Le Chat de Geluck : LE SOIR édition-speciale

Page 2

Le Soir Mercredi 7 octobre 2015

2 LE CHAT FAIT DES PETITS Un Soir collector griffé par Philippe Geluck Entre Le Soir, le Chat et Philippe Geluck il y a la passion des mots, de l’image et du sens. Depuis quarante ans, l’artiste incarne ce que la culture belge a de mieux à offrir au monde : le trait d’humour. Pour célébrer son talent en même temps que le vingtième album du Chat, nous lui avons offert d’emballer complètement le journal dans une image inédite d’actualité spécialement dessinée pour l’occasion. Philippe Geluck a aussi invité son Chat à donner quelques coups de langue et de griffe dans le corps du journal. Nous l’avons laissé faire en toute liberté et aucune rubrique n’a été épargnée par sa malice. Son regard poétique, inspiré, décapant, vient réjouir des sujets qui parfois déchirent les hommes ou dérangent les consciences. Le Chat nous bouscule en toute amitié avec l’élégance de l’art que chacun lui connaît.

« Le premier strip du C Philippe Geluck publie aujourd’hui le 20e album du Chat. A l’image de tous les grands créateurs, il a commencé petit. Ce trublion du mot et du trait nous raconte ses premières fois.

DA.CV.

Les premiers chats ? « Dans des aquarelles, mais je ne sais plus dans quel ordre. L’un avait quatre pattes et avançait parmi les oiseaux en tenant devant sa tête un masque d’oiseau… Un autre était maître de danse, un second chat jouait du piano, tandis que des rats en tutu faisaient de la barre. » © SUTIO FYFTY-FIFTY/CASTERMAN/PHILIPPE GELUCK.

ENTRETIEN eintre, acteur, auteur, humoriste, cartooniste, Philippe Geluck est une grosse tête et un athlète complet. En quarante ans de carrière, il s’est hissé au rang de vedette internationale de l’art belge. Il nous a ouvert les portes de l’atelier du Chat pour nous livrer les secrets les mieux gardés de sa légende.

P

Votre premier jeu de mots ? J’étais tout petit. Je devais avoir sept ou huit ans. Ma tante norvégienne parlait à une amie norvégienne. C’était incompréhensible pour tout le reste de la famille. J’ai dit à mes parents ce jour-là : « Est-ce qu’on est sûrs qu’elles se comprennent entre elles ? » On a ri et les adultes ont cru à une remarque naïve de la part d’un enfant alors que je l’avais fait sciemment comme une vanne. J’ai gardé cette propension à jouer sur les malentendus qui n’en sont pas. En France, je dois toujours faire

attention à bien poser mes répliques pour que le public ne croie pas à une maladresse. Il m’arrive encore régulièrement de faire une vanne et de m’entendre dire : « Il est vraiment belge »… Votre premier rêve d’artiste ? Je voulais devenir clown ! Je me suis aperçu très tôt que j’avais le pouvoir de faire rire. A l’époque où cette idée m’est venue, j’habitais rue Belliard avec mes parents. Il n’y avait qu’une seule ligne de téléphone pour tout l‘immeuble. L’appareil était chez nous, ce qui fait qu’on décrochait parfois pour d’autres et notamment pour un avocat. Un jour, ma mère a pris un coup de fil et le correspondant ne lui a pas laissé le temps d’en placer une. Il était en larmes au téléphone. C’était le clown du Cirque royal et sa femme venait de le quitter ! Ce jour-là, j’ai compris qu’on pouvait être clown et en faire un métier… Votre premier fou rire ?

PARCOURS

40 ans de carrière 1972. Philippe Geluck dessine sa première Vénus de Milo au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en forme de talisman contre les dangers de la célébrité. 1976. Il participe à la création du Théâtre Hypocrite. 1977. L’humoriste fait ses débuts à la RTBF dans 1,2,3, J’ai vu, avant de dynamiter le petit écran avec Malvira dans Lollipop. 1983. À l’instigation du journaliste Luc Honorez, le Chat devient la mascotte du journal Le Soir.

1985. L’acteur tourne dans Benvenuta, un chef-d’œuvre d’André Delvaux, où il joue le père de Fanny Ardant. 1987. Philippe Geluck rejoint l’équipe de La Semaine infernale, où les derniers tabous de la radio belge francophone vont tomber sous le stéthoscope du Docteur G. 1995. Laurent Ruquier adopte Philippe Geluck dans ses P’tits Déj sur France Inter. 1999. Michel Drucker propose à Philippe Geluck de participer aux émissions de Vivement Dimanche

Prochain sur France 2. 2003. Grande exposition anniversaire des 20 ans du Chat à l’École Nationale des Beaux-Arts de Paris. Philippe Geluck est fait Chevalier des Arts et des Lettres. 2008. Le Chat sort des cases et s’expose sur 60 toiles acryliques. 2009. Le roi Albert accorde à Philippe Geluck le titre de Commandeur de l’Ordre de la Couronne pour avoir « donné de la joie et apporté la bonne humeur». 2015. Le Chat publie son 20e album : Le Chat fait des petits.

Un fou rire se déclenche toujours dans des moments malvenus. Le premier auquel je pense s’est produit dans la salle gothique de l’hôtel de ville de Bruxelles avec mon copain Freddy. On avait douze ou treize ans. On assistait à un récital de musique classique perturbé par une mouche. Elle a fini par se poser sur le crâne d’un musicien et c’est devenu une torture pendant tout le reste du concert. Le public nous jetait des regards désapprobateurs. Les musiciens jouaient imperturbablement et nous devenions de plus en plus hilares. Votre première émotion artistique ? Elle est liée à la bande dessinée. Les albums étaient très chers quand j’étais enfant. A ma grande honte, je me souviens d’avoir gribouillé au bic dans L’Etoile mystérieuse de Tintin, qui appartenait à mon frère. J’avoue même avoir arraché la couverture et la page de garde. Puis j’ai reproduit la couverture sur le mur de ma chambre dans un énorme « scraboutcha » ! Ceci pour en venir à ma première émotion artistique, liée, en fait, à un autre Tintin : Objectif Lune. Je devais avoir quatre ou cinq ans et j’avais beau relire l’album en boucle, j’étais à chaque fois persuadé en arrivant à la fin, au moment où Tintin était évanoui dans la fusée, que tout le monde allait mourir ! Cette scène m’angoissait à tel point, que je devais toujours lire la suite dans les premières pages d’On a marché sur la Lune jusqu’à ce que Tintin se réveille pour me rassurer. Votre premier modèle ? J’en ai eu plusieurs. Je pense que le tout premier doit être Reiser, qui me fascinait par son esprit corrosif, ou Folon,

dont j’admirais à la fois les aquarelles et la dimension dure et poétique des noirs et blancs. Mais le choc absolu pour moi viendra un peu plus tard avec l’humour noir de Chaval. Son dessin, son esprit, m’ont totalement bluffé. Il m’a fait rouler par terre. Sa magie m’accompagne toujours aujourd’hui. Votre premier dessin d’humour ? Je l’ai toujours. C’est le dessin en plusieurs cases d’un homme qui marche avec une cognée. Il la lève et l’abat sur un cochon. Puis dans la dernière case il met des pièces dans la fente qu’il a faite. On croyait qu’il avait tué le cochon. En réalité, il taillait une ouverture dans une tirelire… Je venais d’avoir neuf ans quand j’ai dessiné ça. Je me souviens de l’avoir montré à mon père et à mon frère. Mon père a eu une remarque encourageante. Il m’a dit que « Là, il y avait quelque chose ». Je me suis senti motivé. Je suis remonté dans ma chambre pour en faire plein d’autres et je ne me suis plus jamais arrêté ! Je me suis mis à dessiner par vagues, avec beaucoup de dessins anticléricaux. Je fabriquais des petits albums moimême. J’avais déjà le sens de la collection. J’oserai peut-être les publier un jour sous forme d’une intégrale des œuvres de jeunesse. Il y avait quelques idées pas mauvaises… Votre premier dessin publié ? C’était un truc un peu maladroit sur les ordinateurs pour Azimuth, la revue de la Régie Renault. Ce n’était pas brillant. Mon premier cartoon pour la revue « L’œuf » m’a laissé un meilleur souvenir. C’était il y a plus de quarante ans. C’est grâce à un laveur de vitres qu’il a été publié. Je l’ai perdu de vue et 2


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.