Jean-Marc Courant — Éleveur de porcs

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Entretien avec Jean-Marc Courant, Eleveur de porcins à Lizio (Morbihan)

Entretien mené par Camille Bordet-Sturla Le 8 février 2014, à Lizio


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Sur l'élevage de M. Courant. a

Pourriez-vous vous présenter ? Comment êtes-vous arrivé à travailler dans l'élevage ? a

Je m'appelle Jean-Marc Courant, j'ai 33 ans. Mes parents ont été exploitants et ont développé la ferme ici. En 2007 ils sont arrivés à la fin de leur vie professionnelle, et la question s'est posée de vendre l'exploitation. A ce moment là, j'arrivais à la fin de mes études. Le métier agricole me plaisait, mais je n'étais pas certain de vouloir faire ça donc j'avais fait une autre formation pour devenir ingénieur forestier, mais puisqu'ils vendaient l'exploitation c'était le moment où jamais de reprendre la ferme, donc j'ai sauté le pas. Si on prend pas des risques à 25 ans on n'en prend jamais... Donc voilà, j'ai repris l'exploitation à ce moment là. Je me suis inscrit dans la continuité de ce qu'ils avaient fait. On est partis en label de qualité, on est passés en Label Rouge au moment où j'ai 3


repris, en 2007. a

Travaillez-vous seul ou en équipe ? a Je travaille en équipe. Quand j'ai démarré mon activité en 2007, je travaillais encore avec mes parents. Et puis petit à petit, l'activité s'est étoffée, et l'équipe s'est étoffée en même temps. Un an et demi après que je me sois installé, un premier salarié a été embauché. Ensuite j'ai repris une autre ferme à cinq km d'ici, il y a trois ans, et là un autre salarié a été embauché. Cette année j'ai embauché de nouveau une personne en contrat de spécialisation, donc aujourd'hui on est trois temps plein et demi. a

Dans la chaîne de la viande, où commence et où finit votre métier ? a

Nous, on produit 120 porcs par semaine, donc on ne peut pas les emmener à l'abattoir, c'est pas le 4


même schéma que le bovin. Classiquement, les éleveurs mettent leurs animaux sur le quai et n'en entendent plus parler. Moi je trouvais que c'était une faillite de l'éleveur, un peu, parce qu'on peut pas produire un bien alimentaire et se désintéresser de ce qu'il devient après. Pour moi c'est un des grands avantages de notre filière en Label Rouge, c'est qu'on peut retrouver du lien avec l'abatteurtransformateur derrière, avec la grande distribution et du coup avec les consommateurs, pour essayer de retrouver le lien qui a été perdu depuis 30 – 40 ans dans l'agriculture industrielle. C'est peut-être marginal, mais c'est aussi une partie de mon travail, qui est intéressante, à mon sens. Je considère qu'à partir du moment où on met un animal sur le quai d'embarquement, c'est pas fini. On doit comprendre où est-ce qu'il va après. Après, c'est pas le gros de mon travail, loin de là. Ça correspond à des moments d'échange avec les abatteurs qui nous achètent 5


les porcs, et avec les distributeurs pour les convaincre d'acheter nos produits. On fait aussi des animations en magasin. Vous savez, les gens que vous voyez dans les grandes surfaces, qui font des animations, des dégustations de produit... Ben voilà. Sauf que nous on essaye de faire connaître le produit et le label, plus que de la dégustation. a

Avez-vous un objectif de production en termes de quantité ? a

L'objectif c'est la cohérence de l'exploitation, il n'y a pas d'objectif numérique à proprement parler. Tout dépend de la chaîne de bâtiments, du foncier disponible, des matières premières, des moyens humains... Je pourrais avoir deux fois plus de foncier, deux fois plus de bâtiments : à ce moment-là j'aurais un objectif à 250 porcs par semaine. Pour moi c'est pas la quantité qui est l'objectif de production. C'est la cohérence de l'exploitation qui est importante. 6


Je vois. Et pour arriver à cet objectif, quels outils/ procédés techniques utilisez-vous ? Est-ce que vous êtres très « industrialisé » en termes de matériel technique ? a

Qu'est-ce que vous entendez par industrialisés ? a

Justement, ce que j'aimerais c'est que vousmême me donniez votre point de vue à ce propos. Si vous vous estimez industrialisé, du moins en termes de matériel... a

Je pense que vu de l'extérieur, ça paraît être de l'industrie. Parce que ça fait appel à beaucoup d'automatismes, beaucoup de systèmes de distributions... a

Vous avez un exemple ? a

Ben par exemple, les chaînes d'alimentation passent dans toute l'exploitation, avec des automates de distribution, nous on ne donne 7


plus à manger à la main. On n'a pas le temps, et puis c'est aussi une manière de réduire la pénibilité du travail. S'il y a des automates qui le font pour nous, c'est aussi moins d'astreinte physique. Ces méthodologies-là se rapprochent du système industriel, donc effectivement, oui, on peut assimiler ça à de l'industrie. a

Je comprends. Mais alors, vous, à l'inverse, vous ne qualifieriez pas votre élevage d'industriel ? a

Tout dépend... Moi ça me choque pas, qu'on me dise que je fais un élevage industriel, tout dépend de ce que les gens veulent bien y mettre, et ce qu'il y a derrière. Je sais que j'ai beaucoup de collègues qui sont un peu choqués quand on leur dit « vous avez un élevage industriel »... Bah oui, quand on produit 120 porcs par semaine, on peut considérer qu'on produit tellement de viande que ça devient de l'industrie. 8


a

Comment expliquez-vous que certains de vos collègues soient choqués, et pas vous ? Quelle est la différence entre vous qui explique cette divergence de point de vue ? a

Moi j'ai repris derrière mes parents, ils avaient déjà ce niveau de production-là. Après, des générations plus âgées, des exploitants qui ont 50, 60 ans, eux sont partis de plus bas, avec des exploitations qui étaient plus proches des exploitations familiales, à taille beaucoup plus petite, donc plus proches des dimensions artisanales. Et là, les systèmes de production augmentant, ça devient plus organisé, plus sur une image d'entreprise, donc plus industriel en soi, voilà. C'est ça qui fait qu'il y a peut-être des exploitants qui veulent rester sur une image d'autre fois alors que ben non, on produit aussi de manière quantitative, mais de qualité, avec des techniques industrielles. Moi ça me choque pas, je pense que c'est pas choquant de dire ça. 9


Si je vous suis bien, au sens où vous l'entendez, il n'y a pas de connotation péjorative à être un éleveur industriel. a

Je trouve ça dommage justement que dans l'esprit de beaucoup de gens il y ait une connotation péjorative, je vois pas ce qu'il y a de mal à avoir une acception industrielle des choses. C'est pas pour autant qu'on n'est pas attaché à nos animaux, ça n'a rien à voir. C'est là où les choses sont ambiguës : à partir du moment où on est industriel, ça veut dire qu'on maltraite nos animaux, qu'on maltraite nos salariés... Alors que non, ça fonctionne pas comme ça ! L'industrie, ça veut pas dire la maltraitance. Le gros problème, et c'est pas propre à l'agriculture, c'est qu'on voudrait opposer les systèmes, opposer les gens. A mon sens ça fonctionne pas comme ça, c'est pas blanc ou noir, c'est un continuum dans l'activité, on va pas opposer artisanal et industriel, il y a 10


toute une échelle de valeurs entre les deux... a

Sur la sélection des bêtes et l'organisation du cheptel. a

Quels animaux élevez-vous ? Quelle est la taille de votre troupeau ? a

Il y a uniquement des porcs. Il y a 260 mères en production, donc on est sur des lots de 700 porcelets toutes les 5 semaines en naissances, donc ça fait à peu près 7000 porcs par année. L'élevage moyen est à 200 truies, nous on est à 260, donc on est un tout petit peu au-dessus. En dessous de 100 truies c'est difficile de gagner sa vie tout seul, enfin pas dans un système conventionnel, faut avoir une vente directe ou un système de distribution à valeur ajoutée. Après, ça peut aller jusqu'à 10 000 truies, ça fait 250 000 porcs par an. Bon, il n'y en n'a pas beaucoup hein, y en a qu'un seul...

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Ah bon ? Il est où ? a

Je vais pas vous dire, j'ai peur de dire des bêtises. Quelle est la race de vos porcs ? Pourquoi avez-vous choisi cette race en particulier ? Où vous êtes-vous procuré vos premières bêtes ? a

C'est des races danoises croisées avec l'anglais. C'est la race la plus diffusée parce qu'elle est adaptée à des conditions de logements en bâtiment. Elle tolère de vivre en bâtiment en termes de comportement. Pour qu'il n'y ait pas de difficulté pour la mère avec ses porcelets. a

A quelles difficultés faites-vous référence ? a

Je sais pas trop... Je sais pas. a

Lorsque vous avez repris l'exploitation, est-ce que vous avez renouvelé votre cheptel, ou 12


bien est-ce que vous avez pérennisé celui de vos parents ? a

J'ai pérennisé. Ce sont mes parents qui se sont procurés leurs premières bêtes. Le porc, c'est très organisé. Ils comparent entre différentes OSP (organisme de sélection porcin) qui ont été choisis par l'INRA dans les années 60 au moment où la filière porcine s'est largement développée, soutenue par l’État. Ces souches génétiques-là ont été choisies à ce moment-là et développées depuis en fonction de critères qui étaient attendus par les consommateurs. Par exemple, on veut une tranche de jambon de moins en moins grasse donc toute la recherche génétique a été faite dans ce sens-là. Donc, quand vous allez dans un salon professionnel, vous avez tous les organismes de sélection génétique et vous pouvez faire le tour pour choisir telle ou telle génétique qui ont telle ou telle caractéristique. Mais c'est tout le temps les mêmes races parce que c'est celles qui 13


s'adaptent le mieux. Nous, on renouvelle le troupeau à hauteur de 30 à 40% par an. a

Ah, oui, quand même... Pourquoi ? a

Parce que les animaux ont une carrière donnée et leur performance d'élevage diminue au fur et à mesure des mises bas. Ça, c'est les fiches de carrière (il montre les fiches), ça c'est lot après lot, mise bas après mise bas... Vous voyez le nombre de porcelets qu'elle a sevré... Et donc vous voyez que la tendance est au déclin... La dernière fois, elle n'en a sevré que sept. Donc bon, il y a un moment... Il y a un moment je suis obligé de renouveler. Elles ne font que deux portées par an, celle-ci est de 2010, elle a 3 ans et demi. A

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Et les truies que vous utilisez pour la reproduction... Elles sont aussi destinées à l'abattage ? a

Oui oui, elles finissent en viande également. Elles partent en viande de consommation, mais plus dans les salaisons sèches : saucisson sec, ce genre de produit. On en fait de la viande plus corsée. Sur un saucisson, on va s'attendre à quelque chose de plus fort. Les porcs charcutiers qu'on met sur le quai d'embarquement à l'âge de six mois ont une viande trop tendre, donc il leur faut de la viande plus âgée. a

Donc ces truies-là sont abattues à quel âge ? a

A 4, 5 ans. A

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Sur le bien être animal. Vous m'avez dit tout à l'heure que gérer un élevage industriel n'était pas incompatible avec le souci des animaux. Comment considérez-vous vos animaux ? Diriez-vous que le bien-être animal est au cœur de vos préoccupations ? a

Sur le bien être animal... Pour les éleveurs ça reste des dispositifs réglementaires... Il y a eu une directive bien être, qui est une directive européenne. Mais malgré tout, la première action d'un éleveur quand il voit un animal malade, c'est d'être préoccupé de son sort. a

Est-ce que c'est vraiment pour son sort, ou est-ce que c'est plutôt pour des questions économiques ? a

Non, c'est pour leur sort. Quand l'animal va pas bien, on voit pas, enfin moi en tout cas, je vois 16


pas mon portefeuille. Après je ne vais pas nier qu'il existe une incidence économique, aussi. Mais la première chose c'est de constater que l'animal n'est pas bien, pourquoi il est pas bien... a

Vous me parliez de la directive bien être. Estce qu'elle a beaucoup influencé votre manière de travailler ? a

Non, franchement non. C'était pas des dispositifs très contraignants, ça n'a pas révolutionné notre façon de travailler. a

Vous pensez que c'est propre à votre exploitation, ou bien aucune exploitation n'a vraiment dû modifier sa façon de travailler ? a

Non, je pense pas... Enfin ça a impacté surtout le moment où les truies sont en gestation. Avant, elles étaient bloquées dans des réfectoires, dans des grandes cages métalliques, alors qu'aujourd'hui elles sont dans des courettes, 17


toujours dans des bâtiments mais dans des courettes, donc elles peuvent circuler. Voilà, grosso modo c'est le principal changement induit par cette directive. En termes de l'appréciation du comportement des animaux c'est quand même bénéfique. Si on voyait l'élevage, on verrait les animaux qui sont bloqués au moment où elles sont à la reproduction, au moment où elles mettent bas, elles restent bloqués dans des cages pendant sept semaines sur un cycle qui en fait dix-huit. Et il y a onze semaines pendant lesquelles elles sont en gestation, et elles sont libres. Donc ça paraît déjà long, ces sept semaines, sur un cycle de dix-huit, après pour nous ça correspond à une logique de travail : il faut savoir que la reproduction, si la truie est pas isolée des autres, c'est une perte de performance. Il y a une cohérence entre ce qui est acceptable de faire et qui a une incidence positive pour la truie, mais sans trop de contraintes économiques, et ce qu'on ne peut pas faire 18


parce que c'est trop cher. a

Qu'est-ce que vous entendez par « perte de performance » ? a

Si on met les truies ensemble, elles vont se chatouiller, parce que c'est comme ça qu'elles se comportent, et en se chatouillant elles vont déclencher des décrochements embryonnaires, et du coup une baisse de natalité, donc moins de porcelets pour le naisseur. Après, les truies qui sont en liberté en maternité, il y a des études là-dessus, ça va générer plus d'écrasements sur les porcelets. La mère va se coucher, le porcelet ne sera pas forcément dans le nid, pas forcément au bon endroit, et du coup ça va générer plus d'écrasements, des interventions sur les porcelets pour les porchers qui sont plus compliquées, donc c'est... Bon. Il y a un équilibre à trouver. Je pense que les éleveurs sont prêts à faire beaucoup de choses, si on leur dit qu'ils seront payés plus 19


cher. C'est comme un éleveur qui travaille en plein air aujourd'hui, il est payé la même chose qu'un éleveur qui travaille en bâtiment, alors qu'en termes de conditions de travail... Enfin, un jour comme aujourd'hui, ça va, il fait beau, sec... Mais tout l'hiver, les gens qui étaient en plein air, avec des systèmes où les truies sont dans des petites cages, des petites cabanes, dehors... Cet hiver, ça a dû être horrible. Donc bon. Et pourtant, ils sont payés au même prix. a

Je ne comprenais pas bien, quand les gens que j'ai appelés m'ont expliqués que vous aviez énormément de travail parce qu'il fait beau. Si vous bêtes sont en bâtiment, qu'estce que ça change ?... a

On fait des porcs mais on a aussi 120 hectares de terres à mettre en culture. C'est l'atelier céréales, si vous voulez. Ici, ça sert à la nourriture des porcs, et comme il a pas fait 20


beau pendant 4 mois... Il y a du travail. a

De quoi se compose la nourriture des animaux ? Utilisez-vous des compléments alimentaires/ médicaments pour les aider à se développer ou à lutter contre les maladies ? a

Non, on n'en utilise pas. Leur nourriture, c'est maïs qui arrive en premier, ensuite blé, orge, ensuite c'est des protéines donc du soja, du colza, des pois. Et puis ensuite on a des acides aminés de synthèse pour équilibrer les rations en protéines. Un peu de cellulose, de l'avoine... Voilà. On est autosuffisant à 40 – 45%. On leur donne 2 100 tonnes d'aliments par an. Et nous, on doit avoir 800 tonnes en production. a

Et le reste, ça vient d'où ? a

Le reste ça vient des voisins pour la partie céréales, et pour les protéines ça vient des ports, du Brésil ou de l'Inde pour le soja, et pour 21


le colza ça vient des usines de trituration de la graine de colza. L'une d'entre elles part dans la filière bio éthanol, et le tourteau va en élevage. a

Et par rapport aux antibiotiques ? a

J'en utilise pas du tout. Je pense que c'est un mouvement de fond, la réduction des antibiotiques. J'ai pas les chiffres en tête mais je sais qu'il y a de plus en plus d'éleveurs qui travaillent à blanc, sans antibiotique. On produit quand même des biens alimentaires... Je me dis que pour apporter un gage de sécurité alimentaire, il faut que l'élevage soit propre et nickel. Comme les conditions d'élevage, elles doivent être irréprochables. Après, si demain j'ai un problème en élevage, si le seul moyen de pallier ce problème c'est l'utilisation des antibiotiques, j'en utiliserai, je suis pas un fanatique. A

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Pourquoi avez-vous choisi d'élever vos porcs sur caillebotis ? a

Ils y étaient déjà quand j'ai repris l'exploitation. Mes parents avaient fait ce choix pour le côté pratique. C'est plus facile à gérer, notamment pour le nettoyage. C'est moins de travail, tout simplement. Et des meilleures performances techniques... Il y a besoin de moins de nourriture pour la même quantité de viande. Le caillebotis restera toujours propre, contrairement à la litière. Et pour les gens qui nettoient, c'est beaucoup plus facile de nettoyer une salle à la pompe pression que de curer tout un bâtiment de son fumier. a

Et pour les animaux, qu'est-ce que ça change ? a

Ça change rien. C'est juste un confort intellectuel pour les gens qui regardent. On a tendance à se dire que nous on serait mieux là 23


qu'ailleurs et que donc les cochons aussi. Je suis pas sûr de ça. a

Donc pour vous, le propos des associations qui militent pour un élevage sur paille n'a aucun fondement ? a

Ils défendent leur cause... Mais je suis pas persuadé. Ça pourrait avoir des effets pervers. Si on impose demain aux éleveurs d'avoir un élevage sur paille ou sur litière de manière générale, qui va assurer le fait qu'en fin d'engraissement, à cinq ou six mois, les litières seront toujours nickel, et que les porcs ne baigneront pas dans leur fumier ? Les éleveurs qui font de la paille, quand ils ont des visites d'élevage, ils paillent leur bâtiment la veille. Il y a bien une raison... Et ils ont raison, c'est beaucoup plus vendeur... Donc dans l'image c'est peut-être plus sympa mais en vrai je pense qu'on n'y gagnerait pas. 24


Du coup, de quel espace disposent les porcs ? a

Les porcs charcutier ont 1m². C'est ceux qui partent sur le quai d'embarquement, ceux qui font 35 à 115 kg. C'est la majorité des porcs d'élevage, et ils ont 1m² en fin d'engraissement. Et le reste, les mères en gestation ont 2,25m². a

Avez-vous pris des engagements en matière d'écologie/de bien-être animal ? Si oui/non, pourquoi ? a

Non. Enfin, en termes d'écologie je dis non, mais on fait un certain nombre de choses d'un aspect réglementaire mais qui relèvent de l'écologie. a

Comme quoi ? a

Les cahiers de fertilisation, le respect de normes et de règles imposées par la PAC... Ce sont des aspects obligatoires comme avoir des capacités de stockage sur l'élevage qui correspondent à six mois de défluent. 25


C'est-à-dire ? a

Je dois pouvoir justifier qu'on fait 6 000m² de défluent, de lisier, donc on doit pouvoir justifier de pouvoir stocker 3 000m². C'est du réglementaire mais c'est quand même des dispositions prises pour limiter l'impact des fermes dans le milieu. Tout le monde le fait sinon on se fait taper sur les doigts. Une ferme comme celle-là, avec un label, elle est contrôlée à peu près une fois tous les deux ans. Ils préviennent à l'avance normalement, des fois le jour pour le lendemain... Le contrôle peut être ciblé sur les animaux, ou les cultures, il y a différents volets à contrôler, ils ne font pas tout le même jour. a

Sur la qualité, les labels et la responsabilité

a

Qu'est-ce que vous pensez des labels bio ? a

Ni du bien, ni du mal. Sur la qualité de la viande, je suis pas du tout convaincu. C'est ce que 26


j'explique au consommateur quand on fait des animations : si on choisit de consommer bio, c'est pas pour la qualité de la viande. C'est parce qu'on refuse les pesticides, c'est pour d'autres raisons. Mais une côte de porc en filière bio, elle ne sera pas meilleure qu'une autre. a

Pour vous, c'est quoi, une viande de qualité ? a

C'est une viande savoureuse. a

Donc l'élevage bio irait contre le bon goût ? a

Disons qu'il y a un problème d'homogénéité, il y a des viandes très très grasses. Un cochon qui passe tout l'hiver dehors, il a froid, il fait du gras, plus qu'un cochon qui reste en bâtiment. a

Pour vous c'est quoi un élevage responsable ? a

Responsable ? Par rapport à qui ? a

C'est précisément notre question. 27


Responsable, ça veut tout et rien dire... Pour moi la responsabilité ce serait par rapport au consommateur, dans la manière dont on produit ses animaux et le lien qu'il peut y avoir derrière avec le consommateur, s'il y a de la qualité ou pas de la qualité. a

Pourquoi avez-vous choisi de partir en Label Rouge ? Est-ce que c'était pour cette raison ? a

Oui et non, je pense qu'il y avait des prédispositions sur l'élevage en termes de philosophie, après c'est surtout parce qu'il y avait des contraintes économiques sur l'exploitation qui nous ont fait évoluer vers ce cahier des charges. Le fait qu'on soit obligé de réduire notre production sur site pour des raisons administratives, on avait plus de surface disponible donc on pouvait faire du Label Rouge. Grosso modo c'est ça si je simplifie. Je suis entré dans le Label Rouge pour des raisons 28


économiques, mais on y est resté pour des questions philosophiques. a

C'est quoi le cahier des charges du Label par rapport aux porcs ? a

Les gros points, c'est pas d'abattage avant 182 jours (en traditionnel c'est 155 – 160), c'est 1m² par porc en fin d'engraissement contre 0.7 (ça paraît pas énorme, mais je peux vous dire que quand on regarde ça fait une sacrée différence), et puis l'alimentation : on limite à 40% l'incorporation de maïs (ça c'est plutôt par rapport aux acides gras de la viande), il y a des produits qu'on n'a pas le droit d'utiliser... Après on donne de la graine de lin... Et puis il y a d'autres points, mais moins importants. a

Vous pensez que ça a un fort impact sur la qualité de la viande ? a

Pas suffisamment. Il y a un impact sur l'homogénéité du produit : le fait qu'on ait une 29


exigence de 182 jours nous oblige à limiter un peu la croissance des animaux, donc la viande est plus mature, donc on a moins de surprises. Si un cochon à 155 jours fait 120 kg, la viande dans l'assiette elle fond parce que c'est beaucoup d'eau... Après c'est pas suffisant. Nous notre travail, c'est de se demander vers quoi on peut aller pour que la différence soit encore plus marquée entre du standard et du Label Rouge. a

Et pour l'instant, vous vous orientez vers quoi ? a

On ne sait pas encore. Ça va être de la génétique, de l'alimentation... A

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Sur la reproduction aa

Comment se passe la reproduction de vos porcs ? Est-ce que vous travaillez à améliorer votre race par la reproduction ? a

Non, ça ne fonctionne pas comme ça. La voie mâle arrive en semence, en insémination artificielle, et la voie femelle on les achète dans des élevages qui font de l'auto-renouvellement. Donc on n'est pas autosuffisant à ce niveau-là. Les reproductrices ne sont pas issues de l'élevage. Après l'insémination, les truies sont isolées jusqu'à l'échographie à 24 jours, puis si elles sont échographiées pleines elles sont placées en gestation, elles sont mises en groupe jusqu'à 107 jours de gestation, et après elles vont à la maternité pour s'y acclimater pendant une semaine, après elles mettent bas, puis il y a 21 jours de lactation où elles sont séparées des autres. Ensuite elles sont sevrées, replacées en reproduction, et cinq jours après le moment où 31


elles sont sevrées elles sont à nouveau en chaleur. C'est mécanique. a

Est-ce que vous programmez le jour de la mise bas pour que toutes vos truies mettent bas en même temps ? a

On l'a fait, on le fait moins, mais c'est sûr que ça organise bien le travail. C'est plus confortable de finir sa semaine de mise bas le vendredi soir plutôt que d'en avoir en pagaille le samedi. Après on le fait moins parce qu'on s'est organisé différemment. C'est pas pour des raisons philosophiques, c'est plutôt pour une meilleure répartition du travail. Pour elles ça change rien. A

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Sur l'abattage a

Comment se construit la relation avec l'abattoir ? Est-ce l'éleveur qui le démarche ou l'inverse ? Changez-vous d'abattoir de temps en temps ? Pourquoi ? a

Je suis adhérent à une organisation de producteurs, Triskalia, qui s'organise pour centraliser les annonces des éleveurs de les mettre en contact avec les abatteurs. En Label Rouge, il y en a qu'un donc c'est pas compliqué, c'est Socopa. Il y a un volume donné chaque semaine et eux s'organisent pour fournir ce volume. Avec d'autres abatteurs, il y a une partie dont le volume est le même chaque semaine, et une partie qui part sur le marché au cadrans à Plérin qui fixe les prix. a

Où et comment les bêtes sont-elles abattues ? La mise à mort s'effectue-t-elle dans des conditions que vous qualifieriez de 33


respectueuses de l'animal ? a

Oui. Après c'est quand même une mise à mort... Ils font ça dans des conditions acceptables à mon sens, plus qu'autrefois, suspendus à une fourche de tracteur... J'en ai visité cinq, des abattoirs, ça me semble être correct. a

Ça vous apporte quoi de faire partie de Triskalia ? a

C'est de la sécurité, on est en groupe. Je pense que c'est plus intelligent que jouer tout seul, et puis c'est créer du réseau, du lien... a

Sur les clients

a

Qui sont vos clients directs ? Travaillez-vous plutôt en circuit court ou en circuit long ? a

Uniquement en circuit long. On vend uniquement nos bêtes à Socopa qui paye la coopérative qui nous paye. Socopa revend 34


l'animal en pièces détachées. Ils vont vendre les pièces de viande fraîche (côtes, rôtis) à des distributeurs en direct, donc Auchan, Cora... Après c'est vendu sur les réseaux de la restauration à domicile... Chez Métro... Après il y a toutes les pièces qui partent en transformation. Elles sont plus difficiles à vendre sous l'étiquette Label Rouge parce qu'il faut trouver des faiseurs de charcuterie qui acceptent d'acheter de la matière première plus chère pour avoir le Label Rouge. Il y a 20 à 25% du cochon qui va en viande fraîche, les trois quarts du cochon part en charcuterie. Donc il y a forcément un intermédiaire, et c'est le salaisonnier. Et pour lui, aucun intérêt d'acheter la viande plus cher, il pense que la recette prime. Ils jouent tous seuls. On essaie de défendre la marque « viande de porc français », il y a eu plusieurs logo qui sont sortis pendant le salon de l'agriculture : il y a un maillon qui veut pas en entendre parler, c'est les salaisonniers, parce qu'ils veulent garder la 35


liberté d'acheter la viande partout dans le monde, parce que c'est moins cher. Ils feront le même pot de rillettes du Mans, que la viande soit française, polonaise ou espagnole, ça reste des rillettes du Mans... Donc la viande se vend, mais c'est quelques pièces dans le cochon qui payent le reste des autres pièces... Si le filet mignon est aussi cher, c'est pas parce qu'il n'y en a pas beaucoup dans l'animal, c'est parce que ça se vend mieux que le reste. a

Sur les associations

a

Vous sentez-vous menacé dans votre travail par les actions des associations ? Comment ressentez-vous les attaques des associations qui militent pour un élevage sur paille ? a

Si l'écho qui leur était donné n'était pas important, on ne se sentirait pas menacé. C'est comme dans beaucoup de systèmes, 1% des 36


gens génère des problèmes à 50% des autres... Est-ce que les minorités ont raison ? C'est une question qu'on peut se poser... Elles ont le droit d'exister, mais est-ce qu'elles ont nécessairement raison ?... A

Est-ce que vous pensez qu'elles ont un impact sur vos consommateurs ? a

Non. Par contre elles ont un impact sur des gens qui peuvent être réceptifs à ce genre de considération, notamment dans l'administration. L'administration est moins là aujourd'hui que par le passé pour aider les entreprises. Au niveau du zèle qui peut être fait lors de contrôles, des points réglementaires qui passent, on comprend pas vraiment comment elles sont arrivées là... Après c'est du lobbying, de toutes ces associations justement... Les administratifs sont plus réceptifs. Enfin j'imagine... 37


Est-ce que les différents scandales de l'industrie de la viande ont impacté vos ventes ? a

Non. Ce sont des phases cycliques. a

Pour conclure, pourriez-vous me dire comment vous voyez l'avenir de votre métier ? a

Je le vois bien. J'ose espérer qu'il y a encore un avenir pour cette profession même si les contraintes sont énormes. J'ose espérer que le consommateur saura aussi nous refaire confiance dans ce qu'on fait, dans ce qu'on produit, et que pour des raisons de clientélisme il ira pas chercher à l'étranger parce que c'est moins cher. Le danger, c'est qu'on se dise que nous en France on veut pas produire de telle manière, que du coup on arrête de produire et qu'on aille chercher à l'étranger... C'est déjà arrivé. En Angleterre par exemple. Ils 38


ont réussi à décimer en quinze ans la production porcine parce qu'on a expliqué aux éleveurs qu'il fallait qu'ils produisent sur la paille, sauf qu'économiquement ça n'a pas tenu. On peut toujours donner des contraintes aux éleveurs, à un moment si les contraintes sont pas uniformes avec les concurrents et que le marché est libre dans tous les sens, les gens iront acheter moins cher. a

Et vous, vous économiquement ?

vous

en

sortez,

a

Avec du foncier oui. C'est parce qu'il y a une bonne assise foncière sur l'exploitation. Et puis il faut savoir gérer son exploitation, c'est ce que je disais au début, la dimension entrepreneuriale prend beaucoup plus de place aujourd'hui qu'il y a vingt ans. Aujourd'hui on n'est plus que agriculteurs. Il faut avoir d'autres projets, diversifier son activité, trouver d'autres sources de revenus, faut fouiner, monter des dossiers... 39


Faut savoir tout faire. Moi je suis Ă mi-temps sur mon bureau.

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