Appel au bon sens

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revue bimestrielle

ARCHITECTURE DU MAROC

SEPTEMBRE- OCTOBRE 2009 • AM44

L'architecture durable

AM ARCHITECTURE DU MAROC

L'architecture durable Les Mipim Awards 2009 La démarche Belge pour l’éco-construction et la construction durable Tahanaout, Douar d’hôtes vernaculaire L'exemplaire Tigmi Le projet oued Fès, primé deux fois aux Holcim Awards !

SEPTEMBRE - OCTOBRE 2009 . Prix : 100 dh / 20E / 25 $ CAN / 20 $ us / 50 fs

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Débat

Appel au bon sens

Appel au bon sens A l’heure ou l’architecture durable devient une nécessite pour sauver l’humanité, d’aucun s’empare de son concept pour le galvauder. Pour la jeune génération, le combat est sérieux et fait partie d’une nouvelle culture de réparation et de responsabilité, voire d’une chance d’innover. Ecoutons cet étudiant.

Jaafar Sijelmassi. Etudiants à l'école d'architecture, Paris la Villette.

L

’architecture durable aujourd’hui est victime de l’effet de mode du développement durable. Tout les décideurs n’ont que ce mot à la bouche : faites-moi du durable ! Tout devient durable, de la lessive à la voiture. Le « green washing », qui consiste à peindre en vert un produit pour le rendre écologiquement

acceptable, galvaude ce concept. Le marketing et les politiques se sont emparés de cette idée pour réaliser encore plus de profits, quitte à arriver à des aberrations telles que la voiture verte, le gratte-ciel écologique, la croissance verte… Or, tout ce qui est prélevé de la nature pour créer un objet et une consommation avec une durée de vie limitée n’est pas écologique. Si je prélève de l’acier et que je brûle de l’énergie afin de fabriquer une voiture, c’est autant de ressources irréversiblement perdues pour la nature. La question du développement durable est essentiellement politique et économique. L’architecture, quant à elle, est par définition durable ou encore, l’architecture durable est celle qui dure. Réinventer l’eau chaude est une perte de temps et d’énergie. La vraie écologie est le bon sens du pauvre ; qui de plus écologique que le Touareg du désert, le Dogon du Mali ou l’Inuit des régions arctiques ou encore nos arrière-grands-parents ? Ils construisaient avec et dans leur environnement. Aujourd’hui, bien que le formidable développement économique et technologique soit une chance pour la liberté et l’innovation architecturale, nous avons perdu le contact avec la réalité environnementale. L’architecture contemporaine est

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déconnectée de son environnement, certains bâtiments de Casablanca, ou à Jakarta, pourraient se copier/coller à Lima ou Rotterdam sans que cela ne choque. Je ne suis pas pour une posture conservatrice, je ne prône pas un retour vers le passé ou le vernaculaire, mais je suis forcé de constater que la durée de vie du bâti est moindre, que la consommation des bâtiments est plus élevée aujourd’hui qu’il y a quelques siècles et que l’efficacité énergétique est dérisoire. C’est pour cela que nous devons compenser par des technologies coûteuses financièrement et énergiquement. Alors, que peuvent faire les architectes d’aujourd’hui pour retrouver l’une des vocations premières de l’architecture, la durabilité ? Tout d’abord, prendre conscience que le cadre bâti consomme environ 50% de l’énergie produite, qu’il est responsable de l’émission de 20% des gaz à effet de serre et de 25% du C02. De plus, il consomme une part importante des ressources non renouvelables et des matières premières. L’énergie consommée par le bâtiment est un enjeu majeur à cause de sa raréfaction - et donc du coût - ainsi que de son impact néfaste sur le climat et la santé, mais il faut aussi prendre en compte l’énergie grise nécessaire à la fabrication


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et au transport des matériaux en analysant l’ensemble de leurs cycle de vie. La multiplication des matériaux dans le projet est contre-productive car elle est chère en énergie grise et souvent en désaccord avec la simplicité essentielle à l’architecture, le plus simple étant d’utiliser les ressources locales. L’architecture durable doit être non seulement écologique, mais aussi sociale, esthétique, historique, géographique, économique… Elle doit s’inscrire dans une démarche holistique, il ne faut pas considérer les facteurs séparément mais comme un tout supérieur ; il faut décloisonner, ouvrir, interagir. Il s’agit pour l’architecte de minimiser l’impact de son bâtiment sur l’environnement. Il s’agit d’une révolution culturelle mais, factuellement, d’une évolution technique, sociale, économique et esthétique qui risque de se heurter à une mentalité archaïque des réglementations et à une norme obsolète. Un exemple concret au Maroc, la difficulté de construire et de valoriser l’architecture en terre, alors que c’est le matériau le plus approprié qui soit sous notre climat. C’est l’architecture dont le cycle de vie du bâtiment respecte le plus son environnement. On prélève la terre souvent sur place (en économisant le transport et ses gaspillages), l’inertie thermique est optimale (favorisant une fraîcheur agréable) puis lorsque le bâtiment est détruit, la terre revient à la terre. L’architecte doit militer activement pour la reconnaissance et l’acceptation de cette architecture. De plus, il doit étudier ces nouvelles technologies comme la terre armée ou la brique chanvrée afin de leur donner une image moderne. L’architecture ne doit pas se sentir menacée par la révolution écologique,

il ne s’agit pas d’un retour vers le passé ou le vernaculaire mais d’une chance d’innovation, de création sans précédent avec un bénéfice certes difficile à quantifier : la qualité. Il est par contre vrai qu’il demande une plus grande expertise, beaucoup de travail et un effort d’information. Il ne s’agit pas de faire table rase des 50 dernières années, il n’existe pas de recette miracle, chaque projet est différent. Il faut privilégier la rénovation de l’existant à la destruction, comme il faut privilégier les matériaux recyclés et recyclables. Le bon vieux béton armé est nécessaire car c’est le seul matériau qui peut répondre à la rapidité du développement du cadre bâti, mais il ne doit pas être le seul moyen de construire. Le Maroc étant en voie de développement, il peut se permettre de remettre en question les modèles internationaux et répondre d’une « manière locale tout en pensant global » et peut-être même se créer une identité propre. Un exemple d’aberration, et un cliché de la modernité, le gratte-ciel tout de verre vêtu qui est inadapté au Maroc, car il coûte une fortune en climatisation ! A contrario, il existe une multitude de solutions techniques passives qu’on pourrait importer, comme les tours à vent iraniennes, le puits indien, l’utilisation d’arbres à feuilles caduques, la toiture végétale, les couloirs biologiques, la construction troglodyte, le monomur terre cuite… Il faut préférer les solutions passives simples comme la bonne orientation, du bâtiment plutôt que les appareils techniques (VMC, photovoltaïque, éolienne…) car elles ne tombent jamais en panne et fonctionnent gratuitement avec de l’énergie naturelle et renouvelable. L’aspect sociologique rentre lui aussi

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dans la durabilité du bâtiment ; il permettra d’affiner les programmes par des consultations publiques, favorisant par la même occasion l’implication de l’usager dans son environnement architectural. Et cela donne une légitimité à la remise en question des programmes. Evitant ainsi l’abandon de certains bâtiments inadaptés ou inutiles. De plus, il faut laisser une marge de manœuvre à l’utilisateur futur, en aménageant par exemple des dents creuses ou des pièces multifonction. L’architecture peut avoir une grande influence sur les liens sociaux et la façon dont interagissent les différents groupes sociaux. Un bâtiment socialement durable peut inciter les gens à adopter un mode de vie durable. L’aspect esthétique est primordial, le bâtiment doit s’insérer dans son environnement tout en procurant du plaisir à l’usager. C’est un plaisir urbain, un plaisir de montrer, un plaisir d’usage, un plaisir de qualité, une sorte de fusion entre l’art et les performances techniques qui susciterait un bonheur chez le chaland et réduirait le stress. C’est l’essence même de l’architecture. Bref, l’architecture durable selon moi n’existe pas, c’est simplement l’architecture, juste, intelligente et vibrante avec une bonne dose de bon sens. ■■

Jaafar Sijelmassi

Etudiants en architecture, Paris la Villette


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