Juriste international 2014-3

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Plaidoyer pour la prise en compte du secret professionnel de l’avocat dans la nouvelle Directive « rétention des données » I Jean-François HENROTTE & Alexandre CASSART

Plea for the consideration of professional secrecy of lawyers in the future «data retention» directive The so-called «Data retention» Directive required providers of electronic communications services to keep metadata generated by electronics communications and make them available to state authorities. In a recent judgment, the European Court of justice has invalidated this Directive, arguing that the constant surveillance it organized infringes, in a not appropriate fashion, citizens’ fundamental rights. Besides this general surveillance, the Directive, and especially its transposition laws threaten to shatter professional secrecy of lawyers, who have to react firmly, through their Bar Associations, in order to protect citizens.

I C ontexte À partir des années 2000, plusieurs États membres de l’Union européenne se sont dotés de législation imposant aux fournisseurs de services de communications électroniques des obligations de conservation des données de trafic et de localisation en vue, en général, de permettre la recherche et la poursuite d’infractions. Face à cette avancée en ordre dispersé, l’Union européenne a souhaité harmoniser cette question. C’est dans le contexte des graves attentats terroristes de Madrid en 2004 et de Londres en 2005 que ces discussions ont abouti à l’adoption de la Directive 2006/24/CE1, dite Directive « rétention des données ».

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La Directive « rétention des données » impose aux fournisseurs de services de communications électroniques de conserver certaines métadonnées 2 afférentes aux communications électroniques et à les rendre accessibles aux autorités nationales compétentes. Le contenu de la communication en lui-même ne peut pas être conservé. Toutefois, le simple examen des métadonnées entourant la communication électronique permet d’obtenir tellement d’informations, qu’il n’est, dans certains cas, plus utile de prendre connaissance du contenu à proprement parler de la communication. Cette conservation se fait, a priori, pour l’ensemble des citoyens sans distinction d’aucune sorte. Ni entre ceux qui font l’objet d’enquêtes judiciaires et ceux qui n’en font pas l’objet, ni entre ceux qui sont tenus d’un secret professionnel et ceux qui ne sont pas tenus d’une telle obligation.

approches, comme celle du « quick freeze » pouvaient être plus appropriées ou plus équilibrées. Le flot de critiques ne s’est pas tari une fois la Directive mise en œuvre. Lors de la transposition dans les droits nationaux, différentes cours constitutionnelles (allemande, roumaine, tchèque…) ont été saisies de recours et ont annulé totalement ou partiellement les lois de transposition.

I L’arrêt de la Cour de justice du 8 avril 2014 invalidant la Directive

La Cour de justice de l’Union européenne a été saisie de deux questions préjudicielles en appréciation de la validité de la Directive. Ces questions ont été jointes et l’Avocat général a déposé ses conclusions, le 12 décembre 20135.

Sans être absolu, le secret professionnel de l’avocat constitue un principe fondamental d’organisation de la justice, notamment en ce qu’il participe à la relation de confiance indispensable entre un client et un avocat. I L e feu nourri des critiques à l’égard de la Directive

Dès avant son entrée en vigueur, cette Directive a essuyé un feu nourri de critiques. Dans son avis du 26 septembre 20053, le Contrôleur européen de la protection des données doutait ainsi de la nécessité de cette obligation de conservation ainsi que l’adéquation de la proposition par rapport au critère de proportionnalité. Le Groupe de l’Article 29, dans son avis du 21 septembre 20054, s’interrogeait également sur la justification d’une conservation systématique et obligatoire des données alors que d’autres

À cette occasion, il a conclu à l’invalidité de la Directive mais, malgré ce constat, il a proposé d’en tenir en suspens les effets, le temps que le législateur de l’Union prenne les mesures nécessaires pour y remédier, pour autant que cela se fasse dans un délai raisonnable. Par son arrêt du 8 avril 20146, la Cour de justice de l’Union européenne a été bien moins clémente avec la Directive puisqu’elle l’a purement et simplement invalidée, sans accorder le « délai de grâce » suggéré par l’Avocat général 7. Après avoir estimé que cette obligation de conservation constituait une ingérence particulièrement grave, la Cour a envisagé les critères classiques selon lesquels l’ingérence dans l’exercice d’un droit fondamental peut se

3 ■ 2014 I Bringing Together the World’s Lawyers


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