
16 minute read
RAPPORT 3 : L’INCLUSION SOCIALE
from [Partie 2 - Mémoire d'Architecture] Humanisation de l’espace : Équité, précurseur du vivre-ensemble
De nos jours, on entend fréquemment parler de la notion d’inclusion, que ce soit dans les médias ou au niveau des programmes politiques qui promeuvent le « vivre ensemble », de même qu’il est rare d’entreprendre des actions d’ordre social sans évoquer ce concept qui est en évolution constante. Une société inclusive représente une « composante majeure de la quête vers un nouvel humanisme » selon l’UNESCO51
Il est donc naturel de l’évoquer quand il s’agit de planifier un urbanisme social, tenant compte des différences de tous.
Advertisement
1. Définition
1.1. Inclusion
Substantif féminin, emprunté au latin classique inclusio, -onis « emprisonnement ». C’est l’action d’inclure quelque chose dans un tout, un ensemble.
En mathématiques, une relation d’inclusion est le rapport entre deux ensembles dont l’un est entièrement compris dans l’autre. En sciences, on parle d’inclusion lorsqu’un élément est inclus dans un milieu de nature différente. Il s’agit également de l’action d’intégrer une personne ou un groupe et mettre ainsi fin à leur exclusion (sociale, notamment).
Au vu de son sens latin d’origine (emprisonnement), son usage a été interrompu pendant une longue période avant d’être repris au XIXe siècle, en tant que synonyme du mot « insertion ». Ce mot s’emploie désormais dans un contexte à connotation méliorative. La notion d’inclusion est rarement utilisée seule. On parle d’inclusion économique, sociale, culturelle, citoyenne, professionnelle...
1.2. Inclusion sociale
Niklas Luhmann52 a été le premier à employer le concept d’inclusion sociale afin de définir les rapports entre les individus et les systèmes sociaux. Puis la signification de cette notion a évolué au fur et à mesure de l’évolution des besoins de la société et des politiques cherchant à y répondre.
51 Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture.
52 Niklas Luhmann (1927-1998), sociologue allemand, spécialiste de l’administration et des systèmes sociaux. Il est le fondateur de la théorie des systèmes sociaux.
La terminologie a également évolué : on est passé de « lutte contre l’exclusion sociale » à « inclusion sociale » au début du XXIe siècle.Au départ, il s’agissait essentiellement d’une action de lutte contre la pauvreté, puis, suite à l’apparition du concept de durabilité, en plus de l’équilibre économique recherché se sont rajoutés deux autres objectifs qui sont la préservation de l’environnement et la cohésion sociale. Cette dernière ne pouvait être atteinte que grâce à l’investissement des ressources humaines et à la lutte contre l’exclusion sociale.
L’inclusion sociale a donc évolué pour ajouter un volet humain et environnemental au volet économique primaire.
« [L’inclusion] est une question de respect des droits de l’homme […]. Elle est donc indissociable de la manière dont on conçoit le type de société et de bien-être que l’on souhaite et de la manière dont on envisage le « vivre ensemble » […] tendre vers une société inclusive constitue le fondement même du développement social durable53… »
L’inclusion est à la fois le processus et le résultat. En effet, en favorisant les interactions entre les individus dans un cadre inclusif, cela renforcera l’inclusion sociale qui en résultera, qui sera durable sur le long terme.
1.3. Nuance entre inclusion, intégration et insertion
Pour certains, les termes : insertion, intégration et inclusion se valent, pour d’autres la variation des mots constitue une évolution de la notion.
Insertion, substantif féminin, du bas latin insertio, -onis, « insertion (dans un écrit) ; greffe, action de greffer », signifie l’introduction d’un élément supplémentaire dans un objet existant. Ce dernier garde habituellement son autonomie. On peut donc en conclure que le fait de s’insérer dans une société ne signifie pas pour autant y être inclus, vu que les éléments conservent leurs indépendances absence d’interactions.
Intégration, substantif féminin, du latin integratio, onis « renouvellement, rétablissement », définie comme étant l’action d’incorporer un ou plusieurs éléments étrangers à un ensemble constitué. C’est l’assimilation d’un individu ou d’un groupe à une communauté, à un groupe social.
53 UNESCO, citée par Brigitte Bouquet, L’inclusion approche socio-sémantique. Vie sociale, 3(11), 15 à 25.
« Une société inclusive est une société pour tous au sein de laquelle chaque individu a son rôle à jouer. Une telle société s’appuie sur les valeurs fondamentales de l’équité, de l’égalité, de la justice sociale et des droits et libertés de l’homme ainsi que sur les principes de la tolérance et de l’acceptation de la diversité55. »
Dans les sociétés se voulant équitables, l’exclusion paraît intolérable puisqu’elle représente une atteinte à la dignité et aux droits de l’Homme.
Nicolas Lebrun56 estime que l’exclusion résulte d’une manière de penser une certaine normalité qui fait que les exclus ne sont pas reconnus comme étant normaux, ce qui peut mener à l’homogénéisation et à la normalisation des humains, qui à son tour causera la stagnation de l’humanité vu que la différence est porteuse de créativité et d’innovation.
Du point de vue de Michel Foucault, certaines politiques de lutte contre l’exclusion s’évertuent plus à normaliser tous les individus que de créer une cohésion sociale entre eux en conservant leurs différences. Or, ce n’est pas le but escompté dans une société inclusive.
55 UNESCO, Fiche thématique | Inclusion sociale.
56 Nicolas Lebrun, maître de conférences à l’Université de Lille et précédemment à celle d’Artois, docteur en géographie et aménagement.
Il est donc temps d’apporter les modifications nécessaires pour permettre à tout un chacun d’avoir sa place dans la société, sans pour autant être conforme aux normes préétablies. Au lieu de vouloir faire correspondre tout le monde au même moule, le moment est venu de faire en sorte que cette matrice soit plus flexible pour qu’elle puisse s’adapter aux différences des humains, offrant ainsi à tous la possibilité d’évoluer.
« Les notions d’école inclusive, de loisirs inclusifs… sont posées, afin de prendre en compte la dimension sociale du handicap et de poser la reconnaissance de la diversité57. »
Il est nécessaire d’instaurer un développement local inclusif pour tous, dont l’objectif est la participation des populations vulnérables dans le cadre d’une communauté inclusive, aspirant à un « mieux-vivre », les accompagnant tout en leur accordant les moyens de développer leur autonomie. Cela suppose de repenser la réflexion et l’organisation de l’espace.
« Par exemple, l’inclusion d’une personne handicapée en «entreprise ordinaire», pour être réussie, nécessite l’information, la formation et l’accompagnement de la personne elle-même, mais également de son entourage professionnel58. »
De même, au niveau des espaces publics, l’inclusion nécessite une prise de conscience collective, que ce soit de la part des marginalisés actuels ou de ceux qui sont considérés comme étant « normaux ».
57 Brigitte Bouquet, L’inclusion approche socio-sémantique. Vie sociale, 3(11), 15 à 25. 58 Guy Hagège, Société inclusive : un «projet» politique universel. Le Monde

Le séparatisme dans la réponse conceptuelle entre ces deux groupes, rend compliquée la mise en place des valeurs d’une société inclusive, sachant que les normes de référence ne répondent pas forcément aux besoins de tous. De sorte que dans les grandes surfaces par exemple, les femmes et les hommes ne correspondant pas aux idéaux, bien que n’ayant pas de besoins particuliers en théorie, ne peuvent pas atteindre les étagères les plus hautes parce qu’elles correspondent à la taille d’un être humain « idéal », qui n’est pas représentatif de la société.
« Une société inclusive n’est pas une utopie […] L’inclusion doit être appréhendée […] comme un investissement durable, source d’humanité mais aussi de richesses pour la société tout entière59. »
3. Urbanité et cohésion sociale
« L’inclusion sociale consiste à faire en sorte que tous les enfants et adultes aient les moyens de participer en tant que membres valorisés, respectés et contribuant à leur communauté et à la société60. »
Sauf que, pour que tous les membres de la société puissent participer, il est fondamental que les barrières physiques et mentales, empêchant les gens de se retrouver, soient brisées. C’est pour cela qu’il faut commencer à l’échelle des quartiers et des communes à effectuer des modifications architecturales et urbaines permettant à tous de s’exprimer.
Selon Laidlaw Foundation61, l’inclusion sociale se base sur 5 piliers, qu’on peut également appliquer à l’échelle urbaine et architecturale :
→ Reconnaissance valorisée => Valorisation des différences
→ Opportunités de développement humain
→ Implication et engagement
→ Proximité
→ Bien-être
59 Guy Hagège, ibid.
60 Laidlaw Foundation, citée par Brigitte Bouquet, L’inclusion approche socio-sémantique. Vie sociale, 3(11), 15 à 25.
61 Laidlaw Foundation, fondation reconnue d’utilité publique fondée en 1949 par Robert A. Laidlaw, à Toronto au Canada. Cette institution supporte de nombreuses causes dans les domaines de la santé, l’éducation, l’inclusion sociale, la culture et l’art.
« L’inclusion est non seulement une politique mais est perçue aussi comme une valeur, comme une éthique prônant la justice sociale et la cohésion de la communauté62. »
La cohésion sociale est un concept sociologique instauré par Emile Durkheim63 dans son livre La division du travail en 1893. Nicolas Lebrun est d’avis que la cohésion sociale n’est pas une évidence, elle se cultive et s’entretient pour perdurer.
Certains penseurs préconisent qu’un changement de lois peut remédier à l’exclusion. En réalité, c’est plutôt le changement du cadre de vie qui a plus de chances d’avoir une incidence. Selon Henri Lefebvre, la ville se situe entre « l’ordre proche », défini par les relations des individus et des groupes, et « l’ordre lointain », qui représente les principes moraux et juridiques ainsi que les croyances religieuses des sociétés. Le tissu urbain traduit en plan ce qui est dicté par ces règles de conduite pour influencer les rapports sociétaux.
« Le regard parcourt les rues comme des pages écrites : la ville dit tout ce que tu dois penser, elle te fait répéter son propre discours, et tandis que tu crois visiter [...] tu ne fais qu’enregistrer les noms par lesquels elle se définit elle-même et dans toutes ses parties64. »
L’objectif est donc d’agir à l’échelle urbaine et architecturale pour créer des espaces qui renforcent le sentiment d’appartenance au collectif et qui favorisent par la suite la cohésion sociale et l’esprit de communauté. Cela est possible en appliquant le concept d’urbanité.

62 Brigitte Bouquet, L’inclusion approche socio-sémantique. Vie sociale, 3(11), 15 à 25.
63 Emile Durkheim (1858-1917) sociologue français considéré comme l’un des fondateurs de la sociologie moderne.
64 Italo Calvino, Les villes invisibles, p.22.
Les interactions communautaires font partie des dimensions de la participation à la société des individus, or de nos jours nous vivons, dans les différentes villes du monde, dans des sociétés qui sont de plus en plus individualistes.
L’inclusion est caractérisée par la recherche des capacités et des besoins des personnes dans le but d’adapter l’environnement aux différents acteurs.

Offrir de meilleures conditions de vie, au sein d’une société équitable donnant sa chance à tout un chacun, favorise l’épanouissement de tous et mènera à une augmentation de productivité qui sera bénéfique pour le pays à long terme.

4.
Effet sur la conception des espaces publics : la notion de limites
Les villes offrent une qualité de vie importante socialement. D’après Christian de Portzamparc, l’essence de la ville est formée par « être », se rapportant à l’existence et l’identité des individus, et « bouger », relevant du mouvement dans l’espace. Ils constituent le fondement de sa perception. L’« être » permet de donner du sens à « bouger ». Tout ce qui relève de ce dernier au niveau de la ville se trouve dans la rue, y compris les réseaux d’évacuation. La ville moderne, par sa compartimentation, suit la logique de l’industrie, ce qui a impliqué la scission entre « être » et « bouger ».
La création des voies de circulation véhiculaire a contribué à l’instauration de la ville découpée en secteurs, avec le zoning notamment. Les véhicules et les voies forment une barrière physique, ce qui a modifié la manière avec laquelle la ville est perçue. Jusqu’au XVIIe siècle, la démarcation entre privé et public n’était pas aussi prononcée qu’elle l’est de nos jours. A cette époque, la vie était constamment commune. Les dogmes de la modernité sont appliqués sans être questionnés à l’heure actuelle, ce qui a rendu la conception des villes particulièrement systématique, sans accorder de l’importance à la qualité de l’espace et de son vécu, ce qui a eu pour conséquence sa fragmentation.
« Le Corbusier rationalise l’espace autour de fonctions distinctes […] La méthode est cohérente mais quelque chose dans ce système est irrémédiablement perdue, c’est la qualité de la rue […] les endroits où l’on passe et ceux où l’on se tient sont distincts, sans lien organique65. » ouvert. La rue, polyfonctionnelle, définit le vide qui constituera l’espace public. La rue est un espace social, moment privilégié de la société. De fait, elle structure les rapports entre acteurs de l’espace par la visibilité et la coprésence, selon Erving Goffman68. Le boulevard, la rue, le parc, le bâtiment servant de repère, permettent de distinguer, contrôler, écarter. Ce sont des limites au rôle structurant, à l’action filtrante, renforçant le lien à l’espace.
Les temps ont changé. En effet, pour les modernes, c’est le programme qui primait ; présentement, le lieu est l’essentiel, ce qui a engendré l’évolution de nombreux concepts, dont ceux des limites et frontières. Dans la réflexion d’un projet architectural et urbain, on admet l’importance de questionner et revoir les frontières et limites auxquelles on s’était longuement accommodé. On tente de rétablir l’urbain dissocié, en rassemblant ce qui a été séparé et dispersé, en essayant de retrouver dans l’urbanisme la « liaison organique » permettant de retrouver la place du piéton et de la rue.
4.1. Définition et concepts associés
Pour Aristote, un lieu se définit par ses limites. De fait, l’illimité est intraversable, indéterminé, sans fond. Il est dépourvu d’une délimitation perceptible ce qui le rend inhabitable. L’absence de limites et de repères nous déstabilise. Nous habitons le vide délimité dans l’espace.
Limite, substantif féminin, emprunté au latin limes, -itis « chemin bordant un domaine, sentier entre deux champs ; limite, frontière ».
Il s’agit de la ligne qui circonscrit un espace, une chose ayant un développement spatial. Elle sépare deux étendues ou territoires contigus, marquant leur début et/ou leur fin. La limite est la bordure au-delà de laquelle ne peut s’étendre une action, une influence etc.
« La limite n’est pas ce où quelque chose cesse, mais bien, comme les Grecs l’avaient observé, ce à partir de quoi quelque chose commence à être69. »
L’espace, milieu de nos échanges, est en négociation continue entre les usagers. Ses délimitations déterminent les continuités et les discontinuités spatiales et sociales. On peut faire en sorte que les limites, au-delà de leur rôle séparateur, se transforment en espaces de partage, en lieux où s’exercent les sociabilités, par la mise en évidence des phénomènes sociaux de solidarité et de proximité.
68 Erving Goffman (1922-1982) sociologue et linguiste américain, fait partie des principaux représentants de la deuxième école de Chicago.
69 Martin Heidegger, Essais et conférences, p.183.
Parmi les concepts associés aux limites on trouve : seuils, frontières, passages, liens, ouvertures, mouvements, échanges, intersection, nœud, circulation, parcours, etc.
4.1.1. Frontières.
Les frontières sont des lieux investis d’une forte capacité de structuration sociale et politique, prenant différentes formes spatiales telles que les barrières en bois, le fil de fer barbelé, etc. A l’Antiquité, il s’agissait de l’entité au-delà de laquelle se trouve l’inconnu. Elle permet de distinguer l’altérité, l’étranger. De nos jours, ce concept est en mutation. En effet, on cherche à en faire un espace d’ouverture, de passage et non à vocation défensive.
Dans les villes, les frontières, constituant une rupture de l’espace plus ou moins marquée, renforcent les différenciations internes. Elles incluent ou excluent, selon le côté considéré ; leur franchissement est sélectif et contrôlé. Parmi les propriétés des frontières on peut citer : la mise à distance, le filtrage, l’affirmation politique, la distinction...
La frontière sociale est le produit des limites spatiales construites par la société et des limites perçues et vécues par les individus. Elle est liée aux effets de lieu associé à un espace sociétal et entraîne une différence de contribution à la société de ses membres et groupes d’après Georg Simmel. Au dire de Kant, les bornes constituent des frontières négatives, les limites quant à elles représentent des frontières positives.
4.1.2. Limites.
La limite est un espace virtuel de dimension variable, de séparation, de mise en tension, pouvant réunir ou séparer des espaces adjacents à plusieurs niveaux. C’est le point de rencontre entre le dedans et le dehors, entre le privé, refuge, et le public, espace d’interactions.
Les démarcations permettent de contrôler l’aptitude à fréquenter les entités spatiales pour des raisons de sécurité ou de sauvegarde à travers des actions telles que la monétisation de l’espace public.
La limite forme une zone de tension, de défense du privé, qui est en interaction avec les relations qu’il contient, entre individus, et qui le contiennent, à l’échelle de la société. C’est une ligne matérielle ou imaginaire, qui régit les rapports humains. Il s’agit d’une barrière psychologique, à la fois spatiale et symbolique, fixée dès le plus jeune âge par les parents, distinguant ce qui est interdit de ce qui est toléré ou autorisé. Les limites peuvent être floues, ambiguës, enchevêtrées...
Les limites distinguent l’intérieur de l’extérieur, elles sont partout et à toutes les échelles. Cependant, on n’en est pas forcément conscients. Leur franchissement, imposé par la vie quotidienne, se fait à travers le seuil.


4.1.3. Seuil.
Le seuil est un lieu de transition, de mouvement, qui est perméable contrairement aux limites, permettant ainsi de les traverser. Il réunit et révèle le rapport entre le dedans et le dehors tout en rendant possible le dialogue entre deux espaces.
« Le seuil désigne au sens constructif la dalle formant le pas de la porte […] premier dispositif de transition. […] Marches, perrons, marquises, avanttoits, porches, portails, … chacun de ses éléments offre un espace de transition et de représentation au seuil70. »
Le seuil est appropriable par les habitants. La distinction entre public et privé dans ce cas n’est pas évidente. En effet, ils le considèrent comme le prolongement du « chez-soi », lieu accueillant participant à l’espace public comme dans le cas du trottoir situé devant la maison. Le seuil est porteur de sociabilité par le fait qu’il contribue à la naissance de contacts par les rencontres qu’il provoque.
Il s’agit en plus d’un lieu d’arrêt pour observer. Néanmoins, l’immobilisation n’y dure pas. Les personnes âgées et les enfants aiment l’occuper. Les uns s’y installent pour observer les passants, les autres pour jouer avec les amis tout en restant à la portée de la surveillance des parents... De même, les passants s’y abritent des intempéries.
Pour citer Brigitte Donnadieu71, il est question de la « limite marquant le passage [physique, du regard,] à un autre état […] entre espaces de nature différente72 », notamment au niveau de la maison arabo-musulmane avec sa skifa, où le seuil concerne le passage des regards également.
L’entrée est un ensemble de dispositifs matériels et symboliques particuliers, signalant et préparant le franchissement et passage entre espaces. La porte, qu’elle soit ouverte ou fermée, n’a de sens que pour celui qui franchit le seuil. Elle matérialise la communication ou la séparation.
« Les portes arrêtent et séparent. La porte casse l’espace, le scinde, interdit l’osmose, impose le cloisonnement : d’un côté, il y a moi et mon chez-moi, le privé, […] de l’autre côté, il y a les autres, le monde, le public, le politique. […] On ne passe pas de l’un à l’autre, ni dans un sens, ni dans un autre : il faut un mot de passe, il faut franchir le seuil, il faut montrer patte blanche73. »
70 Brigitte Donnadieu, L’apprentissage du regard, p.227;230.
71 Brigitte Donnadieu, architecte, maître-assistant à l’Ecole d’architecture de Strasbourg.
72 Brigitte Donnadieu, ibid, p.47.
73 Georges Perec, Espèces d’espaces, p.52.
L’architecte et l’urbaniste doivent accorder de l’importance aux espaces de transitions et prévoir un passage progressif de l’échelle urbaine à l’échelle architecturale. La transition public-privé peut se faire par le retrait par rapport aux voies de circulations, en aménageant un espace abritant une certaine fonction, tel qu’une cour ou une place, créant ainsi un lieu pour un moment d’arrêt, de contemplation. Cet entre-deux représente un espace tampon, jouant le rôle d’une sorte de sas de décompression.
En redéfinissant les limites, il est possible de créer de nouveaux espaces et de nouveaux vécus, entre autres en aménageant un lieu de rencontre à l’entrée des écoles, qui peut à la fois servir d’espace de jeu pour les enfants qui attendent d’avoir accès à l’école ou d’espace d’attente pour les parents qui peuvent s’y installer et prendre le temps de discuter en attendant la sortie des enfants. Des espaces intermédiaires similaires peuvent être prévus à l’échelle architecturale, au niveau des cours d’immeubles ou des halls des logements collectifs par exemple, où peuvent s’organiser des initiatives du type « fête des voisins ». L’espace permet de vivre dans une proximité symbolique ou réelle avec la tribu.
L’édification de sas symboliques, répond au besoin d’espace sécurisé. Ceci renforce le sentiment d’appartenance dans les déambulatoires proches du « Chez-soi ». L’espace rassure et instaure différents types de liens, à travers l’ancrage spatial mettant en valeur l’appartenance à un groupe familial, social, culturel. Les liens entre voisins, limitent la sensation d’insécurité, ce qui peut contribuer à la diminution de la privatisation des espaces publics.
Le quartier « Générations » de Dijon est un lieu de vie intergénérationnel où tous les locataires signent la charte « Bonjour voisin » et sont reliés par téléphone interne. La qualité du lien, plus important que le bien, y est mise en évidence.
L’effacement progressif des frontières entre l’espace public et l’espace privé va de concert avec l’évolution parallèle de la conception architecturale avec l’ouverture de l’espace, la transparence, l’emploi de surfaces vitrées, de cloisons amovibles…
4.2. Spatialité
La ville se définit à travers l’interaction spatiale entre les objets bâtis. Les bâtiments définissent l’espace public, ils ne peuvent être réduits à ne former que des espaces individuels limités par des frontières.
Le projet urbain ou architectural est un ensemble d’assemblage d’espaces différents reliés entre eux. Le passage qui se fait de manière progressive est un indice de continuité, invitant à la découverte, à l’exploration des lieux. Ces espaces devront suivre certaines idées directrices lors de leur conception :
→ Prévoir des îlots ouverts, à hauteurs variables qui font entrer la lumière tout en conservant les rues

→ Séparer les espaces par le décalage d’un objet, par la différence de niveaux
→ Créer l’ouverture sans recourir aux portes et percements, par l’emploi du plan libre par exemple
→ Exhiber et mobiliser des limites non étanches, poreuses, permettant les échanges
L’arrangement de lieux collectifs tels que les places et les cours, renvoie à l’idée de communauté. L’objectif est d’en faire des espaces habités, comme dans le cas des trottoirs et escaliers, que les enfants, en se les appropriant, transforment en terrain de jeu.
« Une architecture poreuse est une architecture qui laisse la vie et les actions des hommes la traverser75. »
L’inclusion est une démarche complexe, dont l’application à l’échelle urbaine constitue un défi. Les villes, qu’elles soient dans les pays développés ou en voie de développement, font face à des inégalités spatiales.
L’inclusion est devenue un référentiel global, affirmant les droits fondamentaux, qui stipulent que tous ont les mêmes privilèges quant au domaine public, peu importe les éventuelles particularités qu’ils pourraient avoir, et ce peu importe le domaine concerné.

Quand il s’agit de planifier les espaces publics, architectes et urbanistes sont tenus d’envisager les besoins en fonction des différences des usagers, afin de leur permettre de vivre ensemble et de pouvoir participer à tous les aspects de la vie sociale.
Pour s’en assurer, il faut prévoir dans un premier temps les dispositifs leur permettant d’être autonomes, et dans un second temps revoir les limites pour encourager la rencontre entre les habitants et les interactions entre eux.