A Cenozoic case of crustal growth in a continental arc: The Central Andes revisited

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Une interprétation intenable What gets us into trouble is not what we don’t know, it’s what we know for sure that just ain’t so.47 Attribué à Mark Twain (1835-1910), et cité par Albert Gore, An inconvenient truth, 2006.

Au tout début des années 2000, j’avais tiré de mes expériences de la « chaîne hercynienne » et du « paradoxe de Tupiza » des leçons importantes. Il était devenu clair qu’en géologie des biais cognitifs interviennent non seulement dans les raisonnements et l’interprétation des données, mais même jusque dans les observations de base. La réalité géologique a beau être unique, elle ne donne pas toujours lieu aux mêmes descriptions, et encore moins aux mêmes interprétations (mais dans ce dernier cas c’était évidemment loin d’être nouveau). Dans certains cas au moins, des observations géologiques publiées peuvent avoir été déterminées par un modèle adopté a priori et dont on a, inconsciemment ou non, souhaité confirmer la validité. Dans un tel cas, la description qui est donnée est en fait celle d’une « néo-réalité », image conforme à un modèle et projetée sur la véritable réalité, laquelle peut se révéler différente de l’idée que l’on souhaite s’en faire. Ces phénomènes se trouvent encore amplifiés par les situations particulières qui émergent au sein de traditions scientifiques du fait d’enjeux et d’intérêts collectifs ou individuels, qui sont du ressort de la sociologie des sciences (e.g., Hallam, 1989). J’avais entrepris un apprentissage de l’« anthropologie des sciences ». Mes lectures m’apprenaient que les cas mentionnés ci-dessus, ainsi que la « controverse de Belén »48 qui s’était élevée en 2000-2001 dans l’extrême nord du Chili, relevaient apparemment d’un phénomène désigné en sociologie des sciences par la locution theory-ladenness of observations, et qui consiste en une sorte de prédétermination des observations sous l’influence, inconsciente ou non, de la théorie qui a la faveur de l’observateur (e.g., Hallam, 1989). Les cas de ce genre posent évidemment le problème de la valeur des connaissances et de l’objectivité de la démarche scientifique, tout en confirmant la pertinence de l’identification par Kuhn (1962) que l’activité scientifique « normale » (c’est-à-dire « de routine », à peu de choses près) se déroule dans le cadre de traditions nées de l’adoption de paradigmes. Il était clair que la « chaîne hercynienne » andine avait été le fruit de la tradition « phasiste », tandis que le paradoxe de Tupiza permettait de mesurer l’emprise que la tradition « chevauchementiste » possédait maintenant sur les esprits. Il était tout aussi clair que les dogmatismes induits par ces traditions avaient entravé et entraveraient tout véritable progrès dans la compréhension objective des Andes Centrales, en refusant notamment de prendre en considération les divergences entre la réalité géologique et certains aspects du paradigme dominant. Cette prise de conscience se produisit tandis que j’abordais l’étude de la partie occidentale des Andes du sud du Pérou, que jusqu’alors je ne connaissais que par la littérature. En effet, j’avais jusque là essentiellement travaillé dans la moitié orientale des Andes, en Bolivie et au sudPérou. Je fus vite frappé des profondes différences qui opposaient les parties orientale et occidentale des Andes, notamment du point de vue de l’histoire géologique et de la structure tectonique. Je m’étonnai en particulier de l’apparente faiblesse du raccourcissement visible en surface, alors que le paradigme molnarien prédisait au contraire que le raccourcissement avait été initié dans ces régions occidentales et de là s’était propagé vers l’est. Par ailleurs, l’évidente omniprésence des phénomènes magmatiques me poussa à me familiariser avec les disciplines qui les abordaient, à me documenter sur leurs résultats concernant les Andes et d’autres arcs péri-pacifiques, et à établir des contacts suivis avec des spécialistes compétents. 47

« Ce qui nous cause des problèmes n’est pas ce que nous ne savons pas, c’est ce que nous tenons pour vrai et qui en fait ne l’est pas. » Merci à Sonia Rousse de m’avoir fait découvrir cet aphorisme. 48 Se reporter à la note 20 ci-dessus. À partir de 2002, j’ai pu observer dans le sud du Pérou des phénomènes semblables à ceux décrits par G. Wörner et ses collègues dans l’extrême nord du Chili.

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