, là-bas, on ne peut pas terroriser les gens pour les faire partir de chez eux. C’est quelque chose qui ne se fait pas, point barre.”
Boissonnault remarque: “La dernière année a été phénoménale pour les artistes américains à Paris. Prenons l’exemple de l’exposition d’Henry Taylor, c’est une énorme marque de respect, chose que j’apprécie. Il ne s’agit pas seulement de statu quo, il ne s’agit pas seulement de montrer la collection de Penault. La rétrospective de Dana Schutz à Paris a été l’une des expositions les plus inspirantes que j’ai jamais vu.” En ce qui concerne la migration potentielle d’artistes américains en France, elle estime que les français y sont favorables en raison de leur engagement envers le développement créatif et la préservation de la culture.
C’est peut-être la raison principale pour laquelle Boissonnault a déménagé vers ce village isolé dans les montagnes dont elle est tombée amoureuse lors de son séjour à la résidence 3.1 ART. Non seulement le charme du village médiéval a captivé son imagination, mais elle a également trouvé un environnement paisible, entouré d’une végétation luxuriante avec le ruissellement constant d’eau. Un endroit où Boissonnault se sentait écoutée, respectée, et soutenue en tant qu’artiste; que ce soit
“Nous avons eu la chance d’avoir effectué ce changement à un moment où, je pense que, c’était quitte ou double, lorsque le monde s’est à nouveau ouvert aux voyages à l’étranger.“
MB Boissonnault
par les locaux, les entreprises, la communauté, ou le gouvernement (contrairement aux États-Unis). Il va alors de soi que Boissonnault ait franchi le pas en choisissant une nouvelle vie en Europe.
Boissonnault cite le célèbre artiste conceptuel américain, John Baldessari (1931-2020), comme quelqu’un qui a rencontré plus de reconnaissance en Europe qu’aux États-Unis, son pays d’origine. “Baldessari est un géant ici. Je ne crois pas que les américains se rendent compte à quel point il est connu en Europe: son succès et le respect qu’on lui porte ici est bien plus important qu’aux États-Unis. Venice Beach cède la propriété de Baldessari, construite par Frank Gehry, pour 7 millions de dollars. Los Angeles devrait acheter la propriété de Baldessari et la préserver. C’est ce qu’ils ont fait en France, notamment avec la maison et atelier de Delacroix, à Paris. Ce musée était l’une des interactions les plus divines que j’ai eues avec un artiste.”
Alors que MB Boissonnault continue de fonder sa nouvelle vie en France, on retient notre souffle pour voir ce qu’elle nous réserve d’étonnant pour la prochaine étape, en termes de son travail et de son activisme social. Peut-être qu’un jour sa maison/ atelier à Saissac deviendra un hommage à cette artiste talentueuse, dynamique, aux multiples facettes.
DROITE: MB Boissonnault travaillant dans l’atelier 3.1 ART.
CI-DESSOUS : Quelques tableaux expérimentaux que Boissonnault a réalisés durant son séjour à Saissac.
Vous pouvez la suivre sur IG @mbbartworks
GRAPHIQUEMENT PARLANT…. ALEXIS NOLENT EST ‘L’HOMME’ DE LA SITUATION
Matz, signifie “l’homme” en argot français, c’est aussi le nom de plume de l’auteur Alexis Nolent. Il a publié sa première BD en 1990. À l’époque, il a pris Matz comme nom de plume parce qu’il écrivait en parallèle un roman plus littéraire et ne voulait pas être catalogué comme auteur de bande dessinée. “En France, dans les années 90, ce n’était pas très tendance d’être auteur de BD.“ Il poursuit avec un sourire: “la deuxième raison étant que je trouvais que ce mot, tiré de l’argot français, sonnait bien.”
Avec plus de quarante-cinq romans graphiques à son actif, il est l’un des romanciers français les plus prolifiques dans son genre. Sa série BD la plus connue est sans équivoque Le Tueur , illustrée par Luc Jacamon. Ces livres sont caractérisés par un aperçu sombre, brutal, et introspectif, dans les pensées d’un tueur à gages qui n’est encombré d’aucun scrupule ou regret. Cette série de romans graphiques est un best-seller international depuis des années et bénéficie d’un large public dévoué.
Son rythme de travail serait décourageant pour la majorité des écrivains. En effet, il travail sur plusieurs livres à la fois: “Je trouves que c’est la meilleure façon d’écrire, parce que si je me retrouves bloqué sur un livre, je peux travailler sur un autre, …, ça débloque quelque chose et quand vous revenez au premier, ça fuse. Il n’y a pas de perte de temps.”
Nolent trouve que l’écriture de romans graphiques est un excellent domaine pour essayer de nouvelles idées et structures. Sa méthode de travail est variable: “L’illustrateur peut venir me voir et me dire qu’il n’aime pas la façon dont la séquence est écrite, et qu’il n’arrive pas vraiment à donner vie à l’histoire, alors est-ce qu’on peut faire autrement, faire quelque chose de mieux? Il n’y a pas de routine.” Nolent adapte sa manière de faire pour convenir à chaque style de collaboration; soit il propose ses propres idées à un éditeur, soit un artiste vient
le voir avec une idée, il écrit alors l’histoire pour l’illustration.
“Ce qui est intéressant vis-à-vis de la bande dessinée française, c’est qu’on peut aborder n’importe quel sujet, … Rien n’est interdit, rien n’est tabou.”
Gagner sa vie en tant qu’auteur de romans graphiques n’est pas forcément évident, mais Nolent souligne: “La France a une longue histoire dans l’art d’utiliser les BDs pour critiquer le gouvernement de façon comique, ça va parfois même jusqu’à inciter des révolutions. Les BDs et les romans graphiques étaient autrefois exclusivement classés dans la catégorie ‘littérature de jeunesse’. Aujourd’hui, ils sont vus comme une forme d’art sérieuse et une forme d’expression inestimable. Au cours des 10 à 15 dernières années, il y a eu de très bons livres sur la politique contemporaine.” Il fait référence, notamment, à Quai d’Orsay , la bande dessinée d’Abel Lanzac (alias Antonin Baudry), illustrée par Christophe Blain. Parue en 2010, cette BD s’inspire des expériences de Baudry en tant que diplomate de haut rang au ministère français des Affaires Étrangères, pas vraiment un sujet auquel s’attendent les lecteurs américains dans leurs romans graphiques, mais il a connu un succès énorme sur le marché français.
Ses opinions sur les lecteurs français et américains ont été forgées lorsqu’il travaillait aux États-Unis.
Nolent écrivait des scénarios pour des jeux vidéos et avait amplement l’occasion d’observer les différences entre les deux marchés de bandes dessinées. “Ce qui est intéressant vis-à -vis de la bande dessinée française, c’est qu’on peut aborder n’importe quel sujet, n’importe quelle histoire, n’importe quelle période historique, et n’importe quel genre (fiction, documentaire, non-fiction, adaptations de films ou de livres). Rien n’est interdit, rien n’est tabou. Les écrivains et les graphistes ont une liberté totale pour raconter l’histoire qu’ils veulent, de la manière qu’ils veulent, utilisant la structure qu’ils veulent. Je pense que c’est lié au fait que les romans graphiques ne font pas partie d’une industrie très lucrative en France, ce qui laisse place à l’expérimentation et l’innovation. C’est l’opposé de l’industrie du cinéma ou de la télé, qui sont des industries très lucratives aux États-Unis.
L’édition française est libre de toute intervention du marketing. C’est pourquoi on y prend plaisir; on propose une idée, l’éditeur accepte, on le fait, c’est publié, et ça existe.”
Le Tueur est récemment sorti en long-métrage, réalisé par David Fincher, avec Michael Fassbender et Tilda Swinton. Alexis Nolent et David Fincher ont collaboré pour la première fois sur un roman graphique intitulé
Le Dahlia Noir , il est basé sur le roman acclamé de James Ellroy. En collaboration avec l’illustrateur Miles Hyman, ils ont dépeint la mystérieuse histoire vraie du meurtre brutal et déroutant d’Elizabeth Short, dans le Hollywood des années 40.
Alexis Nolent est né à Rouen, mais il a passé son enfance sur l’île caribéenne de la Martinique. Il est finalement revenu à Paris pour faire ses études de droit et de sciences politiques. Cependant, il a toujours eu un penchant pour l’histoire, le roman policier noir était donc un genre logique dans lequel Nolent pouvait exprimer son talent. “J’ai toujours regretté de ne pas avoir fait des études d’histoire. Je voulais devenir archéologue. Je lisais constamment des livres d’histoire, des livres sur la seconde guerre mondiale, Rome et la Grèce Antique, par exemple.”
Nolent est fasciné par les motivations de certaines figures historiques et la façon dont ils arrivent à justifier les atrocités qu’ils ont commises. Il remarque: “La première étape vers le fascisme, que ce soit de gauche ou de droite, est de déshumaniser
“Le fait de déshumaniser votre ennemi, rend son meurtre acceptable.… À mes yeux, quand les gens disent qu’ils partent d’un bon sentiment, on peut s’attendre à une erreur d’ordre moral.”
les personnes avec qui nous sommes en désaccord, celles que l’on n’aime pas.” Son examen attentif de cette manière de penser a inspiré les intrigues et les personnages de nombreux de ses romans graphiques, notamment celui du tueur à gages anonyme de la série Le Tueur . Nolent nous dit: “Le fait de déshumaniser votre ennemi, rend son meurtre acceptable. Durant la seconde guerre mondiale, les japonais et les allemands se croyaient supérieurs, différents, meilleurs. À mes yeux, quand les gens disent qu’ils partent d’un bon sentiment, on peut s’attendre à une erreur d’ordre moral.”
Lorsqu’il pense à la structure morale de ses propres écrits, il prend le fameux livre The Rape of Nanking , de Iris Chang, comme le parfait exemple de conscience humaine. Le livre raconte les faits du massacre oublié de Nanking et les atrocités commises par l’armée impériale japonaise après la prise de la ville. La psychologie des personnes moralement démunies, et l’impact négatif qu’elles ont sur le reste de l’humanité, est un thème récurrent dans ses écrits.
Nolent déclare: “Beaucoup de personnes semblent avoir aucune conscience, ce qui n’est pas un problème pour eux. Ils ont peut-être même un avantage sur les personnes qui en ont une. Il s’agit là des genres de choses qui m’intéressent. Quasiment toutes les histoires que j’écris traitent du même problème de conscience, Le Tueur
en est l’exemple phare. Mon écrivain préféré est (Franz) Kafka, justement parce qu’il traite de la psychologie et a un humour noir. Certains disent que j’écris souvent le même livre à peu de choses près, ce qui m’a fait réfléchir, et j’ai réalisé que je suis toujours aux prises avec la conscience. L’homme est une créature étrange.”
Alexis Nolent a passé une grande partie de sa carrière à analyser la façon de penser des personnes dépourvues de conscience. Ses œuvres sont ancrées dans la réalité et dans l’histoire, mais ce sont ses références à de vraies atrocités humaines qui résonnent auprès du lecteur. On peut s’identifier à ses personnages, malgré qu’ils soient dépourvus de conscience, et c’est cette caractéristique qui tourmente lors de la lecture de ses livres. On sait qu’il ne faut pas se mettre dans la peau d’un assassin, par exemple, mais c’est ce qui arrive, on ne peut que se demander pourquoi.
Nolent est un écrivain captivant qui ne montre aucun signe de vouloir ralentir, et avec sa fascination pour l’histoire, il n’y a pas de limites aux récits qui captiveront son imagination.
La compilation des treize livres de la série Le Tueur , écrits par Matz et illustrés par Luc Jacamon, est sortie sur Archaia depuis 2018 et il est disponible sur Amazon en anglais et en français.
Vous pouvez le suivre sur IG @matzbdofficiel
WAR AND PEACE
Réconcilier les dualités avec Sunny War
Comme son nom l’indique, “Sunny War” (traduit mot à mot: Guerre Ensoleillée), est l’incarnation de la dualité: parfois reflétant l’optimisme du style de vie décontracté de la Californie, et d’autres, l’adversité du sans-abrisme et de la toxicomanie. Elle avait pour habitude de s’installer sur la promenade de Venice Beach, sa musique unique captivait les gens qui se baladaient sur la plage ou qui s’arrêtaient pour dîner au Fig Tree Café. En 2013, Sunny War jouait sur la promenade pour survivre. Sa voix chevrotante et son style de guitare unique, souvent décrit comme Folk-Punk avec une touche de Nashville Blues, arrêtaient les gens dans leur élan. Dix ans plus tard, elle stop toujours les gens nets, sauf qu’à présent, elle le fait partout dans le monde, dans des salles de concerts à guichets fermés.
Durant sa conquête de l’Europe, en tant que première partie pour George Benson, on a enfin réussi à attrapper Sunny au vol afin de prendre de ses nouvelles (pas une mince affaire!). À ce moment-là, elle profitait d’une résidence à 3.1 ART pour faire une pause bien méritée (et nécessaire), malgré cela, elle n’a pu s’empêcher de donner un concert impromptu. C’était une soirée remarquable durant laquelle les spectateurs, francophones et anglophones, ont pu admirer le feu du 14 Juillet tiré au-dessus du château médiéval de Saissac, suivi des mélodies envoûtantes de Sunny War.
2023 a également vu la sortie du dernier album de Sunny: Anarchist Gospel , c’est pour celui-ci que Rolling Stone Magazine l’a nommée: “...l’une des meilleures voix de la musique roots de 2023”. L’album est très représentatif de la dualité iconique de Sunny War, que ce soit la pochette, ou les chansons en elles-mêmes, qui varient entre des instrumentaux optimistes et des ballades plus sombres avec des paroles emplies d’émotions.
“J’ai l’impression d’avoir deux côtés. L’un est autodestructeur, et l’autre essaie de maintenir un équilibre.”
SUNNY WAR
Elle nous confie: “ Anarchist Gospel représente une période de ma vie absolument folle.” Une période où elle a dû faire face à une rupture, un déménagement, et la soudaine perte de son père. Sunny poursuit en disant: “Il me semble que j’en ai retiré quelque chose: la meilleure chose à faire c’est de ressentir toutes ses émotions.”
Sur l’album elle laisse briller sa voix même si, à une époque, elle considérait que ce n’était pas son meilleur atout musical. À l’origine, elle s’est focalisée sur ses talents de guitariste, le chant n’est venu qu’en second lieu; elle n’imaginait pas qu’elle deviendrait une artiste solo. Il y a dix ans de cela, elle faisait partie des nombreux artistes talentueux qui vivaient dans la rue à Venice Beach, et qui jouaient dans des groupes locaux. À ce moment-là, elle avait déjà du vécu, ces expériences ce sont avérées être une profonde inspiration pour ses paroles bouleversantes. On ne peut pas écouter une chanson de Sunny War sans être touché par l’émotion brute et l’honnêteté de ses paroles. Malgré des débuts difficiles, Sunny a un talent inébranlable et une résilience dont l’acier rivalise avec sa steel guitar.
En 2023, elle faisait des tournées à travers les États-Unis et l’Europe, son emploi du temps épuiserait même les artistes les plus chevronnés. Sunny fait l’objet de quantités d’éloges et on n’arrête pas de la décrire comme “celle à surveiller”. L’un des plus grands honneurs qu’un jeune artiste puisse recevoir de nos jours est probablement le soutien de Bonnie Raitt, cette dernière a invitée Sunny à la rejoindre sur scène cette année à SXSW (South by Southwest), à Austin, au Texas.
Sunny a peaufiné sa musique ainsi que ses influences musicales. Son dernier album Anarchist Gospel met en valeur tout son talent durement acquis. Elle éprouve un besoin insatiable de repousser les limites de son don musical. Sunny est la preuve irréfutable qu’on ne peut tout simplement pas barrer la route à une femme de mérite!
PAGE 39: Sunny War faisant les balances audios avant son concert pour la fête nationale 2022, à 3.1 ART.
DROITE: Anarchist Gospel de Sunny War. 2023 New West Records
Vous puvez suivre Sunny War sur IG @sunnywarmusic
“IL
ME SEMBLE QUE J’EN AI RETIRÉ QUELQUE CHOSE: LA MEILLEURE CHOSE À FAIRE C’EST DE RESSENTIR TOUTES SES ÉMOTIONS.”
LA MUSE DE LA MONTAGNE NOIRE
Lors d’une balade à Saissac, dans la Rue (pavée) d’Autan, vous entendrez peut-être les notes envoûtantes, flottant au gré du vent, d’un piano à queue. La musique que vous entendez vient probablement de la pianiste argentine Mariana Bevacqua, qui est l’une des rares compositrices de Tango encore vivante aujourd’hui.
En 2012, Mariana Bevacqua s’est installée dans la Montagne Noire, en France, loin de sa Buenos Aires natale. Elle a créé l’École de musique DMTF où elle enseigne une large gamme de musique, dont son bien-aimé tango, à des personnes de tout âge. Ses cours incluent le piano, la musique d’ensemble, et l’éveil musical. Elle a formé la chorale “Black & White” en collaboration avec les villes de Castelnaudary et de Carcassonne.
L | S: Vous êtes pianiste tango, puis-je vous demander ce qui vous a poussée vers ce genre musical?
MB: Et bien, au début j’étudiais la musique classique mais, arrivée à l’adolescence, j’ai dis à mes parents que ce n’était tout simplement pas pour moi. J’ai alors changé pour une école de musique populaire où j’ai suivi des cours de jazz, que j’adore. C’est là que j’ai étudié le tango, je suis venue à aimer ce style rapidement. Le tango était obligatoire, après tout, c’était une école de tango, ça allait de paire avec le jazz.
L | S: Ça fait combien de temps que vous composez des tangos et que vous jouez du piano?
MB: La musique a toujours fait partie de ma vie. J’ai commencé à jouer du piano quand j’avais onze ans. Quant à la scène, ça doit faire trente-sept ans, à
MARIANA BEVACQUA
peu près. J’ai commencé à jouer en Argentine, dans ma Buenos Aires natale. J’ai vécu là-bas pendant vingt-six ans. Ma mentor était la pianiste Susana Bonora. Après ça, je suis partie à Milan, où je suis restée pendant trois ou quatre ans.
L | S: Qu’est-ce qui vous a amené à quitter l’Argentine pour vous installer en Italie? Vous y êtes allée pour étudier?
MB: Oui. J’ai commencé mes études en Argentine, à une école pour les pianistes de tango, c’était la première en son genre. J’y étudiais le jazz mais je me suis spécialisée dans le tango. Ensuite, je suis partie à Milan pour étudier la composition au conservatoire. J’ai poursuivi, et terminé, mes études à l’université de Paris, j’ai fini par rester neuf ans dans la capitale.
L | S: Vous avez mentionné que vous avez étudié le jazz et le tango au conservatoire de musique. Cependant, ces deux styles musicaux semblent très différents, estce que vous pouvez nous expliquer les raisons derrière la fusion de ces deux genres en un seul programme d’études?
MB: Le tango est un mélange, en fait. La musique elle-même vient de la musique classique européenne mais le rythme est africain. Il porte la marque et l’influence de l’immigration, et du mélange de diverses cultures.
L | S: Vous avez dit qu’il n’y a pas beaucoup de pianistes de tango dans le monde musical (comparé aux pianistes classiques ou de jazz). Qu’en est-il des femmes, spécifiquement, est-ce qu’il y a beaucoup de femmes compositrices de tango?
MB: Oh, je ne sais pas, une centaine peut-être. J’ai eu une surprise cet été, une argentine qui avait un doctorat en musique est tombée sur mes œuvres quand elle faisait des recherches sur les femmes compositrices de tangos. Elle m’a parlé d’un recueil de chansons, la première édition qui concernait les femmes compositrices de tangos: Women Tango Composers, from the Beginning to Today . Elle m’a demandé si je serais intéressée. On doit être une trentaine à y figurer, toutes des compositrices du XXème siècle, mais toutes ne sont pas toujours en vie. J’avais relégué ma composition au second plan après le décès de mon père, mais je compose parfois avec une amie que je connais depuis que j’ai onze ans.
[Bevacqua a été sélectionnée en 2022 pour figurer parmi les trente et une compositions du recueil Women Tango Composers, from the Beginning to Today . En 2023, “Grito Final” revoit le jour dans une vidéo tournée dans le sud de la France en octobre dernier (photo page 43). C’est le point
de départ du nouvel album solo de Bevacqua: De Aquí y de Allá , elle chante et s’accompagne au piano lors du spectacle en hommage à son père (Hugo Dante Bevacqua) avec qui elle a composé ce tango.]
L | S: Je crois savoir que votre père était un chanteur, diriez-vous que vous avez hérité votre musicalité?
MB: Eh bien, au début, il était journaliste politique, il couvrait l’actualité. C’était un peu dangereux, alors il a arrêté, il ne faisait plus de reportages. C’est à ce moment là que l’armée l’a approché pour qu’il fasse des tournages pour eux, proposition qu’il a refusée. Je me rappel vaguement qu’il était sur le point de déménager aux Malouines, mais c’est arrivé quand j’étais très jeune donc je n’en ai pas beaucoup de souvenirs. Il est tombé malade après ça, je pense que c’était dû à l’inquiétude. Ensuite, il a commencé à écrire de la poésie et à chanter.
[“Grito Final” a été joué en concert des centaines de fois et a reçu le premier prix de composition au concours Hugo del Carril, organisé par la Direction des Affaires Culturelles de Buenos Aires, en 1997. “Grito Final” a été enregistré en 2002, sur le CD Buenos Tangos (Halidon, Italie).]
CI-DESSUS: Mariana Bevacqua jouant au théâtre de la CroixRousse à Lyon, en novembre 2010, lors du spectacle de cirque contemporain: Toccata, de la compagnie Cirque Hirsute.
MARIANA BEVACQUA
Nous avons composé deux ou trois tangos ensemble, et l’un d’entre eux, “Tango Grito Final”, a reçu le premier prix de composition dans le cadre du concours Hugo del Carril, organisé par la Direction des Affaires Culturelles de Buenos Aires. Je crois que c’est la chanson que la doctorante en musique a repérée, je la joue souvent dans mon spectacle.
L | S: Vous avez principalement joué en Europe et en Amérique du Sud, avezvous déjà joué aux États-Unis?
MB: Non, ce n’est pas que je ne voulais pas, on m’a même demandé de faire une master class au Berklee college of music (Boston, MA), ils voulaient que je joue et que j’enseigne. Malheureusement, je n’ai pas pu obtenir un visa à temps. J’ai essayé de passer par l’ambassade américaine, mais je me suis heurtée à la barrière de la langue.
L | S: Je pense qu’il va de soi de dire que vous avez manifestement prospéré en ville. On se demande donc ce qui vous a amené au village de Saissac?
MB: Mon compagnon, Paolo, et moi avons voyagé pour notre spectacle. La tournée nous a amené à Béziers et nous avons décidé de nous arrêter dans la Montagne Noire. J’adore l’architecture, et c’est une région française qui compte plusieurs châteaux cathares. Je suis tombée sous le charme des vues panoramiques de Saissac, et de la bâtisse dans laquelle je vis actuellement, c’était la première église catholique du village, elle est dédiée à Saint Ignace. Ce bâtiment et le lavoir en face ont été construits au XVIe siècle. J’ai eu un coup de foudre pour ce lieu, pour cette région, et le reste appartient à l’histoire.
L | S: Vous travaillez avec votre conjoint, Paolo, pouvez-vous nous en dire plus sur son parcours?
MB: Paolo est un danseur et acteur, il a travaillé avec l’opéra de Milan. Il est Italien voyez-vous, difficile à ignorer avec un nom de famille comme Ferri. Il a aussi travaillé avec l’opéra de Paris. Cependant, il a laissé son travail sur scène de côté, pour le moment, afin de se concentrer davantage sur son travail en tant que chorégraphe. Nous avons deux enfants ensemble: Romeo et Fiona.
L | S: Quel est votre projet à long terme? Dans 10 ans, quand les enfants seront grands et que vous pouvez créer à votre guise, voudriez-vous composer plus de tangos?
MB: Je n’écris pas beaucoup de tangos en ce moment, mais je compose pour le théâtre et le cirque. Je travaille avec le Cirque Hirsute depuis quatre ans environ. J’ai une vidéo en ligne où vous pouvez me voir jouer du piano flottant pendant que le trapéziste s’élance dans les airs.
J’aime composer avec un objectif, ou avec un autre artiste. Un exemple serait quand je trouve une réplique dans une série et je compose pour cette réplique, j’adore faire ça parce que vous faites passer le même message dans une langue différente. J’ai besoin d’un apport, de quelque chose sur quoi m’appuyer. Je trouve, entre autres, que mes élèves aident à m’ouvrir l’esprit.
L | S: Pourriez-vous expliquer votre passion pour l’enseignement et ce que cela vous apporte en tant qu’artiste?
MB: Absolument, c’est tellement excitant! Chaque cours est un nouveau moment, vous ne savez jamais comment cela va se dérouler. Prenons hier, par exemple, on a expérimenté avec le fait de jouer pour les gens et de faire parler une histoire: c’était la même musique, mais avec une intention différente à chaque fois.
J’aime tellement enseigner au conservatoire. J’ai aussi une école de petite envergure en ce moment, l’école de musique DMTF, où je donne des cours de piano à une cinquantaine d’élèves par an (enfants comme adultes). J’aime passer beaucoup de temps avec mes élèves, pour développer leur talent et leur amour pour la musique, je veux les inspirer à jouer et à composer. Quand je donne des cours, je ne les guide pas tous de la même manière: j’essaie d’adapter mes méthodes aux besoins de mes élèves. J’enseigne avec le cœur, je trouve la manière la plus adaptée pour une personne donnée, je m’efforce de trouver un moyen de les atteindre. Dans un sens, j’ai toujours pensé (à propos de l’enseignement), “quelle belle façon de gagner sa vie”. Je veux tout simplement cultiver la passion de mes élèves pour la musique par tous les moyens possibles.
CI-DESSUS: Mariana jouant en concert au château de RieuxMinervois pour le tournage de “Grito Final”, en octobre 2022.
Vous pouvez voir ce concert sur YouTube : https://youtu.bedU7xb0JluXw
Vous pouvez suivre Mariana Bevacqua sur IG @mariana_bevacqua_
UNE CONVERSATION AVEC LE CINSÉASTE, GILLES THOMAT
le Geste
par Léah Briqué
CI-DESSUS: Les voisins de 3.1 ART, et ses résidents artistiques, regardant le film Le Geste
Photo à gauche: Gilles Thomat, cinéaste.
GILLES THOMAT
Lors d’une projection du documentaire d’art Le Geste ou Triptych Opus 1 , il n’est pas rare d’entendre le public retenir son souffle dans l’attente de ce qu’il va se passer ensuite. Le silence est tangible lorsque le public attend que les artistes figurant dans le film (François Legoubin, Hugo Bel, et Bao Vuong) appliquent leur touche artistique dans un environnement sans paroles. Le spectateur est désormais un participant, en temps réel, de la démarche de création.
CI-DESSUS: Une scène du film Le Geste durant laquelle le peintre, François Legoubin, prend un instant pour songer à l’œuvre qu’il est en train de réaliser.
Le film ouvre sur une scène de François Legoubin dans sa cabane/atelier Pyrénéenne, la seule chose qui se fait entendre sont les gouttes d’eau émanant de la neige en train de fondre à l’extérieur de la fenêtre et le raclement produit par l’artiste lorsqu’il applique résolument de la peinture à son support. La magie qu’est la création se déroule sous nos yeux et on est immédiatement captivé par la vision du cinéaste français, Gilles Thomat (basé à Toulouse). Cet opus fait parti d’un projet plus vaste sur lequel Thomat travail depuis 2015: Le point de vue
le Geste
CRITIQUE DE FILM
des artistes . Le dernier en date est un documentaire sur l’artiste toulousain, Patrick Pavan, fils et petit-fils d’ouvriers maçons immigrés d’Italie. Il utilise son histoire familiale dans le bâtiment comme inspiration dans les matériaux qu’il choisit pour créer ses œuvres.
Dans Le Geste , Thomat suit trois artistes: Legoubin, Bel, et Vuong; des débuts jusqu’à la fin de leurs démarches créatives. La production en direct de chaque œuvre suscite un sentiment de mystère et d’anticipation. Il choisit soigneusement ses angles, sa palette, et son éclairage, ce qui donne au public l’impression d’avoir le point de vue d’un artiste, comme s’il était dans la pièce lors de la création. Les critiques ont dit de ses courts métrages qu’ “il y a une vérité brute dans sa représentation des artistes, des couleurs, des matériaux, et du sens que les artistes souhaitent donner à leur œuvre”.
Ses films envoûtent le public, un phénomène auquel les visiteurs de 3.1 ART ont eu le plaisir d’assister durant une projection du film
CI-DESSUS: un avant-goût du tableau fait par François Legoubin durant la production du film documentaire, Le Geste
GILLES THOMAT
Le Geste/Triptych Opus 1 . Thomat réussit à capturer le silence, l’intimité, et l’essence de la création. Selon Thomat: “Ce sont des éléments essentiels à la création artistique, il faut lui donner une importance primordiale dans la transmission de l’expérience artistique au spectateur.” Ces films sont muets, par ce choix judicieux, Thomat élimine la barrière de la langue, utilisant l’art comme langage, pour toucher un large public.
Thomat révèle: “Je ne cherche pas à expliquer le pourquoi, mais seulement à présenter une expérience sensorielle autour d’une intention artistique et laisser à l’observateur sa libre interprétation.”
CI-DESSUS: Une scène du documentaire Le Geste , durant laquelle Hugo Bel retire le moule en plâtre qui a servi à la création de sa sculpture d’un pied en sucre.
Il offre une expérience immersive puisque les seuls sons entendus sont ceux d’un pinceau sur une toile, du fusain sur le papier, ou d’une inspiration. Son film est une interprétation puissante de l’espace liminal solitaire dans lequel un artiste entre losqu’il est en plein essor créatif, peu importe le support.
le Geste CRITIQUE DE FILM
Gilles Thomat est un cinéaste passionné, qui joue souvent les rôles de réalisateur, monteur, et de chef opérateur, ainsi que de projectionniste et de technicien de maintenance. Son amour pour son métier se manifeste dans son rythme de travail effréné. Il tourne actuellement un documentaire sur Stephen Marsden (sculpteur), il écrit un long-métrage sur Jeanne Lacombe (qui crée une œuvre pour une station de métro toulousaine), et il est en phase de montage pour deux autres films sur les peintres Marc Desarme et Jin Bo.
Vous pouvez visionner la série de films de Gilles Thomat sur la chaîne YouTube de la Frac Occitanie Montpellier. Thomat est souvent sélectionné pour des projections dans divers festivals de cinéma en France. Le dernier en date était la 10e édition du MIFAC (Marché International du Film d’Artistes Contemporains) à Angoulême. Avec sûrement plus à venir, Thomat tourne à plein régime, et nous pouvons nous attendre à encore bien des choses de sa part.
CI-DESSUS: Sculpteur français, Hugo Bel, qui se détend à l’extérieur de 3.1 ART, dans la rue d’Autan, avant la projection du film Le Geste . Bel était l’un des artistes figurant dans le documentaire.
Vous pouvez le suivre sur IG @hugobel_
Vous pouvez voir Le Geste, et d’autres productions de Gilles Thomat, sur YouTube : https:m.youtube.com/ @fraoccitaniemontpellier9921
Spectres
QUI NOUS SUIVENT
PAR CHAYA SILBERSTEIN
Les gens se retrouvent, d’autres se séparent. Les gens emménagent, d’autres déménagent. Certains trouvent des foyers, d’autres errent dans les rues à la recherche de souvenirs du passé. En tout temps, ces spectres omniprésent virevoltent entre nous.
On peut parcourir le monde avec seulement un sac à dos, cependant, on arrive à chaque destination avec nos bagages personnels remplis de tout ce qu’on a connu.
C’est ainsi que je suis arrivée à Venice Beach, en Californie, portant avec moi les parties de mon enfance à Brooklyn.
J’entends toujours R dévalant la rue en roller, un rythme doux sur l’asphalte. Ses longs cheveux châtains clairs, une petite silhouette élancée, elle flottait devant les maisons, voyant des enfants réunis autour de la table, faisant leurs devoirs, leur mère s’agitant dans la cuisine pour faire à manger. Elle est ce visage de l’autre côté de la vitre. Le visage qu’on ne voit plus une fois que la lumière emplit cette pièce obscure, lorsque cette vitre devient le reflet de votre propre vie.
J’étais au primaire avec R, on faisait partie d’une communauté qui était ancrée dans les valeurs d’un autre temps, imposées par un stricte dogme religieux. Un jour, lorsqu’on rentrait chez nous en bus, elle m’a montré son journal scolaire. Celui-ci était plein de gros-mots. Elle m’a demandée si je pensais que c’était une bonne idée que de le montrer à notre maîtresse. En lisant entre les lignes, son appel au secours était flagrant, ou tout du moins c’est ce que je croyais.
Son petit frère était récemment décédé (mort subite du nourrisson); sa mère, rag-bone, en était à son troisième mari, et tous les habitants du quartier avaient peur de sa sœur aînée, qui avait tout d’une hyène.
Je me suis dis, sûrement qu’un enseignant serait en mesure de l’aider, mais ma confiance était mal placée, certains problèmes
sont simplement trop gros pour être résolus. R s’est faite réprimander pour ses paroles au lieu d’être consolée, le ressentiment a ajouté un poids de plus à des épaules portant déjà un lourd fardeau.
Elle n’est pas venue au lycée avec le reste de notre classe, à la place, elle est devenue un murmure parmis le bruissement de livres feuilletés. On ressentait simultanément son absence et sa présence. On la voyait dans les rues à l’occasion, elle était comme un spectre-vivant, comme si elle n’existait plus.
Combien de personnes croise-t-on dans la rue, qu’en tant que société nous ne voyons pas? Combien de personnes ont une histoire si tragique que l’on craint de s’en approcher de peur qu’ils nous fassent entrer dans leur cauchemar?
Au bout du compte, l’histoire de R a pris fin lorsqu’elle a succombé à une overdose. Elle n’a jamais eu l’occasion de découvrir qu’il y a des endroits en ce monde où les gens sont acceptés tels qu’ils sont. Lorsqu’elle a enfin franchi le portail de la communauté, l’addiction avait déjà une emprise trop importante pour qu’elle ne puisse aller bien loin.
Je me focalise sur les souvenirs que je porte d’elle et, tout comme si j’invoquais un spectre, je la libère sur la voie cyclable de la promenade de Venice Beach. Je lui dis: “tu es libre”, alors que les cyclistes et les scooters électriques passent à toute vitesse.
Je lui présente ceux qui vendent de l’encens et des CDs, ceux qui sculptent le sable en tableaux ou en châteaux, ceux qui chantent leur besoin de liberté.
Je l’amène au cercle de percussions, au skate-park, au WC dont les murs sont remplis de poésie. Je l’asseois dans un café où un étranger lui offre un repas et lui donne de l’argent pour ses cigarettes.
Pour la première fois depuis trop longtemps, j’entends son rire communicatif, insufflé de la brise de l’océan et tout recouvre sa légèreté.
“ Un corbeau m’observe depuis
son perchoir périlleux, et je sais
qu’il voit bien, que ça ne peut être que moi.”
Paroles de The Perilous Tree , par Richie Healy
RICHIE HEALY
…le barde obscur de Kilkenny, en Irlande
L’I relande, avec ses paysages luxuriants, ses siècles de contes et son mysticisme ancien, a inspiré de nombreuses personnes à devenir artistes, poètes, ou musiciens. Richie Healy est l’un de ces musiciens. Agriculteur de jour, il passe le reste de son temps à composer de la musique aussi sombre et envoûtante que les vallées de son Kilkenny de naissance.
Les paroles de Healy sont poétiques et teintées de mysticisme celtique. Avec une voix aussi rocailleuse et ténébreuse qu’une route de campagne irlandaise de nuit, ses chansons sont entrecoupées de cris émotifs qui vous tiendront en haleine, à vous demander s’il atteindra la prochaine note. Écouter l’une de ses chansons revient à repousser les frontières entre votre monde et le sien. Une fois que vous avez pénétré son univers musical, vous profiterez pleinement des errances solitaires d’Healy et des sombres secrets que la nature lui confie.
Richie Healy parle de sa démarche créative et de ce qui l’inspire, en ses propres termes, et on pourrait l’écouter pendant des heures.
L | S: Est-ce qu’il y aurait dans votre famille des personnes qui vous ont influencé à devenir musicien? Comment diriez-vous que le fait d’être irlandais a façonné vos préférences musicales? Est-ce que vous avez toujours habité à la campagne ou avez-vous passé du temps en ville? Si c’est le cas, qu’en avez-vous pensé?
RH: J’ai passé mon enfance sur une ferme qui se trouve à 8km environ au nord-est de Kilkenny, dans un cadre extrêmement rural. C’était un corps de ferme datant du XVIIIe siècle
entourée de collines. Quand j’étais très jeune, les restants d’une cour pavée y étaient encore visibles. Nichée au pied d’une colline escarpée, avec d’énormes, anciens, hêtres, c’est un lieu d’ouvriers agricoles, de champs à perte de vue, de travail acharné, d’odeurs de prairie, de pain beurré, de cheminées en hiver, et d’une radio qui vous faisait savoir qu’il y avait de la musique. On tournait le bouton à la recherche de rock’n’roll.
À la fin de mon adolescence, je me suis chopé une guitare, un truc que j’ai pris chez un prêteur sur gages. Ça avait tout l’air d’une guitare, mais ne sonnait jamais comme telle, ce qui était probablement de ma faute. J’écoutais les habituels de l’époque: Neil Young, Dylan, Deep Purple, Peter Green, et tout ce qui passait à ce moment-là.
Je n’ai jamais été adepte d’un genre ou d’un artiste en particulier, je n’avais pas de posters sur les murs quand j’étais jeune, je n’ai jamais vraiment adhéré à la pop non plus. J’ai besoin d’entendre de l’honnêteté dans ce que j’écoute et c’est pour cette raison que Rory Gallagher est probablement ma plus grande influence musicale irlandaise. Je trouvais, et c’est toujours le cas d’ailleurs, que les gars du delta blues sont intouchables: une émotion brûlante au micro qui est attisée par le feu du whiskey, on ne peut pas en ressortir indifférent.
J’ai vécu en ville aussi, mais ça fait un moment. J’ai passé un peu de temps à Londres quand j’avais la vingtaine et j’ai vécu un an à La Haye, au Pays-Bas, quand j’avais vingt-cinq ans à peu près, une année que j’ai beaucoup aimée. L’anonymat de la vie citadine m’attirait énormément, en contraste avec la vie à la campagne où même les collines ont des yeux. J’ai regardé et j’ai écouté, des heures durant, dans un café de gare, les visages fixes et le bruit de pas déterminés.
L | S: Quelles sont vos influences musicales? J’ai remarqué que vous avez une structure qui rappelle fortement celle du Blues Américain. Je suis sûre que vous avez déjà eu des comparaisons à Tom Waits et je détecte un peu de Leonard Cohen aussi. Mais j’aimerais savoir quelles étaient vos premières influences, celles auxquelles vous vouliez aspirer… s’il y’en avait.
RH: Je n’avais pas d’idoles en cours de route. Le fanatisme, sous toutes ses guises, me paraît toujours maladif et bancal, traversant les années avec grand peine. Je suis conscient que la musique répond de plus en plus à une formule, un phénomène qui s’est accentué ces dernières décennies.
C’est inévitable, j’imagine, vu que la musique se soumet au contrôle de grandes corporations. Un producteur est appelé pour ajuster un morceau défaillant et, s’il réussit, on le rappelle pour intervenir sur un autre son. Il est donc logique dans ce cas que le nombre de producteurs grand public diminue drastiquement, ce qui a pour conséquence le début d’une sensation d’uniformité à travers la structure commerciale de vente de musique. À ce stade, la boule de bowling dévale la pente fortuitement trouvée vers les quilles: les artistes émergeants terrifiés à l’idée de s’écarter du chemin tracé, s’y accrochant fermement, obligeance de la formule.
Ça ne peut pas être à 100 pourcent véridique, bien entendu, et vous trouverez des auteurscompositeurs et des chanteurs qui en valent vraiment la peine en train de se frayer un chemin d’authenticité, embrasant des salles confidentielles, dansant à l’aveugle sur la planche, évitant la pointe d’une épée, mais les géants savent trop bien que la plupart tomberont à l’eau sans faire de vagues. Je danse aussi sur cette planche, pas pour les géants, mais à cause d’eux. Un tango solitaire et maladroit de traditions mixtes peut être.
L | S: Est-ce qu’on vous a encouragé à être musicien ou est-ce qu’il a fallu que vous traciez votre propre chemin? Vous avez un style insolite et je me demandais ce qui a façonné votre
RICHIE HEALY
RICHIE HEALY
approche et ce qui vous a donné la confiance en vous nécessaire afin de préserver votre style unique.
RH: Je n’ai pas l’impression d’avoir été encouragé ou découragé. Jouer de la guitare était une sorte de no man’s land, sauf si on me trouvait en train de jouer quand il y avait du boulot sur la ferme, ça provoquait une certaine type de fureur chez l’homme au chapeau. Je suis autodidacte vraiment, j’ai trouvé des livres avec les accords de base et j’ai découvert à ma plus grande horreur que tout devait être compté. Ça ne m’allait pas du tout. À mes yeux, compter ne s’appliquait qu’à la vie réelle, j’ai décidé de ne jamais utiliser cette méthode.
Tout en tâtonnant, j’ai décidé d’arrêter d’utiliser un médiator et je me suis finalement senti à l’aise avec un mélange de picking, de grattage, avec parfois un côté percussif. Je ne sais pas. D’autres musiciens m’ont dit que j’avais un penchant pour jouer des sons harmoniques un peu hors du commun qui donnent l’impression d’être entre les notes. Tout cela combiné donne un style et un son bien défini, probablement, tout à fait accidentel de ma part. Je suis un peu fainéant là-dessus, toujours à la recherche de raccourcis pour trouver un son qui me plaît.
Curieusement, beaucoup de musiciens qui ont une formation classique semblent vraiment comprendre ce que j’essaie de transmettre, l’un d’eux m’a dit que c’était lié à la liberté naturelle dont je faisais preuve. Pour finir, je n’ai jamais été dans l’optique d’impressionner les autres, ma guitare était uniquement destinée à un usage domestique.
L | S: Vous nous avez dit que la manière dont vous écrivez vos chansons est “très aléatoire”, vos chansons semblent tout sauf cela. Celles sur votre album semblent toutes avoir un message distinct avec leur propre tonalité émotionnelle. Pouvez-vous nous en dire plus sur la démarche que vous avez utilisé pour les chansons de votre album. Prenons “Fallen In”, par exemple, cette chanson contient un message magnifique sur le fait de tomber amoureux de quelqu’un et d’être dépassé. Est-ce que les paroles cacheraient quelque chose qui aurait déclenché le développement de cette chanson?
RH: J’écris de manière très instinctive, c’est très difficile de le définir comme démarche, il n’y a certainement pas de moment où je vais prendre ma feuille et mon stylo avec un “allez, je vais écrire une chanson aujourd’hui”, ça déclencherait les sonnettes d’alarmes et ça me mettrait un gros coup de frein. À mes yeux, ça ne serait que de la supercherie à ce moment-là.
Vous avez parlé de “tonalité émotionnelle”, très perspicace. J’écris du cœur, principalement pour moi-même. J’ai réussi à tout garder dans les confins de ma maison si longtemps que je n’avais aucune raison de me poser de questions quant à ce que je faisais.
Il semblerait que mon style d’écriture soit un peu cryptique et ésotérique, les pensées et les mots sont mes seuls guides. Beaucoup de ce que j’écris est une forme de quête intérieure, c’est en partie de l’observation aussi, ces chansons-là sont peut-être plus évidentes à saisir en tant qu’auditeur. Je les vois toutes comme des happenings, un journal émotionnel ou un journal intime si vous préférez. Je n’aime pas trop décortiquer ce que je fais.
Vous parlez de “Fallen In”, c’est plutôt direct comme chanson, mais elle contient peut-être un élément sous-jacent de perte et d’addiction. Ça me fait plaisir que mes morceaux ne soient pas simples et qu’ils laissent place à une interprétation personnelle. On m’a aussi demandé “de quoi parle cette chanson?”. Je refuse toujours de répondre vu qu’elles naissent d’un
RICHIE HEALY
flux de conscience momentané, ce qui signifie que j’en suis, moi-même, incertain au fur et à mesure que je m’éloigne de leur origine.
L | S: Vous avez dit que vous avez fait tous les arrangements pour votre album The Perilous Tree , l’utilisation de l’accordéon et les chœurs complimentent parfaitement les paroles et votre voix. L’album, dans son intégralité, a une qualité plaintive et bouleversante grâce à cela. Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre collaboration avec le joueur d’accordéon Gerard ‘Ger’ Moloney et la chanteuse Elise Ramsbottom? Depuis combien de temps travaillez-vous ensemble? Est-ce que c’est votre premier album? Ça vous a pris combien de temps pour produire The Perilous Tree ?
RH: L’album a été enregistré très, très rapidement en soi. Il n’a fallu que quelques jours à fond. Il a été enregistré à Crossroads Studio, celui de Jed Parle, à Kilkenny. Il sait comment j’aime travailler. Durant la première heure, nous avons activé une piste de click et l’avons écouté compter pendant un moment. J’aimais pas du tout ce bruit de comptage, du coup on l’a éteint. On a décidé qu’il était préférable que j’aille dans la cabine d’enregistrement et que je chante du cœur. Tout était live, détendu et réel.
“J’ai passé mon enfance sur une ferme entourée de collines… c’est un lieu d’ouvriers agricoles, de champs à perte de vue, de travail acharné, d’odeurs de prairie, de pain beurré, de cheminées en hiver, et d’une radio
qui vous faisait savoir qu’il y avait de la musique… On tournait le bouton à la recherche de rock’n’roll.”
J’ai rencontré Gerard Moloney, sur la route des tournées et je lui ai demandé s’il pouvait jouer de l’accordéon pour moi durant l’un de mes concerts live, il a accepté et on a joué ensemble (sans répèt’). Ça a été reçu de façon tellement positive que je lui ai demandé s’il voulait jouer sur l’album. Il est arrivé au studio, a fermé les yeux et a joué toutes les chansons sans faire de pause. C’est un musicien très talentueux. Il en va de même pour Elise Ramsbottom sur les chœurs. Elle a simplement fait ce qu’elle avait à faire parfaitement sans chichis. Mon seul regret c’est qu’elle ne figure pas sur plus de chansons, ce qui est maintenant résolu puisqu’on joue en tant que trio, live. Nous avons tous les trois une complicité merveilleuse, en tant qu’amis et lorsqu’on joue, ça vient très naturellement, j’en suis vraiment reconnaissant. Du fond du cœur, merci les gars.
Ger a enregistré avec beaucoup de musiciens qui font de la musique traditionnelle irlandaise, entre autres. Elise, quant à elle, a sorti un EP, These Thoughts , de ses propres chansons l’automne dernier. https://open.spotify.com/artist/6Ie39lryonR0wj7XSCttMk?si=D hmA08HyQ7iNpsrs64ZpUA
“LES GARS DU DELTA BLUES SONT
INTOUCHABLES: UNE ÉMOTION BRÛLANTE
AU MICRO QUI EST
ATTISÉE PAR LE FEU DU WHISKEY, ON NE PEUT PAS
EN RESSORTIR INDIFFÉRENT.”
Quant à la production de l’album, j’allais le créditer comme n’ayant pas de production, mais je trouvais que ça pouvait être perçu comme arrogant. Nous avons demandé lors du mastering que les dynamiques soient laissées telles quelles et de ne pas arrondir les angles, comme il en va d’habitude pour la plupart des enregistrements de ces dernières années. Au final, c’est un album très simple, naturel, et sans prétention; ce qui me va très bien. J’avais déjà un album, Last Taxi Home , maintenant épuisé.
J’avais aussi une sorte de vidéo sur YouTube d’une chanson intitulée “Changes”, qui a été trouvée par un homme d’Ann Arbor, dans le Michigan, Stephen Eric Berry. Il m’a contacté pour me demander si j’avais d’autres enregistrements. J’avais (encore une fois) des enregistrements d’une seule prise. Les bandes maîtresses avaient été perdues. Il m’a demandé si je voulais faire un album avec ce qu’on avait. Stephen est, lui aussi, un musicien très accompli. Il a travaillé dur, passant beaucoup de temps et d’argent, afin de tout sortir sous forme d’album. Voilà encore une personne pour laquelle je suis vraiment reconnaissant. C’est assez différent de The Perilous Tree , plus joyeux peut-être.
L | S: Quand est-ce que vous trouvez le temps de créer et de jouer de la musique? Pouvez-vous nous en dire plus sur votre vie à la ferme?
RICHIE
“Enregistré à Crossroad Studios, dans la ville de Kilkenny. L’album The Perilous Tree , coproduit par Richie Healy et Jed Parle, sait jouer de l’anticipation. L’album présente un ensemble de chansons cryptiques, stimulantes et envoûtantes qui sont extrêmement gratifiantes. ”
Declan Culliton, Lonesome Highway
Son EP, The Perilous Tree , est disponible sur Bandcamp: https://richiehealybandcamp/ album/the-perilous-tree
Sur Youtube: “Steal Down the Rainbow” : https://youtu.be/UnJ0jsNVA
RICHIE HEALY
RH: Il n’est pas évident de trouver du temps entre le travail à la ferme et mon boulot à l’aciérie, je n’ai d’autre choix que d’essayer d’enclaver ma musique (l’écriture et les concerts) dans les heures résiduelles qui n’existent pas toujours.
L’agriculture offre tout sauf une récompense financière, c’est comme ça que je le vois. Notre ferme n’est pas très grande, environ 28 hectares de champs majoritairement en pente. Nous élevons principalement des veaux, c’est devenu un hobby qui s’articule autour d’un travail à plein temps. La ferme présente une distraction bienvenue à la banalité d’une existence de 8 à 5. Elle procure aussi la gloire du grand air et de travailler avec la nature. Traverser un champ tout mouillé de rosée tôt le matin, couvert de toiles d’araignées, baigné dans les petits rayons d’un lever de soleil, me fait toujours frémir.
L | S: Comment votre vie, quelque peu isolée, en pleine nature influence-t-elle votre travail? Vous avez dit que vous regardez rarement la télévision ou les films, que vous ne lisez pas de livres et que vous ne suivez pas la politique. Cela laisse la nature et votre environnement pour vous influencer. Pouvez-vous décrire l’impact que cela a eu sur vous au fil des années en tant que musicien?
RH: J’ai un peu battu en retraite au moment du crash mondial. Je me sentais souvent en colère face au détournement financier évident qui se déroulait, assujettissant les citoyens de tant de pays à la pénurie pour les décennies à venir. Une collusion entre l’État et les médias a anéanti tout espoir de culpabilité. Les réseaux sociaux ont également toutes les caractéristiques d’un mouvement de troupeau, cultivant une mentalité grégaire.
La liberté d’expression, c’est l’arme qu’ils brandissent. J’ai senti que j’avais besoin d’une perspective nouvelle, un ancien désir de n’être qu’humain. Un besoin de désapprendre, de peur que mon éducation n’ai été qu’un processus de clonage systématique. J’ai toujours été très conscient des effets apaisants de la nature, liés à notre passé de chasseur-cueilleur j’imagine. D’un point de vue musical, cela se traduit par la fréquence à laquelle je me couche dans l’herbe, ou sur le sol d’un bois, quand je ferme les yeux et que j’écoute. Je m’émerveille des sons et des rythmes, les aboiements lointains de chiens, les craquements de
RICHIE HEALY
brindilles ou de branches d’arbres, les clics d’insectes, les chants d’oiseaux, les bourdonnements de mouches; tout cela est un entrecroisement maladroit d’événements individuels et naturels, hors du temps, mais qui sont pourtant d’une harmonie profonde.
L | S: Avec vos propres mots (qui, je suis sûre, seront très éloquents), pouvez-vous me dire ce que la musique vous provoque comme ressenti et/ou le rôle essentiel qu’elle remplit dans votre vie.
RH:
“Je ne suis personne et je m’en vais. Un seau puisé dans un puit, déversé et éclaboussé
lorsque le bétail appel, Un studio, une larme d’adolescent,
Un oreiller de mots rien que pour vous. Le tintement des tasses, les gens qui trinquent et qui partent, une colonie de corbeaux, une célébration, un jour de fête.
Une mélodie qui vous rappelle à la maison lorsque vous ne savez pas où le monde vous a porté.”
UN SENTIMENT D’APPARTENANCE
JURI KOLL, Fondateur de l’institut d’Art
Contemporain de Venice (VICA), rend hommage à Venice Beach, en Californie
Un sentiment d’appartenance, c’est synonyme de “communauté”, soit un groupe de personnes résidant au même endroit, ayant une caractéristique particulière en commun. Sa racine vient du mot “commun” qui veut dire, “rencontré/fait souvent; ou manquant de goût et de raffinement: vulgaire, malélevé, incivilisé…”.
Avec une régularité cyclique, répétitive et dévastatrice (tous les dix ans environ), les artistes, les créatifs, et leurs familles sont contraints de quitter Venice Beach, Santa Monica, Culver City, ou le centre-ville de Los Angeles, à la recherche d’ateliers et de maisons dans l’est de Los Angeles et au-delà afin de survivre. À un moment ou un autre, ils ont perdu leurs maisons, leurs ateliers, leurs moyens de subsistance, et leurs amis. Cela détruit le bien commun et cela détruit la communauté.
JURI KOLL
Malgré cette histoire marquée par le cercle vicieux de la gentrification (de Montmartre et d’autres, en passant par NYC, jusqu’à nos jours), on n’est pas dans l’obligation de perdurer de cette manière. La valeur d’esprits créatifs dans une communauté est inestimable. Prenons l’exemple de Venice Beach, le tourisme amené par tout ce qui est culturel représente plus d’argent dans les coffres de Los Angeles, à hauteur de plus de dix-sept millions de visiteurs par an, que toutes les autres attractions du comté réunies. Une partie de ce pouvoir et de cet argent doit rester ici, pour nos studios et pour nos plages. En grandissant, j’étais plutôt isolé, enclavé dans le désert au nord de Venice Beach, là où Cal Arts (L’Institut d’Art de Californie) se trouve aujourd’hui. Le cinéma local, qui avait seulement une salle, était l’unique lieu culturel. J’y passais la majorité de mes samedis, seul, les yeux rivés sur les ombres à l’écran. Plus tard, j’ai fini par retourner là-bas, et obtenir mon diplôme de Cal Arts, la boucle était bouclée.
J’ai acheté mon premier appareil et j’ai rencontré mon premier prof de photographie, Anthony Lovette, quand j’avais quinze ans. La photo et M. Lovette
UN SENTIMENT D’APPARTENANCE
ont changé ma vie. Les relations précieuses comme celles-ci ont durées et ont contribuées à en former de nouvelles au cours des quarante et un ans où j’ai exercé en Californie du sud. Sans mon professeur et d’autres artistes, cinéastes, musiciens, poètes, visionnaires, ainsi que leurs partisans et amis, on n’aurait pas le centre culturel de classe mondiale que nous avons aujourd’hui à Venice Beach.
Edmund Teske, mon premier mentor, a photographié Jim Morrison et the Doors assez souvent à Venice Beach ainsi que vers son studio de Harvard Ave., à Hollywood. J’ai rencontré beaucoup de gens formidables lors de ses célèbres séances photos à travers les années 70 et 80, dont la plupart desquels vivaient et travaillaient à L.A: Robert Heinecken, Stephen Cohen, Ulysses Jenkins, Jean Ferro, the Witkins, Edna Bullock, Lawrie Margrave, Gloriane Harris, Michael Salerno, Nils Vidstrand, Larry Bump, et bien d’autres.
Quand j’étais enfant, j’allais à Venice Beach, je voyais ces arches le long de la promenade et de Windward Avenue, et je n’avais qu’une hâte: celle de grandir
JURI KOLL
aussi vite que possible afin de pouvoir y habiter. C’était la fin des années 60 (c’est fou). Je voyais Venice comme un dernier refuge pour les optimistes et les opprimés, j’adorais ça. Je pourrais en dire de même pour Hollywood et d’autres quartiers de Los Angeles.
Quand je suis venu à Venice en tant qu’adulte, la première personne à laquelle j’ai acheté de l’herbe était un peintre connu et un prof à l’Otis Art Institute, c’était un type bien. Il habitait au sommet du Waldorf, au bout de l’avenue Westminster. On se voit encore de temps à autres, je le vois souvent avec sa femme (qui est une artiste célèbre), lors de vernissages. Je visitais son atelier à l’occasion pour voir ses nouvelles œuvres, toujours drôles et provocatrices. Il a dû quitter Venice lorsque les loyers sont devenus trop chers, à la fin des années 80 ou début années 90. C’est ma petite-amie qui nous a présenté, elle était une peintre extraordinaire, je faisais un film sur elle à l’époque. Son ex-mari, son ex-copain, et moi sommes restés amis, ce sont des artistes et ils ont dû quitter Venice et partir au centre-ville de LA à la fin des années 70, eux aussi.
Des relations plus récentes incluent des artistes important tels que: Sonja Schenk, Doug Edge, Sandy Bleifer, MB Boissonnault, Fatemeh Burnes, KuBO, Kio Griffith, Maria Larsson, Amy Kaps, Lisa Rosel, Catherine Ruane, Osceola Refetoff, Barbara Kolo, Sam Ehrenberg, Taylor Barnes, Joe Fernandez, Debi Cable, Suda House, Cosimo Cavallaro, Jae Hwa Yoo, Joel King, Mei Xian Qiu, Zadik Zadikian, Joost de Jonge, et de nombreuses autres personnes pour lesquels j’ai eu le privilège d’organiser des expositions, avec qui j’ai pu exposer ou que j’ai pris pour sujets dans mes écrits.
Il est temps de tisser cette économie créative dans la structure de cette communauté si étroitement qu’elle ne pourra plus jamais se défaire. C’est faisable, et ça se fait partout dans le monde. Impliquez-vous dans votre communauté, c’est quelque chose que nous avons tous en commun.
A SENSE OF PLACE
JOSHUA ELIAS
PRÉSENTE SES IDÉES
SUR L’ESPACE, LA COULEUR, LES LIGNES ET LA VIE
Le peintre abstrait Joshua Elias a quitté son environnement survolté du centre-ville de Los Angeles, en Californie, pour être l’un des premiers résidents à 3.1 Art à Saissac, en France. Elias est un habitué des programmes de résidence artistique et/ou d’écriture, il en a fait en Espagne et en Islande. Nous autres à Liminal Space étions curieux de savoir ce que Joshua Elias a créé, planifié, conçu et, plus généralement, sur quoi il s’est penché depuis qu’il a terminé sa résidence à Saissac.
L|S: En tant qu’artiste en milieu de carrière, est-ce que vous avez médité sur votre art et ce que vous avez accompli jusqu’à présent? Y a-t-il encore des montagnes créatives que vous souhaiteriez gravir?
JE: Bien sûr que je l’ai fait. C’est comme tout… un peu compliqué parce qu’il y a l’envi de laisser le passé derrière soi mais, en même temps, on veut apprendre de celui-ci. J’ai contemplé des œuvres que j’avais faites, disons, il y a une vingtaine d’années, et pour une raison quelconque, je suis capable de retourner à ces périodes et de me souvenir de ce qu’il se passait dans ma vie à ce moment-là. Je dirais que l’atelier (dans le Brewery Arts Complex dans le centre-ville de Los Angeles) que j’occupe actuellement, a une histoire. Les murs ont une histoire. Le sol et les diverses choses qui le composent ont une histoire. J’ai pris cet atelier en 1999, quand j’ai commencé à peindre à plein temps. J’ai eu une commande de plusieurs petits tableaux, c’était un grand projet pour un hôtel de charme, cela justifiait l’acquisition de mon propre atelier. Ce projet était un grand tournant dans ma carrière, travailler pour Kelly Wearstler, cette jeune designer qui a fini par devenir un grand nom dans son secteur.
Elle (Wearstler) voulait que je fasse des tableaux dans le style de Rothko. Je me souviens que lorsque je travaillais dans cet atelier, je n’avais pas de distractions, pas de téléphone et pas d’ordinateur. J’ai réussi à créer quarante-huit peintures en deux mois. Je me familiarisais avec les couleurs, même si j’avais l’impression que c’etait quelque chose d’acquis. Maintenant je regarde ces œuvres, non pas de manière idéaliste, et je me dis: “ah, et bien, ça avait l’air d’aller.”
Gauche: Joshua Elias dans son atelier qui se trouve dans le Brewery Arts Complex de downtown Los Angeles, en Californie.
JOSHUA ELIAS
Je gagnais de l’argent, les choses allaient bon train, ce qui est toujours le cas. Il faut prendre le temps de contempler la “création” des œuvres, et non la carrière. En d’autres termes, j’étais dans le moment présent, il est difficile de voir votre œuvre en même temps. Mais vous vous demandez si, à ce stade, je repense au passé? En voilà l’exemple.
L|S: Dites-moi en plus sur la résidence que vous avez faite en Islande.
JE: J’ai fait une œuvre pour une exposition à Santa Monica (Californie), à DCA, et j’étais très enthousiaste. Je regardais des photos qui donnaient un aperçu du climat dans le monde. Quelqu’un m’avait donné des livres à ce sujet et l’un d’entre eux traitait de l’Islande. J’ai fini par intituler l’œuvre The Way Water Moves in Iceland (les mouvements de l’eau en Islande).
J’ai terminé ma contribution pour cette expo en 2006-7. Des années plus tard, une personne qui avait une agence de voyages à Los Angeles, me l’a achetée. Le propriétaire m’a invité à un “truc” spécial en Islande, il s’agissait d’une retraite d’écrivains/artistes.
Ci-dessous: DO NOT OPEN THE BOX
Huile sur toile, 2024
L’atelier s’appelait “Iceland Writers Retreat” (IWR). C’était la première ou deuxième année qu’ils organisaient cet événement. J’y suis allé et j’ai vécu une expérience magique. Le paysage était simplement incroyable, un endroit sans arbre! C’est que de la lave, ce qui donne vraiment l’impression d’être sur la lune. On a littéralement l’impression d’être sur une autre planète puisqu’il n’y a aucune ressemblance à quoique ce soit de familier. J’ai beaucoup voyagé, notamment en Europe, mais je
n’avais jamais rien vu de semblable. J’ai même réussi à voir les aurores boréales dans toute leur splendeur.
J’étais tellement ému par ces écrivains, que j’ai pu créer un ensemble de tableaux grâce à cette expérience, je l’ai intitulé Rock Light . Nous l’avons mis en distribution avec la Fathom Gallery, à Los Angeles.
L|S: Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur le livre que vous avez écrit lors de votre expérience islandaise?
JE: Durant l’atelier d’écriture j’ai composé un livre, une nouvelle, qui était inspiré par le mythe ancien d’un homme qui était resté prisonnier d’un rocher pendant dix mille ans et qui devait trouver une façon de s’en sortir. J’étais tellement bouleversé émotionnellement et spirituellement durant mon séjour que mes expériences en sont devenues divines, notamment quand je me suis retrouvé devant le glacier. Je voyageais vers le sud lorsque j’ai décidé de faire une petite excursion. Avant que je parte, j’avais dit à un ami que j’enterrerai quelque chose pour lui en Islande. J’étais donc sur cette petite excursion en voiture quand j’ai aperçu ces glaciers. Je traversais un moment déchirant de “fin de mariage” et … j’ai commencé à pleurer. J’étais très émotif à la vue de ces glaciers. À ce moment-là, j’ai réalisé que je devais enterrer cet objet pour mon ami.
Je me suis arrêté sur le bord d’une route et il n’y avait rien. Personne. Il n’y avait absolument rien, mis à part ces magnifiques chevaux islandais en train de dormir. Ils se sont réveillés quand j’ai arrêté la voiture et ils me regardaient l’air de dire: “qu’est-ce
Ci-dessus: SHE BRAKES
Huile sur toile, 2021
qu’il fait là lui?” J’étais aux anges parce que tout était parfaitement charmant. Encore une fois, je me suis souvenu qu’il fallait que j’enterre ce truc; ce qui, en Islande, est mission impossible. Le pays entier est fait de lave. C’est que de la roche, bien solide et bien dure. Je ne sais pas comment, mais j’ai réussi à creuser sous un rocher, en quelque sorte, et à enterrer le bréchet de mon ami. Après ça, j’ai roulé vers le sud jusqu’à trouver un endroit avec une cascade, il y avait un double arc-en-ciel. C’était tellement beau et incroyable. Je savais que je n’irais pas plus loin après ça. Parfois il faut accepter la beauté de l’endroit où on se trouve. Et voilà.
L|S: Diriez-vous que c’est une analogie du moment où vous atteignez le point sur une peinture où il faut lâcher prise?
JE: Oui, c’est bien vrai; c’est une réussite d’être éveillé et de le reconnaître. Notre boulot, en tant qu’artiste, c’est de communiquer une idée mais aussi de savoir reconnaître le moment où l’œuvre est “comme elle se doit”. Peut-être qu’une peinture nécessite quelques petites touches finales, des petits ajustements pour mettre quelque chose en valeur, etc., mais on se doit aussi de l’honorer.
L|S: Vous savez vraiment raconter une histoire, vous tissez les mots en un beau récit. Jusqu’à présent, nous avons parlé de regarder en arrière, qu’en est-il de regarder vers l’avant? Vous avez parlé d’écrire, mais y a-t-il d’autres véhicules que vous souhaiteriez explorer?
JE: En ce moment, j’écris un livre sur la créativité. Je suis vachement branché partage d’idées, c’est la base de tout ce qui se trouve dans mes écritures et dans mes peintures. J’expérimente avec des petites sculptures, ça fait des années que je travaille avec des petits blocs, mais je n’ai pas vraiment fait de progrès. J’expérimente aussi avec l’échelle de mes tableaux. Je suis essentiellement un peintre, mais j’aime aussi faire le show.
L|S: Quand vous avez créé votre premier ensemble d’œuvres à Saissac, vous avez combiné la peinture et la poésie. Pouvez-vous élaborer là-dessus?
JE: C’est vrai, Saissac c’est transformé en un projet poétique. J’ai écrit sur les oiseaux, l’air et la Vernassonne. L’atelier à 3.1 Art s’agit véritablement d’une vue panoramique. Les gens pensent que le cadre d’une image se limite à la sélection qui se trouve sur leur iPhone, mais ce n’est pas du tout ça. C’est du 360. La vue depuis l’atelier à 3.1 Art est très vaste. C’est comme si vous voliez, un coup vous êtes en bas du ravin vers la rivière, un coup vous êtes dans l’air au-dessus des arbres. La vue depuis cet atelier est magique.
D’une certaine manière, je me considère un peu comme un oiseau puisque je regarde les choses d’une vue d’ensemble, même dans mes peintures abstraites. Je suis vraiment attaché à cette idée, c’est une imagerie poétique mais, c’est bien réel pour moi.
L|S: Par curiosité, est-ce que vous vous identifiez à la collection de tableaux Ocean Park (Santa Monica, Californie) de Richard Diebenkorn? Il s’agissait d’œuvres abstraites d’une vue aérienne de paysages.
JE: Il me semble qu’il (Diebenkorn) était un pilote pendant la guerre et qu’il a été inspiré par les vues aériennes. Ses tableaux étaient presque des champs et des lignes de couleurs. On peut voir l’intersection lorsqu’il a fait un paysage abstrait en arrièreplan, ou une pièce, avec son travail figuratif. C’était le stade développemental lorsqu’il n’était pas tout à fait au-dessus de la terre. Il regardait par la fenêtre et travaillait sur la collection Berkeley . J’étais très ému par ses tableaux. Je les ai vu au musée de Young (à San Francisco), il y a des années de ça. Elles ont une composition incroyable. C’est un ensemble de peintures spectaculaires parce que la couleur est parfaitement équilibrée et intéressante, et son jeu de lumière est très avancé.
Ci-dessus:
TITLE HAS YET TO ARRIVE
Huile sur toile
JOSHUA ELIAS
En bas à gauche: ELPIS 1
Huile sur toile, 2021
En bas à droite: ELPIS 2
Huile sur toile, 2021
L|S: Le mot “composition” soulève une question au sujet de votre travail, je vous associerai plus avec la couleur et la lumière, mais quelle est votre approche en termes de composition lorsque vous peignez? Il semble que vous êtes très abstrait dans votre manière de travailler.
JE: Je trouve que les problèmes sont une bonne chose en peinture mais pas nécessairement dans la vie. Une chose à prendre en compte c’est comment le tableau se lit. D’où est-ce que je viens en “lisant” cette peinture? Comment je l’interprète? Par exemple, les occidentaux lisent de gauche à droite. Donc, si on tient compte de cela, la partie gauche d’un tableau, à mes yeux, est souvent la base et le point de focalisation d’une œuvre. La partie gauche fait avancer les choses. En gardant à l’esprit que ça dépend aussi du rythme vertical. L’horizontal relève plus du narratif, selon moi, dans la manière où les choses se déroulent et avancent avec une forte lecture de gauche à droite, comme quand on lit une histoire.
L|S: Je trouve intéressant que votre réponse concernant la composition renvoie à l’écriture, on dirait que les deux sont interchangeables à vos yeux. Même si vous ne vous en rendez pas compte, j’ai l’impression que vous pensez et ressentez la chose comme ça.
JE: Je me suis lancé dans l’art après une carrière dans le cinéma, durant les années 80, je me suis retrouvé dans le négatif, c’est alors que j’ai vu David Hockney parler à SCI Arc. C’était une pièce dans un espace industriel à Santa Monica (Californie), elle était pleine à craquer. Hockney est arrivé et a montré un film où il était en train de parler.
Dans le film, il montrait des parchemins du XVe siècle venus de Chine, dont un qui représentait un marché qui était d’un point de vue presque aérien. Cependant, étant donné qu’il s’agissait d’une œuvre dans le style traditionnel chinois, ce n’était pas dans une perspective à trois points: les personnages ne se devaient pas d’être plus petit à mesure qu’on s’éloignait du premier plan. Malgré cela, vous aviez la possibilité de vous mouvoir entre les étals dépeints vu qu’il s’agissait d’un parchemin qui allait d’un côté à l’autre (un format horizontal). J’ai beaucoup réfléchi à ça, et j’y réfléchis encore, concernant la composition et la possibilité de se déplacer à travers une toile horizontale. Les gens ont besoin de place afin de visualiser et d’orchestrer la composition de leur propre point de vue, puis de manière plus profonde. Il faut trouver cet équilibre entre les formes connues, celles qui sont aériennes, et celles qui sont opaques. C’est un problème pour moi et j’y pense constamment.
L|S: L’échelle est un élément important et c’est directement lié à ce dont vous venez de parler. Vous avez dit que les gens ont besoin d’espace pour voir la composition. Lorsque vous allez expérimenter avec l’échelle de vos œuvres, est-ce que vous envisagez de faire en beaucoup plus petit ou beaucoup plus grand? Comment estce que cela vous affecte en termes d’espace dont les gens ont besoin?
JE: Oh, c’est une bonne question. Il est encore tôt, pour l’instant il y a beaucoup de blanc et d’espace. J’essaie de ne pas sur-peindre. Elles donnent une sensation de légèreté malgré le fait que j’utilise des tons chauds et des couleurs plus lourdes, des ocres avec différents types de blancs aciers, des choses comme ça. Quand je les regarde, les tableaux donnent l’impression d’être des aquarelles alors que ce sont des huiles sur toile de 140 lb.
Je ne sais pas quel nom leur donner, ou même si ce ne serait pas des études pour des œuvres plus grandes. Je suis très conscient de l’échelle parce que, comparé à d’autres, je peint en grand. Ceci étant dit, je ne peint pas à l’échelle de “Gagosian” ou “Hauser Wirth”, ces galeries sont des espaces énormes. Quand vous travaillez à cette échelle, c’est presque comme si vous pouvez prendre plus de risque.
Enfin, c’est délicat, il faut oublier le coût de la toile sur laquelle vous travaillez, etc. Il faut vraiment faire abstraction. Il y a une confiance, une voix, quand vous êtes en train de peindre. Elle pourrait dire: “Ça, c’est ça, et ça, c’est ça.” Ou bien: “soyons
réaliste, ça, ça ne marche pas.” Ou encore: “Ça, ça marche.” Ce dialogue est plus évident sur un tableau plus large.
Sur une petite toile, vous faites une marque et ça peut tout changer! C’est facile de revoir une compréhension de la composition sur une œuvre plus petite. Quoiqu’il en soit, ça prend autant de temps à peindre un petit tableau qu’un grand. C’est une bonne façon de résoudre des problèmes, mais quand on les agrandit, on en trouve de nouveaux. Pour être honnête, je ne les utilise pas comme des études, même si c’est ce que je dis parfois. Je sais que l’échelle change tout. C’est comme dans tout ce qui relève du créatif (l’écriture, la musique, la peinture, tout), il y a l’idée et il y a la réalité, ce qu’elle se trouve être vraiment. Il y a un gouffre énorme entre les deux (l’idée et sa réalisation).
L|S: On a parlé de technique. Je sais que votre démarche est très intellectuelle. Dans cette optique, quelles sont, selon vous, certaines des idées plus profondes sur lesquelles vous travaillez en ce moment? Par exemple, vous avez récemment publié des travaux que vous avez déclarés être basés sur des idées concernant l’audelà. Encore une fois, je trouve ça intéressant parce que vous traitez d’un espace “intellectuel” mais vous traitez aussi des concepts de l’au-delà, de la vie, de la mort, des endroits qui, théoriquement, seraient dénués de couleurs. Vos travaux récents semblent célébrer ce phénomène. Êtes-vous conscient de la direction que vous prenez lors de l’exploration de ce sujet?
JE: C’est comme quand vous conduisez, est-ce que vous allez tourner à gauche ou à droite? Où allez-vous? Une partie de moi ne veux pas le savoir. Pourtant, d’y penser et d’en parler, revient à se demander: “Est-ce que c’est vraiment la direction que je prends?” Je peint depuis 1985, et je n’ai toujours pas la réponse. C’est pour cette raison que j’écris un livre sur la créativité, c’est autant pour moi-même que pour partager avec les autres et les inspirer à la création.
Je dirais une chose, quand vous terminez un tableau, il y a une mort. Ce n’est pas quelque chose de négatif. C’est juste une mort. Peut-être que vous allez entamer un autre projet, et cet espace intermédiaire est le même que celui à partir duquel vous créez: l’espace entre la vie et la mort. Du coup, l’atelier est un peu comme l’utérus et le cimetière. Je me rapproche de plus en plus du moment de création véritable et je veux le démontrer en incorporant cet espace dans mes œuvres. C’est presque comme si je partageais le moment de création, enfin je l’espère, avec quiconque voit le tableau. Je leur laisse le temps de réfléchir à cet espace et d’avoir la possibilité de s’impliquer dans les formes, les figures, le mouvement, la couleur, et la lumière. Je veux donner au public l’occasion de voir que l’espace est le même que celui à partir duquel vous créez: l’espace qui est entre la vie et la mort.
J’ai fait un ensemble de onze tableaux sur une période de trois ans, de 2021-4, intitulé Life Maps . J’ai terminé les quatre derniers il y a six mois et, maintenant, je fais
ELIAS
JOSHUA
JOSHUA ELIAS
“quand vous terminez un tableau, il y a une mort. …Du coup, l’atelier est un peu comme l’utérus et le cimetière.”
des tableaux sur la vie après la mort. La vie, la mort, et la vie encore. La collection Life Maps est basée sur l’idée d’Hilma af Klint; elle a fait dix grands tableaux de différentes périodes de sa vie. C’était l’idée derrière Life Maps . Maintenant je fais la vie après la mort. Je m’intéresse au subliminal, à l’espace intermédiaire de cette idée. Selon moi, c’est de là que nous créons, je pense qu’on tire cette créativité du néant.
L|S : Un autre sujet intéressant que j’aimerais approfondir: votre mère et votre sœur sont aussi des artistes connues.
JE: Ma mère, Sheila Elias, et ma sœur, Joyce Elias, sont toutes deux artistes. C’est ma famille immédiate, en gros. Ma mère et ma sœur habitent la région de Chicago dont je suis originaire. Il y a un endroit, pas loin de la ville qui s’appelle Highland Park, c’est sur le lac et c’est un centre artistique incroyable. Ma mère, ma sœur, et moi, avons rencontré le conservateur vu qu’on envisageait tous les trois de faire une exposition. À l’été 2022, on l’a mis en place et ça s’est avéré être une très, très grande exposition. Je pense que c’était une expo de qualité, et on a eu un retour exceptionnel. C’était vraiment extraordinaire de faire ça avec ma mère et ma sœur. Une semaine plus tard, j’ai pris un vol pour Saissac, pour faire ma résidence à 3.1 Art.
L|S: Vous et la peintre MB Boissonnault avez été les premiers résidents de 3.1 Art. À ce moment-là on n’était pas encore tout à fait au point. Qu’avez-vous retenu de cette expérience?
JE: Il y avait des moments qui étaient très enrichissants et qui façonnent tous les aspects de votre art.
Pendant ma résidence artistique, je voulais peindre plus grand, mais je ne l’ai pas fait. Je n’arrivais pas à envisager la logistique. J’ai fait plusieurs petits tableaux et je regardais souvent par la fenêtre, d’où je voyais des oiseaux faire des plongeons d’une hauteur de 120 mètres pour descendre directement dans les bois. Il y en avait deux. Je me suis dis: “Mais qu’est-ce qui a bien pu se passer?” C’est fou. Ils allaient aussi vite que possible.
J’étais témoin de phénomènes météorologiques, tels que ce brouillard étrange qui apparaissait sans raisons particulières à différents moments de la journée. Soudainement, il y avait zéro visibilité. Et puis, ça se levait, comme s’il n’y avait jamais rien eu. Les oiseaux se pointaient à quinze heures tous les jours. Ils venaient se mettre sur le rebord de la fenêtre, l’un après l’autre. J’étais témoin de toute cette vie, ce qui est très informatif pour moi. L’espace à 3.1 Art avait une lumière somptueuse. J’adorais cuisiner et manger là-bas, à la table, dans la salle à manger. On a vraiment eu de bons repas et de bonnes conversations. C’était génial. Je me rappelle, quand je suis rentré, j’avais un grand tableau (très long) dans mon atelier sur lequel j’avais travaillé par intermittence pendant dix ans. J’ai peint par-dessus. Une grande partie est en blanc et une sorte de couleur pêche, pas de jaunes, et ce sont différentes nuances de blanc. J’avais des silhouettes marrons dessus, avec des caractéristiques d’oiseaux. Intitulé The Title is Yet to Arrive.
ELIAS
Ci-dessous: Joshua Elias travaillant dans l’atelier principal de 3.1 ART, à Saissac, durant l’été 2022.
Vous pouvez le suivre IG @joshuaelias57
JOSHUA
Lettre d’amour à VENICE BEACH, CALIFORNIE
DE BOISE THOMAS
Chère Venice Beach,
Bonjour. Passer la nuit avec toi le weekend dernier pour reconnecter m’a laissé nostalgique. Ça fait plus de 21 ans qu’on s’est rencontrés, 16 ans depuis que j’ai emménagé, et 18 mois que je t’ai quittée afin de voyager à travers le monde et écrire un livre. J’ai passé du temps avec d’autres, comme j’ai passé des mois dans la solitude. Être loin de toi a été beaucoup de choses: un challenge, un moment solitaire, révélateur, une aventure. Mais avant tout, c’était une pause bénéfique dont je ne pensais pas avoir besoin.
Te rappelles-tu le message qui défilait sur mon écran d’accueil qui disait: “Cela aussi passera.” La loi universelle de l’Impermanence, embêtante mais fiable, d’après laquelle tout change et rien ne reste tel quel. Toutes choses naissent et meurent à chaque instant. Y compris les relations, sans pour autant s’y limiter, qui se terminent par une séparation ou une mort. Toi. Moi. Nous. Tout. Ma chère Venice, on a tous les deux changés et malgré le fait que mon amour pour toi perdure toujours, la manière de l’exprimer est en train de changer et je ne pouvais pas le voir tant que je n’avais pas fait cette pause.
Sache que je ne suis pas parti parce que j’ai cessé de t’aimer TOI, même si ma vie s’organisait autour de toi. Ma chère Venice, j’étais identifié par ma relation avec toi. Je ne savais pas à quel point j’avais besoin de temps pour régler les choses. Onze pays et onze journaux plus tard, c’est ce qu’il m’a fallu pour entendre haut et fort ce que je savais déjà au fond de moi. Malgré que nous soyons bien ensemble (au point que, même quand nous n’étions pas d’accord, on ne pouvait s’empêcher de s’aimer), on ne peut pas se leurrer, la vérité, Venice, c’est que nous avons tous les deux changés.
Que tu vois la chose de la même façon ou non, ce n’est pas pour cela que je t’écris. J’écris cette lettre ouverte comme un rappel, mais aussi pour t’ouvrir mon cœur et pour te remercier de tout ce que tu as fait pour moi. Je veux te demander pardon. Je veux m’excuser pour mon rôle dans ce dénouement. Notre amour change, je sais que ce n’est pas la fin, nous nous aimerons toujours. On est dans un entre-deux: on n’est ni la chenille, ni le papillon, mais la substance dans le cocon. Je te veux toujours. Je t’aime toujours. Je ne sais juste pas à quoi les choses vont ressembler pour nous à l’avenir.
L’éternel idiot en amour, j’ai tout essayé pour empêcher ces changements d’avoir lieu. Mais ça ne marche pas comme ça. C’est la loi: tout change. Chère Venice, on a laissé nos amis artistes être victimes de la hausse des prix pendant qu’on s’accrochait à notre spot. J’ai l’impression que j’aurais pu faire plus et malgré que ce ne soit pas fini entre NOUS, pour tant d’autres ça l’est. Et ça, j’en suis désolé.
Tout change. Toi. Moi. C’est la loi.
Ma chère Venice, quand je te vois après une longue séparation, je suis heureux et requinqué. Je retrouve l’amour que nous partageons, l’amour que tant de personnes qui lisent ceci connaissent au plus profond de leur cœur. Te voir, faire du vélo sur la plage, parler à nos
Lettre d’amour
à VENICE BEACH, CALIFORNIE
voisins dans la rue, prendre un café à Groundwork, et manger à Cafe G, était merveilleux. Mais tu n’es plus la même à mes yeux. Tu as changée.
Venice, tous les jours avec toi était comme une nouvelle aventure, même si on faisait toujours les mêmes choses, c’est peut-être pour cette raison qu’on aimait tant notre routine? Pourtant, cette dernière visite, se réveiller le dimanche et se promener sur Rose Avenue n’était plus pareil. Les gens ne disent plus bonjour, et quand je les salue, ils me regardent parfois bizarrement. Ce n’est pas NYC! C’est Venice! Qu’est-ce qui a bien pu se passer pendant mon absence? Aller prendre une boisson au café du coin et ne pas connaître les gens qui y travaillent, était une expérience nouvelle. Sur les treize personnes présentes, onze étaient sur leurs écrans et deux se parlaient à voix basse. Venice, te souviens-tu quand c’était l’inverse, quand personne n’était sur un écran et que tout le monde discutait avec tout le monde? Profiter d’une longue balade à vélo sur la plage était une autre activité qui paraissait normale jusqu’à ce que je doive éviter les scooters électriques qui étaient là illégalement, je ne pouvais pas t’apprécier comme avant.
Ma chère Venice, tu es bizarre et sauvage, c’est ce que j’aimerai toujours chez toi. J’assume ma part de responsabilité dans notre éloignement, dans la façon dont nous avons tous les deux évolués, mais je me devais de dire cette vérité: tu n’es plus la même et ce que nous étions me manque. Tout change et, parfois, le changement ça craint. Ce qu’on avait me manque.
Ce qui ne me manquera pas c’est de me garer à plusieurs pâtés de maisons de la porte d’entrée, d’avoir à courir, tout en évitant les obstacles formés par les sacs de couchages, les nuées de fumées étranges, et les disputes domestiques occasionnelles; me forçant à traverser la route. Venice, ton côté électrifiant est parti.
En revanche, tous les soirs passés à nous balader dans les rues sales me manqueront. Tu étais toujours calme et sereine, alors que moi j’étais à la fois effrayé, excité, et fier. Il y avait rarement une nuit silencieuse, l’air était toujours empli de musique, des sons de voisins bruyants qui, au bout d’un moment, laissaient place à des foules de touristes voulant s’essayer à notre mode de vie.
J’organisais des concerts l’été dans mon jardin, ainsi que des rassemblements le dimanche, et cela pendant des années, mais nous ne cherchons plus des fêtes chez des particuliers. On entendait la musique depuis la rue et on entrait avec des cadeaux: un pack de bières, une bouteille et/ou une pochette de ganja/pétard. Ces provisions étaient les bienvenus de la part d’un arrivé tardif et ça importait peu que vous connaissiez l’hôte ou non.
Ma chère Venice, on ne voit plus les membres de Houseless Humans, d’OG Bloods, the Crypts ou de V13. Ils avaient pour habitude de revendiquer les rues de la manière qu’ils trouvaient la plus efficace, ils faisaient des battles périodiquement, puis mensuellement, et maintenant, moins souvent.
On ne peut plus aller dîner pour 15 ou 20 dollars de nos jours.
Il y a plein d’options mais ce n’est plus ce que c’était; des tacos et une bière, ou des margaritas et un repas. Il y a tellement de restaurants maintenant, mais quand on mange ensemble, on voit rarement nos voisins aux autres tables.
Je suis désolé de ne pas t’emmener dîner comme je le faisais auparavant. Je ne sais pas ce que nous aurions pû faire différemment, mais ça me rend quand même triste. Venice Beach, tu me manques. Ces jours-là me manquent. Ho’o pono pono, ma bien aimée.
Depuis, Abbot Kinney Blvd est devenue la rue la plus cool d’Amérique et Rose Ave s’est fait piquer par la même mouche après que la boulangerie Pioneer a fermé ses portes. On sait tous ce qui c’est passé avec le secteur immobilier résidentiel et commercial ces dernières années, nous avons dû dire au-revoir à nos voisins de longue date et à une myriade d’artistes qui ont vraiment fait de notre chez nous le lieu incontournable. La Loi de l’Impermanence à l’œuvre: le changement constant est la seule constante. Tu es toujours étrange et sauvage. Mais on a changé et ce n’est plus pareil. Venice, je t’aimes toujours.
“Fais attention à ce que tu souhaites, tu pourrais l’obtenir”, c’est quelque chose que les mères répètent sans cesse à leurs enfants. Un conseil que j’aurais dû prendre en compte lorsque nous avons souhaité que le Whole Foods, haut de gamme, rachète le magasin discount, Big Lots, dans les années 2000. Le résultat de nos vœux collectifs, ainsi que de notre usage continu (et notre abus) du mot “MANIFESTER”, a créé la congestion à l’intersection de Lincoln et Rose, ou comme je l’appelle, “Stinkin’ & Blows”. Venice, tu n’appréciais pas toujours les surnoms que je te donnais, tu m’aimais malgré tout. Peut-être que ça fera moins mal quand nous prendrons notre premier verre à WitZend et qu’on replongera dans la musique locale.
Détrompes-toi Venice, tous ces changements ont eu lieu lorsqu’on était toujours ensemble. Au fond, on savait que la fin était proche. Il fallait qu’on se reprenne en main, qu’on se débarrasse de l’ancien et qu’on remette de l’ordre dans notre maison. Mais ça ne veut pas dire que je ne regrette pas ce que nous étions avant. Il est facile d’oublier les mauvais moments. Malgré que tout paraisse mieux maintenant, il y a des choses qui me manquent énormément qui ne seront plus jamais les mêmes. C’est là d’où vient la majorité de ma tristesse.
Venice, tu m’as soutenu et tu as aimé mes façons grégaires, tu souriais, même quand mes voisins m’ont élu “Maire” de notre rue, Flower Ave. Je ne cesserai jamais de promouvoir la communauté aussi longtemps que je vivrais et même si tu feras toujours partie de cette passion, le monde est tellement plus grand, il y a tellement de gens à réunir. Je t’emmènerai avec moi et tu seras toujours mon chez moi, car une grande partie de mon cœur restera toujours ici avec toi, Venice.
On ne peut plus dire “bonjour”, à nos amis Houseless, comme on l’a fait durant des années avec nos voisins de Venice Beach. Curieusement, on ne voit plus les gens que l’on connaissait autrefois, il y a de nouveaux visages tous les jours, et ils nous sont tous étrangers.
Ma chère Venice, je suis désolé de ne pas avoir réussi à créer des solutions humaines qui fonctionnent main dans la main avec le gouvernement et les entreprises locales; j’aurais dû m’intéresser davantage à ce qui arrivait à notre communauté. Je t’aime tant.
À toi ma bien aimée Venice Beach, Californie, 90291, je te dis:
Je t’aime,
Merci, Pardonne-moi,
Je suis désolé,
Ho’o pono pono.
Bisous, Moi
Lettre d’amour
à VENICE BEACH, CALIFORNIE
Boise Thomas est un acteur et écrivain. Auteur de How’s Your Heart? Une collection captivante d’interrogations, de problèmes, et d’énigmes sous forme de poèmes, d’essais, et d’illustrations, venant tout droit du raisonnement de Boise Thomas.
Vous pouvez le suivre IG @boise.thomas
TONY MAC 99.1 FM VENICE RADIO
À VENICE BEACH, en Californie, vous aurez l’opportunité d’écouter 99.1 FM, une station radio à l’ancienne, inspirée des stations rebelles des années 1970. La chaîne n’est diffusée que de la “voie rapide à l’autoroute”. Un rayon d’environ 8km. Si vous êtes assez chanceux pour habiter dans “la zone”, vous profiterez d’un mélange éclectique de musique et d’émissions de Tony Mackenzie (alias Tony Mac), habitant de Venice beach, et d’autres DJs invités.
Tony Mac a quitté une banlieue ouvrière de Londres pour venir à Venice Beach en Californie, au moment où les émeutes de Rodney King ont éclaté, en 1992. Il a trouvé un style de vie peu coûteux qui lui a permis de s’adonner à ses deux grandes passions: la musique et le surf. Mac adore les locaux, le mélange éclectique de créatifs qui font de Venice Beach… Venice Beach. Il a lancé la station radio non seulement pour diffuser de la musique, mais aussi pour raconter des histoires et pour éduquer les gens.
L|S: Pourquoi avoir fait une station radio à Venice Beach? Qu’est-ce qui vous a motivé?
TM: J’ai toujours adoré la radio. Je suis passionné de musique depuis toujours et j’en suis collectionneur. (Tony Mac a une importante collection de vinyles personnelle dans son studio, dont il se sert régulièrement pour ses playlists.) Je me suis dit “pourquoi ne pas diffuser de bons morceaux”. 99.1 FM attire beaucoup de monde, on me contacte tout le temps. Il y a des gens qui cherchent de la nouvelle musique, ils sont cachés, mais ils surgissent de l’ombre et entrent en contact.
L|S: Quelle est la portée de cette station?
TM: Elle est diffusée à Venice uniquement. C’est comme ça que j’aime les choses pour le moment. Vous arriverez seulement à la capter si vous êtes dans le quartier. On envisage de la mettre sur internet un jour. Il y a un million de stations radios sur internet et je préférerais ne pas me perdre dans la foule. J’aime bien que Venice 99.1 FM n’a qu’une portée de 8km. L’émission s’interrompt quand vous arrivez sur l’autoroute 10 et elle s’interrompt quand vous arrivez sur l’autoroute 91.
L|S: C’est donc calqué sur les anciennes stations de “radio pirate” des années 70?
TM: C’est un peu l’idée, oui, sauf que 99.1FM n’est pas une radio pirate, c’est légitime (les stations légales sont agréées par la FCC alors que les radios pirates ne le sont pas). J’ai grandi avec les radios pirates à Londres. Des jeunes installaient des antennes sur des immeubles et il fallait être dans le quartier pour la capter. J’aime bien cette ambiance. Même si nous sommes légitimes, notre portée se limite à une petite zone et nous avons des morceaux éclectiques.
L|S: Quels sont vos objectifs en termes de programmation?
TM: L’objectif c’est d’avoir des gens qui passent des morceaux du monde entier qui soient intéressants et
non commerciaux, pas que j’ai de soucis avec la musique commerciale. En ce moment, j’ai beaucoup de gens du quartier sur l’émission qui sont de véritables amateurs et collectionneurs de musique. Ce sont des gens que je connais qui font leurs propres morceaux. Du coup, 99.1FM est un bon endroit pour diffuser de nouvelles choses.
L|S: Qui travaille sur cette station à part vous?
TM: J’ai quelques potes, Mark Farina et Ivonne Guzman, avec l’organisation à but non-lucratif “Reach for the Top”, ils détiennent la licence pour 99.1FM, à Venice.
“Il y a de bons sons qui sortent, ils sont là, il faut juste les trouver.”
L|S: Est-ce que vous pouvez nommer certaines personnes qui sont animateurs sur votre station?
TM: Ouais. J’ai plein de monde qui travaille dessus. Mais je veux pas que ce soit un truc de DJ. C’est plus un truc d’invité programmateur musical/amateur de musique. Je veux pas que ça relève de la culture DJ. Pas que j’ai de soucis avec cette culture. Je veux simplement que ce soit une station où les collectionneurs et les passionnés ont leurs émissions.
Il y a Monique Maion, une musicienne brésilienne, qui fait une émission tropicale. Moi, j’ai la mienne, dans laquelle je passe tous types de musique du monde entier. John Tripp qui collectionne des vinyles de soul. Andrew Kelley (il habitait ici avant, mais il est actuellement à West Adams parce qu’il ne peut pas se permettre d’être à Venice), il joue des sons électros modernes et des morceaux techno obscurs, des trucs intéressant comme de la musique allemande.
Beaucoup des contributeurs viennent d’ailleurs, mais ça a toujours été comme ça à Venice. Je n’ai de rancune envers personne: s’ils ont une émission sympa, je la diffuserai. Un bon nombre des contributeurs s’avèrent tout simplement être des étrangers. Il y a pas mal d’anglais, vous savez (rire). Et la plupart adorent la musique. Peut-être que c’est simplement que je connais beaucoup de types anglais vu que je suis britannique. Ceci étant dit, quiconque a une bonne émission qui me plaît, je la diffuserai.
L|S: Vous êtes musicien aussi?
TM: J’aime pas utiliser ce mot “musicien”, je me définis comme quelqu’un qui fait de la musique. Je fais parti d’un groupe qui s’appelle ATM. (Alex, Tony & Mat - Alex Bacerra, Tony Mac, et Matthew Clifford Green sortent leur musique sur leur label Radical Document).
L|S: Croyez-vous que la radio relève plus du standard culturel en Europe comparé à ici? Il semblerait que les gens écoutent beaucoup plus la radio là-bas.
TM: Peut-être ouais. Je pense qu’en Europe ils écoutent toujours plus de radio qu’ici. Je m’en rends compte quand je suis en Angleterre, tout le monde écoute encore la FM. Je pense que c’est un art perdu. J’essaye de faire écouter notre station aux gens dans les entreprises et personne n’a de radio ici, ils sont tous sur Pandora ou Spotify.
L|S: Puisque vous penchez davantage vers le genre underground, pensez-vous que les applis comme Apple Music et Spotify ont un impact sur les habitudes d’achats américains et sur le lancement de nouveaux artistes? Trouvez-vous qu’il y a beaucoup d’homogénéité dans la musique de nos jours?
TM: Il y a tellement de camelote dans la musique populaire, mais ça n’entre pas vraiment dans ma stratosphère. Je suis pas contre, je le comprends. J’aime les films simples et cons et j’aime la musique simple et con de temps en temps, je le comprends. Je ne fais plus gaffe à ce qui se trouve dans le top 40. Il y a de bons sons qui sortent, ils sont là, il faut juste les trouver, sur YouTube par exemple. Quand les gens disent qu’il n’y a plus de bonne musique, je leur dis : ”vous ne cherchez pas assez”. Le truc c’est que c’est devenu tellement accessible, tout le monde peut le faire, l’équipement est devenu tellement abordable et peu cher que tu peux monter un son direct de ta chambre! Dans le passé, il fallait un studio. Mais il y a beaucoup de conneries aussi.
L|S: Ils font leur propre playlists mais quel effet pensez-vous que cela a sur les gens en termes d’élargir leur esprit musical?
TM: Ils finissent par écouter les mêmes conneries tout le temps. J’écoute toujours la radio. Je penche plus pour de l’underground et pas des chansons populaires. J’écoute KXOU, la station de l’université de Santa Monica. 88.9. J’aime aussi les talk-shows comme la BBC.
L|S: Quelles autres musiques est-ce que vous écoutez localement?
TM: Pas grand chose. Je pense faire une émission de nuit pour ma radio. Un soir bizarre, peut-être à Townhouse (sur Windward Circle). Je suis allé à un concert gratuit et c’était génial! Il s’appelait Farmer Dave (Scher). Dans le passé, il faisait une émission mensuelle, le jeudi soir, il jouait de la steel-guitare et faisait une super émission. Les gens parlent de Venice comme un genre d’endroit créatif, mais en termes de musique c’est bien triste. Comme on le disait tout à l’heure, ceux qui sont bons, sont cachés, on ne sait pas qu’ils sont là. Il n’y a jamais eu de scène musicale ici. La dernière, c’était peut-être il y a vingt ans chez Pinks sur Main Street. Le Del Monte n’est pas trop mal, c’est le seul qui me vient à l’esprit.
L|S: Est-ce que la communauté tech de Venice vous a remarqué? Est-ce qu’ils vous ont repéré ou pas encore? Ou est-ce qu’ils sont trop branchés Pandora et Spotify?
TM: Les gens nous contactent. Je fais simplement mon truc et le reste je m’en fou. Je ne veux pas forcer les choses. Je ne veux pas imposer quoique ce soit à qui que ce soit. Si les gens veulent me contacter, il nous faut toujours du monde. Si quelqu’un est intéressé envoyez-moi un dm sur Instagram, c’est le meilleur moyen de me joindre. Pas d’e-mail. Tout le monde est très enthousiaste ces jours-ci, mais j’aime bien qu’on n’ait pas beaucoup de présence. J’aime simplement que la station fasse ce qu’elle a à faire de façon naturelle. Si ça vous tente, et que vous souhaitez faire une émission, contactez-moi sur Instagram. Je ne veux pas d’un tas de DJ, je suis plus intéressé par les amateurs de musique.
SUR INSTAGRAM @venice99.1fm
On est épuisés mais impatients de vous revoir dans quelques mois.
3.1 LIMINAL SPACE
RÉSIDENT À L’ANNÉE, “STORM”
REJOIGNEZ L’AVENTURE …
Si vous souhaitez postuler à une résidence artistique à 3.1 ART, à Saissac, en France
CLIQUEZ ICI
3.1 ART–APPLICATION FOR RESIDENCY
À Bientôt
GÉRARD MAS, PROPRIÉTAIRE DU BAR À VIN TRÉSORS D’OC, QUI SE TROUVE À SAISSAC.