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Décryptage: produire avec une ressource en eau limitée

Outre leur intérêt pour améliorer la réserve en eau des sols, les couverts végétaux sécurisent voire augmentent la ressource fourragère, sans irrigation.

SÉCHERESSE Comment produire avec une ressource en eau limitée?

L’année 2022 marque un tournant dans la prise de conscience des impacts du dérèglement climatique. Si prévoir quelle sera la fréquence d’années comme celle-ci reste difficile, il ne fait en revanche aucun doute que les systèmes agricoles doivent dès maintenant être adaptés à une ressource en eau plus rare.

1Esquiver le risque sécheresse

La stratégie d’esquive, levier pouvant être mis en œuvre rapidement, consiste à éviter, en situation non irrigable, les cultures dont le cycle se déroule principalement sur les périodes à risque. Par exemple, en préférant un méteil à un maïs fourrager. Les cultures de printempsété ayant toutefois des intérêts économiques et agronomiques, opter pour les moins gourmandes en eau (tournesol, sorgho…) reste possible. Concernant le maïs, l’abondante offre variétale permet de choisir celles dont les indices plus précoces éviteront l’exposition des stades les plus sensibles à la sécheresse.

2Diluer le risque sécheresse

La stratégie d’esquive n’offre pas toutes les garanties, car savoir à l’avance quand surviendront les périodes sèches s’avère difficile. Diversifier ses cultures afin de répartir les risques sur différentes périodes se révèle donc utile.

3Limiter le travail du sol…

Beaucoup d’agriculteurs ont été confrontés, en août, à la difficulté de réussir leurs semis de colza ou de couverts végétaux à cause de la sécheresse des sols. Pour conserver au maximum l’humidité des premiers centimètres, mieux vaut travailler ces derniers au minimum, voire pas du tout. Cette stratégie a aussi un impact sur l’infiltration en profondeur et sur la réserve en eau du sol. En agriculture de conservation des sols (ACS), la préservation de la structure et de la

LES SURFACES IRRIGUÉES PROGRESSENT DANS TOUTES LES RÉGIONS

Selon le service national de statistique agricole, en 2010, les principales cultures irriguées en France étaient le maïs grain et semence (41 %, en baisse), les céréales à paille (18 %, en hausse), les fruits et légumes (13 %), le maïs fourrager (7 %), ainsi que la betterave, le tournesol, le soja, les protéagineux, la pomme de terre (2 à 4 % chacune) et la vigne (2 %). En 2016, 5 % de la SAU métropolitaine était irriguée, soit environ 1,4 million d’hectares. Les résultats du recensement agricole en 2020 indiquent que l’irrigation progresse dans toutes les régions: Nouvelle-Aquitaine (410587 ha, +2,8 %), Centre-Val de Loire (352188 ha, +11 %), Occitanie (295641 ha, +13 %), Pays de la Loire (157235 ha, +9 %), Hauts-de-France (93220 ha, +77 %), etc. Pourtant, les Assises de l’eau de 2019 avaient fixé un objectif de réduction des prélèvements d’eau (tous usages) de 10 % à l’horizon 2025, et 25 % pour 2035.

porosité biologique des sols construites au fil du temps crée en effet un réservoir efficace pour retenir l’eau. De plus, les couverts employés en ACS favorisent l’infiltration en évitant la battance et le ruissellement. D’après Thierry Gain, coordinateur technique de l’Apad (Association pour la promotion d’une agriculture durable), «l’infiltration peut être augmentée de 100mm par heure sur une prairie ou un sol non labouré doté d’un couvert végétal».

4… et utiliser des couverts végétaux

Outre la protection des sols contre les fortes pluies, les couverts contribuent à les structurer efficacement par leur développement racinaire. Ils atténuent progressivement les éventuelles zones de compaction, permettant aux racines des cultures de descendre davantage pour aller capter l’eau. Les couverts apportent en outre de la matière organique. Celle-ci joue le rôle d’éponge vis-à-vis de l’eau, et nourrit la faune du sol (vers de terre, micro-organismes) qui agit elle aussi sur la porosité biologique. Enfin, les couverts tamponnent la température des sols et limitent l’évaporation de l’eau, en particulier lors de fortes chaleurs. La présence d’arbres (haies, agroforesterie) est aussi un moyen d’améliorer le stockage de l’eau dans les sols.

5Améliorer l’efficience de l’irrigation

L’utilisation d’outils de pilotage et d’aide à la décision (bilan hydrique, sondes) permet d’ajuster au mieux les apports. Grâce à eux, d’après ArvalisInstitut du végétal, se passer d’un à deux tours d’eau sur une campagne de maïs devient possible. En situation de ressources limitantes, l’objectif est de cibler les apports d’eau les plus productifs, autour de la floraison du maïs, par exemple, période de grande sensibilité au stress hydrique. L’institut teste d’ailleurs un nouvel outil visant à piloter l’irrigation en cas de volume d’eau insuffisant. Du côté des capteurs, l’innovation à venir concerne la mesure des besoins réels des plantes plutôt que de l’état hydrique du sol. L’efficience de l’irrigation est liée aussi au matériel utilisé: Arvalis-Institut du végétal teste notamment l’intérêt de la modulation intraparcellaire des apports d’eau avec un pivot à débit variable.

6Limiter l’évapotranspiration à l’aide d’ombrières photovoltaïques

Une ombrière équipée de panneaux photovoltaïques rotatifs sur 3ha est entrée en service cette année en HauteSaône. Haute de 5m et portée par des poteaux espacés de 27m, elle a été pensée pour les grandes cultures. À l’aide de trackers inclinant automatiquement les panneaux suivant l’axe du soleil, cette ombrière réduit l’évapotranspiration et atténue les stress thermique et hydrique. Des essais vont être menés par la société TSE – à l’origine du projet – avec l’Inrae et les coopératives de l’Alliance BFC pour mesurer la pertinence d’un tel équipement. ■

Au salon Mécasol, en septembre, le simulateur d’orage de l’Apad a montré l’intérêt du couvert végétal ou de la prairie par rapport à un sol labouré, pour favoriser l’infiltration de l’eau.

UN VOLUME D’EAU CONSTANT, MAIS DES RESSOURCES REDISTRIBUÉES

D’après le dossier « L’agriculture va-t-elle manquer d’eau? » de Ressources, la revue de l’Inrae, datée d’avril 2022, l’irrigation représente 9 % des prélèvements d’eau en France, mais 48 % de la consommation. L’eau consommée correspond à l’eau prélevée dont on a déduit l’eau restituée. Or, l’eau prélevée par les cultures irriguées n’est pas restituée localement: elle est évapo-transpirée (évaporation du sol + transpiration des plantes) et réintègre le cycle de l’eau sous forme de vapeur, avant de retomber sous forme de précipitations ailleurs. Au contraire, l’eau utilisée pour les usages domestiques (17 % des prélèvements, 24 % de la consommation) est restituée le plus souvent à proximité des points de prélèvements. Les résultats du projet Explore 2070 de l’Inrae montrent que le débit moyen de nos rivières devrait diminuer fortement. L’élévation de la température moyenne de l’air augmente l’évaporation à partir des masses d’eau, du sol et des plantes, et affecte le régime des précipitations. Davantage de pluies extrêmes convergent vers les océans sans recharger les nappes. Si le volume total d’eau de la planète reste constant, les ressources sont redistribuées, avec des risques de manque plus ou moins drastiques selon les territoires, les saisons et les années. Selon le ministère de la Transition écologique, la ressource en eau renouvelable (pluies essentiellement) a chuté de 14 % ces deux dernières décennies, par rapport à la période 1990-2001.

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