Juriste international 2018-1

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contraint d’aller signer trois fois par jours à la gendarmerie, sans activité, ni ressources financières. Il avait bien tenté de contester son assignation devant le Tribunal administratif… En vain cependant. Alors Maxime avait cédé ; oui, me disaitil, il avait bien violé ses obligations. Une première fois pour se rendre au bowling, une seconde au cinéma, pour tromper l’ennui d’un quotidien trop pesant. Une autre fois, encore, pour accompagner son fils à un rendez-vous médical d’urgence. Une dernière fois surtout, au détour d’une balade en compagnie de son fils, pour rendre un Coran à un ami, assigné à résidence lui aussi. Voilà ce qu’on lui reprochait, et qui justifiait son placement en garde à vue. Rien d’autre en réalité que des soupçons d’appartenance à la mouvance islamique, peu étayés, ayant entraîné la fixation d’obligations extrêmement restrictives, lesquelles, dans une simple aspiration à la liberté, avaient été violées. C’est ce qu’il indiqua sans aucune réticence aux policiers, lors de ses auditions. Dialogue de sourds néanmoins : toute discussion se révéla impossible, tant il lui fut systématiquement opposé la taqiya, le fameux art de la dissimulation, cher aux partisans de Daesh. Il fut déféré le lendemain après-midi devant le Tribunal correctionnel de Dunkerque. J’ai ensuite appris qu’il avait été condamné à la peine de 8 mois d’emprisonnement ferme, avec mandat de dépôt, et mise à exécution immédiate. C’est alors que je me suis demandé pour la première fois si nous n’étions pas en train de basculer dans une république des suspects. *** L’état d’urgence a été proclamé par le Président de la République François Hollande dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015, avant de faire l’objet de 6 prorogations successives, pour une durée totale de 719 jours, soit jusqu’au 1er novembre 2017, et l’adoption de la nouvelle loi antiterroriste.

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L’état d’urgence permettait, au Ministre de l’Intérieur, notamment, de prendre des mesures exceptionnelles, sans contrôle de l’autorité judiciaire : assignation à résidence, perquisitions administratives, fermeture de lieux de culte, contrôles d’identité renforcés… Tout en se soustrayant aux obligations de la Convention européenne des droits de l’homme. Il était ainsi possible d’obliger une personne à rester à son domicile entre 20 heures et 6 heures du matin, de la contraindre à se présenter 3 fois par jour au commissariat, et de lui interdire de quitter le périmètre de sa commune, sans qu’aucune infraction pénale ne lui soit reprochée.

cette assistance maternelle dont l’agrément a été retiré par le Conseil général, suite à des soupçons d’appartenance à la mouvance islamiste visant son mari, et finalement non démontrés… Cette dame n’a plus de travail aujourd’hui. Elle subit malheureusement la solitude, le déclassement et l’ostracisation sociale. Au total, ce sont plus de 4 600 perquisitions qui ont été réalisées, pour seulement 23 procédures ouvertes au parquet antiterroriste de Paris. Au 30 octobre 2017, encore huit personnes étaient assignées à résidence depuis plus de deux ans ...!

L’état d’urgence permettait, au Ministre de l’Intérieur, notamment, de prendre des mesures exceptionnelles, sans contrôle de l'autorité judiciaire […]. Ces mesures pouvaient être prises à l’égard de toute personne «pour laquelle il existait des raisons sérieuses de penser que son comportement constituait une menace pour la sécurité et l’ordre public».

Surtout, l’état d’urgence a été détourné de son objectif principal à plusieurs reprises, servant ainsi à réprimer les manifestants contre la loi Travail ou encore ceux de la COP21.

Ces « raisons sérieuses » n’étaient étayées que par les fameuses « notes blanches », documents non signés et non datés, émanant des services de renseignement, et souvent lacunaires.

Et la loi antiterroriste du 1er novembre 2017, signé en grande pompe à la télévision en l’absence du Garde des Sceaux, n’a fait que transposer à peu de choses près dans le droit commun les modalités de l’état d’urgence, faisant ainsi malheureusement de l’exception la règle.

Il s’agissait, en tout état de cause, de critères extrêmement vagues et subjectifs, difficiles à évaluer, sauf à considérer qu’en France, on a le droit de condamner pour des idées. On le voit, l’état d’urgence comporte en luimême un certain nombre de risques d’abus. Maxime n’est pas le seul à avoir dû subir ce régime d’exception : les exemples sont multiples, et la presse s’en est fait l’écho. C’est, notamment, le cas de cette mosquée mise à sac à Aubervilliers, et dans laquelle la police ne retrouve rien, obligeant le Ministre de l’Intérieur à reconnaître une erreur, et à formuler des excuses ; c’est encore le cas de cette perquisition effectuée à Nice par le RAID, qui se trompe de logement et ouvre une porte au fusil à pompe, les balles en céramique venant se loger dans un lit où dort une fillette de 7 ans... C’est aussi le cas de

Certaines de ces mesures ont d’ailleurs été censurées par le Conseil constitutionnel le 1er décembre dernier, tout comme la seconde mouture du délit de consultation habituelle de sites Internet terroristes, preuve du caractère extrêmement dangereux de cette législation. Au surplus, son efficacité est en réalité très difficile à évaluer. Si l’on sait en effet que ce dispositif a permis de rassurer les Français, sa mise en œuvre n’a pas permis de faire cesser la commission d’attentats sur notre sol ; au contraire, la plupart des attentats déjoués ces derniers mois l’ont été avec les méthodes classiques du droit ; et on comprend qu’en réalité, l’état d’urgence a surtout permis d’alimenter le renseignement.

1 ■ 2018 I Rassembler les avocats du monde


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