Out of Zebra - février 2013

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BD-ILLUSTRATION / BONUS/STRiPS/GAGS/REVUE DE PRESSE EXTRAiTS DU BLOG DE BD & ILLUSTRATiON « OUT OF ZEBRA » / HTTP://FANZINE.HAUTETFORT.COM EDiTO Le n°5 du fanzine Zébra, présenté au 40e festival d’Angoulême, a permis de conclure en beauté une année de dessin et de publication intensifs. Pour l’occasion, la bande s’est offert sa première couverture en couleur (signée Michel Tamer).

AU SOMMAiRE

p.2 : 4 gags de W.Schinski (made in Germany) p.3 : Zombi tisse sa toile p.7 : Le Top-Blogs-BD p. 8/21 : Les strips de Lola, par Aurélie Dekeyser p.9 : La Vie des Cavernes, par David Roche p.22 : La Case de Pandore,

L’enthousiasme n’a pas faibli au sein du groupe ; celui-ci réunit une quinzaine de passionnés de BD, auxquels un atelier parisien où la BD et dessin d’après le modèle vivant sont enseignés, a permis de se rencontrer. Il a si peu faibli que nous avons dû parfois refuser les planches de certains postulants issus du même atelier, faute de place. Zébra n°3, financé à l’aide d’une souscription, est près d’éclater tellement il compte de pages (88). Il a si peu faibli que quelques membres de la bande ont trouvé assez de temps et d’énergie pour alimenter un blog en gags, planches et diverses chroniques inédits. Un blog qui aura bientôt un an lui aussi, et par Louise Asherson dont l’audience ne cesse de croître, p.26 : Conte de Noël, petit à petit. par Alphie Le but de cette publication est p.28 : Kritik BD, par Zombi de permettre une lecture plus pratip.31 : Les Vœux que des bonus du blog. Dans ce prede Molly Crabapple mier numéro sont mises en page les archives du mois de janvier.

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LE WEBMASTER


par W.Schinski

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ZOMBI TISSE SA TOILE (leloublan@gmx.fr) + Je découvre grâce au site d’info BD Lerapideduweb un nouveau blog-BD, Zinocircus, en compétition pour le prix de la Révélation Blog 2013 ; autant que les amateurs du genre "girly" soient prévenus, Zinocircus est plutôt un émule du "play-boy" Bastien Vivès.

+ Côté techno, l'annonce du lancement d'un magazine de reportage-bd canadien (anglophone), "Symbolia", auquel il est possible de s'abonner en ligne, version tablette ou pdf.

+ Jacques Tardi, dessinateur célèbre pour ses adaptations de Léo Malet, Louis-Ferdinand Céline et JeanPatrick Manchette, vient de refuser la Légion d'Honneur qui lui avait été attribuée d'office. Curieusement Tardi n'invoque pas l'antimilitarisme parmi les raisons de son refus, bien que cet ordre a d'abord été inventé par un chef de guerre, pour récompenser la valeur militaire. A vrai dire, il semble aussi difficile de signer des ouvrages nettement antimilitaristes (c'est le cas de son dernier, "Stalag IIB") en étant titulaire de la légion d'honneur, que d'accepter d'entrer dans la confrérie de la saucisse de Morteau lorsqu'on est végétarien. Celui qui a pris l'initiative d'attribuer cette décoration n'avait donc pas pris la peine de lire Tardi. La gloire, comme les balles, est aveugle. + "The Believer" est une revue d'intellos de gauche yankees qui cause parfois de BD. Traduite en français, on peut se la procurer en librairie, mais au prix d'un bouquin plutôt que d'une revue (15 €). Dans la livraison datée de l'automne 2012, figure une interview plutôt intéressante de George Meyer, scénariste des "Simpson". "Les Simpson sont la seule vraie critique de la religion moderne acceptée par la culture populaire." : cette affirmation m'a un peu fait tiquer, cependant ; en effet la famille, le couple ou la religion catholique, ridiculisés dans la fameuse série, ne sont pas directement la première religion moderne ; ils le sont derrière le pognon, divinité principale, sans laquelle les autres ne seraient pas. Or les milieux populaires ne sont pas les plus réticents à admettre cette évidence. Les anglophones pourront lire ici l'interview en anglais. + Le caricaturiste Charb confond "athéisme" et "mauvaise foi". Témoin, la manière dont il justifie un énième pamphlet contre Mahomet... Si Charb continue comme ça, même les plus fervents partisans de "Charlie -Hebdo" vont finir par devenir sceptiques. + Spéciale dédicace à qui Rennes, comme moi, rappelle les "400 coups" qu'il tira -ou qu'il prit dans sur le râble-, avant que sa vie ne prenne une tournure plus académique - ce nouvel épisode de "la vie de Vertron". Les autres risquent d'en sentir moins la poésie ; la poésie, comme le plaisir, est largement conditionnée par la géo-

+ Et encore un autre blog-bd, dont l’auteur, Helkarava, dessine notamment de fausses couvertures du New-Yorker (mieux que les vraies). + Alternative heureuse aux illuminations de Noël et au sapin, le tampographe Sardon (un peu le même genre que l’artiste-lettreur Ben, en plus drôle) propose un assortiment de tampons qui permettent de fabriquer une ramure agrémentée de petits macchabées qui pendouillement drôlement, le tout plus esthétique que la neige artificielle et les guirlandes.

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graphie ; de là vient que le Breton -cet être violent- donne parfois à sa dulcinée des noms de plage, ou quand c'est un marin tout simplement le nom du port.

+ Encore une vidéo, plus récente cette fois, puisqu'elle date de l'année dernière. Ce reportage, selon le tempérament, peut dissuader de se rendre au festival d'Angoulême pour la première fois, ou au contraire y inciter. Je ne vous dirai par l'effet qu'il m'a fait, pour ne pas vous influencer. + Le prix "Artémisia" de la BD féministe a été remis à Jeanne Puchol, pour un album "Charonne - Bou Kadir", consacré à la répression d'une manif organisée par le PCF contre l'OAS, et réprimée par le pouvoir gaulliste (1962 - huit morts). Pour des raisons trop longues à expliquer ici, l'oppression n'a pas cessé en Algérie après la guerre d'indépendance (200.000 morts) ; les révolutionnaires algériens qui se réclamaient naguère du communisme sont devenus islamistes désormais, et souhaitent appliquer la charia. L'association Artémisia qui décerne ce prix stigmatise le sexisme (sic) du milieu de la BD. Je suppose qu'elle fait allusion à ce type d'affiche racoleuse.

+ Les élèves de l'école d'art et de BD d'Angoulême (EESI) ont protesté efficacement contre la décision de baptiser leur école "Albert Uderzo", faisant plier le maire. Par snobisme, prétendent certains... oubliant que l'oeuvre d'Uderzo est assez mièvre, et surtout populaire chez les pré-adolescents. + Reportage sous forme de dessin-animé de Chappatte (dessinateur au "Temps") sur l'épandage de sousmunitions et le déminage au Sud-Liban. Et quelques autres sujets sous forme de diaporamas. Cliquez sur "Le Film" pour la version dessin-animé. + Manifestation ridicule de l'envie de devenir un artiste reconnu, ici. + Pour les adeptes de la thérapie de couple, ce strip extrait du blog "MACADAM VALLEY". + Le prix Raymond Leblanc est le mieux doté en bande -dessinée (20.000 €), et les travaux sont à remettre avant le 29 mars. + Mon commentaire d'un article de D. Pasamonik, trop élogieux à l'égard de J. Sfar selon moi, ayant été censuré sur le site "ActuaBD", je me venge ici avec un portrait du colonel Pasamonik, son leader belge charismatique (le grand cordon bleu du Milou d'or autour du cou). + Gérard Depardieu n'est pas le seul à fuir la France pour aller se réfugier en Belgique ; il y a aussi François Avril, auteur de BD ; ce dernier n'émigre pas pour échapper au fisc, mais en espérant seulement une plus -value artistique. + Petite vidéo d'archive sur le festival d'Angoulême: quand Hergé jouait les VRP pour le festival. C'était avant l'affaire "Tintin au Mali", et le reproche fait à cet album de faire de la propagande pour la lutte antiterroriste.

+ Les blogs-BD jouent aujourd'hui le rôle que les fanzines jouaient dans les années 80. Ainsi, dans le domaine du fanzine "existentialiste", entre procréation et procrastination, on peut se demander si le blog de Maël Rannou, "1 fanzine par jour", spécialisé dans la chronique de ce type d'ouvrage, ne les absorbe pas tous, tel un Moloch dévoreur de foetus. Mes "Révélations 2013", après dépouillement de l'unique bulletin, sont : n°1 : Mister Hyde ; n°2 : Helkarava ; n°3 : Zinocircus.

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+ "Seul l'Anal est légal" ou "Content de ses pieds" sont des titres de fanzines, comme vous pouvez le vérifier dans la banque du sperme du Lillois Albert Foolmoon ; je plaisante, c'est une banque de données. Parfois je me dis qu'on a manqué d'originalité avec "Zébra". J'avais bien proposé : "DSK", sous-titré : "Le fanzine qui viole les militantes du PS", mais personne n'a voulu. + Le dessin de la semaine est signé Agathe Pitié (alias "Pit") : il s'agit de la partie centrale d'un triptyque traitant de l'affaire DSK, sur le mode apocalyptique. Une excellente inspiration, dans l'esprit de Jérôme Bosch. + Le magazine culturel branché "Chronic'art" va publier incessamment une sorte de hors-série dédié à la BD, baptisé "Kaboom". Ce titre évoque plutôt une chaîne de télé pour adulescents, ou des yahourts enrichis en tonus, mais bon, je ne suis pas directeur marketing... Le premier n° de Kaboom fait sa couverture sur Chris Ware, auteur de comics cubiste de plus en plus stricte obédience, dont on peut tâter le talent ici. + "Turkey Comix", primé à Angoulême il y a quelques années est un luxueux fanzine de BD publié par la petite maison The Hoochie-Coochie. Il fête ses (un peu plus de) dix ans, et sera mis à l'honneur lors du prochain festival d'Angoulême. + Le Chat de Philippe Geluck (le pote de Siné et de Michel Drucker) prend sa retraite; ces gags d'une case ne paraîtront plus dans la grande presse belge, dont ils s'efforcèrent pendant des lustres de relever le niveau des ventes. Cela dit les chats sont assez imprévisibles…

album de Philémon, quant à lui, "Au train où vont les choses." Non pas seulement parce que Fred est un grand jouisseur, mais parce que sa main ne suit plus. + "Un Monde de Bulles", l'émission de la chaîne de TV "Public-Sénat" consacrée à la BD s'arrête... enfin. L'institution avait sans doute cru pouvoir ainsi se rajeunir, ou bien attirer des téléspectateurs sur "PublicSénat", mais le jeune journaliste en charge de l'émission imitait Jean-Luc Delarue, ce qui pour une émission consacrée à la BD ne collait pas.

+ Si je n'étais pas agoraphobe et que j'avais pu me rendre au festival d'Angoulême, je serais allé à la table ronde sur le dessin de presse avec Vuillemin et Jul; j'aurais soigneusement évité les débats sur la bd numérique (zzzzzz); j'aurais hésité pour l'avant-première du film "Aya de Yopougon", vu que le cinéma me file la migraine; j'aurais aussi maté le reportage sur Benjamin Rabier; et puis ce débat sur "La justice vue par les jeunes de la Charente" m'aurait sûrement plu; sans oublier d'avaler un exemplaire ou deux de la spécialité culturelle locale: le chabichou. Ah, j'allais oublier de vous refiler le programme heure par heure. + Mieux qu'un débat sur la BD numérique, dans le dernier magazine "Zoo" n°45, Yannick Lejeune présente quelques gazettes numériques, qui viennent ou sont sur le point d'être lancés : "Mauvais Esprit", "Professeur Cyclope" et "La Revue dessinée". + La BD-blogueuse Pénélope Bagieu devrait recevoir la médaille de Chevalière des Arts et Lettres. C'est quand même moins la honte que la légion d'honneur ! + A ma connaissance, aucun membre de "Zébra" n'a participé à l'édition 2013 des 24h de la BD. Ouf, je suis rassuré, il n'y a aucun sado-masochiste dans la bande! Bien sûr, vous entendrez dire certains qu'"on s'éclate trop à faire les 24h de la BD!": tous les masos disent ça. Personnellement, j'ai trop de respect pour la BD pour accepter qu'elle soit comparée à un sport. + Il a fallu dix ans à Fred pour dessiner son dernier

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Le dessinateur bruxellois Philippe Geluck a décidé d’arrêter « Le Chat » ; la même semaine, Zombi décide de le parodier... LA GUERRE, PAR LE JEUNE BASTIEN VIVES

LE TOP BLOGS-BD JANVIER 2013

Que du lourd-léger !

1. Helkarava 2. Grands Moments 3. Mr Hyde 4. Incarnfiction 5. Route du non-sens 6. Macadam Valley 7. Zinocircus 8. La Vie de Vertron 9. Ma life 10. Joao Montanaro 7


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Conte de Noël Par Alphonse Allais & Zombi Qu’ils sont dissemblables, apparemment, Arthur Rimbaud et Alphonse Allais, pourtant nés le même jour de la même année (20 octobre 1854) - l’adolescent génial et l’armoire normande sarcastique. Ils n’eurent que la bohême en commun, et ne la quittèrent jamais sauf pour mourir - le génie dans la douleur, et l’armoire plus paisiblement. Pas facile de faire comprendre comment la poésie d’Alphonse peut émouvoir autant que celle d’Arthur (on peut même trouver ce dernier un peu «Fanfan-la Tulipe» - première des fauchées par la rafale). Quoi qu’il en soit, amis de la bohême, nous vous offrons, le bon Alphonse et moi-même, ce conte de Noël merveilleux… à quelques jours près.

Il

y a maintenant trois ans, c'est-à-dire à l'époque de Noël, je me trouvais détenu dans une petite prison du Yorkshire, en prévention de vol, escroquerie, chantage, le tout doublé d'une assez vilaine histoire de moeurs sur laquelle il me serait pénible d'insister ici. Ce qui me vexait le plus en cette occurrence, c'était moins la détention elle-même que l'époque à laquelle elle se produisait. J'ai toujours adoré Christmas, cette fête des babies et du foyer, Christmas, le bon Christmas. Du gui, du gui, encore du gui ! En Angleterre plus que partout, et particulièrement dans le Yorkshire, la fête de Noël a un caractère d'intimité dont le boudin parisien ne donne qu'une lointaine idée... si lointaine. Pour l'intimité, je n'avais rien à dire. Ma cellule était intime, un peu trop peutêtre. Mon geôlier m'avait... Oh ! l'étrange geôlier ! C'était un ancien horse-guard qui avait perdu une jambe dans la guerre contre les Ashantees. Comme il s'était engagé jadis aux horse-guards pour l'uniforme, il avait tenu, malgré son amputation et sa nouvelle fonction, à conserver son ancien costume. Et c'est vraiment une très comique chose, de voir d'un côté une jambe de bois et de l'autre une culotte de peau, une botte et un éperon. Très comique et très touchante chose !

Cependant, malgré tous ces détails, la nuit de Noël arrivait. Et moi qui étais invité à un réveillon aux îles Féroé, dans la sainte famille d'un pasteur évangéliste ! Vous tous qui me lisez, ou presque tous, vous avez été en prison ; mais, étant en prison, avez-vous vu tomber la neige ? Ah ! Quelle horreur, la neige qui tombe

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quand on est en prison ! La seule sensation qui vous rattache au monde extérieur, le bruit, le délicieux bruit (sweet noise) disparaît. On ne voit plus rien, on n'entend plus rien ! Et elle tombait sans relâche, oblique, drue, serrée, si bien que ma pauvre petite cellule en était obscurcie et comme étouffée. Un bruit surtout me manquait, parmi ceux que j'avais remarqués et que j'aimais depuis ma captivité ; c'était celui de la promenade de mon geôlier dans la grande cour de la prison. D'abord, pan !... le coup mat de la jambe de bois sur le pavé, et puis le toc !... triomphant et vainqueur du talon de la botte, métallisé par la vibration de l'éperon, et puis ainsi de suite. Mon vieux horse-guard ne se promenait-il plus, ou bien le bruit de sa marche était-il étouffé par la neige ? Je me posais ces questions avec l'inquiétude vaine que crée l'oisiveté de la vie cellulaire. La nuit de Noël était venue, et je n'avais pas pu me décider à me coucher. Les cloches sonnèrent dans la ville d'abord, et dans les petites paroisses voisines. Ces dernières, étouffées par la neige, voilées par le lointain et si attendrissantes que je sentis se mouiller mes yeux. J'ai toujours pleuré en écoutant, dans le loin, les cloches de campagne. - Go in ! fis-je en m'éveillant de mon rêve bleu. On venait de frapper à la porte de la cellule. C'était une toute blanche et rose fillette d'une quinzaine d'années, portant à son bras gauche un petit panier et tenant à la main droite une grosse touffe de gui. - Good night, sir, dit-elle. - Good night, miss, répondis-je. Et elle continua, toujours en anglais : - Vous ne me reconnaissez pas ? - Mais si, répondis-je dans la même langue, je crois vous avoir déjà rencontrée dans un album de Kate Greenaway. - Non, pas là. - Alors, dans ma belle image de Robert Caldecott. - Non plus. Un silence. - Comment ! dit-elle d'un air mutin, vous ne vous rappelez pas ? L'année dernière, vous m'avez sauvée d'une mort certaine. Je traversais Trafalgar Square, lorsque soudain et en proie à une rage subite, l'un des lions en bronze de cette place se précipita sur moi. Je n'eus que le temps de fuir. Un omnibus passait, vous ayant sur l'impériale. Vous vous penchâtes, et d'un bras vigoureux m'enlevâtes à la voracité du fauve. Toute penaude, cette bête reprit sa place immuable et le rôle décoratif que lui avait assigné l'artiste. J'avais beau rassembler mes souvenirs, je ne me rappelais rien d'analogue. Mais elle insista tellement : - Même que c'était l'omnibus de Bull and Gate. Vous alliez à la Villa Chiavenna, chez votre ami Lombardi.

Devant un fait aussi précis, je m'inclinai. Elle sortit de son panier le plum-pudding de la reconnaissance, quelques bouteilles d'ale, et nous soupâmes joyeusement. A l'aube, elle s'enfuit emportant mon coeur et les bouteilles vides. Depuis, j'ai cherché à me rappeler ce curieux incident de Trafalgar Square. Je n'ai jamais pu. Il est vrai que je ne me rappelle pas davantage la prison du Yorkshire, le geôlier à jambe de bois, sa fille blanche et rose, le plum-pudding et les bouteilles d'ale. C'est drôle, dans l'existence, comme on oublie tout.Z

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KRITIK– BD 2012 Petit bilan des bouquins lus en 2012 (et non forcément parus cette année-là) et critiqués par Zombi pour Zébra (réclamations et insultes de fans à adresser à leloublan@gmx.fr) :

L'Hydrie - Nicolas Presl (5/5) (pour ceux qui aiment Picasso et l'Antiquité) Passage afghan - Ted Rall (5/5) (pour ceux qui veulent connaître l’envers de la démocratie) Gus Bofa - Emmanuel Pollaud-Dulian (4/5) (pour ceux qui croient que les illustrateurs ne travaillent que sur commande) La Famille - Bastien Vivès (4/5) (pour ceux qui croient que la famille est un long fleuve tranquille) Une Scène dans l'Ombre - Nicolas Auffray (3/5) (pour ceux qui se demandent comment on peut bosser pour pas d'argent) La Guerre - Bastien Vivès (3/5) (pour les poilus et les épilées qui croient que c'était "la der des ders") En route pour le Goncourt - Kierzkowski & Ephrem (3/5) (pour ceux qui aiment se moquer des stars de la littérature) La Conversion - Matthias Gnehm (3/5) (pas pour ceux que l’espoir fait vivre) Alexandre Pompidou - Cornette, Frissen & Witko (3/5) (pour ceux que l'art pompidolien laisse sur leur faim) Thoreau, La Vie sublime - Dan & Le Roy (3/5) (pour ceux qui voient l'homme comme la pire des ordures) L'Exilé du Kalevala - Ville Ranta (3/5) (pour ceux qui n'ont pas les moyens de voyager) Pablo Picasso - Clément Oubrerie (3/5) (pour ceux pour qui Pablo Picasso n’est qu’un monstre sacré) L'Histoire de Sayo - Masi & Wanatabé (3/5) (pour ceux qui croient que les mangas ne causent que d'histoires de touche-pipi) La Guerre d'Alan - Xavier Guibert (3/5) (pour ceux qui ont été dispensés de service militaire) Blast 3 - Manu Larcenet (2/5) (pour ceux qui n'ont pas lu "Le Chat Noir" d'Edgar Poe) Vingt-Trois Prostituées - Chester Brown (2/5) (pour ceux qui ont une copine canadienne) Pour en finir avec le cinéma - Blutch (2/5) (pour ceux qui hésitent encore entre le cinéma et la BD) Chroniques de Jérusalem - Guy Delisle (2/5) (pour ceux qui n'aiment pas les bastons entre les Juifs et les Arabes)

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KRITIK - JANVIER 2013 LES BIDOCHONS SAUVENT LA PLANETE (3/5) -BINET Je vais encore me faire traiter d’hérétique, mais tant pis : je préfère Binet à Reiser. Je sais que Reiser est mort jeune, mais ce n’est pas une raison. Chez Reiser, dans le tas, il y a trop de blagues centrées sur le cul, si je peux m’exprimer ainsi. C'est un genre un peu trop facile ; il n’y a pas beaucoup d’efforts à faire pour rendre un plan cul comique; la position scabreuse est en elle-même grotesque. C’est beaucoup plus difficile de parler sérieusement de cul, comme dans «36 Nuances de grey». Laissons le cul aux docteurs ! D’ailleurs Claire Brétécher me paraît moins digne que Binet du titre de «meilleure sociologue de France», qu’un de ses éminents confrères lui décerna. Je lis parfois à propos des Bidochon : «Pas mal, mais Binet ne se renouvelle pas assez.» Eh, vous en connaissez beaucoup, vous, des comiques qui se renouvellent ? Charb ? Non, Brétécher connaît à fond le milieu bobo parisien, dont l’influence culturelle s’étend sans doute bien au-delà de St-Germain-des-Prés, mais elle ne déborde pas tellement ce périmètre. Le couple et les gadgets technologiques permettent de parler de la France moderne tout entière : le thème est «transversal» (j’ignore si c’est le terme exact). Couple + gadgets technologiques, c'est là l'essentiel des valeurs modernes, la religion commune. Dans son dernier album, Binet parle d’écologie, et ceux qui croient comme moi que l’écologie n’est qu’un gadget de plus vont se taper sur les cuisses (un gadget, c’est-à-dire un truc dont certaines personnes ne peuvent absolument pas se passer, mais dont l’efficacité reste à prouver). Binet s'amuse à confronter le discours beauf habituel de M. et Mme Bidochon à celui de leurs fréquentations écolos: et la partie n’est pas gagnée d’avance... Que pourrait faire Binet de mieux pour se renouveller ? Un album sur les «gays» ? Attendons qu’ils soient mariés... Ed. Fluide Glacial, 2012, 10 €

HEUREUX QUI COMME…(4/5) -N. PRESL BD pleine d’ironie de Nicolas Presl, comme sa p r é c é d e n te «Hydrie» qui m’avait emballé (cinq étoiles au guide Zombi 2012). Le titre confronte d’emblée le voyage initiatique du héros antique, son cheminement vers la sagesse dans un décor et parmi des monstres symboliques, au circuit touristique par où l’homme moderne passe, fuyant ses démons au lieu de les affronter. Si «Heureux qui comme…» se contentait d’illustrer la folie du touriste occidental ordinaire, en quête d’exotisme, ce serait une observation de second ordre, déjà faite; mais c’est tout le transport humain, au sens propre comme au figuré, à l’échelle mondiale ultime, que la BD de Nicolas Presl rassemble dans ses planches, formant tableau. Une BD muette, encore une fois, mais néanmoins plus expressive que la parole. Le «Guernica» de la guerre tiède où nous trempons, lorsque l’empoisonnement discret est préféré au coup de poignard trop franc. Puisque N. Presl joue du noir et du blanc, du fossé entre l’Afrique et l’Occident que l’hypocrisie ne fait que creuser plus encore: qui peut dire pourquoi la France envoie des troupes au Mali? Pourtant, elle est aussi contrainte de s’exécuter qu’il lui est impossible de fournir une explication sérieuse, de comment elle en est arrivé là, et comment elle compte s’en sortir? D’autres nécessités viennent en face, plus ou moins puissantes: télescopage, affrontement, coït, tuerie, rebondissement, pause culturelle… Presl peint tout ça, comme le chassé-croisé d’une myriade de destins. C’est à peine si l’on trouve le temps de s’arrêter sur un visage, animé par un rictus… Se souvenant de «L’Hydrie» précédente, drame situé dans l’Antiquité, on peut en conclure que rien n’a changé. Rien ne s’est perdu du sacrifice humain antique, il ne s’en est pas créé de manière plus radicale ; seule la culture ou le vernis a changé. Bien qu’il donne l’illusion de bouger, comme le cinéma ou la BD, le plan social est statique. Le regard exercé de Presl ne tombe pas dans le panneau ou le détail, par où les choses paraissent mobiles. Les bouquins de Presl sont des cauchemars ; sans doute cette matière-là se vend moins bien que les rêves, mais l’avantage du cauchemar sur le rêve, c’est qu’au réveil on n’est pas déçu. Heureux qui comme... - Ed. Atrabile, 2012.

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KRITIK - JANVIER 2013 STALAG IIB (2/5) - J. TARDI

PAOLO PINOCCHIO (4/5) - L. VARELA

Jacques Tardi s’est attelé à la tâche ardue de rendre intéressants les souvenirs d’un ancien combattant, son propre père, enrôlé dans un régiment de char français en 40. Comme l’auteur se plaint luimême d’avoir subi, enfant, les radotages plein d’amertume de son paternel, le moins qu’on puisse dire est qu’il avait conscience du défi qu’il se lançait… et qu’il n'est pas parvenu à relever.

En préambule, disons que c’est une bonne idée de traiter de l’enfer en bande-dessinée (une idée dont les planches de Louise Asherson dans "Zébra" autour de la "Divine comédie" ne sont pas éloignées, voire la BD expérimentale de David Roche sur la "Vie des Cavernes", qui pourrait être sous-titrée: "Une Saison en Enfer".)

Dans «Stalag IIB», l’auteur s’est en outre représenté, en train d’accoucher son père au fil des pages de ses souvenirs d’un passé pénible, jouant de l'effet de voyage dans le temps permis par la fiction, qui permet de "repasser les plats", au contraire de l'Histoire. L’idée est originale et intrigante au départ, mais on peut prendre ensuite le déroulé de ce dialogue entre un père en tenue de soldat et un fils en tenue d'écolier, pour une sorte de règlement de compte psychanalytique, où le décor historique n’est plus qu’un prétexte. A mon sens, le lien du sang gâche la peinture d'histoire. Dans le même genre, l’accouchement d’un ancien GI américain par Emmanuel Guibert («La guerre d’Alan») était mieux réussi, le témoignage plus intéressant car plus large. La haine des Boches du père de Tardi, par exemple, était-elle représentative du sentiment populaire, des types embringués malgré eux dans une aventure dont le plan général de concurrence entre nations industrielles les dépassait? Ou bien cette haine n'était que le moyen que le père de Tardi avait trouvé pour se galvaniser contre l’atmosphère délétère des camps de prisonniers, comme d’autres choisissaient la belote, ou le souvenir émue d'une fiancée. On ne peut s’empêcher, d'ailleurs, quand on a lu Céline et ces deux romans complémentaires que sont «Le Voyage» et «Mort à Crédit», de comparer. Et de conclure que Tardi est loin d'atteindre la dimension historique du diptyque de Céline, qui trouve dans la folie guerrière nationaliste la force de témoigner contre elle, et de dissuader les milieux populaires de gober les grands plans de paix internationaux. L’expérience militaire du père de Tardi et l’antimilitarisme de son fils Jacques se confrontent, mais ne sortent pas renforcés l’un de l’autre. On pourra dire de Jacques Tardi qu'il a les mains pures parce qu'il n'a pas de mains. De son père qu'il est un salaud et un con, mais qu'il ne faisait qu'obéir à l'injonction sanguinaire du pouvoir républicain. Tandis que Céline a mis un terme à l'art républicain: il s'est vengé de la civilisation et de l'élite. L'art républicain en principe continue; mais plus personne de sincère ne continue d'y croire. Les auteurs de BD se torchent avec la légion d'honneur. La partie de «Stalag IIB» la plus réussie est le préambule où les Tardi narrent ensemble «la drôle de guerre», défaite éclair de l’armée française face aux troupes allemandes, prompte mais suffisamment longue pour permettre à Tardi-père d’éviscérer à coups de canons quelques-uns de ces Boches qu’il exécrait, avant d’être fait prisonnier. Stalag IIB - Jacques Tardi - Casterman - 194p.

L’enfer, c’est en effet la fiction la plus tenace, et pour ainsi dire indissociable de l’âme ou de la conscience humaine. Ceux qui ne veulent rien entendre de l’enfer, le plus souvent, ne font que le fuir pour se précipiter dans une formule alternative, ignorant à quel point cette fiction peut revêtir des formes artistiques différentes, et même être incorporée dans un seul objet d'art symbolique, tel que le fameux vase de Pandore. De même il n’y a pas de conscience éthique ou morale chez un individu, sans conception de l’enfer liée à cette conviction. Une personne prétendument dépourvue de conscience éthique ou de sens moral -par exemple un tueur en série, le type auquel on prête généralement ce type de caractère-, cette personne est sans doute persuadée que l’enfer, c’est maintenant, une extension du domaine de la lutte à laquelle se livrent les puissants entre eux, au détriment des faibles. Le paradis se réduit dans ce cas aux rares instants de jouissance qu’elle éprouve, dont son propriétaire est seul à détenir les clefs. Prendre Pinocchio comme personnage principal de pérégrinations au sein de l’enfer et ses différents cercles, est également judicieux de la part du dessinateur argentin Lucas Varela (du magazine "Fierro"). La version originale de "Pinocchio" est précisément un conte pédagogique et moral, dont le but est, par conséquent, d’inculquer la peur de l’enfer. Il y a une tendance aujourd'hui, dans le domaine des contes pédagogiques, à publier des contes "politiquement corrects", adaptés aux péchés modernes, dont on peut dire qu’ils sont dans la droite ligne du "Pinocchio", déjà en son temps, œuvre d’éducation nationale. Les allusions dans "Paolo Pinocchio" à d’autres œuvres inspirées par l’enfer sont nombreuses. Dans la culture italienne où Varela puise, elles ne manquent pas, tantôt venues de la mythologie romaine, tantôt du christianisme opposé (qui associe Rome à Satan); parfois de telles conceptions se conjuguent bizarrement, comme dans la "Divine comédie". Varela fait ainsi du clergé catholique, à l’instar de Dante et Boccace, un grand pourvoyeur de l’enfer. Une prêtresse de Diane confie à Pinocchio: "L’enfer n’est qu’un état de l’âme." Elle rejoint ainsi la psychanalyse moderne, et Varela s’amuse de la comparaison entre l’organe érectile de Pinocchio et l’organe viril, objet spécial de l’attention de toutes les doctrines morales à travers les âges. Pour faire valoir encore l’actualité de cette BD, je fais observer que nos députés ne sont autres que des "élus". Et que la destination de nos grands hommes et femmes est toujours le "Panthéon" ; enfin qu’il est réservé au peuple un rôle de figuration, guère éloigné de celui attribué à Jupiter dans certaine religion antique. Paolo Pinocchio, Ed. Tanibis, 2012

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Les Voeux de Miss Molly J’ai eu l’occasion de m’entretenir (via msnmessenger) avec l’illustratrice et danseuse de cabaret new-yorkaise Molly Crabapple. Celle-ci a fondé un mouvement international pour le renouveau de l’apprentissage du dessin d’après le modèle vivant (anti-art-school). J’ai tenté de la convaincre de venir s’installer à Paris, mais sans succès. Vous trouverez ci-dessous ma traduction (de l’américain) des vœux de Molly Crabapple pour le Nouvel An, voeux qui sont en fait des conseils prodigués aux artistes en herbe, par une qui a «fait carrière», comme disent les Yankees. Miss Crabapple est régulièrement employée par le «New Yorker». (Zombi) (J’ai rédigé ça il y a un an. Mais comme on continue de me réclamer des conseils, je remets ça.) - Bosse dur, fais-toi des potes, ne baisse pas les bras.

sent à autre chose que l’art : des hackers, des chefs d’entreprise, des journalistes, des top-models, des ouvriers du bâtiment, des profs. Dessine tout le temps. N'oublie pas ton carnet de croquis. Va dans les cours de modèle vivant. Copie les dessins de maîtres. Sois exigeant avec toi-même et corrige tes erreurs. Trouve le ton juste. - Souviens-toi que le futur appartient aux mutants pluridisciplinaires, et qu’un galeriste-faisant fonction de père, ou bien un agent, ne risque pas de craquer sur toi si tu restes enfermé dans ton appart’ à dessiner toute la journée. - Observe comment des secteurs tels que le marketing ou les médias fonctionnent aujourd’hui. Ce n’est pas une science occulte. Tu peux apprendre à rédiger un communiqué de presse en cinq minutes sur Google. Y'a pas de honte à faire sa propre promo. Personne ne le fera à ta place, sauf si tu fais déjà du blé, et dans ce cas on te lèchera la bite de tous les côtés. - Investis dans un matériel de qualité, permettant une bonne présentation. Des photos pourries avec un iPhone ne te ramèneront pas du boulot. Paie tes impôts par tranches. Prends un comptable dès que tu peux. Les travailleurs en «free-lance» se font baiser aux Etats-Unis.

- Quelques précisions : sois opportuniste en diable, et ne rate aucune occasion, aucun moyen de mettre en avant ton art. Sois exigeant avec toimême. Fuis les recommandations cul-cul-la praline données aux artistes, du genre : «Accroche-toi à tes rêves !», ou «Nourris ta créativité !», toute cette daube ne sert qu’à fourguer aux artistes du dimanche des manuels bidons.

- Ne claque pas 150.000 dollars dans un diplôme d’art. - Monte un site internet sympa.

- Préoccupe-toi du pognon. T'en auras besoin. Si ce n’est maintenant, quand tu seras malade, vieux, ou que t'auras un gosse. N’écoute jamais ceux qui essaient de te faire honte parce que tu gagnes des thunes.

- MAIS SURTOUT : si tu veux devenir artiste, tu ne peux pas te permettre d’y mettre une couille sur deux. Il faut le vouCaricature de Molly Crabapple en sainte pa- loir plus que tout, et être prêt à sacrifier son sommeil, sa vie sotronne des artistes en herbe. ciale, les histoires d’amour merdi- Comporte-toi avec la plupart ques de fac, les soirées au bar à s’en jeter derrière la des clients en mercenaire, mais sois le plus généreux cravate après le turbin, bref, à peu près toutes les expépossible, au contraire, avec tes compagnons d’armes, qui te soutiennent. Je continue de faire pas mal de trariences agréables qu’un jeune adulte autour de vingt ans vaux, gratuitement ou pour des clopinettes, pour le peut connaître. Si tu n’y es pas prêt, devenir artiste à groupe [de musiciens] BFF ou pour «Occupy Wallplein temps n’est pas pour toi. Il n’y a aucune honte à Street». Je peux me le permettre, parce que je fais casça. Dessiner pour le plaisir, parce qu'on aime ça, est une quer un max mes clients ordinaires. chose merveilleuse. Mais si tu es certain de ne pouvoir faire autre chose qu’une activité artistique toute la jour- Souviens-toi que tu fais des choses que les gens paient née, que tu es né pour ça, il te faudra faire des sacrifipour avoir, et que s’ils ne s’intéressent pas à ce que tu ces. fais, ce n'est pas parce qu’ils sont d’horribles Philistins. Fais plutôt en sorte de faire des progrès et de trouver ton public. Bonne chance ! - Aies l’audace de projets personnels. Bosse dur dessus. Montre-les. N’illustre pas gratuitement des livres pour enfants auto-édités. Crois-moi. Lie connaissance avec des personnes hors du milieu des artistes, qui s’intéres-

Molly Crabapple (traduit de l’américain par F. Leroux)

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Crédits : Aissam, Alphie, Louise Asherson, Yoyo, Aurélie Dekeyser, François Leroux, Naumasq, David Roche, W.Schinski, Zombi. RETOUR AU BLOG ZEBRA

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