Les créatifs:"outils" de développement urbain. Amsterdam, "ville d'artistes".

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Les créatifs: « outils » de développement urbain Amsterdam, « ville d’artistes »

VERNAY Caroline Ecole Nationale Supérieure d’Architecture Saint-Etienne / Février 2020 Mémoire de fin d’Etudes - Master 2 Encadré par Maria Anita PALUMBO


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Les créatifs: « outils » de développement urbain Amsterdam, « ville d’artistes »

VERNAY Caroline Ecole Nationale Supérieure d’Architecture Saint-Etienne / Février 2020 Mémoire de fin d’études - Master 2 Encadré par Maria Anita PALUMBO

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Je tiens à adresser mes remerciements aux personnes qui m'ont aidé dans la réalisation de ce mémoire. En premier lieu, je remercie Maria Anita Palumbo, ma directrice d’études, qui a su me guider dans mon travail et m’encourager du début (en novembre 2018), à la fin (en février 2020). Je remercie aussi Noémie Boeglin pour son accompagnement en 2019. 
 En second lieu, je remercie les professeurs de l’Université de Liège qui ont suivi mon travail pendant une année de mobilité Erasmus (2018-2019): Sophie Dawance et David Tieleman.


Avant-propos C’est à la suite d’un voyage à Amsterdam en Novembre 2018, que j’ai décidé d’orienter ce travail de recherche sur les processus de développement urbain de la capitale néerlandaise. C’est la distance entre les attentes que j’avais de ce voyage, et la réalité de ce que j’ai trouvé dans la ville qui ont lancé le travail. 
 Ces réflexions ont été compilées dans un carnet de voyage. J’ai fait le choix ici de structurer et alimenter la rédaction du mémoire, avec des extraits de ce carnet de voyage. Je les appelle des « récits d’expérience ». Ainsi, ces textes permettent au lecteur de suivre les observations qui ont eu lieu lors du voyage, et de les mettre en parallèle avec une analyse documentée et critique des notions abordées dans les récits.

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Table des matières Avant-Propos Introduction

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Récit d’expérience - Partie 1 - La déception: la foule

I.

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Tirer parti des relations internationales: les artistes au coeur des échanges. A. B. C.

Ville d’échange: commerces et art Culture et contre-culture Amsterdam, victime de son succès

Récit d’expérience - Partie 2 - Le soulagement: NDSM

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II. Miser sur les créatifs: l’instrumentalisation de NDSM A. B. C.

S’installer « hors-la-ville » mais dans les règles Les politiques misent sur les créatifs Espace de travail ou « zoo » ?

Récit d’expérience - Partie 3 - Prochain voyage

III.

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Attirer et satisfaire les visiteurs créatifs: examens des stratégies en place A. B. C.

Former et diffuser une image de ville créative Utiliser un système qui fonctionne et le répéter. Appliquer des stratégies qui semblent elle-mêmes créatives

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Conclusion Bibliographie

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Introduction Sur les réseaux sociaux, le hashtag #amsterdam, accompagne une grande variété de photographies: des photographies de tattoos, canaux, moulins, musées, cannabis, graffitis, gâteaux, vélos, bateaux, parcs.. En janvier 2020, 30 805 572 publications avaient été publiées avec ce hashtag.

Il est proposé ici d’étudier ces questionnements à travers l’analyse de trois méthodes de développement urbain. La première consiste à tirer parti des relations internationales. Amsterdam s’est construit grâce aux échanges internationaux. Hier, c’étaient les échanges de biens qui lui ont donné sa forme et sa richesse, aujourd’hui ce sont les échanges culturels et touristiques qui lui offrent sa renommée et son image. Les artistes de la ville doivent donc trouver leur place dans un développement de « villemusée », où leur rôle semble essentiel mais leurs espaces restreints. La place des artistes prend donc autant la forme de grands musées internationaux que d’espaces en marge, à l’exemple du squat.

Amsterdam est une des destinations touristiques préférées de ma génération. Lorsque je me suis rendue dans la capitale néerlandaise, c’était les artistes et les graffitis que je souhaitais voir. Cette envie, la déception que j’ai eu lors de ma visite, le soulagement de finalement en trouver à NDSM, forment la structure de ce travail. Pour Richard FLORIDA (« Rise of the Creative Class », 2002) , les membres de la « classe créative » sont « des personnes employées pour résoudre des problèmes complexes, pour inventer des solutions nouvelles, en dehors d’une logique de production routinière ». Pour se détacher ici du terme de « classe », qui implique souvent un rapport de force, nous utiliserons ici le terme de « créatifs ». Artistes mais aussi designers, architectes, ingénieurs sont par exemple inclus.

La seconde méthode de développement urbain que nous aborderons consiste à utiliser, comme outils, l’image et les aménagements des artistes qui s’installent dans des lieux en marge. Grâce à l’exemple de l’aménagement de l’ancien chantier naval NDSM, transformé en Kunststad (ville d’artistes en néerlandais), nous verrons comment les artistes amstellodamois et les politiques de la ville luttent pour maîtriser le développement de l’ancien quartier industriel.

En effet, ce mémoire questionne la place des créatifs à Amsterdam, entre autres, et principalement dans son développement. Dans quelles mesures leurs démarches artistiques sont-elles utilisées, instrumentalisées, institutionnalisées ? Et en quoi ma visite et celle de millions de touristes chaque année influent-elles sur les politiques urbaines qui les protègent, les menacent, les attirent, les soutiennent, les chassent, les exhibent.. ?

Enfin, c’est la place des artistes et des créatifs comme visiteurs de la ville qui nous intéressera. En effet, ils font pleinement partie des politiques de développement urbains d ’ A m s t e rd a m , c o m m e d ’ a u t re s p a y s européens. Il est ici proposé d’examiner plusieurs démarches régulièrement utilisées dans les projets urbains et de mettre en avant leur visée. Dans quelles mesures ces projets ciblent-ils les touristes créatifs, dont, nous architectes, faisons pleinement partie ?

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Récit d’expérience - Partie 1 La déception: au milieu de la foule L’image que j’avais d’Amsterdam, avant de m’y rendre, était celle d’une ville calme, adaptée au rythme des tours de pédales des habitants cyclistes. Et je m’attendais en effet, à la forte présence de l’eau dans ses canaux qui sont devenus symbole de la ville. D’autre part, j’imaginais que j’allais vivre une aventure interdite, en quelques sortes, puisque je savais que l’image de la ville est aussi basée sur la présence importante de lieux dédiés au sexe, et à l’économie qu’il génère (prostitués, spectacles, sex-shops) mais aussi dû à la vente légale de cannabis. Quand je demandais des conseils à des connaissances sur les lieux à visiter, à voir, je ressortais obligatoirement avec des adresses de coffee-shops, qui permettraient la consommation de cette drogue. Avant ce voyage, les économies de sexe et de drogue ne me semblaient être possibles que dans des situations cachées, discrètes, secrètes. Pouvoir les voir et y participer me semblait être une opportunité permise le temps d’un séjour, des opportunités qu’il faudrait chercher une fois sur place. Une ville où le cannabis et la vente du sexe sont autorisés, ne pouvait être qu’une ville décomplexée. J’imaginais des lieux cachés, géographiquement, dans la ville, et des lieux gérés de façon autonome par rapport à la municipalité. J’avais hâte de découvrir les travaux de street-art et de graffiti dans la ville.

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J’imaginais que c’était un lieu idéal pour que les artistes s’y installent et montrent leurs travaux, je pensais que nous n’aurions pas beaucoup d’efforts à faire pour en trouver les traces. Aussitôt arrivée j’ai compris que j’allais être déçue. Nous avions déjà aperçu cinq gift-shops, une dizaine de compagnies de tour-boats et deux pavillons d’informations « info-tourisme » entre le quai de la gare centrale et le début de la rue principale. « Ah, tiens le musée de l’érotisme est juste là », si proche de la gare, dans la rue la plus passante. Les giftshops affichent fièrement le dessin des feuilles à cinq branches, le cannabis comme logo

Disneyland… c’est à ça que j’ai pensé immédiatement: des lumières et des objets en vente dans toutes les directions, de la musique diffusée dans la rue par des haut-parleurs, une foule de touristes qui marchent dans la même direction. Pour visiter le Quartier Rouge de la ville, mes amies et moi pensions que nous ne nous sentirions pas à l’aise de nous y rendre la nuit, seules, de peur de croiser des clients gênés et gênants. Nous avons donc décidé d’y aller en fin d’après-midi alors qu’il faisait encore jour. En arrivant, avec une certaine appréhension, le long du canal principal du quartier rouge, personnes ne compris que nous étions arrivées, puisqu’aucune d’entre nous ne s’attendait à se retrouver au milieu d’une foule de touristes, appareils photos en main, bambins sur les épaules, qui s’extasient devant les vitrines rouges.

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Dans ces vitrines, des femmes posaient et dansaient en sous-vêtements, faisaient signe aux passants, coucou aux enfants. Je n’imaginais à aucun moment que dans cette rue, des clients osent bousculer deux touristes et passer derrière leur appareil photo, pour rentrer dans une cabine. J’imagine que ces clients n’hésitent pas à pousser les portes des maisons qui se situent dans des rues perpendiculaires, plus cachées. Mais ici tout est faux, c’est la parade de Disney. La situation est similaire pour la vente de cannabis, elle est partout, tout le temps. Les gifs-shops sont remplis de sucreries, gâteaux, et accessoires permettant la consommation de la drogue. A ce stade, je compris que l’image que j’avais d’Amsterdam est la même que celle qui a amené les milliers de touristes que je croise et dont je fais pleinement partie, ainsi que les commerces qui m’entouraient. Je compris que les travaux d’artistes que j’espérais apercevoir au détour d’une rue, sont, s’ils ont un jour été là, recouverts de grandes enseignes « COFFESHOP ». J’ai donc accepté la situation et passé les jours suivants à visiter les lieux emblématiques de la ville, et à chercher des lieux un peu alternatifs, excentrés pour manger nos repas, mais en retombant systématiquement à côté d’une table d’autres touristes français.

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I. Tirer parti des relations internationales: les artistes au coeur des échanges touristiques et commerciaux A. Ville d’échange: commerces et art dans son article « Amsterdam, entrepôt des savoirs au XVIIe siècle », publié dans la « R e v u e d ’ h i s t o i r e m o d e r n e & contemporaine » en 2008.

Marcel BAJAR explique dans son livre « Amsterdam, une autre façon de voir la ville à travers son urbanisme » publié en 2017, qu’Amsterdam a pris son emplacement actuel au douzième siècle sous la forme du comté de Hollande. Installée au confluent de l’Ij et de l’Austel, on construit au treizième siècle une digue (« dam », en néerlandais) pour protéger les terres inondables. En 1317, Amsterdam reçoit son statut de ville et en 1358, la ville qui faisait partie de la Ligue hanséatique1 a c o m m e n c é à s e d é m a rq u e r e n t a n t qu’important centre commercial du nord de l’Europe.

Les marchands d’Amsterdam se lancent dans les commerces lucratifs, grâce à des connaissances locales et nouvelles sur la navigation et les systèmes de commerces espagnols et portugais. Ils en viennent ainsi à contrôler de plus en plus le commerce des épices et des produits textiles « finis » qui transitent de la péninsule ibérique et de la Méditerranée vers le Nord de l’Europe. « La flotte amstellodamoise contrôle déjà la plupart des produits du commerce de la Mer Baltique et, de 1594 à 1597, Amsterdam devint la véritable plaque tournante du commerce des épices portugaises, de telle sorte que la ville contrôla pratiquement le commerce européen des produits coloniaux ».

Échanges commerciaux - Le dixseptième siècle est considéré comme le Premier Siècle d'Or d’Amsterdam. À cette époque, la ville profite du déclin du port d’Anvers pour croître. En effet, alors que Venise avait été la capitale économique de l’Europe du quinzième siècle, Anvers avait été celle de la première moitié du seizième. L’accès de la ville à la mer fut complètement coupé pendant plusieurs années, lorsque les forces du Prince d’Orange organisèrent un blocus sur l’Escaut, pour reprendre Anvers, ce qui ne manqua pas d’avoir des effets dévastateurs sur le commerce anversois. « En conséquence, entre les années mille-cinq-cent-cinquante et mille-cinq-cent-quatre-vingt, de nombreux marchands fortunés et expérimentés, ainsi que d’innombrables artisans qualifiés et de simples ouvriers agricoles, quittèrent la ville d’Anvers, emportant avec eux leur capital et leur savoir-faire » nous explique Harold COOK

(COOK, 2008).

Amsterdam s’appuie donc sur les connaissances des étrangers pour les réunir et créer une flotte importante. De plus, tout le commerce se fonde sur des échanges avec d’autres pays. Déjà, au seizième siècle, Amsterdam base son image et sa richesse sur ses liens internationaux. Afin de rendre le système politicoéconomique d’Amsterdam viable, les commerçants passent leur vie quotidienne à négocier les produits et à discuter des nouvelles du monde entier. Lors de telles négociations, l’accès à une information exacte

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« La Hanse, Ligue hanséatique, Hanse germanique ou Hanse teutonique est l'association historique des villes marchandes de l'Europe du Nord autour de la mer du Nord et de la mer Baltique. Elle se distingue des autres hanses en ce sens que son commerce repose sur des privilèges jalousement défendus qui leur sont octroyés par divers souverains européens. » (F.)

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et précise sur les objets et les personnes revête d’une grande importance. « Pour f a c i l i t e r l e s é c h a n g e s c o m m e rc i a u x , Amsterdam, (mais aussi Anvers et Londres entre autres) bâti une nouvelle bourse du commerce en 1531-1532. » (COOK, 2008). De plus, «la Compagnie des Indes est crée en 1602 et emploie plus du cinquante mille personnes en 1669. », rappelle Marcel BAJAR (BAJAR 2017).

habitant sur trois immigrant » (holland.com2).

était

un

La croissance de l’importance de la peinture hollandaise, au début du dixseptième siècle, va de pair avec l’essor économique que connaît le pays. « À cette époque, l'hôtel de ville de la Place du Dam a été construit et la ville est devenue la résidence des intellectuels et des artistes qui, fuyant les guerres qui frappaient l'Europe, se sont réfugiés dans cette ville prospère. Parmi eux, on compte entre autres : Rembrandt, Spinoza et Descartes », peut-on lire dans l’article « Histoire d’Amsterdam » sur le site amsterdam.fr 2.

Immigration - Avec les échanges commerciaux, arrive la richesse, et avec la richesse, l'essor des arts et des sciences. Cela est amplifié par la présence de nombreux intellectuels et artistes immigrés. En effet, à cause des crises qui touchent les pays voisins et suite à la création de la Compagnie des Indes, Amsterdam subit une vague importante d’immigration: « 105 000 habitants en 1622, 120 000 en 1630 et 200 000 en 1675 » (BAJAR, 2017).

La peinture du quotidien - Les PaysBas étant une grande puissance maritime, u n e r i c h e b o u r g e o i s i e c o m m e rç a n t e disposant de moyens financiers, fait prospérer des formes artistiques nouvelles. Madlyn Millier KAHR explique dans « La peinture hollandaise du Siècle d’Or », publie en 1998 que « Ses goûts (ceux de la bourgeoisie amstellodamoise) ne coïncidaient pas avec la demande traditionnelle de l’aristocratie et de l’Eglise, axée sur les scènes historiques et religieuses. Les portraits des membres de la famille, les natures mortes, les paysages et les scènes de genre dominèrent la peinture hollandaise. Il s’agit donc d’une étape essentielle de l’histoire de la peinture occidentale : cette thématique est en effet beaucoup plus proche de nous que les traditionnelles illustrations de la mythologie religieuse » (KAHR, 1998).

Dans l’article « Amsterdam : Berceau d e l ’ Â g e d ’ O r » d u s i t e t o u r i s t i q u e 2 holland.com , on peut lire: « Le début de l’Âge d'Or de la Hollande a coïncidé avec les révoltes contre le roi d'Espagne. Au cours de cette période, il y a eu un afflux de deux groupes d'immigrants : Les Juifs Séfarades fuyant les persécutions en Espagne et au Portugal pour une liberté de religion relative à Amsterdam, et les réfugiés d'Anvers et d'autres villes flamandes, où la domination espagnole avait été rétablie ». Beaucoup plus d'immigrants issus d'Europe construisaient également une nouvelle vie à Amsterdam, Haarlem et d’autres villes néerlandaises qui prospèrent à cette époque. « Parmi ces groupes, il y avait de nombreux marchands et intellectuels au carnet d’adresses international bien rempli. L'Âge d'Or hollandais n'aurait pas été possible sans eux ; dans l’année 1600, un

De plus, les peintres ne travaillent plus seulement sur commande, mais produisent des réserves de tableaux aux sujets variés, prêts à être vendus. « Cette production en série impliquait une spécialisation des praticiens au sein de l’atelier : tel assistant se

2 Faire appel à des sources qui se trouvent être des sites internet touristiques (holland.com et amsterdam.fr), nous permet d’appuyer le fait qu’Amsterdam utilise aujourd’hui son Histoire commerciale et artistiques d’hui comme image.

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chargeait du paysage, tel autre des fruits, des fleurs, des animaux… Effective en Flandres dès la fin du seizième siècle, cette spécialisation par genre allait devenir la règle en Hollande, où le déclin du mécénat institutionnel, l’absence d’une grande peinture d’église, les attentes d’une société essentiellement bourgeoise, heureuse de contempler sa propre image à travers celle de ses richesses, devaient orienter les peintres vers une production d’œuvres à sujets profanes. » explique Manuel JOVER, dans « Le siècle d’Or de la peinture Hollandaise », publié en 2009 dans « Connaissance des Arts ».

et terrestres célébrant la puissance maritime de la Hollande étaient populaires, comme l'étaient tout autant les portraits de groupe, de gardes civiques et autres associations importantes dans la société hollandaise. Dès le dix-septième siècle, Amsterdam se développe comme ville artistique. Et plus encore, elle se développe comme capitale d’un art qui met en avant l’ordinaire, le commun, et qui est accessible à beaucoup plus de personnes que dans les autres pays d’Europe. G r â c e a u c o m m e rc e m a r i t i m e , Amsterdam se développe donc économiquement puis culturellement. Depuis le « Siècle d’Or » (dix-septième siècle), elle utilise les échanges économiques avec les autres pays pour développer une Culture, qui lui permet de mettre en avant son image auprès de ces mêmes pays.

Les commanditaires ne sont plus seulement de la classe dirigeante, mais aussi d’une classe moyenne ou d’une paysannerie riche participant à la réussite économique de la ville. « Les natures mortes d'objets de la vie quotidienne, les portraits et paysages marins

Public devant le tableau "La ronde de nuit" de Rembrandt, au musée Rijksmuseum d'Amsterdam (france.tv.info)

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B. Culture et contre-culture 
 Muséification de l'art et du bâti - La ville d’Amsterdam a su tirer parti de la renommée de l’art issu du « Siècle d’Or Néerlandais » en devenant une destination touristique culturelle. Le Rijksmuseum en est un exemple caractéristique. « Il est le plus important musée des Pays-Bas quant à la fréquentation et au nombre d'œuvres d'art avec plus de 2 450 000 visiteurs en 2014 » d’après le site du musée (www.rijksmuseum.nl).

En parallèle, six-mille-huit-cent édifices sont inscrits au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO en 2010. La zone recouvre cent-quatre-vingt-dix-huit hectares. Le but est ici de protéger « l'ensemble urbain historique du quar tier des canaux à Amsterdam et le projet d'une nouvelle ‘‘villeport ’’ construite à la fin du seizième siècle et au dix-septième siècle » car « ces espaces ont permis l'épanouissement d'un ensemble urbain homogène constitué de maisons à pignons et de nombreux monuments. Cette extension urbaine a été la plus grande et la plus homogène de son temps. Ce site présente un exemple de planification urbaine de grande échelle qui servit de modèle de référence dans le monde entier jusqu'au dixneuvième siècle » d’après la fiche de p r é s e n t a t i o n « Z o n e d e s c a n a u x concentriques du 17e siècle à l'intérieur du Singelgracht à Amsterdam » du site unesco.org.

Le musée ouvre ses portes en « Nationale Kunst-Galerij » (« Musée d’art national ») en 1800 avec la collection de la famille Stathouders, à la demande du ministre des Finances Alexander GOGEL. En 2013, le Rijksmuseum rouvre ses portes après dix ans de travaux. Une importante cérémonie est alors organisée: « Le samedi 13 avril 2013, l'inauguration a lieu dehors à partir de 11h30 en présence de la reine et avec la participation de douze fanfares » déclare Va l é r i e O D D O S d a n s s o n a r t i c l e « À Amsterdam, le Rijksmuseum rouvre ses portes a p r è s t r a v a u x » , p o u r l e s i t e www.francetvinfo.fr le 4 décembre 2013.

Cette démarche répond concrètement à un processus de « muséification » de la ville.

Monuments nationaux

Monuments locaux (maps.amsterdam.nl)

(maps.amsterdam.nl)

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D’après le glossaire de l’ENS de Lyon, réalisé en 2011, la muséification « est un processus visant à donner un caractère de musée à un lieu, généralement urbain. Autrement dit, à faire d’un lieu vivant un lieu seulement visité temporairement. » Pour André GOB dans « Le jardin des Viard ou les valeurs de la muséalisation » publié en 2009, c’est à travers un « processus de mise en exposition, par l’usage d’outils d’interprétation que le site patrimonial devient musela ». C’est le cas à Amsterdam avec la mise en place de signalétique, panneaux, visites guidées, par exemple.

Cannabis - Amsterdam joue aussi sur une image de ville décomplexée: le cannabis représente un symbole d’alternative auprès des jeunes européens qui ne peuvent en consommer dans leur pays: « Les coffeeshops des Pays-Bas accueillent environ deux millions d’étrangers par an et le marché du cannabis pèserait cinq milliards d’euros par an » explique Théo CAILLART sur le site newsweed.fr Les Pays-Bas ont profité du marché très lucratif de l’opium dans leurs colonies des Indes néerlandaises, jusqu’à leur indépendance en 1945, alors que la loi interdisait sa consommation depuis 1919. Concernant le cannabis, son usage ne commence à se répandre qu’après la Seconde Guerre Mondiale mais il est vite interdit en 1953. Afin de limiter la production et la vente des substances, depuis illicites, la Convention Unique sur les Stupéfiants (CUS) est convoquée en 1961 par l’ONU et signée par 183 Pays.

Dans l'introduction qu'elle réalise pour l'édition Seuil de 1998, Françoise CHOAY présente le livre de Gustavo GIOVANNI, « l’Urbanisme face aux villes anciennes » publié originalement en 1931, comme contenant « une mise en garde contre une tendance particulièrement vigoureuse: la muséification de notre patrimoine urbain et architectural ». Pour elle, Gustavo GIOVANNI l’avait fait « par la façon dont il affirme la nécessaire intégration des villes et des tissus anciens dans la vie contemporaine, par sa réflexion sur la formation des praticiens de l ' e s p a c e e t d e « l ’ a r c h i t e c t u r e générale » (CHOAY, 1998).

Alors que la ville d’Amsterdam est envahie par la cocaïne et son marché de la drogue particulièrement violent, dans les années dix-neuf-cent-soixante et dix-neufcent-soixante-dix, un mouvement « hippie » et une révolte étudiante prônent la légalisation du cannabis et lancent un tourisme de consommation de drogue. Durant le mandat de Joop DEN UYL, une réflexion sur la dangerosité du cannabis commence alors, pour que les autorités puissent se concentrer sur la répression du marché de l’héroïne. Le rapport « Touwtrekken om hennep » (« Le chanvre : quand on tire sur la corde ») est publié en 1972. La consommation du cannabis y est comparée à celle du tabac et de l’alcool. Le cannabis est dépénalisé suite à ce rapport.

L e l i e u m u s é i fi é e s t d o n c décontextualisé. D’après Nicolas NAVARRO « il change alors de statut et devient le témoin matériel de l’homme et de son environnement, substitut de sa réalité, de son contexte ». Il dit qu’on « le décharge de tout ce qui le constitue symboliquement, historiquement et existentiellement. » (NAVARRO, 2011). À Amsterdam l’inscription du centre-ville au patrimoine de l ’ U N E S C O e s t u n e s o u r c e d e p r o fi t économique pour les musées, commerces et hôtels de la ville. Mais cette « muséification » obstrue la fonction première de la ville qui est d’abriter une population d’habitants.

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Aujourd’hui, les seuls endroits où les touristes et les amstellodamois sont autorisés à acheter du cannabis sont les « coffeeshop ». Il est interdit d’en consommer dans la rue. Mais aujourd’hui la vente du cannabis aux touristes étrangers est remise en q u e s t i o n . L e b o u r g m e s t re d e s v i l l e s néerlandaises peut, s’il le souhaite, mettre en place des interdictions par le biais d’arrêtés municipaux.

« Squatters and municipal policies to reduce vacancy. Evidence from the Netherlands » à la Enhr Conférence de Toulouse en 2011. En effet, le squat sert donc pour l'image de ville de culture et de contre-culture. Mais il sert aussi concrètement à loger des amstellodamois qui n'ont plus la possibilité d'habiter le centre-ville, devenu « musée ». Depuis la loi sur l’interdiction des s q u a t s e n o c t o b re 2 0 1 0 ( K r a k e n e n Leegstand), le mouvement squat à Amsterdam a subi une dégradation momentanée. « En 1980 on comptait 20 000 squatteurs dans la ville d’Amsterdam, en 2010 ils n’étaient plus que 2 000 » (PRIEMUS 2011)

Cependant, en dehors de l’argent directement versé dans l’économie de la consommation de drogue, Marc JOSEMANS explique dans l’article de Eudes YVES, « Pays-Bas: la bataille des coffee shops, publié dans « Le Monde » en 2012, que « les étrangers qui viennent pour le cannabis dépensent plus de 115 millions d’euros par an dans les autres commerces de la ville. S’ils disparaissent, le manque à gagner serait rude pour tout le monde ».

Amsterdam joue ici entre un développement de la culture alternative, grâce au cannabis, et une image très rangée et organisée, à travers la « muséification » de la ville. Le squat tente de faire sa place au centre de ce paradoxe.

Squat - En s’appuyant sur l’image que la dépénalisation du cannabis renvoie et à travers la présence de nombreux artistes dans la ville, le mouvement squat d’Amsterdam est devenu partie intégrante du paysage culturel et s’est fait une renommée internationale sur la scène de la « contreculture ». « Initialement utilisé par des familles et des travailleurs précaires comme une stratégie directe contre la pénurie de logements à la fin des années dix-neuf-centsoixante, le mouvement squat est très rapidement devenu un acteur majeur et incontournable dans la politique urbaine. En 1981, le Vacant Property Act (Leegstandwet) stipulait que squatter un bâtiment était légal si celui-ci était vide depuis plus d’un an. Durant les trois décennies qui ont suivi les premières actions squats, la ville d’Amsterdam est devenue le berceau d’expérimentation sociale et artistique » explique Hugo PRIEMUS dans 18


C. Amsterdam, victime de son succès Tourisme - À travers son histoire, nous comprenons que ce sont ses liens avec d’autres cultures et pays qui ont donné sa renommée à Amsterdam. Elle a été attirante pour de nombreux immigrés à travers les années. De plus, Amsterdam est riche par son patrimoine architectural hérité du temps où elle était le grenier du monde. La ville a su conserver cette architecture et ses canaux si significatifs et renforcer son patrimoine artistique et littéraire initié durant le « Siècle d’Or ».

Richard BUTLER publie en 2008 « The

Concept of A Tourist Area Cycle of Evolution: Implications for Management of Resources » dans le « Canadian Geographer ». Le modèle qu’il présente est basé sur celui du « cycle de produit », dans lequel les ventes d’un produit p ro g re s s e n t l e n t e m e n t a u d é b u t , connaissent un taux de croissance rapide, se stabilisent, puis déclinent.

Après avoir triomphé dans l’activité porto-commerciale de manière remarquable a u d i x - s e p t i è m e s i è c l e , a u j o u rd ’ h u i , Amsterdam est une ville cosmopolite qui s’affiche comme une capitale culturelle, et qui attire de nombreux visiteurs venus du monde entier: la ville d’Amsterdam est la principale destination touristique du pays, elle représente à elle seule quarante-deux pourcent du tourisme des Pays-Bas. Voici ici quelques chiffres et données, représentatifs de la place de l’économie liée au tourisme dans la capitale hollandaise: dixhuit millions de nuitées ont été réservée dans l’année 2018 et Amsterdam se place au rang de vingt-sixième ville la plus visitée du monde (après Londres, Paris, Istanbul, Rome, Prague, Milan et Barcelone) et celui de cinquième ville la plus visitée d’Europe. Sixmille-huit-cents édifices de la ville sont classés au Patrimoine de l’UNESCO et l’on décompte cinquante et un musées dans la ville.

BUTLER Richard, 2008, « The Concept of A Tourist Area Cycle of Evolution: Implications for Management of Resources » dans le « Canadian Geographer »

« Les visiteurs se rendront dans une région en petit nombre au départ, en raison du manque d’accès, d’installations et de connaissances locales. À mesure que les installations sont fournies et que la sensibilisation augmente, le nombre de visiteurs augmentera. Grâce à la commercialisation, à la diffusion de l’information et à la fourniture d’installations supplémentaires, la popularité de la région augmentera rapidement. Toutefois, à terme, le taux d’augmentation du nombre de visiteurs diminuera à mesure que les niveaux de

Dix-huit millions de touristes dans la ville d’Amsterdam, c’est plus que le nombre d’habitants des Pays-Bas (dix-sept millions d’habitants en 2018).

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1. La baisse du coût des voyages 2. « La désintermédiation et les plateformes P2P (People to people) créent des problèmes sur le marché de l’habitation, forçant les loyers à augmenter, déplaçant les personnes à faible revenu et créant des perturbations dans les quartiers résidentiels. »6 (GOODWIN, 2017) 3. Le domaine public est gratuit les frais d’entretien et de réparation doivent être assumés par les contribuables locaux. 4. Les efforts visant à étendre les touristes aux quartiers les moins visités, souvent résidentiels, augmentent les répercussions du tourisme à proximité des résidences. 5. Le rythme du tourisme saisonnier est difficile et n’est pas adapté à toutes les structures. 6. Le tourisme crée des emplois, mais ils sont souvent relativement peu rémunérés et considérés comme temporaires, occasionnels, précaires et sans perspectives. 7. Les nouvelles classes moyennes et les riches ont une forte propension à voyager. 8. Les destinations établies, attirent plus de touristes. 9. Le marketing est accentué sur les destinations déjà établies, car elles deviennent de plus en plus abordables avec le succès. 10. Le transport se fait à plus grande échelle qu’il y a dix ans. Les avions, les autocars, les trains et les paquebots déposent plus de passagers à chaque arrivée, et ils arrivent plus souvent.

capacité d’accueil seront atteints »3 . (BUTLER, 2008). Au point le plus haut de cette courbe, le tourisme peut devenir « overtourisme ». « Over-tourisme » Dans leur article « Overtourism: a growing global problem » publié le 18 juillet 2018 sur le site theconversation.com, Claudio MILANO , Joseph M. CHEER et Marina NOVELLI, définissent le « overtourisme » ainsi: « Croissance excessive des visiteurs qui a entraîné un surpeuplement dans les régions où les résidents subissent les conséquences des pointes temporaires et saisonnières du tourisme, qui ont imposé des changements permanents dans leur mode de vie, l’accès aux commodités et le bien-être général »4 . Et pour Harold GOODWIN, « l’overtourisme décrit les destinations où les hôtes, les invités, les locaux ou les visiteurs, estiment qu’il y a trop de visiteurs et que la qualité de vie dans la région ou la qualité de l’expérience s’est détériorée de façon inacceptable »5 dans « The Challenge of Overtourism » publié dans « Responsible Tourism Partnership Working Paper 4 » en Octobre 2017. Il ajoute: « Souvent, les visiteurs et les invités subissent la détérioration en même temps et se rebellent contre elle » (GOODWIN, 2017) Harold GOODWIN définit dix causes principales de « l’overtourisme », en rappelant qu’elles sont pourtant spécifiques à chaque destination:

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« Visitors will come to an area in small numbers initially, restricted by lack of access, facilities, and local knowledge. As facilities are provided and awareness grows, visitor numbers will increase. With marketing, information dissemination, and further facility provision, the area’s popularity will grow rapidly. Eventually, however, the rate of increase in visitor numbers will decline as levels of carrying capacity are reached. These may be identified in terms of environmental factors « . (traduction Anglais/Français réalisée par Caroline VERNAY) 4

« The excessive growth of visitors leading to overcrowding in areas where residents suffer the consequences of temporary and seasonal tourism peaks, which have enforced permanent changes to their lifestyles, access to amenities and general well-being » (traduction Anglais/Français réalisée par Caroline VERNAY) 5

« Overtourism describes destinations where hosts or guests, locals or visitors, feel that there are too many visitors and that the quality of life in the area or the quality of the experience has deteriorated unacceptably. Often both visitors and guests experience the deterioration concurrently and rebel against it. » (traduction Anglais/Français réalisée par Caroline VERNAY) 6

« Disintermediation and B2B platforms are creating problems in the housing market, forcing up rents, displacing those on low incomes and creating disturbance in residential neighbourhoods. » (traduction Anglais/Français réalisée par Caroline VERNAY)

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Pour Claudio MILANO , Joseph M. CHEER et Marina NOVELLI, « l’excès de tourisme nuit au paysage, endommage les plages, met les infrastructures sous pression et prive les résidents du marché immobilier. » Ce dernier point représente la source principale du sentiment « d’overtourisme » à Amsterdam. En effet d’après, le site de la ville (maps.amsterdam.nl) le prix d’achat des logements d’Amsterdam montre une forte augmentation du prix du foncier. Grâce au document ci-après, nous pouvons voir la dispersion des zones où le prix de l'immobilier est très élevé (plus de six-mille euros le mètre carré) entre 2002 et 2018.

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Prix de vente par mètre-carré: 2002 (maps.amsterdam.nl)

Prix de vente par mètre-carré: 2002 (maps.amsterdam.nl)

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Réactions - « Le chiffre pourrait grimper à 30 millions de touristes d’ici 2025. Résultat : la qualité de vie se dégrade » déclare Marina FABRE dans son article « Amsterdam part en guerre contre le tourisme de masse » publié sur novethic.fr en 2019. Dans son article, elle cite The Telegraph: "Regardons les choses en face : l’overtourisme est une forme de pollution, à la fois sociale et environnementale. De la même manière qu’une usine qui peut être bonne pour l’économie, mais qui déverse du poison dans une rivière. ».

d'Europe en guerre contre « l’over-tourisme » de Antoine MAES pour BFMTV.fr en 2018. Le projet consiste plus généralement à diffuser le tourisme, dans le reste des PaysBas et dans d’autres quartiers de la ville. Au début des années deux-mille, le projet de Koolhaas implique de démonter les gros squats dans la ville. La majorité des utilisateurs des bâtiments navals doivent donc partir. À la suite des actions de protestations à Amsterdam et les condamnations d’importants critiques d’arts internationaux, la ville propose de mettre en place un projet appelé:«Broedplaats Amsterdam » (Amsterdam incubateurs), pour proposer des studios abordables pour les artistes.

Marina FABRE fait aussi appel à Stephen HODES du « think thank indépendant In Progress ». "Le cœur du problème est qu’il y a trop de touristes. La seule chose à faire est de prendre des mesures radicales, sinon, c’est un ghetto de consommation, pas une ville où les gens vivent ». La ville met, en effet, en place des mesures censées limiter le tourisme de masse: les locations Airbnb sont interdites dans certains quartiers d’Amsterdam et pour les autres, elles sont limitées à 30 jours par an. De même, les b a t e a u x d e t o u r i s t e s d é b a rq u e n t e t embarquent à l’extérieur du centre-ville. Une campagne Enjoy and Respect est lancée. Ce plan est financé par une augmentation de la taxe de séjour dans toute la ville. Ces taxes touristiques devraient atteindre cent-cinq millions d’euros d’ici 2022.

Les artistes expulsés des squats de la rive Sud (par le projet KOOLHAS) supportent les intentions et participent à un groupe de « feedback » mais sont témoins de la restriction de liberté des artistes avec le temps. « Je pensais que le Broedplaats Fund (fonds d’incubation) deviendrait un centre d’aide où les gens pourraient signer leur propre projet. Mais la ville voulait une fondation parapluie qui gardait tout souscontrôle »7 explique Eva DE KLERK dans « Make Your City » publié en 2018. Même si le projet accueille les artistes indépendants, il existe des petites et moyennes entreprises qui souffrent aussi de l’augmentation du prix de l’immobilier à Amsterdam, mais la ville ne veut pas équiper un groupe plus large. Les ar tistes condamnent aussi les règles des incubateurs qui entravent à la liberté des utilisateurs. La ville rend ainsi les artistes dépendants des lieux qu’elle propose.

"Pour cer tains chercheurs, ces mesures correspondent encore plus à une forme de 'muséification' de la ville. Quelque part, cette limitation entérine le fait que nous ne sommes plus dans une ville normale habitée normalement, mais dans une sorte de ville-musée", explique Maria GRAVARIBARBAS, présidente de l’Equipe Interdisciplinaire de Recherche sur le Tourisme (EIREST) dans l’article « Les villes

7 « I thought the Broedplaats Fund (incubator fund) would become a help center where people could sign their own project. But the city wanted an umbrella foundation that kept everything under control. » (traduction Anglais/Français réalisée par Caroline VERNAY)

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Ils sont donc forcés de suivre les règles qu’elle impose, alors qu’ils étaient absolument capables de développer des lieux de création seuls jusque-là. Enfin, les incubateurs sont aménagés de façon temporaire dans des parties de la ville afin d’attirer l’attention. Les artistes sont donc mis dehors lorsque les investisseurs sont prêts à développer la zone. « Même s’ils offrent aux artistes et autres créateurs des espaces de travail abordables, les incubateurs semblent être devenus des sanctuaires encapsulés que la ville peut utiliser pour ses stratégies de quartier et de marketing urbain »8 (DE KLERK, 2018). L’effort porté sur le développement des activités créatives supprime la position des autres initiatives non planifiées.

. Les autorités récupèrent donc les espaces que les artistes s’étaient approprié afin de diffuser l’accueil des touristes dans la ville. En contrepartie, ils proposent des « incubateurs » qui ne correspondent pas aux besoins des artistes. À travers son histoire, nous comprenons qu’Amsterdam a toujours tiré parti de ses relations internationales pour se développer. Ses relations internationales sont basées sur des échanges de biens et sur des échanges culturels. Amsterdam est connue autant pour ses grands musées que pour sa « contre-culture ». L’enjeu pour la ville est de trouver l’espace pour faire cohabiter ces deux pratiques artistiques et créatives. Nous verrons ensuite une nouvelle stratégie à Amsterdam, et en Europe, qui consiste à miser sur cette culture créative pour attirer les touristes en dehors du centreville. 
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« No matter how well-untented they are and even though they offer artists and other creatives affordable work spaces, les incubators appear to have become encapsulated sanctuaries that the city can use for its area strategies and city marketing. » (traduction Anglais/Français réalisée par Caroline VERNAY)

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Récit d’expérience - Partie 2 Le soulagement: NDSM Le dernier jour de notre séjour, nous décidons de prendre le ferry pour aller de l’autre côté de l’IJ et visiter le quartier de NDSM. A la sortie du bateau nous découvrons des conteneurs abîmés, et de très nombreux graffitis colorés. Ca y est ! J’ai le sentiment de trouver enfin quelque chose, de vrai. Les vrais habitants de la ville, les vrais artistes pratiquent ce lieu, j’en étais sûre. Je ne pouvais pas les imaginer vivre au milieu des gift-shops. On entre dans l’entrepôt principal, sans vraiment connaître la fonction de l’espace. Il est dimanche et nous sommes seules ici. On ne sait même pas vraiment si on a le droit d’être là. Trois installations colorées marquent l’entrée de « couloirs ». S’en suivent de chaque côté des travées des installations cubiques, colorées qui semblent habitées. Habitées même si personne n’est là. Tout est figé, mais pour autant, je sens l’énergie et le mouvement qui doivent circuler la semaine. Les chaises et les tables dans les espaces centraux traduisent des échanges et des rencontres qui doivent prendre place ici. En passant la tête dans les ouvertures des blocs construits, je comprends qu’il s’agit d’espaces de travail, de création. Les proportions des ateliers varient, selon, j’imagine, ce qui y est produit, le nombre de personnes qui y travaillent, sans doute aussi, l’envergure et la popularité de l’artiste.

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Une personne rentre dans un des ateliers, il est arrivé en vélo et a pédalé jusque dans le couloir et le gare devant la porte d’un atelier. Ce couloir ressemble plutôt à une rue finalement. Les ateliers sont construits avec des matériaux qui semblent être issus du « réemploi ». Certaines installations paraissent plus neuves, plus chères. On accède à l’étage grâce à des escaliers en métal. La rue se prolonge donc au niveau supérieur, un peu plus timidement. Je ressens une grande curiosité, une envie de savoir, voir, comprendre comment et qui pratique réellement ce lieu.

NDSM représente ce que je cherchais à Amsterdam. Enfin, je le trouvais sans une foule de touristes, de surcroit. Je sais maintenant que je cherchais un lieu et une expérience alternative, en marge, et NDSM répond à ce souhait. Je sais aussi que mes amis et mes connaissances, qui correspondent à ma génération et à mon milieu socio-culturel, sont eux aussi à la recherche de cela. Après quelques instants à me promener dans l’entrepôt, je remarque que la porte du grand bureau orange, qui marque l’entrée d’une des allées est surmontée d’une enseigne « INFORMATION ». La même enseigne que les kiosques du centre-ville. Je comprends que NDSM fait partie de la politique de développement touristique de la ville, tout autant que les tour-boots et les gift-shops.

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Je me demande si les artistes arrivent à travailler pendant que des touristes se promènent dans leurs ateliers..

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II.

Miser sur les « créatifs »: instrumentalisation de NDSM A. S’installer « hors-la-ville » mais dans les règles

En 1998, malgré le fait que peu de personnes voient le potentiel que le site offre, l’ancien chantier naval de NDSM, au nord d’Amsterdam,

est une des options d’accueil pour les personnes qui se font expulser des squats de la rive Sud.

Schéma de situation de NDSM dans Amsterdam (Caroline VERNAY)

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la Reine Juliana9 officialiser le départ des bateaux construits à NDSM.

Un site en marge - Les artistes d’Amsterdam qui se sentent exclus de la « ville-musée » décident de s’installer en marge du centre urbain. L'ancien chantier naval de NDSM semble être un lieu adapté. Il est physiquement et identitairement éloigné du centre. La ville d'Amsterdam s'est principalement développée sur la rive Sud du fleuve de l'Ij. La rive Nord était réservée au port et aux sites industriels. Le fleuve marque donc une réelle limite entre le centre touristique et le site de NDSM. De plus, le site de NDSM est abandonné depuis les années mille-neuf-cent quatre-vingts. Lorsque les compagnies de la Nederlandsche Scheepsbouw Maatschappij (NSM) et la Nederlandsche Dok Maatschappij (NDSM) ont fusionné, elles se sont installées au Nord d’Amsterdam, car le chantier naval de Oostenburg (à l’Est) était devenu trop petit pour la croissance de l’entreprise. Initialement, on y construisait des navires à passagers et des cargos. À partir de 1946, ceux-ci ont été rejoints par de gigantesques pétroliers.

La Reine Juliana à NDSM (extraits du film « honderd schepen in het ij »)

On peut lire dans l’article « History of the NDSM Site » du site ndsm.nl que « NDSM était considéré dans le monde entier comme une entreprise très prospère et progressiste dans le monde du transport maritime. NDSM était l'un des chantiers navals les plus grands et les plus modernes au monde. Une entreprise qui a inventé de nombreuses innovations qui sont encore utilisées dans la construction et la réparation navales ». L’entreprise est une fierté pour la ville et le pays. On peut voir dans le film d’archive de la Nederlandsche Scheepsbouw Maatschappij , « honderd schepen in het ij » (Une centaine de navires dans l’ij), la Reine Wilhelmina puis

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Mais dans les années 1970, NDSM est en difficulté à cause de la crise pétrolière, des jeux politiques, de la concurrence: en 1984, elle ferme ses portes. Et le site reste alors à l’abandon jusqu’à l’arrivée des artistes dans les années deux-mille. Eva De Klerk est urbaniste, spécialisée dans les questions relatives à la communauté et aux pratiques urbaines particulièrement celles liées à des lieux abandonnés. Elle a initié le réaménagement du chantier naval de NDSM. Dans son livre « Make your city », Eva De Klerk décrit sa première visite dans le site industriel de NSM en 1994:

Wilhelmina est Reine des Pays-Bas de 1890 à 1948. Juliana lui succède jusqu’au 30 avril 1980.

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« Le chantier naval n’a pas été utilisé pour la construction de navires depuis près de dix ans. Les hangars monumentaux et les grues sont désertés »10 . Au moment de sa première visite, le site n’est pas très populaire car il a toujours été orienté vers l’industrie. C’est aussi le cas de la classe ouvrière qui habite les quartiers alentours et qui travaille dans les usines et les industries navales. De plus, l’IJ est une limite psychologique que les piétons et les cyclistes ne peuvent traverser que par ferry pour rejoindre le centre. « Les gens qui vivent dans le sud de l’IJ n’ont vraiment rien à faire à Noord. Il n’y a pratiquement pas d’institutions culturelles, de restaurants pour lesquels des personnes non-locales pourraient s’aventurer à traverser l’IJ. » 11 (DE

d’emplois pour les utilisateurs potentiels euxmêmes »12 (DE KLERK, 2018). C’est ce qui va devenir un « kunststad », soit une « ville d’art », en néerlandais. En 2000, le plan de Kinetisch Noord gagne la compétition car les critiques liées à la fermeture des squats de la rive sud ont « traumatisé » Amsterdam. Et le plan de Kinetisch Noord pour le site de NSM est la seule proposition complètement développée. Kinetisch Noord organise ensuite un événement, le « Expeditie Kinetisch Noord » pour expliquer aux politiciens quelles sont les possibilités offertes par le site de NDSM. À la suite de l’événement, et alors que le groupe continue de réfléchir sur les problématiques les plus urgentes, soixante-dix créateurs s’installent dans les entrepôts qui ne possèdent pour tant pas encore de sanitaires. « Participer dès le début mène à l'engagement et au sens du design et de l'aménagement »13 (DE KLERK, 2018).

KLERK, 2018)

Un concours pour cinq ans - En 1999, une compétition est organisée par District Noord afin d’implanter un projet culturel temporaire, pour cinq ans, dans l’entrepôt de NDSM et ses abords extérieurs. Des architectes et conseillers sont d’accord pour aider, contre une future compensation financière, et des amis et connaissances apportent une contribution pour imprimer les éléments du concours. Le projet est alors proposé sous le nom de groupe « Kinetisch Noord » : « Les propositions visent à réaliser, avec et pour les « producteurs culturels », un bâtiment d’affaires partagé autogéré avec un lieu permettant l'organisation d’événements sur le site de la NDSM. La proposition privilégie la collectivité, les interactions entre les utilisateurs et le public ainsi que la création 10

Chaque personne qui s’installe dans le lieu doit aider et montrer sont engagement grâce à une contribution financière. Cela permet de construire les premiers espaces de travail temporaires. « À l'aide de craie, les premiers utilisateurs indiquent, sur le sol, la surface qu’ils souhaitent initialement louer. Ils occupent leur espace en utilisant une grande variété d'hébergements, y compris des préfabriqués, des tentes, des bus à doubles étages et des caravanes. » 14(DE KLERK, 2018).

« The shipyard has not been used for the construction of ships for almost ten year. The monumental sheds and cranes stand deserted »

11

« People who live in the South of the IJ really have no business in Noord. There are hardly any cultural institutions of restaurants for which non-locale would aventure across the IJ. » 12

« The proposals aims to realize, with and for cultural producers, a self-managed shared business building with a manifestation hall on the NSM site. The proposal prioritizes collectivity, the interactions between users and the public as well as the creation of employment for the potential users themselves » 13

« Participating from the very beginning leads to commitement and a sense of design and layout. »

14

« Using chalk, the earliest users indicate on the floor how much space they initially want to rent. They occupy their space using a wide variety of accommodations, including portacabins, tents, double deckers, and caravans. » (traductions Anglais/Français réalisée par Caroline VERNAY)

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Un projet pour dix ans - Rapidement le groupe Kinetisch Noord réalise qu’il avait seulement anticipé le budget lié à la compétition, et l’évaluation du budget à prévoir pour l’aménagement concret du lieu est décevant. Pour couvrir le déficit, le plan e s t d e f a i re u n p rê t , d ’ a m e n e r d e s investisseurs privés et d’acheter le site, mais District Noord refuse de vendre, car cela couperait court au projet de transformation du site de NDSM dans le long terme. La compétition ne demandait d’imaginer un projet que pour cinq ans seulement. « Les responsables de la ville ont toujours l'intention de construire un Manhattan sur l'IJ. En fin de compte, les pourparlers conduisent à un compromis: le groupe coloré d'artistes, d'artisans, de patineurs entrepreneurs qui travaillent avec des matériaux recyclés et de fabricants de théâtre peut rester dix ans » 15 (DE KLERK, 2018). Avec le passage à l’euro en 2002, le déficit prévu de quinze millions de florins équivaut maintenant à quinze millions d’euros, soit trente millions de florins. Le Dutch Labor Party responsable de l’Urbanisme propose d’offrir l’argent à NDSM, puisque le projet contribue au projet d’incubation mis en place depuis 1999 par la ville16. Le bail de location pour dix ans est finalement signé en 2003, commence ensuite l’organisation du plan d’action. Celui-ci décrit le processus de sélection des utilisateurs par les utilisateurs, les phases d’aménagement, les budgets annuels: « Nous avons notre « bible » et avant tout l’engagement de la communauté des entrepôts de construction navale. » 17(DE KLERK, 2018).

Espaces extérieurs (Caroline VERNAY, NDSM, le 4 novembre 2018)

15

« city officials still have their sights set on building a Manhattan on the IJ. Ultimately talks lead to compromise: the coulourful group of artists, artisans, skater entrepreneurs that work with recycled materials and theater makers can stay for ten years » 16

Très rapidement ensuite, la ville fait fermer un des plus gros squat artistique illégal de la ville, celui de De Kalenderpanden. «C'est un signal clair: quiconque participe aux plans de la ville peut compter sur un financement, quiconque ne le fera pas tôt ou tard sera balayé de l'échiquier. » (DE KLERK, 2018). (traductions Anglais/Français réalisée par Caroline VERNAY) 17

« we have ourselves a ‘bible’ and above all the commitment of the shipbuilding warehouse community »

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Les aménagements de NDSM sont dessinés par les utilisateurs et le philosophe et architecte Filip BOSSHCHER. Ils créent Dassleville: une version miniature, temporaire et extérieure du futur aménagement du Kunststad. Le dessin des espaces extérieurs s’est fait en s’appuyant sur les éléments déjà présents comme la voie de chemin de fer, et en ayant comme objectif de créer des espaces qui n’accueilleraient pas seulement les artistes: «Nous voulions réunir différents types d'utilisateurs. Nous voulions connexion et diversification: pas de brillance sans frottement » 18 (DE KLERK, 2018). Pour l’entrepôt (le futur kunststad), ils prévoient alors de construire une structure métallique sur trois niveaux dans laquelle les créateurs viendraient installer leurs studios de la taille et la forme qu’ils souhaitent: une coque. Le projet reçoit le « prix national de développement urbain innovant » grâce au processus de création collectif mis en place pour le dessiner, son implantation dans un bâtiment existant, aménagement extérieur important, sa taille et son système d’énergie durable. Structure métallique, studios et « rue » (Caroline VERNAY, NDSM, le 4 novembre 2018)

Des fonds sont alors débloqués et le permis est accepté. Les phases du chantier sont réfléchies pour permettre aux artistes de continuer d’utiliser le lieu. L’aile Est est complétée en 2004 et le skatepark en 2005. S’en suit la structure du Kunststad en 2007. « Le plus grand incubateur d'Europe est devenu réalité » 19(DE KLERK, 2018). L’intérêt pour le lieu est grand et rapide: quatre-centcinquante créateurs s’y installent.

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« We wanted to bring different kinds of users together. We wanted connection and diversification: no shine without friction »

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« The biggest incubator of Europe has become a fact » (traductions Anglais/Français réalisée par Caroline VERNAY)

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B. Les politiques misent sur les créatifs Institutionnalisation - En 2007, la Kinetisch Noord Foundation s’installe à NDSM en ayant l’assurance de pouvoir y rester pour les dix prochaines années, mais cela est remis en question lorsqu’ils apprennent que les propriétaires du lieu, le groupe District Noord, commence des négociations avec un promoteur immobilier. Les résidents tentent de s’organiser pour faire une offre, mais la complexité du processus et la prise de risque les font retirer leur proposition.

infrastructures protège les occupants du lieu. À partir de l’automne 2008, le monde entier subit une crise des crédits et le promoteur immobilier met en suspend son projet d’achat. Tous les nouveaux plans de construction importants présentés pour une partie du chantier naval NDSM sont, eux aussi, mis de coté, à cause de la crise. Les acteurs du marché n'investissent plus non plus, la ville cherche donc d'autres opportunités pour lancer la construction de nouveaux logements et suivre la forte demande. L'auto-construction fait partie de ces opportunités: « dans les campagnes, l'auto-construction est vendue comme un nouveau mode de développement urbain. Il répond certes à un besoin, mais la ville l'utilise comme solution d'urgence pour booster la production de logements »21 (DE KLERK, 2018). Seulement,District Nord ne le fait pas, la fondation Kinetisch Noord n’a pas les moyens de développer le bâtiment seule.

En parallèle, Eva de Klerk explique que les dirigeants municipaux ont ordonné à l'ancien maire du quartier Zaandam de remplacer tous les membres du conseil d'administration de la Kinetisch Nord Foundation: « les nouveaux conseils se composent d'anciens fonctionnaires et politiciens et je suis renvoyée »20 (DE KLERK, 2018). La ville commence ici à vouloir avoir plus d’emprise sur ce qui se passe à NDSM. Alors que les négociations de vente continuent d’avancer, le risque que le chantier naval de NDSM soit démoli est exclu. Le conseiller municipal Kees Dieperveen fait inscrire les monuments industriels au patrimoine. Il s'agit d'une partie du chantier naval comprenant les deux cales, deux grues et quatre bâtiments différents, tous classés monuments nationaux en 2007. À première vue, la classification des

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La ville d’Amsterdam décide alors de récupérer la gestion de NDSM, signe un bail long avec la Kinetisch Noord foundation et investit sept millions d’euros dans l’ancien chantier naval. « C'est devenu un projet de vitrines politiques, sur lequel la ville ne veut pas simplement radier»22 explique Eva De Klerk. Cela permet à la Kinetisch Nord foundation, toujours principalement dirigée par

« The new boards consists of former officials and politicians and I am fired. »

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« In campaigns, self building is sold as a new way of urban development. It certainly meets a need, but the city many uses it as an emergency solution to boost the production of dwellings. » 22

« it has become a political showcases project, ont that the city does not simply want to write off. »

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d’anciens politiques, d’acheter le site. Les utilisateurs louent désormais, directement leurs espaces de travail à la Kinetisch Nord Foundation, plutôt que d’être des sous-locataires.

emplois. Par ailleurs, l’environnement quotidien est devenu de plus en plus important: la disponibilité de logements attrayants, la proximité d’espaces verts pour se relaxer, le centre-ville historique et les infrastructures pour les enfants sont devenues des pré-requis. « Cela signifie que les municipalités, dans leur volonté de conserver les entreprises, doivent investir pour organiser ce cadre de vie attractif et varié. S'ils ne le font pas, ils risquent de perdre les entreprises, avec toute l'adversité économique que cela implique. »24 (DE KLERK, 2018). Amsterdam mise alors sur des aménagements urbains pour attirer les nouvelles industries « créatives » dans un but économique. L’investissement de la ville dans NDSM fait partie de cette stratégie politicoéconomique.

À l’arrivée du nouveau directeur en 2017, l’intérêt politique pour les espaces dédiés à la création se fait d’autant plus ressentir. « Le plan original mettait l'accent sur le développement d'espaces de travail plus abordables pour les entrepreneurs à but faiblement ou nonlucratif. Ils sont clairement toujours très demandés maintenant que les prix de l'immobilier ont explosé, ce que la ville reconnaît. Le conseiller municipal pour la culture annonce qu'en 2017, la ville d'Amsterdam augmentera le nombre de mètres carré d'espace de travail créatif dans la ville à 20 000 »23 (DE KLERK, 2018).

La notion de « classe créative » a été le sujet principal des recherches de Richard Florida. Richard Florida est une urbaniste et chercheur canadien qui a développé sa théorie sur la « classe créative » à travers plusieurs articles et best-sellers, et a travaillé ensuite avec les entreprises et les gouvernements à travers le monde pour assurer l’application de ses principes. Le premier livre qu’il réalise sur ce sujet s’appelle « Rise of the Creative Class », publié en 2002. Il explique que le « bouillonnement créatif passe au centre de la ville et de son activité. Il devient même le moteur de son développement économique »(FLORIDA, 2002). D’après Florida, le développement économique serait

Instrumentalisation - Le développement du projet NDSM s’est fait lors d’un tournant dans l’économie des Pays-Bas (dans les années quatre-vingtdix et deux-mille. En effet, le taux de chômage était très élevé dans les années quatre-vingt aux Pays-Bas, après des décennies de progrès économique. Et l’utilisation des ordinateurs devenant plus accessible, un nouveau secteur créatif s’est développé dans les années quatrevingt-dix. Les emplois dans les domaines de la recherche, l’architecture, le divertissement, le design ont dû s’adapter, innover et donc créer de nouveaux 23

« The original plan emphatically focused on the development of more affordable work spaces for low and non profit entrepreneurs. Theses are clearly still in great demande now that real estate prices have sky rocketed, something the city acknowledges. The alderman for culture announces that in 2017 the city of Amsterdam will expand the number of square meters of creative work space in the city to 20 000. « 24

« this means that municipalities, in their desire to hold on to companies, will have to invest in order to organize that attractive and varie living environment. If they do not, they are in danger of losing the compagnies, with all of the economic adversity that implies. »

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directement lié à la présence de celle qu’il appelle la « classe créative ».

très restrictive, elle est finalement intéressante. Ses données sont questionnables, tout comme ses indicateurs qui sont encore moins représentatifs en 2020 qu’ils l’étaient en 2002, mais c’est un moyen de mettre en lien croissance économique et présence des « créatifs ». De plus, la diffusion des idées de Richard FLORIDA a été très importante. C’est sans doute sous son influence et sur le modèle d’autres villes comme San Francisco et Berlin, qu’Amsterdam décide de valoriser la présence de ses artistes après les années deux-mille.

En effet, « dans leur choix de localisation résidentielle, les travailleurs créatifs (cadres, ingénieurs, designers, chercheurs) privilégieraient les qualités d’un espace urbain valorisant et favorisant la créativité, à savoir une grande tolérance et une atmosphère « cool » détendue et bohème »(FLORIDA, 2002). Pour Richard Florida, les membres de la classe créative sont « des personnes employées pour résoudre des problèmes complexes, pour inventer des solutions nouvelles, en dehors d’une logique de production routinière »(FLORIDA, 2002) et ce groupe de personnes représente près de trente pour-cent des actifs des économies occidentales. Il définit le niveau de créativité d’une ville, en calculant la présence des créatifs grâce à trois indicateurs: « les Trois T ». Le « Talent », c’est-à-dire la mesure du nombre de personnes détenant un diplôme supérieur à un bac+4 dans cette ville. La «Technologie», c’est à dire la mesure du nombre de brevets déposés par des habitants. Enfin, la «Tolérance», qu’il calcule grâce à : la «diversité»: une mesure du taux de personnes nées à l’étranger et vivant dans la ville, « l’indice gay », c’est-à-dire le nombre de personnes de même sexe se déclarant concubins et le poids de la « bohème artiste » soit la part des actifs exerçants un emploi artistique.

Mise à distance - Le directeur fraîchement nommé en 2017, se construit immédiatement un nouveau bureau, et « un molosse orange que personne ne peut manquer de remarquer à un endroit à l'avant de l'entrepôt, le Kunststad »25 (DE KLERK, 2018). À travers cette remarque, le lecteur peur sentir la frustration de Eva De Klerk. Elle, qui a monté le projet depuis le début avec des artistes, accepte mal que les politiciens reçoivent tout le mérite. D’autre part, elle fait remarquer que les locataires de l’espace sont très peu mis à contribution dans les discussions. L’achat de NDSM par la Kinetisch Nord Fondation, n’avait plus le même sens à par tir du moment où son conseil d’administration n’était plus formée de personnes elles-mêmes occupant le lieu. Enfin, la façon dont la fondation gère le lieu pose de nombreux problèmes pour les artistes, pourtant là depuis le début.

Malgré le fait que cette représentation paraisse stigmatisante et

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« an orange Moloch that no one can fail to notice in a spot at the front of the warehouse, the Kunststad. »

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C. Espace de travail ou « zoo » ? L’intimité de l’atelier - Le Kunststad de NDSM est, avant tout, un espace que les artistes et « créatifs » d’Amsterdam envisageaient comme un espace de travail. L’atelier d’un artiste est un espace particulièrement important dans son processus de création.

Elle explique aussi que l’artiste ne va pas seulement dans son atelier pour y travailler. L’artiste fait partie de l’atelier. Elle illustre cette idée avec la série de photographies de Gilles Barbier « Plaqués dans l’atelier » réalisée en 2015. Il s’agit de photographies de son lieu de travail, prises dans la Belle de Mai à Marseille, durant plusieurs mois. Dans ces grands formats, le jeu consiste à le trouver, caché sous une table ou derrière un tableau.

Nous étudierons ici le rapport de l’artiste à son atelier, à travers la conférence de Céline CADAUREILLE, réalisée lors de la journée d’Etude « Recherche-Création » à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne le 28 Novembre 2019, intitulée « De la nécessité d’avoir un atelier. Penser ce qu’est un atelier pour un artistechercheur. De l’atelier comme espace intime, comme laboratoire, … ».

E n fi n C é l i n e C A D A U R E I L L E explique: « Je n’ai pas mis mon nom sur l’interphone, je n’y laisse entrer que mes amis. » C’est ce qui pose question à NDSM. Aucun moyen d’effacer son nom d’un interphone lorsque que des ferry de touristes curieux accostent chaque jour pour venir voir travailler les artistes dans leurs ateliers. L’objectif du Kunststad était certes de pouvoir exposer, partager et échanger, mais c’était avant tout de pouvoir y travailler. NDSM commence à son tour à être victime de son succès.

Céline CADAUREILLE fait appel au livre de Bertrand TILLIER, « Vues d’atelier. Une image de l'artiste de la Renaissance à nos jours » publié en 2014. Elle lui empreinte l'idée que « si l'atelier est un lieu physique et utilitaire, inscrit dans le monde social et la géographie urbaine, son image représente bien autre chose que sa stricte teneur documentaire. Il est censé, au-delà du lieu même, brosser une sorte de portrait de l'artiste, distiller des indices sur sa condition, son œuvre, l'esthétique qu'il défend ou promeut. »

« MAKE ART NOT € » L e s amstellodamois, viennent dans et autour du Kunststad pour les cafés et les restaurants, le marché aux puces et les festivals. Les touristes peuvent rester pour la nuit sur le chantier naval et entrer dans le Kunststad pour jeter un coup d’œil. Face à la popularité du lieu, les artistes s’inquiètent: « Tout le monde est le bienvenu, mais il est impératif que le bâtiment reste un espace de travail et ne se transforme bientôt pas en zoo » 26 (DE KLERK, 2018).

Pour elle, son atelier est un lieu intime, qui participe à son travail de sculpture. Elle le décrit comme « une chambre de transformation. Dedans, la main de l’artiste n’intervient parfois même pas dans la transformation de la matière. L’atelier est le premier spectateur. » 26

« everybody is welcome, but it is imperative that the building remains a work area and soon not turn into a zoo. »

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En effet, le développement de NDSM a continué pendant que sa situation administrative était remise en question. Avant que la Kinetisch Nord Fondation devienne propriétaire : "La marina et le restaurant se matérialisent, tout comme un nouveau siège social de Greenpeace, et plusieurs hôtels. Par exemple, un hôtel design de luxe de trois chambres est aménagé dans une ancienne grue » 27 (DE KLERK, 2018). À cause de tous ces changements, le caractère de NDSM change.

l’espace pour construire plus de nouveaux espaces et commerces pour ce qu’il appelle ‘‘des artistes plus établis’’ », et ainsi amener plus de revenus à la fondation. L e c o n fl i t e n t r e c u l t u r e e t commerce est physiquement visible à ce moment-là: un immense « MAKE ART NOT € » apparaÎt sur le mur d’un des entrepôts de NDSM. Gentrification créative Après l’été 2015, la crise est terminée et les projets mis en pause sept ans sont relancés. Cela est nécessaire, car la demande en infrastructures et en logements est importante dans la ville.

De plus, les festivals qui sont organisés autour changent aussi. En 2006, le chantier naval était le lieu d’une des plus grosses éditions du Robodock art and technology Festival. Il s’agissait d’expositions sur des spectacles artistiques et innovants qui s’adaptaient très bien à l’espace d’expérimentation de NDSM. Mais quelques années plus tard, ce sont plutôt de gros festivals de musique qui prennent place sur NDSM. D’après Eva De Klerk, "Même si les énor mes soirées dansantes sont lucratives, elles ne correspondent pas vraiment au profil culturel de l'incubateur du chantier Naval » 28(DE KLERK, 2018).

Quatre-cents logements étudiants, sept-cents logements et une école sont construits avant 2017. « Cela transformera définitivement le chantier naval et la zone industrielle en une zone mixte de la ville qui allie vie, travail et loisirs. Cela signifie que le sanctuaire qu’était autrefois le chantier naval, appartient désormais au passé » 29 (DE KLERK, 2018) . NDSM fait désormais face à une situation de « gentrification créative ». ‑

Elsa VIVANT décrit le processus de gentrification dans son livre « Qu’est-ce que la ville créative », publié en 2009, comme suivant.

Enfin, le directeur de Kinetisch Noord Foundation, créé une tension avec les locataires du skatepark et les utilisateurs du kunststad, quand il évacue les skateurs en 2013. Ils étaient coinitiateurs du projet depuis le début des années deux-mille, et locataires depuis le tout début. Le directeur veut utiliser

Le processus de « gentrification créative » commence par l’installation d’artistes dans un quartier, elle est suivit par l’arrivée des classes moyennes créatives, mais précaires puis des ingénieurs et cadres

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« The marina and restaurant materialize, as does a new Greenpeace headquarters, new hospitality industry and several hotels, for example a threeroom luxury design hotel in a former crane » 28

« even though mega dance parties are lucrative, they don’t really fit the cultural profile of the incubator in the shipbuilding warehouse »

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« This will definitely transforme the shipyard from and industrial area into a mixed part of the city that combines living, working and recreation. This means that the sanctuary the shipyard once was, is now forever a thing of the past. »

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de très grandes firmes. Cette gentrification repose sur une politique volontariste, mais les municipalités espèrent répliquer cette gentrification par des interventions ciblées dans certains quartiers et la création d’équipements culturels de prestige mêlant habilement l’art et l’urbain.

industrialisation de la culture pour attirer les cadres et les hauts revenus (toujours basée sur les conseils de Richard FLORIDA), plus porté sur la consommation, la sécurisation et le standing que sur l’idée de tolérance, de rencontre et de créativité. Les objets promus évoquent ceux de la première démarche (à l’exemple des lofts) mais l’atmosphère urbaine recherchée est sensiblement différente.

Cette valorisation a été accélérée par la diffusion des recommandations de Richard FLORIDA et relève souvent davantage d’une mise en scène de leur présence que l’émergence d’un nouveau mode de vie urbain porté par les artistes (médias, publicité immobilière). L’exemple le plus caractéristique réside dans la démarche de promoteurs qui mettent sur le marché des appartements de type « loft », sont inspirés de rénovations précaires que l’on peut faire dans un ancien entrepôt pour y habiter. Ils sont en réalité beaucoup plus chers que si c’était réellement le cas. Il existe quelques exemples de réussites, mais ils sont très rares, car on assiste plutôt à une dénaturation de la dimension culturelle des équipements en question.

Ces deux processus créent des paysages semblables (lofts, cafés branchés, galerie d’art) mais touchent des populations différentes (trajectoires sociales, revenus, intérêts). Cela créé une confusion entre les deux phénomènes, car les politiques de revalorisation par la culture sont mises en place dans les quartiers où un processus d’installation spontané par les artistes a déjà commencé. La démarche politique accentue le processus de revalorisation immobilière entamée par la démarche spontanée ce qui étouffe le caractère bohème et conduit à l’expulsion des artistes. Ainsi, l’installation des artistes à NDSM, qui répond initialement à leurs besoins, devient, due à l’intervention des politiques urbaines, un tremplin afin de faire décoller le prix du foncier sur le Rive Nord d’Amsterdam. L’atmosphère urbaine et créative que les artistes avaient commencé à créer est utilisée, tel un instrument, et est accentuée artificiellement pour attirer des classes socio-économiques moyennes et élevées. Ces dernières sont invitées à choisir de visiter puis s’installer dans cette partie de la ville, abandonnée jusque-là.

Elsa vivant dénonce l’instrumentalisation des lieux d’artistes, qui sont trop souvent utilisés dans un objectif de gentrification établi à l’avance. En effet, elle distingue deux démarches urbaines en lien avec l’utilisation de la culture, l’une servant de modèle à l’autre. La première est le processus d’appropriation des quartiers dévitalisés par les artistes. En s’installant tous dans un site, les artistes et les professions intellectuelles précarisées trouvent une communauté et un lieu qui correspondent à leurs conditions de travail et des modes de vie. En conséquence, leur installation régénère le quartier souvent abandonné.

NDSM représente donc aujourd’hui plutôt une mise en scène d’un Kunststad (ville d’artistes) qu’elle ne l’est réellement. On peut se demander si la ville de créatifs ainsi programmée reste créative.

La seconde démarche est une politique de revalorisation de la ville par une 39


Le début des années deux-mille et les textes de Richard Florida, ont donc marqué un tournant dans l’utilisation des créatifs, comme « outils » de développement. Ainsi, les artistes précaires initialement mis à l’écart des projets urbains visant à attirer les touristes, deviennent une nouvelle cible pour les municipalités, qui tentent de diffuser le tourisme. Leur atmosphère de travail et de vie attire les touristes aisés. À travers l’étude de l’aménagement de NDSM Kunststad, nous avons mis en évidence la montée de l’institutionnalisation et l’instrumentalisation de créatifs. Les artistes, à l’initiative du développement de la Rive-Nord d’Amsterdam, ne sont désormais plus chez eux. La gentrification qui a été engendrée et la gestion du lieu par les politiques a changé l’image du lieu: le choix des festivals qui y sont organisés, le choix des locataires, et le choix des infrastructures aménagées, ne sont plus les leurs.

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Récit d’expérience - Partie 3 Le prochain voyage Dans le train qui me ramenait chez moi, j’ai partagé sur Instagram, les photos de mon voyage. Rien ne transparaît des doutes que j’ai émis initialement face à la foule et la surconsommation. Sur une des photos, mes amies posent sur des vélos hollandais. Sur une autre, nous sourions devant les canaux fleuris de la ville. Une publication entière est dédiée à NDSM, et je reçu immédiatement une question en commentaire: « C’est où ? je vais à Amsterdam dans un mois! ». Quelques minutes plus tard, second commentaire: « Ça me rappelle Berlin ! ». Mes photos plaisaient et faisaient réagir: déjà une dizaine de « likes » après quelques minutes. J’avais vraiment envie de rester à NDSM, j’étais déçue de n’avoir découvert ce lieu que le dernier jour. Je me suis demandée si je pouvais venir y étudier ou y travailler dans l’avenir. J’avais l’impression qu’il y régnait une atmosphère inspirante et créatrice. Être entouré d’artistes ça ne pouvait qu’être agréable et stimulant: le rêve.

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J’ai hésité avant de donner la localisation du lieu à l’auteur du premier commentaire. J’avais l’impression que ce qui rendait NDSM si exceptionnel, c’était aussi le fait que nous ne l’avions trouvé que le dernier jour, qu’il soit caché. Il est beaucoup plus facile de se rendre au Rijksmuseum. Finalement, je choisis de divulguer le « secret » à mon ami. Comme souvent, dans le train pour rentrer d’Amsterdam, je me suis interrogée, déjà ,sur la destination de mon prochain voyage. J’avais envie de repartir à la découverte de lieux artistiques et alternatifs, comme celui de NDSM. En effet, dans l’année qui a suivi ce voyage, j’ai ensuite visité Copenhague, Cologne et Bruxelles. J’ai trouvé à chaque fois des lieux « undergound ». J’ai adoré finir mes visites de villes dans des cafés où l’on s’assoit sur du mobilier en palette. Les photographies prisent sur place remplissent ma page Instagram. Mises les unes à côté des autres, on dirait qu’elles ont été prises dans le même lieu. Finalement, le quartier danois de Christiania ressemble vraiment à NDSM. J’aurais presque pu reposter une photo d’Amsterdam et changer la « localisation ». Pourtant, ses villes étaient très différentes..

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J’ai pu réaliser ces voyages, car j’ai passé un an à l’Université de Liège. J’avais du temps libre et ces destinations étaient proches. Maintenant que je suis rentrée en France, je me surprends à rêver de mes prochains voyages, ceux que je réaliserai une fois diplômée. J’aimerais partir, mais il faut aussi que je commence à pratiquer avec les outils appris à l’école. J’ai le réel désir que ma démarche d’architecte s’inspire de ces lieux alternatifs rencontrés au cour de mes voyages. Les enjeux écologiques, sociaux et économiques vont définir ma pratique. Je m’intéresse à des dynamiques actuelles: l’éco-construction, les aménagements temporaires, la participation habitante. 
 
 Pas besoin d’aller si loin finalement, à quelques kilomètres de Saint-Etienne, les habitants de Sury-le-Comtal, ville d’étude de mon diplôme, ont aménagé la cour de l’ancienne école avec du mobilier en bois. C’est un projet temporaire et participatif. J’ai envie d’en savoir plus ! J’avance et je dessine mon projet professionnel. J’ai besoin de le prévoir, et de l’organiser à l’avance. Les conseils de mes proches sont partagés.

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D’un côté: « tu pars de quand à quand ? », « tu rentres pour les fêtes en décembre 2020 ? », « Je pourrais peut-être te rejoindre si tu vas au Maroc, je suis disponible en mars » . D’un autre côté: « laisse toi porter, tu verras où les rencontres que tu vas faire t’amènent », « n’achète pas un billet d’avion ‘’ tour-du-monde’’, car il faut choisir toutes les destinations à l’avance », « achète toi un sac à dos, au moins tu peux bouger facilement ». Alors voilà le plan: pas de plan. En tous cas très peu de plan. À la manière des artistes qui laissent leur pinceau circuler librement sur la toile, je vais laisser place au hasard. L’artiste anticipe quand même: il choisit la taille de la toile, le type de peinture. Finalement, il prépare les conditions nécessaires pour laisser faire le hasard. Ce modèle ne pourrait-il pas, non seulement, servir mon tour-dumonde, mais également ma future pratique d’architecte ?

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III. Attirer et satisfaire les visiteurs créatifs: : examens des stratégies en place A. Former et diffuser une image de ville créative Au plus près des créatifs - Pour la suite du développement, il s’agit de connaître les raisons du besoin des visiteurs de s’approcher du monde des créatifs. Pour cela, nous nous appuierons sur le livre « "Le plus beau métier du monde". Dans les coulisses de l'industrie de la mode » écrit par l’anthropologue Giulia MENSITIERI et publié en 2018.

Ceci est principalement appuyé sur les travaux de Richard FLORIDA, pour qui « la fin de la société salariale relève d’une forme d’émancipation permettant un travail individualisé et satisfaisant, fondé sur les compétences et les capacités d’autonomie de chacun »(FLORIDA, 2002). Cette différenciation entre salariat et travail créatif est à la base de l’attrait que peuvent avoir les visiteurs d’une ville pour les ateliers d’artistes, par exemple. À aucun moment, il ne nous viendrait pas à l’esprit d’aller passer notre samedi aprèsmidi à boire des cafés dans le cabinet d’un dentiste puis de participer à un festival de musique dans le bureau d’un banquier ou d’un agent de la fonction publique. Ces professions nous font beaucoup moins rêver.

Dans ce livre, elle réalise de nombreux entretiens avec des travailleurs créatifs, qui sont prêts à faire tous les sacrifices, pour le simple fait de participer à la création de produits. Elle réalise son enquête dans le milieu de la mode, mais il est ici possible d’étendre ces conclusions au monde artistique et créatif de façon générale. Pour elle, cet attrait pour le monde créatif provient de la transition de l’Europe vers la « New Economy » dans les années dix-neuf-quatre-vingt-dix: « À mesure que la production industrielle était délocalisée, l’Europe faisait du tertiaire le cœur de son économie. Communication, culture, créativité et information sont devenues les mots-clés de ce nouveau modèle de production » (MENSITIERI, 2018). L’image du travail est alors transformée: le salariat passe pour un modèle rétrograde et contraignant, au nom de la flexibilité. « Ainsi fut érigé un nouveau modèle de travailleur, créatif, décontracté et libre »(MENSITIERI, 2018), ajoute-t-elle.

De plus, le système de valeurs dans les milieux créatifs est très différent de ceux du salariat. En effet, on se dégage d’une valorisation des gros postes et des gros salaires. Giulia MENSITIERI explique que dans le milieu artistique « un travail est d’autant plus considéré comme prestigieux, s’il est peu rémunéré »(MENSITIERI, 2018). Le système de gratification est tel que les conditions de p ré c a r i t é d e s t r a v a i l l e u r s c ré a t i f s valorisent leurs productions. On pourrait penser que ce sont donc les visiteurs salariés qui sont à la recherche des milieux artistiques, afin de 45


sortir de leur contexte habituel: une alternative. Mais les créatifs sont eux aussi les premiers visiteurs de ces lieux. Deux hypothèses ici, la première étant que les créatifs, sentent le besoin de se retrouver, afin de partager et d’échanger sur leurs pratiques. La seconde hypothèse, est que la majorité des professions créatives font aujourd’hui pleinement partie d’un système capitaliste, où la productivité et l’efficacité dictent la pratique des designers, des architectes par exemple. Ils se retrouvent donc eux aussi dans ces lieux qui représentent une alternative à leur quotidien, et qui les font rêver.

photographe. ‘‘Ornée de rêves’’, c’est le titre du livre de l’historienne de la mode Elizabeth Wilson. Tant ceux qui la produisent que ceux qui l’étudient ou la diffusent parlent de la mode comme d’un monde enchanté » (MENSITIERI, 2018). À la manière du milieu de la mode, les milieux artistiques et créatifs pourraient représenter une utopie, un idéal. Dans le cas de la mode elle ajoute, « Mais la mode est aussi une industrie, une réalité faite de travail, de travailleurs, d’usines, d’ateliers, de corps, de matières, d’espaces, d’objets. Que faire de cette coprésence de la notion de rêve, apparue avec tant de force pendant l’enquête, et de la matérialité du système qui produit ces imaginaires ? » (MENSITIERI, 2018).

Hétérotopie - Dans « "Le plus beau métier du monde". Dans les coulisses de l'industrie de la mode », Giulia MENSITIERI reprend ce terme de « rêve » comme élément central de sa réflexion: « ‘‘Chaque jour est une page blanche que je dois emplir d’un rêve’’ , a écrit le créateur Alber Elbaz dans un livre où il présente ses créations. ‘‘La mode, c’est le rêve ’’, me dit Ludo, jeune

Elle fait donc appelle à la notion de « hétérotopie », formulée par Michel FOUCAULT lors d'une conférence au Cercle d'études architecturales donnée en 1967 et publiée en 1984:

« Il y a d’abord les utopies. Les utopies, ce sont les emplacements sans lieu réel. Ce sont les emplacements qui entretiennent avec l’espace réel de la société un rapport général d’analogie directe ou inversée. C’est la société ellemême perfectionnée ou c’est l’envers de la société, mais, de toute façon, ces utopies sont des espaces qui sont fondamentalement essentiellement irréels. Il y a également, et ceci probablement dans toute culture, dans toute civilisation, des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui ont dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables. Ces lieux, parce qu’ils sont absolument autres que tous les emplacements qu’ils reflètent et dont ils parlent, je les appellerai, par opposition aux utopies, les hétérotopies. »

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ou Twitter » publié dans Communication & langages, en 2017. Il explique premièrement que la prise de photographie s’est complètement démocratisées, et que la majorité des habitants de la planète possède un appareil photographique ou smartphone, leur permettant de le faire, mais aussi que chacun s’en sent désormais capable.

Giulia MENSITIERI explique que d ’ a p r è s M i c h e l F O U C A U LT « l e s hétérotopies sont ‘‘des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant, elles soient effectivement localisables’’ (FOUCAULT, 2009), ce sont ‘‘ des espaces autres ’’ pouvant prendre la forme de ‘‘ lieux imaginaires ’’, de ‘‘ mondes parallèles ’’, mais existant bien quelque part. Si la mode est un rêve, alors ce rêve est une hétérotopie : il se déploie dans les espaces où il est produit et mis en scène » (MENSITIERI, 2018).

Mais ce qui l’intéresse ici, c’est surtout la dimension de « partage » de nos photographies: « Tout en étant au centre de la réflexion sur ce que deviennent nos photos ordinaires, ce mot comporte un biais considérable pour l’analyste du numérique : cette gêne notionnelle s’installe lorsque le ‘’partage’’ charge de valeurs positives, et d’a priori, la description de ce qui se passe sur Internet et à l’écran » (GOMEZ-MEJIA, 2017). Ainsi, le mot « partage » est désormais au centre de nos discussions. Il a pourtant rarement le sens initial de division d’un ensemble en éléments pour les distribuer, mais fait souvent référence à la distribution des nos images et de nos publications sur les plateformes d’Internet.

C’est le cas ici de NDSM, le travail artistiques et créatifs a ,certes, lieux dans l’ancien chantier naval, mais il est surtout mis en scène afin d’attirer les visiteurs d’Amsterdam. Autour d’un café, ou en vélo dans les hangars, ils ne quittent pas leurs appareils photo et leurs smartphones, lorsque qu’ils parcourent cet espace de « rêve ». « Instagrammabilité » - Comme énoncé dans l’introduction, #amsterdam accompagne plus de trente-millions de photographies sur le réseau social Instagram. #NDSM accompagne, lui, plus de quatrevingt-quinze mille publications en 2020. Instagram et les autres réseaux sociaux, sont donc des outils de communication importants pour la ville d’Amsterdam. Ils sont des lieux où l’image de la ville est diffusée en grand nombre, et participent à un effet de mode touristique. Les jeunes européens qui visionnent toutes ces photos souhaitent eux aussi poser devant les canaux et les coffeshops qu’ils voient sur leurs smartphones.

Il ajoute: « d’autre part, dans la relation aux écrans, l’idée de ‘’partage’’ procure un transpor t imaginaire aux gestes des internautes : elle induit des rites autour des multiples contenus que centralisent et reproduisent les dispositifs numériques. L’attention portée à ces contenus, en particulier photographiques, se trouve ainsi orientée : dès lors que des photos sont données à voir de manière euphorisée comme étant ‘’partagées entre amis’’, le dispositif présuppose qu’un intérêt sincère existe pour elles et que des obligations symboliques peuvent s’instaurer entre contacts (offrandes, compliments, remerciements, feedback de commentaires et de likes) » (GOMEZ-MEJIA, 2017).

Les réseaux sociaux laissent la place à chacun de partager ses photos. Gustavo GOMEZ-MEJIA revient sur cette pratique dans son article « Fragments sur le partage photographique. Choses vues sur Facebook 47


Mais ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que le « partage » sur les réseaux sociaux est quantifiable. Et c’est aussi cela qui intéresse, entre autres, les villes telles qu’Amsterdam: « En tant qu’indicateur de performance d’un marché de la reproductibilité sur les « réseaux sociaux », le nombre de ‘’partages’’ met le rituel au service de la diffusion : il contribue alors à l’édification d’une lucrative économétrie de l’attention » (GOMEZ-MEJIA, 2017).

ou, du moins, il faut paraître exceptionnel : du moment que la photo est belle, le reste importe moins. Ainsi, le dressage d’un plat prend plus d’importance que le goût des aliments, le design d’un hôtel vaut plus que la qualité des matelas. Pour se distinguer et avoir l’occasion de briller auprès de tous ces consommateurs esthètes, il faut donc revoir l’expérience-client. Tous les moyens sont bons, qu’il s’agisse de prévoir la décoration d’un lieu, d’ajouter un accessoire aux produits qu’on vend et, même de choisir la lumière et le cadre idéal… » (FREYMOND, 2018).

Pour Gustavo GOMEZ-MEJIA, au-delà des photos de profil, c’est sans doute pour les fêtes et les voyages que les « partages » se font le plus souvent abondants et semblent socialement attendus. Il est donc important pour les villes de fournir des lieux et des situations adaptés à la prise de photographies « partageables », afin d’augmenter la présence de la ville sur les réseaux sociaux et donc d’en toucher les retombées économiques.

Dans le cas d’une ville, il faut donc posséder des lieux d’une certaine qualité visuelle. Ces lieux doivent être reconnaissables, à l’exemple des canaux d’Amsterdam, mais correspondre à une esthétique précise qu’est celle d’Instagram. La bohème, les ateliers d’artistes et le monde créatifs représentent le cœur d’image d’Instagram. En encourageant l’aménagement du Kunststad à NDSM, les politiques de la ville savaient qu’ils créaient ici un parfait contexte de photographies « partageable ». Ils savaient qu’ainsi, ils augmenteraient la visibilité de la ville sur les réseaux, et donc dans les esprits des jeunes européens, les amenant ensuite à réserver leur billet d’avion pour réaliser à leur tour ces photographies.

Aymeric FREYMOND parle « d’instagrammabilité » dans son article, « Exploitez le pouvoir d’Instagram », publié dans Gestion, en 2018. « Ce néologisme – de plus en plus utilisé – désigne un lieu, un endroit ou un objet permettant la prise d’une photo attractive. En d’autres mots, il s’agit d’une image qu’on sera fier de publier dans les médias sociaux et qui suscitera des mentions « j’aime » ainsi que la jalousie de nos amis ». L’instagrammabilité représente donc un moyen pour les villes d’attirer des jeunes touristes à la mode. Il explique que « Petit à petit, on s’est mis à ne partager que ce qu’il y avait de plus beau, de plus captivant. Instagram est devenu un lieu d’inspiration privilégié, l’étincelle à l’origine de plus en plus de voyages, de sorties et d’activités. La moyenne n’est plus une option, le bon ne suffit plus. Il faut être exceptionnel pour attirer l’attention 48


Captures écran de la page Instagram #NDSM au 20 Janvier 2020

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B. Utiliser un système qui fonctionne et le répéter. Quand le « off » devient « in »- Elsa VIVANT décrit le « off » de la manière suivante dans son livre « Qu’est-ce que la ville créative ? »: « Depuis une trentaine d’années, se développent des expériences artistiques alter natives initiées par des acteurs associatifs, culturels ou artistiques. Ces pratiques, que nous appelons off, ont en commun d’être peu ou pas prises en compte par l’institution culturelle et de ne pas avoir une place claire dans le marché des biens culturels. Les scènes off appartiennent aux mondes de l’art tout en proposant une démarche artistique alternative au in, sphère de légitimation et de reconnaissance, qui puise continuellement inspiration et nouveaux talents dans le off. » Par leur caractère illégal, les squats d’artistes sont une forme idéale et typique des lieux culturels off.

dans une grande salle de spectacle, et une performance artistique organisée dans un squat. De plus, ces personnes ont eux aussi un désir d’expérimentation. Le « off » devenant « in », il rentre alors aussi dans un système économique et social similaire à celui d’autre lieux culturels institutionnalisés. L’effet Bilbao30 a servi de modèle pour de nombreuses villes. Ici on reproduit un modèle, qui se revendiquait pourtant alternatif et anticonformiste, et cela dans un but de développement économique. Systématisation - Le modèle du lieu « underground » est utilisé de façon répétitive e t s y s t é m a t i q u e . N o u s t e n t e ro n s i c i d’examiner les éléments qui le constituent. Au cours d’une discussion qui a eu lieu avec d’autres étudiants de l’école d’architecture de Saint-Etienne, voici la liste des éléments qui décrivent pour eux un environnement « undergound »31 : « graffitis, mobiliers fabriqués en palettes, bidons d’huile réemployés, guirlandes lumineuses, matériaux bois OSB, musique électronique ou techno, tourets (pour câble électrique) réemployés en table, calligraphie gravée au laser ou réalisée au pochoir ».

Les lieux off appartiennent au monde de la nuit et de la fête, mais certains mettent également en œuvre des activités à destination des populations riveraines : organisation de fêtes de quartier, de brocante et d’ateliers de création, participation aux opérations portes ouvertes des ateliers d’artistes du quartier. « Ces actions sont autant de moyens de montrer leur bonne volonté aux autorités, de se faire accepter par les riverains, d’être connus par les médias, et ainsi d’obtenir des soutiens plus variés » (VIVANT, 2009).

Ce qui est intéressant ici, c’est que ces personnes n’ont pas hésité avant de me répondre. L’esthétique « underground » est dans toutes les têtes. Cela est contradictoire avec les définitions même du mot.

Les visiteurs créatifs, c’es-à-dire les personnes visées par l’aménagement de ces lieux, représentent, pour Elsa VIVANT, une catégorie de personnes qui consomment l’art « in » et « off » avec le même intérêt. Ils mettent sur le même plan une représentation 30

Le Larousse définit « underground » comme ce qui « se dit de spectacles, de films, d'œuvres littéraires, de revues d'avant-

effet bilbao

31 Les étudiants en architecture, représentent la cible de ces aménagements, par excellence. Ainsi, en interrogeant mes collègues, j’accède ici directement à un fragment représentatif de la classe sociaux-économique moyenne et élevée, créative, qui voyage et pratique ces lieux « alternatifs » de façon régulière.

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garde, réalisés en dehors des circuits commerciaux ordinaires ».

« Aujourd’hui déjà, distinguer un quartier gentrifié (ou régénéré) d’une ville à l’autre devient difficile, tant les modes de consommations se ressemblent: on trouve les mêmes best-sellers dans les librairies, la même décoration dans les cafés (voire le même menu), les mêmes musiques d’ambiance, les mêmes modes vestimentaires. Cette homogénéisation (apparente) est véhiculée par les individus et les gentrifiers eux-mêmes, qui voyagent, ont vécu à l’étranger, s’intéressent aux univers culturels d’autres continents et construisent ainsi un paysage de consommation urbain cosmopolite global » (VIVANT, 2009).

De plus dans un article de Mattia BERGAMINI publié en 2009 sur le journal participatif en ligne CAFEBABEL, intitulé « Gianluca Costantini32 nous donne sa recette de l’underground », le dessinateur de bande dessiné décrit « l’undergound » comme “faire quelque chose de différent, de radicalement nouveau, que personne n’a encore jamais fait. Si tu veux sortir du lot, il faut briser les schémas. Ne jamais trouver un genre et le garder à vie. Au contraire, il est beaucoup plus intéressant d’expérimenter un nouveau genre à chaque fois”.

Il s’agit ici de mettre en avant, les conséquences d’un monde « instagrammé ». Les aménagements, tels que celui de NDSM, font partie d’un réseau. Cette systématisation et cette décontextualisation créent donc une compétitivité entre les villes.

Rien donc qui parle d’une esthétique particulière. Pourtant certains éléments nous viennent en tête lorsque nous énonçons ce mot. Au contraire, l’underground se décrit plutôt par l’inverse de quelque chose de commun. Si le but est de faire « différemment », alors pourquoi somme nous capable d’en faire une description commune ?

Pour Elsa Vivant, « les visiteurs développent des compétences esthétiques faisant référence à leur sentiment d’appartenance au monde (…), après un cours de tango et avant d’aller voir un film coréen, on dîne entre amis dans un restaurant thaï en buvant du vin australien, sur un arrièrefond sonore de musique électronique islandaise » (VIVANT, 2009).

Décontextualisation - Dans son livre « Qu’est-ce que la ville créative », publié en 2009, Elsa Vivant questionne la théorie de Richard Florida: « Appliquées uniformément, les formules de R. Florida ne font plus recette: comment se distinguer dans cette course sans fin pour attirer les créatifs si toutes les villes jouent les mêmes cartes ? » (VIVANT, 2009).

La politique urbaine qui consiste donc à dynamiser des sites et des quartiers « à l’abandon », grâce aux aménagements des artistes et surtout à la visite et la pratique des créatifs, doit donc être replacée dans un contexte de mondialisation. Cette démarche est utilisée à outrance dans les villes européennes. On peut aussi les voir dans certaines villes des Etats-Unis et du Canada: Detroit, New-York, Montréal, Toronto par

En effet, nous pouvons remarquer que les douze centres d’art alternatifs présentés dans la planche-contacte de la page suivante, utilisent une même esthétique, et reproduisent le même modèle. Il est donc difficile de contextualiser ces espaces.33

32 Gianluca COSTANTINI est l’un des piliers du monde de la bande dessinée en Italie et en Europe, aussi bien comme dessinateur que comme directeur éditorial. Il est au centre d’une branche assez particulière de la bd: l’underground. 33

Pour mettre en évidence cette décontextualisation, la localisation des lieux photographiés sont écrit à l’envers. On utilise ici une technique de « jeux » pour montrer que tous ces espaces se ressemble, et que l'on ne pourrait pas deviner aisément, où ils se situent.

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exemple. La ville de San Francisco a basé toute son image sur ce principe aussi.

effet, dans ses essais voués à acquérir les qualités d’une idée abstraite de métropole à visibilité internationale, Cotonou est en train de se débarrasser des détails qui la distinguaient (auparavant) et la distingueraient (prochainement) d’autres villes voisines, mais a u s s i i n t e r n a t i o n a l e s . L’ é c h e l l e d e confrontation locale est donc considérée s e c o n d a i re , p a r r a p p o r t à u n e ff o r t d’identification au niveau mondial, alors que le risque, dans leur envie d’assumer des hypothétiques modèles globaux, c’est qu’elles deviennent interchangeables du point de vue du jeu des rôles internationaux. » (CORALLI, PALUMBO, 2011).

Identité - Monica CORALLI et Maria Anita PALUMBO ont publié « Entre singularité et similitude: Cotonou, une ville en changement » en 2011. À la suite d’un travail de terrain sur plusieurs chantiers de la ville Béninoise, elles expriment la situation ambiguë dans laquelle Cotonou se trouve: « Il nous semble intéressant de remarquer, tout d’abord, que dans ce contexte de transformation urbaine, le modèle, se situant entre passé et futur, agit comme facteur opérant un lien entre ces deux registres de temporalité. De plus, dans une construction dialectique qui se fait autour d’une géographie des provenances des modèles, il se positionne aussi entre le “nous” et les “autres’. Ainsi, le modèle recouvre une distance (géographique ou temporelle), participe à la construction d’un récit et fournit des représentations possibles et "communicables", se définissant dans un rapport entre identité et altérité et agissant en tant qu’opérateur spatio-temporel » (CORALLI, PALUMBO, 2011).

Le développement urbain d’Amsterdam, comme celui de Cotonou, joue un double-jeu. Celui d’Amsterdam se base sur des modèles: la Culture est source de profits (Bilbao), les créatifs attirent (Richard FLORIDA), les visiteurs créatifs cherchent des lieux « off » (Elsa Vivant). Alors des lieux comme NDSM sont aménagés et répétés. Mais pourquoi le visiteur créatif choisit-il de se rendre à Amsterdam s’il peut trouver les mêmes typologies d’espace dans sa propre ville ? Pour les canaux, entre autres. Les urbanistes amstellodamois misent aussi sur l’identité et l’histoire de la ville pour la rentre spéciale. Mais si toutes les villes misent sur leur histoire, ne retombons-nous pas dans un autre modèle ?

Leur publication nous intéresse ici, car une comparaison est possible entre cette ville d’Afrique de l’Ouest et celle d’Amsterdam. Leur développements se basent sur des modèles, mais dans ces deux cas, les urbanistes ont conscience des atouts que peut posséder une ville avec des particularités. Comme elles l’indiquent dans le titre, l’enjeu se trouve entre la singularité et la similitude. « Ces modèles (qui vont de l’architecture à la gestion de la ville en passant par l’urbanisme et la standardisation des services offerts) qui informent le processus de construction de son identité, peuvent être interprétés comme une négation de toute identité, spécificité et originalité. En 52


Tabacalera de Lavapiés, Madrid, ESPAGNE

Le Sucre, Lyon, FRANCE

Hackney Wick, Londres, RU

53 NDSM, Amsterdam, PAYS-BAS

Le 104, Paris, FRANCE

La Briche, Saint Denis, FRANCE

LX Factory, Lisbonne, PORTUGAL

Raw Tempel, Berlin, ALLEMAGNE

Fiche La Belle de Mai, Marseille, FRANCE

59 Rivoli, Paris, FRANCE

Szimpla Kert, Budapest, HONGRIE

Christiana, Copenhague, DANEMARK


C. Appliquer des stratégies qui semblent elles-mêmes créatives Dans un objectif, de présenter des processus de projet qui utilisent les visiteurs créatifs, comme outils de développement, nous avons vu jusque là que l’utilisation d’espaces, a priori, alternatifs permet d’attirer les classes socio-économiques moyenne et élevée créatives. Ici, nous verrons que d’autre démarches de projet permettent de les attirer.

très courte de constructions et de projets qui interviennent principalement dans l’espace public. » C’est en fait la confusion entre ces termes qui pose question ici. L’éphémère attire les créatifs car il est synonyme d’événements, d’investissement de l’espace public, donc , une fois de plus, d’une atmosphère bohème, précaire et donc créative.

Projet temporaire - Nous intéressons au processus de projet comportant des phases de projet temporaires ou éphémères. Le projet temporaire est à la mode. Ma génération d’étudiant en entend parler depuis leur première année d’étude en architecture. Ce sont des projets qui nous attirent.

Mais l’attrait créé existe en réalité très souvent dans un but transitoire. Si les municipalités autorisent et encouragent aujourd’hui des projets « éphémères », c’est qu’elles savent que cela rend les espaces occupés attractifs pour les investisseurs. Dans sa conférence « Temporary Spaces » réalisée à l’Université de Dublin 2016, Ali MADANIPOUR parle de « catalyseurs ».

Revenons d’abord sur une définition. Il s’agit en réalité de plusieurs définitions, car plusieurs termes sont utilisés pour parler de projets très différents. Le « carnet pratique n °9: l’Urbanisme Transitoire » de l’institut d’aménagement et d’urbanisme de l’Île-deFrance, sépare en 2018, le « temporaire », le « transitoire » et « l’éphémère ».

Il fait ce constat: les projets temporaires répondent à l’un des deux paradoxes urbains suivants.

- « La mention ‘‘temporaire’’ peut qualifier

Dans certains quartiers, il y a « trop d’activités, et pas assez d’espace » (MADANIPOUR, 2016) . L’utilisation temporaire de l’espace public par exemple ré p o n d à u n b e s o i n , à l ’ i m a g e d e s commerces de rue en Afrique ou en Asie.

des aménagements provisoires, ou des projets d’occupation sur un temps donné et non nécessairement prédéfinis, mais n’ayant pas vocation à influer un projet urbain futur. »

- « Le terme ‘‘transitoire’’ sera préféré pour

Dans d’autres quartiers, il y a « trop d’espace et pas assez d’activités » (MADANIPOUR, 2016). Le projet temporaire apparaît alors comme un élément d’intérim, en attendant que le marché reprenne. Le projet temporaire représente une utilisation expérimentale de l’espace, pour des entreprises qui doivent tester leur marché, ou le promouvoir. Enfin, dans cette, situation le projet temporaire permet une médiatisation. Les « pop-upstores », par exemple, attirent l’attention et

souligner la notion de transition. Les aménagements et projets réalisés se font sur une période de transition d’un site et en vue d’un projet urbain futur. Nous pouvons ainsi parler du caractère de préfiguration p o r t é p a r l e s p ro j e t s d ’ u r b a n i s m e transitoire. »

- « ‘‘L’éphémère’’ fait davantage référence à l’événementiel et souligne la temporalité 54


répondent à une tendance culturelle. Ainsi, les franchises déjà établies font elles aussi appel au temporaire: à l’image de Channel, CocaCola ou Ikea qui installent régulièrement des boutiques ou stands de rue éphémères.

l’image d’un projet « éphémère », les municipalités attirent des visiteurs créatifs et donc des investisseurs. Ces projets attirent à cours termes des grandes marques, qui veulent profiter elles aussi de la tendance. À longs termes, ces projets attirent les investisseurs car la gentrification créative à déjà fait ses preuves. Les promoteurs, se battent donc pour construire le prochain quartier gentrifié par les créatifs.

Ce que nous retenons ici, c’est que les municipalités surfent sur une tendance: le projet éphémère. Celui-ci attire les créatifs aisés, car il renvoie souvent à une image bohème et alternative. De plus, les projets éphémères sont souvent connotés comme étant des projets d’aide au projet précaire, à l’image d’une boutique de jeune créateur qui pourrait sembler prendre la forme d’un teste éphémère de son marché, à moindre frais.

Participation habitante - La participation habitante est un autre processus de projet dont ma génération d’étudiants en architecture est particulièrement adepte. Développer des projets en échange avec les usagers est, en effet, un autre processus de développement urbain qui permet d’attirer les créatifs.

En réalité, ces projets sont souvent des projets « transitoires ». En donnant

« On voit que la chaîne du développement ne cesse de se ramifier, agrégeant aux historiques aménageurs, promoteurs et foncières, des nouveaux venus prêts à bousculer la hiérarchie et les habitudes. Ils apportent une vision autre, un nouveau souffle. Il s’agit d’agences d’urbanisme d’un genre nouveau comme Ville Ouverte, Genre et Ville, 1001Rues ou encore l’agence BAM, dont la spécificité revendiquée et militante est de prendre en compte l’humain dans les projets. Mais aussi de collectifs qui, par le biais des opérations d’urbanisme transitoire, se sont fait une place durable dans le secteur : Plateau Urbain, La Belle friche, Yes We Camp, Aurore, Habitat et Humanisme… Ils permettent, bien souvent, de préfigurer les nouveaux usages d’un site, mais aussi de créer ce fameux lien social que toutes les parties prenantes des projets recherchent aujourd’hui. Bref, on le voit, les usagers prennent une place de plus en plus importante dans les opérations d’aménagement – et c’est une bonne nouvelle ».

Extrait de l’ouvrage « Ça déménage dans l’aménagement : trois tendances-clés décryptées » publié le 18 décembre 2019 et écrit en partenariat entre l’agence City Linked et la journaliste Catherine SABBAH (consulté le 10 janvier 2019).

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Le projet urbain réalisé avec les usagers apparaît donc comme une « bonne nouvelle » pour cette journaliste. En effet, il est intéressant d’imaginer qu’un projet de lieu répondrait mieux aux attentes des usagers de ce lieu, s’ils participent à sa conception.

La question que je formule aujourd’hui face à cette utilisation de la participation habitante est la suivante: les usagers qui ont construit les meubles en palettes et qui ont échangé avec les aménageurs, ont-ils seulement servi de figurants pour une affiche de campagne politique ? Il est bien plus facile de faire accepter le gros centre médico-social d’un promoteur, installé sur le site d’une école presque centenaire, lorsque l’on assure que le projet a été fait avec les habitants.

L’objectif est ici de constater les enjeux sous-jacents de cette pratique. Pour cela, nous ferons ici appelle à un projet observé dans la ville de Sury-le-Comtal, Loire.

La municipalité de Sury-le-Comtal utilise ici toutes les clés d’un développement qui se sert de l’idée de participation habitante pour convaincre.

Le collectif VIRAGE a reçu, en 2019, la mission d’y réaliser une étude de ville. Le collectif a aussi organisé un chantier participatif dans la cour de l’école primaire suryquoise, fermée quelques mois auparavant.

Les créatifs ont été attirer soit par l’événement de la construction du mobilier, soit par le mobilier lui-même à d’autres moments. Mobilier en palette, graffitis, nous avons vu plus haut que c’était une recette qui marchait, et cela, même dans une ville de sept-mille habitants dans la plaine du Forez.

L’objectif présenté était le suivant: fabriquer du mobilier pour la cour de l’école, qui serait dorénavant ouverte, afin de créer un nouvel espace par et pour le public de Suryle-Comtal. L’occasion du chantier devait permettre de se questionner ensemble sur la future occupation ce lieu, alors vacant.

Ainsi, la participation habitante, a priori bienveillante, représente, une fois de plus le moyen d’attirer les classes moyennes et élevées créatives. Auprès des architectes, ce projet fait exemple. Auprès des habitants aisés et tendances, la municipalité a pris en compte leur avis. En réalité, le projet de maison de retraite était sans doute dans les tiroirs avant même la fermeture de l’école, et il fallait trouver un moyen de convaincre.

Le chantier correspond a priori aux projets qui font rêver les architectes créatifs: les usagers de la ville construisent des meubles en palettes dans un espace vacant, et sont appelé à proposer de nouvelles fonctions pour ce lieu. On fait appel à un artiste pour finaliser le tout avec des graffitis colorés34. J’ai eu l’occasion de m’intéresser plus précisément au projet urbain de cette ville, pour l’exercice-projet de mon futur diplôme. J’ai appris que c’est une maison de retraite privée qui sera construite sur le site de l’ancienne école, et j’ai du mal à croire que ce projet a été proposé par les habitants.

« Chantier ouvert » Photographies réalisées dans la cour de l’ancienne école de Sury-le-Comtal, Octobre 2019, Caroline VERNAY

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« A l’occasion de ce chantier, l’artiste/plasticien Fabrice Anneville-Constance a pu exprimer son talent sur le portail d’entrée et les murs de l’école.Son œuvre dynamique et colorée a permis d’animer «autrement» le site et d’apporter une plus grande visibilité à cette cour désormais ouverte à tous.C’est une nouvelle identité qui, aujourd’hui, est donnée à ce lieu. ». Article de la rubrique « Projet Ami: Appel à Manifestation d’Intérêt » du magazine municipal de Sury-le-Comtal « Sury’quoi », aout 2019.

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mais à l’initiative habitante qu’il faudrait laisser place.

Sérendipité - Ce qui est critiqué précédemment c’est l’utilisation de l’image d’une participation habitante. Je voudrais apporter une réflexion plus large sur la place de l’habitant dans le développement de projet urbain.

Par la suite, Sylvie CATTELIN cite Charles G. DARWIN et explique qu’il « voulait attirer l’attention de ses lecteurs sur ‘‘la qualité qui consiste à chercher quelque chose et, ayant trouvé autre chose, à reconnaître que ce qu’on a trouvé a plus d’importance que ce qu’on cherchait’’ » (CATTELIN, 2014). Il s’agit donc pour cela que les aménageurs entament une véritable dynamique de « laisser-faire », laissant ainsi place à quelques chose qu’ils ne maitrisent pas et qui pourrait les surprendre.

P o u r E l s a V I VA N T, c ’ e s t « l’hédonisme » des artistes qui attire. L’hédonisme c’est un« système philosophique qui fait du plaisir le but de la vie » (Larousse). Cela implique donc d’agir de façon détachée de nombreuses contraintes. De plus, le plaisir évoluant et étant personnel, les projets hédonistes sont eux aussi évolutifs et adaptés.

En revanche, le rôle des architectes et urbanistes n’est pas réduit. En effet, il s’agit pour eux de saisir l’instant où quelque chose d’intéressant se produit, et d’apporter leurs compétences à cet instant. Fernand LOT explique d’ailleurs dans « Les jeux du hasard et du génie. Le rôle de la chance dans la découverte. » publié en 1956: que « le rôle du hasard se borne à fournir l’occasion opportune. Au savant, à l’inventeur de la reconnaître et de la saisir ».

A m e n e r i c i l a d é fi n i t i o n d e l’hédonisme per met de lancer un questionnement: et si ce modèle de vie des artistes et des créatifs inspirait directement le processus de projet ? Pour continuer dans cette réflexion, nous faisons appelle à un autre terme, celui de « sérendipité ».

Les idées de Sylvie CATTELIN sur les méthodes de recherches scientifiques actuelles peuvent être adaptées aisément à u n e r é fl e x i o n s u r l e s m é t h o d e s d e développement urbain: « l’enjeu n’est pas la défense de la recherche fondamentale par rapport à la recherche appliquée, mais plutôt de favoriser la sérendipité dans tous le sommes opératoires de recherche, autrement dit de concilier la contrainte de résultats des programmes de recherche avec le besoin d’un espace de liberté favorable à la gestion de l’inattendu et à la créativité scientifique. L’une des conditions essentielles de la sérendipité est l’autonomie et la liberté intellectuelle » (CATTELIN, 2014).

Pour Sylvie CATELLIN, dans son livre « Sérendipité. Du conte au concept », publié en 2014, « la sérendipité serait le fait de découvrir par hasard ce que l’on ne cherchait pas, et ce coup de chance serait à l’origine de bien des découvertes scientifiques ». Elle explique, qu’à partir des années cinquante, le mot « sérendipité » commencent à se diffuser en France, mais son usage reste longtemps cantonné à un petit cercle de chercheurs, d’artistes et d’écrivains. La sérendipité fait donc pleinement partie du processus de création artistique. Pour appliquer la sérendipité dans le processus de projet urbain, ce n’est pas à la participation habitante qu’il faut faire appel,

Faire la ville avec sérendipité, c’est utiliser la pratique des artistes comme modèle. 
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Conclusion À travers ce développement, il a été mis en évidence que les créatifs ont un rôle « d’outils » dans la conception de projet urbain.

choix des infrastructures aménagées, ne sont plus les leurs. Enfin, nous avons étudié une autre façon d’utiliser les créatifs dans le projet urbain. Cette fois, il s’agissait de mettre en évidence la propension à tenter d’attirer le visiteur créatif dans le projet urbain. Parce que les ateliers d’artistes représentent une utopie localisée (hétérotopie) pour les classes socio-économiques moyennes et élevées, les municipalités les aménagent pour permettre la visite. Plus encore, ils misent sur la diffusion d’image sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’un coup de communication à moindre frais, il suffit de rendre le lieu « instragrammable ».

À Amsterdam, par exemple, les artistes font parti des fondations de la ville. Elle a été construite par et pour des échanges commerciaux et culturels. Si la ville était le grenier de l’Europe, c’est aussi le berceau de la Peinture Hollandaise, un ar t du « quotidien ». Au quotidien, justement, la situation des artistes est devenue critique. Ils tentent de trouver leur place dans une ville devenue ville-musée. On les utilise, d’un côté dans de grands musées à l’image du Rijksmuseum, de l’autre pour une image alternative et décomplexée de la ville, appuyée par la dépénalisation de la vente de cannabis et le commerce sexuel.

On mise alors, sur une esthétique « underground », terme qui n’a d’ailleurs plus vraiment de sens aujourd’hui, et on le répète. Nous avons mis en évidence grâce à une planche comparative de photographies, entre autres, la décontextualisation que produit la systématisation des méthodes d’aménagements et d’ouverture au public de ces lieux artistiques.

Nous avons vu que le début des années deux-mille et les textes de Richard Florida, marquent un tournant dans l’utilisation d e s c r é a t i f s , c o m m e « o u t i l s » d e développement. Ainsi, les artistes précaires initialement mis à l’écart des projets urbains visant à attirer les touristes, deviennent une nouvelle cible pour les municipalités. Leur atmosphère de travail et de vie attire les touristes aisés.

Les architectes sont, d’ailleurs, des cibles idéales. Ils font appel eux aussi à des méthodes qui semblent créatives. Jouer la carte du « projet éphémère » convainc les architectes persuadés de proposer des solutions alternatives, ainsi que les habitants assurés de participer à un aménagement bohème et créatif. Souvent, ces a m é n a g e m e n t s s o n t p a r t i c u l i è re m e n t stratégiques: utiliser des espaces de façon temporaire permet de les mettre en valeur pour déclencher une gentrification et attirer les aménageurs privés. Le projet « éphémère » est en réalité souvent un projet « transitoire ».

À travers l’étude de l’aménagement de NDSM Kunststad, nous avons mis en évidence la montée de l’institutionnalisation et l’instrumentalisation de créatifs. Les artistes, à l’initiative du développement de la Rive-Nord d’Amsterdam, ne sont désormais plus chez eux. La gentrification qui a été engendrée et la gestion du lieu par les politiques a changé l’image de NDSM: le choix des festivals qui y sont organisés, le choix des locataires, et le 60


De la même manière, le projet participatif a été remis en question. Derrière celui-ci, se cache souvent la volonté d’utiliser une méthode qui fait appel, à première vue, à l’ouverture d’esprit et la créativité pour tromper les habitants. Le projet de Sury-leComtal nous a permis ici de le mettre en évidence.

De façons plus large, à quelques mois de finir mes études, je me questionne sur ma future pratique. Même si, en cinq ans, j’ai acquis des connaissances, j’ai le sentiment que la conception d’un lieu ne peut être réalisée que par la personne qui habite ce lieu: NDSM est de moins en moins adapté à la création, depuis que ce ne sont plus les artistes eux-mêmes qui l’aménage. L’initiative h a b i t a n t e re p ré s e n t e , p o u r m o i , u n e alternative à la position de décideur que possède aujourd’hui l’architecte.

E n fi n , n o u s a v o n s c o n c l u c e développement avec l’étude du terme « sérendipité » : si les créatifs ont servi « d’outils » jusque-là, ne serait-ce pas leur méthode de travail qui consiste à réunir toutes les conditions pour laisser faire le hasard, qui pourrait aujourd’hui être utilisée dans le développement du projet urbain ?

Je conclurai ici avec un extrait du livre « L’architecture de Survie » écrit par Yona FRIEDMAN en 1978, comme ouverture vers une proposition de nouvelle forme de la pratique d’architecte et comme ouverture de débat.

Si le sujet initial de ce travail était NDSM, il s’est étendu à la ville d’Amsterdam, puis l’Europe, pour enfin questionner les pratiques architecturales « à la mode ».

« Conseiller sur rendez-vous. Conseiller sur rendez-vous est le rôle habituel d’une partie importante de nos professions libérales: médecins, avocats, etc. La caractéristique principale de ce rôle est son aspect facultatif: le client peut consulter, ou non, autant de conseiller qu’il le souhaite, sans suivre forcément leurs conseils, sans démissionner de son droit de décision. Le conseiller n’agit pas à la place du client. Imaginons donc des architectes qui reçoivent sur rendez-vous les autoplanificateurs, pour une consultation, disons d’une demi-heure, au même tarif que celui d’un médecin, pour une consultation de la même durée. L’autoplanificateur suit ou ne suit pas les conseils de l’architecte, exactement comme le patient suit ou ne suit pas les conseils du médecin. Evidemment c’est la fin de l’architecte créateur, de maître. Tant pis ! »

FRIEDMAN Yona, 1978, Extrait de « L’architecture de Survie », éditions de l'éclat, p.58

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Couverture Capture écran de la page Instagram #Amsterdam au 20 Janvier 2020, Caroline VERNAY

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Iconographie

p.16 Monuments locaux et Monuments Locaux, [en ligne], extrait le 10/12/2019, disponible sur le site: https:// maps.amsterdam.nl/monumenten/?LANG=en

p.19 « The Concept of A Tourist Area Cycle of Evolution: Implications for Management of Resources », extrait de « The Concept of A Tourist Area Cycle of Evolution: Implications for Management of Resources » dans le Canadian Geographer, Juin 2008. p. 22 « Property value - Sale price per m2 » [en ligne], consulté le 10/12/2019, disponible sur le site : https:// maps.amsterdam.nl/woningwaarde/

p.29 NDSM - hors la ville, Plan réalisé par Caroline VERNAY, sur une base de maps.amsterdam.nl

p.30 « La Reine Juliana à NDSM », images du film « honderd schepen in het ij », film d’archive de la Nederlandsche Scheepsbouw Maatschappij p.32 Espaces extérieurs photographies de Caroline VERNAY, NDSM, le 4 novembre 2018. p.33 Structure métallique, studios et « rue » photographie réalisée par Caroline VERNAY, NDSM, le 4 novembre 2018. p.49 Captures écran de la page Instagram #NDSM au 20 Janvier 2020, Caroline VERNAY p. 53 Planche-contact: lieux artistiques européens: (de gauche a droite et du haut vers le bas) • NDSM, Amsterdam: photographie réalisée par Caroline VERNAY, NDSM, le 4 novembre 2018. • Le 104, Paris: Claire’s blog [en ligne] ,consulté le 27/12/2019, disponible sur le site : https://clairesblog.com/espace-culturel-104paris


• La Briche, Saint Denis, Lucile Roger Durieux, Time Out [en ligne] ,consulté le 27/12/2019, disponible sur le site : https://

• 59 Rivoli, Paris « 59 Rue de Rivoli », tripadvisor [en ligne], consulté le 27/12/2019, disponible sur le site:https://www.tripadvisor.fr/

www.timeout.fr/paris/que-fairea-paris/la-briche-lart-isanat-

Attraction_Review-g187147d4757867-

made-in-saint-denis

Reviews-59_Rue_de_RivoliParis_Ile_de_France.html

• LX Factory, Lisbonne « Nova Batida: está quase a começar o novo festival da Lx Factory e Village Underground », nit.pt [en ligne], publié le 12/09/2018, consulté le 27/12/2019, disponible sur le site : https://nit.pt/coolt/ musica/nova-batida-estaquase-comecar-novo-festivalda-lx-factory-villageunderground

• Raw Tempel, Berlin « Partez à la découverte de Berlin le temps d’un weekend », weekenda [en ligne], consulté le 27/12/2019, disponible sur le site:http:// www.berlin.weekenda.fr/rawtempel.html

• Fiche La Belle de Mai, Marseille « Quand les friches ferroviaires de la SNCF sont confiées aux artistes », Lumières de la Ville, photographie de Olivier Monge [en ligne], consulté le 27/12/2019, disponible sur le site:https:// lumieresdelaville.net/quand-lesfriches-ferroviaires-de-la-sncfsont-confiees-aux-artistes/

• Szimpla Kert, Budapest « Drinks in Budapest’s most famous ruin bar » , Wheretogoin [en ligne], consulté le 27/12/2019, disponible sur le site: https://wheretogoin.net/drinksbudapests-most-famous-ruinbar-szimpla-kert/

• Christiana, Copenhague « Christiania : que reste-til de l’utopie hippie en plein cœur de Copenhague ? », Antipodes [en ligne], publié le 18/10/15, consulté le 27/12/2019, disponible sur le site: https:// antipodes3a.wordpress.com/ 2015/10/17/christiania-quereste-t-il-de-lutopie-hippie-enplein-coeur-de-copenhague/

• Hackney Wick, Londres « Londres. Hackney Wick, un quartier en rénovation à l'est de la ville », Louis Labbez [en ligne], publié le 18/02/2017, consulté le 27/12/2019, disponible sur le site: https:// www.flickr.com/photos/llabbez/ 33096513285

• Le Sucre, Lyon « 10 choses à faire absolument à Lyon, une ville où il fait bon vivre », Focussur, [en ligne], publié le 10/10/2015, consulté le 27/12/2019, disponible sur le site: https://www.focusur.fr/popculture/mode/2015/10/09/10choses-a-faire-absolument-alyon-une-ville-ou-il-fait-bonvivre/

• Tabacalera de Lavapiés, Madrid « CSA La Tabacalera. Centro autogestionado de Embajadores », Madrid Cool Blog, [en ligne], publié le 10/09/2012, consulté le 27/12/2019, disponible sur le site: https:// www.madridcoolblog.com/ 2012/09/la-tabacalera-centrosocial-autogestionado/

p.57 « Chantier ouvert » Photographies réalisées dans la cour de l’ancienne école de Sury-le-Comtal, Octobre 2019, Caroline VERNAY Quatrième de couverture Composition réalisée à partir de captures écran de la page Instagram #Amsterdam au 20 Janvier 2020, Caroline VERNAY




Ce travail de recherche se base sur l’expérience d’un voyage à Amsterdam: des attentes, des réalisations une fois sur place, et surtout la découverte d’un lieu, NDSM kunststad (ville d’artistes en néerlandais).

This work is based on the experience of a tp to Amsterdam: expectations, realization once there, and above all the discovery of a place, NDSM kunststad (art city in Dutch).

La construction de cette recherche se fait autour de la vision des artistes et des créatifs qui occupent ce lieu, entre autres. Nous nous interrogeons sur leur rôle « d’outils » dans les projets urbains.

The construction of this research is built around the vision of the artists and creatives who occupy this place, among others. We question their role as "tools" in urban projects.

Les échanges commerciaux et artistiques ont construit Amsterdam. Ils dessinent encore aujourd’hui cette ville qui accueille dix-huit millions de touristes chaque année. Jouant entre culture et contre-culture, il s’agit d’identifier leur place dans une ville qui est devenue ville-musée au fil des années. Le squat d’artistes n’est pas aussi bien « rangé » que le Rijksmuseum, mais l’esprit bohème, influencé en partie par la dépénalisation du cannabis à Amsterdam, attire aussi des millions de visiteurs. L’enjeu pour la ville est de trouver l’espace pour faire cohabiter ces deux pratiques artistiques et créatives, toutes deux outils de construction urbaine.

Trade and art have built Amsterdam. They still draw this city which welcomes eighteen million tourists every year. Playing between culture and counter-culture, is a question of identifying their place in a city that has become a museumcity over the years. The artist squat isn't as « tidy » as the Rijksmuseum, but the bohemian spirit, influenced in part by the decriminalization of cannabis in Amsterdam, also attracts millions of visitors. The challenge for the city is to find the space to make these two artistic and creative practices coexist, both tools of urban construction.

Les publications de Richard Florida, et l’effet de mode autour des espaces de création alternatifs, poussent les municipalités à miser de plus en plus sur les aménagements artistiques spontanés. À Amsterdam, on encourage depuis les années deux-mille, leur installation dans l’ancien chantier naval de NDSM. Dans ce processus, l’enjeu pour les artistes et les créatifs est de garder la main sur la gestion de leurs ateliers, dans un contexte où les touristes aspirent à visiter ces lieux en marge de la ville-musée.

Richard Florida’s publications, and the fashion effect around alternative creative spaces, are prompting municipalities to increasingly rely on spontaneous artistic developments. In Amsterdam, they have been encouraging their installation in the former NDSM shipyard since the years two thousand. In this process, the challenge for artists and creatives is to keep control of the management of their workshops, in a context where tourists aspire to visit these places on the fringes of the museum city.

Enfin, nous nous intéressons au processus qui consiste à utiliser les visiteurs créatifs comme « outils », à leur tour, de développement urbain. L’atmosphère bohème et créative des ateliers attire. Les municipalités les démocratisent et les adaptent à la visite, à la photographie, à « l’instragrammabilité ». Nous faisons face à une systématisation et donc une décontextualisation du développement de ces lieux, qui sont donc de moins en moins a l t e r n a t i f s . L e s d é fi n i r c o m m e e s p a c e s « undergound » (« réalisés en dehors des circuits commerciaux ordinaires ») n’a plus de sens aujourd’hui, puisqu’ils deviennent communs. Il s’agit ensuite de déconstruire d’autres processus de projets utilisés régulièrement dans les projets urbains contemporains, afin de mettre en évidence l’objectif sous-jacent d’attraction des classes socio-économiques moyennes et élevées créatives.

Finally, we focus on the process of using creative visitors as "tools", in turn, of urban development. The bohemian and creative atmosphere of the workshops attracts. The municipalities democratize them and adapt them to the visits, the photographis, the « instagrammability ». We are facing a systematization and therefore a decontextualization of the development of these places, which are therefore less and less alternative. Defining them as "undergound" spaces ("made outside of ordinary commercial channels") no longer makes sense today, since they are becoming common. It is then a question of deconstructing other project processes used regularly in contemporary urban projects, in order to highlight the underlying objective of attracting the creative middle and high socio-economic classes.

Au travers de cette démonstration, l’objectif est d’inviter au questionnement de nos pratiques. On utilise, les artistes et les créatifs comme « outils » afin d’attirer d’autres artistes et créatifs, moins précaires: architectes par exemple. Face à cette prise de conscience, comment choisir la destination de son prochain voyage ?

Through this demonstration, the objective is to invite questions about our practices. We use artists and creatives as "tools" in order to attract other less precarious artists and creatives: architects for example. Faced with this awareness, how to choose the destination of our next trip?

« Amsterdam » / « over-tourisme » / « classe créative » / « gentrification créative » « instragrammabilité » / « hétérotopie »


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