Interview

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L’invité

Il planche sur le Grand Paris, dont les travaux démarrent ce mois-ci. L’ambition de l’architecte urbaniste ? Réconcilier Hestia et Hermès, le foyer et la rue.

Christian de Portzamparc C’est le genre d’architecte qui vous reçoit un crayon à la main, même s’il est tombé sous le charme de la tablette. Peu importe le support, pour Christian de Portzamparc, 72 ans, le dessin, c’est la pensée, la main qui parle. Dans Les Dessins et les Jours, il en a réuni une bonne centaine qui racontent un ­demi-siècle de recherches sur les lignes de fuite, les arcs de cercle et les failles au scalpel de son architecture nette et tendue reconnaissable entre toutes. On doit ainsi à ce premier lauréat français du prestigieux Pritzker Prize (1994) les vagues de la Cité de la musique de Paris et la colonnade elliptique de la Philharmonie Luxembourg, le musée Hergé de Louvain-la-Neuve tout en lumière et porteà-faux, et le triangle pointe en bas des Champs Libres de Rennes. Ou encore quelques bouquets de tours, dont celle de Lille, en forme de botte de sept lieues, et la One 57, à New York, qui, du haut de ses 306 mètres, irrite les promeneurs de Central Park sur qui elle jette son ombre… Nous n’entrerons pas dans la polémique. En revanche, une autre facette du personnage nous interpelle : celle de l’architecte urbaniste qui fit partie des dix équipes choisies en 2008 par Nicolas Sarkozy pour plancher sur le projet du Grand Paris et qui continue, au sein de l’Atelier international du Grand Paris, un think tank réunissant une dizaine d’agences, de réfléchir sur les points durs de ce territoire immense et chaotique. Inventeur de l’îlot ouvert, une forme urbaine qui réconcilie la rue traditionnelle et le soleil pour tous cher à Le Corbusier, Christian de Portzamparc regrette que cet exaltant projet n’ait toujours pas de tête, ni de portage politique, et semble se réduire au seul grand huit d’un supermétro… qui célèbre son premier coup de pioche, samedi 4 juin, en gare de Clamart (92).

Propos recueillis par Luc Le Chatelier Photo Jérôme Bonnet pour Télérama

À lire

Les Dessins et les Jours, éd. Somogy, 560 p., 40 €.

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Télérama 3464

01 / 06 / 16

Comment appréhendez-vous le paysage du Grand Paris ?

L’autre jour, avec les collègues de l’Atelier international du Grand Paris, nous sommes montés à la tour Montparnasse. De là-haut, on voit à nos pieds les rues, les îlots haussmanniens, tout un tissu urbain très organisé selon une règle vieille de deux mille ans. C’est ce que j’appelle « l’âge 1 » de la ville, une structure cohérente qui s’est construite patiemment, et se poursuit dans la proche banlieue. Au-delà — on le voyait même de la tour Montparnasse —, assez vite, on perd tout repère dans un paysage strié par les tentacules des voies rapides, morcelé par des enclaves industrielles ou commerciales, et des « cités » dans lesquelles la rue en tant que telle a été abolie. La distribution des immeubles se fait par des voies en « peigne » ou en « raquette » qui nous énervent quand on va chez quelqu’un et qu’on se perd. Ça, pour moi, c’est « l’âge 2 » de la ville, celui de l’après-guerre aux années 1990-2000, pendant lesquelles on a plus construit que dans toute l’histoire de l’humanité. Trop vite, peut-être. Mais surtout selon une grammaire urbaine extrémiste et inhumaine qui, en vertu de la Charte d’Athènes de Le Corbusier — la bible des urbanistes de l’après-guerre —, plaidait « la mort de la rue » au profit d’une séparation des flux entre des corridors à voitures et des cheminements piétons dans la verdure. ☞


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Interview by Christian de Portzamparc - Issuu