Un été dans l'Aube 2022

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CLAIRVAUX l'abbaye-prison Derrière ses trois kilomètres de murs, le visiteur est invité à remonter neuf cent ans d’une aventure sans précédent. Huit siècles d’enfermement volontaire pour les moines de l’abbaye fondée par Bernard en 1115. Deux siècles de réclusion forcée dans des conditions souvent terrifiantes pour les détenus. Ils ne sont plus qu’une centaine, reclus dans cette prison qui accueillit ses premiers prisonniers en 1813 -des insoumis de la Grande Armée- et qui fermera ses portes en 2023. L’hostellerie des dames est l’alpha et l’oméga de ce parcours unique. Daté du XVIe, ce beau bâtiment de pierre à galerie de bois qui accueille les visiteurs hébergeait jadis les visiteuses de marque, interdites dans l’enceinte monastique. Plus loin, la prison des enfants, aménagée au XIXe dans les remises des écuries de l’abbé, offre désormais ses murs aux expositions. Avec le bâtiment des convers, c’est une forêt de voûtes et de piliers qui plonge le visiteur dans la pureté retrouvée du XIIe siècle. Le cellier et le dortoir, treize travées de trois nefs, étaient affectés à ces frères mineurs chargés d’exploiter le patrimoine foncier de l’abbaye. Mais c’est sans doute le grand cloître qui donne la démesure de l’abbaye reconstruite au XVIIIe siècle. Avec ses galeries intérieures qui se répandent sur cinquante mètres, sa grande façade occidentale, deux fois plus longue encore, qui évoque le mode de vie plus mondain que spirituel des moines. L’imposant réfectoire est digne d’un palais : gypseries, boiseries peintes, autel sculpté et doré, pavage à cabochons... De quoi oublier que ce réfectoire fut transformé en chapelle pour accueillir 1 500 détenus debout pour l’office !

Bernard de Clairvaux

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À Clairvaux, l’histoire des moines et des détenus s’entrechoque en permanence. On y voit encore les « cages à poule », ces cellules individuelles créées en 1875 et utilisées jusqu’en 1970. Plus loin, gravés dans la pierre, crayonnés au murs, des dates, des chiffres et des silhouettes qui s’écaillent : « 2e Section 2e Quartier », « Défense d’entrer sous peine de sanctions », « Cinéma »... Et puis des cachots, des barbelés, des grilles, des barreaux, des ateliers, des photos à moitié déchirées de jolies femmes en robes... De quoi rappeler que cette féconde abbaye qui comptera jusqu’à 339 abbayes-filles dans toute l’Europe fut aussi la plus grande maison centrale de France, entassant jusqu’à 3 000 condamnés.

78 ∫ LA CÔTE DES BAR


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