Projektiva časovnosti / Projected Temporality / La temporalité projective

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2- Oui à l’appropriation du présent.

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ui à la persistance du présent, à la durée et à l’endurance. Pour l’art et les travailleurs du champ artistique, il est impératif de revendiquer autant que possible la permanence, la continuité et l’occupation de l’espace du présent. Ce qui est commun, c’est ce qui est maintenant et non ce qui sera dans l’avenir. Par conséquent, une des questions importantes est aussi celle de savoir comment créer les modalités qui soutiendront le présent et lui rendront sa valeur temporelle, sa complexité et sa fonction de lien à l’autre. Quelle doit être la structure qui s’ouvrira sur la complexité perceptive du présent ? Comment penser des structures politiques, des modalités esthétiques et des mouvements culturels qui s’opposent au besoin de refaire sans cesse du neuf, qui s’opposent à la tentation d’abandonner sans cesse ce qui a déjà été accompli. La pratique de l’art doit-elle dévoiler « les points communs du présent et non ce qui doit advenir »6. Comment se garder soi-même et garder sa position dans le présent ? Ce qu’il faut enrichir quand cette pratique se manifeste est exactement ce qu’il y a de commun dans le présent et non ce qui doit advenir. Ainsi il serait possible d’inclure la dimension publique du présent : sa dimension conflictuelle, complexe et antagoniste que la culture projective a vigoureusement attaquée. L’accélération de la production sépare l’art de la sphère publique car, dans une politique populiste et néo-libérale, l’art ne devrait pas être comme il est : l’art ne devrait pas faire partie de l’intérêt public.

3- Oui, il faut prendre son temps.

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a présente proposition concerne les différentes modalités de travail qui sont vivement attaquées par la société contemporaine et qu’il est difficile de réemployer tant elles semblent privilégiées : être paresseux, inefficace, prendre son temps, être en retard, coincé, se perdre dans la complexité, s’exposer à la visibilité, refuser d’être global, résister à tout faire et à être partout. On pourrait y penser comme à un renouveau de la potentialité « paresseuse et oisive » de l’artiste, mais surtout comme à la conscience d’un moment bartlebyste qui va de pair avec le travail et l’effort artistiques. Au cœur du « j’aimerais mieux pas », il y a en effet une potentialité spécifique. Je conclurai 6 Valentina Desideri et Stefano Harney, “Fate work. A conversation”. Texte non publié, notes privées.

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par une brève référence au travail de Mladen Stilinović, artiste conceptuel croate, qui au début des années 90 a publié un « Éloge de la paresse »7. Dans ce manifeste, il explique que les artistes de l’Europe de l’Est peuvent travailler en tant qu’artistes car ils peuvent être paresseux alors que les artistes en Occident sont tout le temps occupés à organiser, à distribuer et à diffuser leur travail, ils ont tellement affaire aux institutions qu’ils ne peuvent se permettre d’être paresseux. Il est intéressant de lire ce manifeste dans la perspective actuelle et d’en tirer certaines conclusions. Stilinović montre en fait que, sous le communisme, il existait différentes modalités de création d’art qui n’étaient pas liées au marché. Mais dans le même temps, les artistes pouvaient être paresseux car ils avaient conscience que ce qu’ils créaient en réalité n’était rien, n’avait pas de valeur. Aujourd’hui, nous pouvons aussi lire ce texte comme une tentative pour freiner l’expérimentation capitaliste par la temporalité du travail. Peut-être que les artistes d’aujourd’hui travaillent tellement qu’ils n’ont plus le temps de démasquer les gens réellement paresseux au cœur du mode de production capitaliste. C’est-à-dire que, dans le socialisme, l’artiste paresseux pouvait montrer l’hypocrisie du système qui exaltait le travail : si les artistes dans le socialisme voulaient rester des artistes, ils devaient de fait rester sans travail. Si les artistes d’aujourd’hui veulent être des artistes, ils ne peuvent pas rester sans travail, ils doivent au contraire travailler sans cesse. Et de plus, ils doivent sans cesse être critiques envers leur travail. Les artistes doivent de fait constamment chasser de leur travail chaque trait de paresse ou d’inefficacité, pourtant ce faisant, ils perdent la potentialité de tendre un miroir aux gens réellement paresseux au sein du capitalisme. Comme l’a dit Aaron Schuster, le problème réside dans le fait que le néolibéralisme a fini par s’approprier la paresse : l’éthique postmoderne est une paresse guidée et tolérée8. La paresse est de fait la nouvelle éthique de travail de ceux qui spéculent et qui réfléchissent à la valeur de l’avenir. Ici, nous avons affaire à une situation contradictoire : l’artiste travaille sans cesse et sans relâche, en même temps il est perçu du point de vue populiste néolibéral comme un des principaux parasites de la société, son travail est de nouveau sans valeur comme dans le socialisme. Mais cette fois le travail est sans valeur non pas parce que le travail est déprécié mais parce que la spéculation et la paresse sont justement au cœur de l’idéologie néolibérale contemporaine. Avec 7 Mladen Stilinović, “The Praize of Laziness”, http:/guelman.ru/xz/english/ XX22/X2207.HTM/ 8 Aaron Schuster parle aussi du rôle de la paresse dans le libéralisme dans une interview à Dnevnik : « Il est très difficile de ne rien faire ». Dnevnik, 4.10.2010.


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