Complètements urbains !

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arts appliquĂŠs

philosophie


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philosophie


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Introduction

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I. Le détail (réflexion à partir du travail de Daniel Arasse)

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2- Apologie du détail par rapport à l’ensemble.

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II. Le complément

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III. Vers un design du détail et du complément

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Conclusion

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Références

1- Qu’est-ce qu’un détail ?

a- La notion de détail selon Arasse. b- Précisions sur le détail en peinture. - Le détail « iconique ». - Le détail « pictural ».

a- Importance du détail. b- Importance du détail en peinture. c- Le détail, une notion relative à l’ensemble.

3- Dépasser les idées premières concernant l’inessentiel et le global. a- « Le détail insignifiant ». b- Distinguer l’ornement et le détail. c- Le détail est bien essentiel, profondeur sémantique du détail.

1- Le sens du complément. 2- Questionnement de ce qui complète. a- Mise à jour, renouvellement, actualisation. b- Forces et limites du complément vis-à-vis de l’existant.

3- Question de l’achèvement d’une création. a- En Art. b- Dans les Arts Appliqués.

1- Le détail en design (application de la réflexion d’Arasse au design). a- Pourquoi traiter le détail en design ? b- Que deviennent ici les détails « iconiques » et « picturaux » ? c- Le détail ne doit pas desservir l’ensemble.

2- Le complément en design.

a- Ce qui est impossible en Art est possible en design. b- Que compléter ? : la fonction, l’estime, l’univers, l’imaginaire. c- Dangers et « gadgetisation ».

3- Application à l’urbain.

a- L’urbain, support de réflexion concret. b- Rapport au détail et au global dans l’urbain. c- Quel sens pour le complément urbain ?

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Introduction

« Un détail sans importance », cette expression courante correspond au sens général que nous donnons au mot détail, une partie insignifiante du tout, voir même nuisant à la compréhension d’un ensemble. Au delà de sa définition commune, le détail a une profondeur sémantique intéressante, notamment lorsqu’on l’envisage dans les domaines des arts et des arts appliqués. Quelle importance donner au détail ? Comment le détail peut-il devenir indispensable ? Le détail est-il une notion relative à l’ensemble ? Que devient le tout sans le détail ? Ne perd-il pas une partie de son sens ? A partir du travail de Daniel Arasse sur l’étude du détail en peinture, nous questionnerons la notion de détail en général et en application à l’art pictural. Nous tenterons de prouver que le travail du détail permet de donner sens et d’être attentif à l’objet et à l’œuvre. Certes, les préjugés concernant le détail sont nombreux ; il en est autrement de la notion de complément, de greffon, qui sera le point de départ du projet de design. Est-il possible de compléter a posteriori une création existante, de l’actualiser par l’ajout ? Cette question sera envisagée pour l’oeuvre puis pour l’objet. Ainsi, nous verrons, à deux niveaux de lecture différents, s’il peut y avoir une fin ou un achèvement à une création. En accord avec le travail de design, cette recherche sur les arts et les arts appliqués sera finalement appliquée au milieu urbain, milieu riche en demande de fonctionnalités et en valeur d’estime. L’objectif de la réflexion sera de balayer les préjugés concernant l’image du créateur « tout-puissant » devant la globalité et l’évidente fin de sa production. Enfin, il faudra, dans le projet, redonner au design sa force de surprise par l’emploi de l’ajout et du détail, rendre attentif à l’expérience esthétique du détail, déjouer les habitudes, en quelques sortes, réinventer une nouvelle perception de la réalité quotidienne.

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Détail :

* Action de considérer un ensemble dans ses éléments, un évènement dans ses particularités. En détail : dans toutes ses parties, toutes ses particularités. * Elément non essentiel à l’ensemble. * Circonstance, élément, particularité, petit détail, détail sans importance, insignifiant, bagatelle, bêtise, broutille. * Contraire de l’ensemble, du gros. Extrait du Dictionnaire Larousse Illustré.

réflexion à partir du travail de Daniel Arasse

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1- Qu’est-ce qu’un détail ? « Un dictionnaire a pour fonction de rappeler ou de fixer des normes d’usage. Les formules du dictionnaire tendent donc logiquement à banaliser la pratique classique du détail, à considérer comme allant de soi ce qui est, en fait, une donnée normative particulièrement forte de la doctrine classique ». Daniel Arasse dans Le détail, 1992

a- La notion de détail selon Arasse. En 1992, Daniel Arasse, historien d’art français, publie un ouvrage intitulé Le détail, pour une histoire rapprochée de la peinture. Fort, entre autres, de sa connaissance de la peinture italienne, Arasse donne dans cet écrit une définition inhabituelle du mot détail. En effet, contrairement aux idées reçues, il restitue au détail un rôle essentiel en étudiant le domaine pictural. En s’appuyant sur des réflexions antérieures de Kenneth Clark et André Chastel, tous deux historiens d’art, il nous fait part de l’importance qu’il donne au détail en peinture et, plus largement, en histoire de l’art. Pour aller plus loin, il évoque et revendique même une nouvelle façon de regarder les choses et les œuvres, une nouvelle approche de la peinture par le détail, plus proche de l’objet même qu’est le tableau. « Mieux voir les tableaux, les regarder avec plus d’attention », c’est ce à quoi Arasse veut nous éduquer ici. Le détail dit énormément de l’histoire qu’a vécue le tableau et de celle qu’il raconte. Les détails, Arasse les voit aussi comme un intime jeu entre le spectateur, l’œuvre et l’artiste. « Les détails donnent à voir au lecteur les récompenses promises à celui qui scrute patiemment la peinture. Ces récompenses ne sont pas sans effet sur le rapport du spectateur au tableau et sur la compréhension qu’il peut en avoir : l’impression totale d’une œuvre d’art est construite d’une foule de sensations, d’analogies, de souvenirs et de pensées diverses – certaines sont manifestes, beaucoup cachées, quelques-unes analysables, la plupart au-delà de l’analyse. » L’approche de la peinture par le détail fait donc affleurer, selon Arasse et Clark, ce qui ne saurait, sinon, voir le jour. Cette vision de la peinture « de près » remet en question l’histoire de l’art telle qu’elle est établie communément. Si bien que « tel ou tel détail, découpé de son ensemble, met en question les catégories établies de l’histoire de l’art ; elles en ont comme l’air d’avoir été faites de loin ». Arasse n’entame pas une critique trop profonde, qui pourrait être gratuite, de l’histoire de l’art, comme elle a été pensée jusqu’à aujourd’hui. Il préfère montrer comment le détail suscite la surprise, la découverte inopinée et motive une expérience esthétique toujours renouvelée. Pour

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lui, ce regard sur le détail doit s’appliquer à la fois à la peinture, mais aussi à la vie et au tout que forme le quotidien. Il ne peut que regretter l’emploi trop ingénu de la notion de détail dans les ouvrages d’histoire de l’art. b- Précisions sur le détail en peinture. Dans cette autre histoire de la peinture, où le détail trouve tout son sens, Daniel Arasse distingue avec fermeté deux statuts ou deux types de détails. A partir de la distinction faite dans la langue italienne entre les mots particolare et dettaglio, qui se traduisent tous deux par détail en français, l’historien montre la subtilité de ce terme. Le particolare est compris comme étant une petite partie d’une figure, d’un objet ou d’un ensemble, « un sourcil, le blanc des yeux, la couleur de l’iris, les petits sillons des jointures des doigts, les petites rides d’un visage, etc. ». C’est le détail qui fait image, celui qu’Arasse appellera « détail iconique ». « Qui sait mieux que lui combien il y a de boutons dans chaque uniforme, quelle tournure prend une guêtre ou une chaussure avachie par des étapes nombreuses ; à quel endroit des buffleteries le cuivre des armes dépose son ton vert-de-gris ? […] Je hais cet homme parce que ses tableaux ne sont point de la peinture mais une masturbation agile et fréquente, une irritation de l’épiderme français. » C’est ainsi que Baudelaire qualifie en 1846 les tableaux du peintre militaire Horace Vernet. Ici, il se manifeste à l’encontre du détail anecdotique qui veut raconter le tableau au premier degré (par exemple, le détail précis, historique allant jusqu’à être fidèle au nombre de boutons des habits militaires représentés). Le dettaglio est, pour sa part, le résultat, la trace de l’action de celui qui « fait le détail », qu’il soit peintre ou spectateur. Ce détail, qui sera qualifié de « détail pictural » par Arasse implique une notion d’action inhabituelle dans le rapport à l’œuvre. Ici, la production de détail dépend d’une action explicite d’un sujet sur un objet. Le dettaglio peut donc être le détail plastique que constitue le coup de pinceau du peintre ou son travail sur la matière. Il appartient à l’histoire même du tableau, de l’artiste ou encore du spectateur, qui saura le voir ou non. C’est en cela que Daniel Arasse se démarque réellement des autres approches en histoire de l’art. Il travaille au cœur même du rapport de détail et du plaisir éprouvé au tableau ; « quitte à ce que l’amateur découpe matériellement le tableau, le démembre pour en obtenir comme un extrait concentré de jouissance ». Il est important de faire ces différentiations ici car elles seront intéressantes une fois mises en relation avec les arts appliqués, le design et la démarche de projet.

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2- Apologie du détail par rapport à l’ensemble. a- Importance du détail. « La plus grande partie de la vie réellement vécue consiste en détails minuscules, en expériences non communiquées et même incommunicables, que rien n’enregistre » affirme André Chastel dans son ouvrage Fables, formes, figures publié en 1978. C’est cette idée, selon laquelle l’essence de la vie quotidienne réside dans les détails, qu’appuie Arasse. Que serait le tout sans le détail, sinon une approche superficielle de l’ordre du fard ? Finalement, on ne comprend pas réellement l’ensemble si on ne s’intéresse pas au détail. Georges Perec l’illustre avec ingéniosité dans son roman La vie, mode d’emploi. Il analyse le principe du puzzle et le rapport entre tout et parties. En effet, ici, on comprend l’immeuble dans lequel se déroule l’histoire à mesure que l’on découvre chacun des appartements qui le constituent. Mais l’important est la vie que contiennent ces appartements. Chaque détail du quotidien des résidents de cet immeuble devient alors indispensable à la bonne et complète compréhension de l’ensemble. On peut donc dire, en quelques sortes, que le détail donne la vérité sur l’ensemble. Mais l’accès au détail n’est pas évident. La chose communiquée, enregistrée, comme le souligne Chastel, c’est l’ensemble. Le détail, bref la vie réelle, n’est lisible que lorsque l’on y prête réellement attention, qu’on la scrute. Pour autant, Arasse se défend d’y renoncer. b- Importance du détail en peinture. Ainsi, le détail en peinture selon Arasse, c’est l’écart par rapport aux pratiques courantes. L’auteur met au jour, dans son ouvrage, les fonctions particulières qu’a pu avoir, dans l’histoire, le détail, tant au cours de la réalisation du tableau que de sa perception. Il tente de mettre en lumière certains des mécanismes et des enjeux de ces moments privilégiés où, à travers le détail, le tableau « se lève » et « fait acte de présence ». Le détail, c’est la marque intime d’une action dans le tableau, faisant de lui-même signe à celui qui regarde et l’appelant à s’approcher. Contrairement à la vision globale, il favorise l’intimité rapprochée de la peinture, il encourage l’intelligenceet le savoir à faire silence, pour que le détail autorise « la fête de l’œil ». En peinture, on percevra différemment la notion de détail dans un tableau de Vermeer (dans lequel il pourra être soit « iconique », soit « pictural » selon Arasse) et dans un tableau d’Aurélie Nemours (dans lequel il ne pourra être que « pictural » et plastique). Certes, ces deux œuvres ne sont pas de la même époque et n’ont pas les mêmes motivations.

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Elles sont néanmoins intéressantes à comparer à travers le filtre d’Arasse et du détail. Pour reprendre sa pensée, on trouvera chez Vermeer des détails d’ordre anecdotique donnant des précisions sur l’histoire que raconte le tableau, ainsi que des détails propres à l’histoire vécue par le peintre et le tableau. Ces détails de vie pourront être, par exemple, des traces de pinceau, une façon de travailler la matière, des griffures ou des traces dues au transport ou aux expositions consécutives… En revanche, chez Nemours qui travaille l’abstraction, on trouvera essentiellement des détails « picturaux ». Ce qui flattera l’œil avant tout, c’est la découverte d’un geste précis mais manuel, imprégné d’une vie et d’une réflexion sur la couleur et les formes simples. Ici le détail réside surtout dans le vécu du tableau. c- Le détail, une notion relative à l’ensemble. Il est important de parler de cette notion de relativité, de proportionnalité du détail par rapport au tout. Communément, on associe la petitesse au détail, mais en réalité, un détail n’est pas forcément « petit ». Il est certes toujours contenu dans l’ensemble mais il peut aussi faire la même taille physique que ce dernier. L’important n’est pas forcément la taille matérielle. Selon l’échelle de l’ensemble, la taille, l’envergure et la portée du détail peuvent varier du tout au tout. Par exemple, à l’échelle de la ville, on peut considérer qu’un habitat est un détail, alors qu’à l’échelle de ce même habitat, une poignée de porte sera le détail. Pour reparler du domaine pictural, le détail d’une toile peut être son fond, au quel cas sa taille est la même que celle du tableau. Le statut de détail du fond est donc du à la hiérarchisation que l’œil opère automatiquement. Si le premier plan est plus lumineux et attirant, il prendra immédiatement l’ascendant sur l’arrière plan, ce qui placera ce dernier au rang de détail. Comme le souligne Arasse, le détail n’est détail que si le tout l’y autorise.

3- Dépasser les idées premières concernant l’inessentiel et le global. a- “Le détail insignifiant”. La « broutille », la « bagatelle », le « détail sans importance », l’inessentiel », voici le statut du détail dans l’imaginaire commun. Qu’est-ce qu’un détail sinon une partie insignifiante du tout ? Qu’est-ce que l’intérêt aux détails sinon une perte de temps, un détour inutile et nuisible à la compréhension de l’ensemble. C’est ainsi que pense la majeure partie de nos contemporains, motivée en grande partie par les théories bien ancrées

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des modernistes et de leurs précurseurs. Lorsque Daniel Arass e parle de « rejets modernes », on repense à l’invective que lança Baudelaire au peintre Horace Vernet en 1846 (citée plus haut p.5). Il y dénonce l’emploi du détail « chic » et « poncif » dans les peintures militaires de l’artiste. Le même Baudelaire s’élève environ cinq ans plus tard contre toute « l’école des pointus », dont le premier représentant est Léon Gérôme ; voici ce qu’il en dit : « Je lui reconnais de nobles qualités, dont les premières sont la recherche du nouveau et le goût des grands sujets. Néanmoins, je ne peux m’empêcher d’éprouver une résistance méfiante devant ses toiles. Gérôme masque sous l’érudition son absence d’imagination. Il substitue l’amusement d’une page savante au plaisir de la pure peinture et par ce jeu déloyal qui lui fait chercher le succès ailleurs que dans la seule peinture, il réchauffe le sujet par de petits ingrédients et par des expédients puérils ». Baudelaire glorifie alors ce qu’il appelle « le peintre de la vie moderne » qui voit « tout en nouveauté ». Le poète veut quelque chose de « barbare et d’ingénu », une « enfance retrouvée ». Il voit en cette barbarie enfantine, propre aux arts dits parfaits (africain, mexicain, égyptien…), une absence de détail : « si l’art mnémonique du peintre de la vie moderne se passe de modèle, c’est que la multiplicité de détails que ce dernier comporte paralyse la faculté créatrice ; dans sa volonté de tout voir, l’artiste est, devant le modèle, comme assailli par une émeute de détails qui tous demandent justice avec la furie d’une foule amoureuse d’égalité absolue ». Ce que pense Baudelaire, comme le penseront la plupart des artistes modernes, c’est que plus l’artiste se penche vers le détail, plus l’anarchie dans le tableau augmente. Si chacun des éléments composant le tableau est pensé séparément avec la même minutie, le message global de la toile est perdu, flou, incompréhensible. Delacroix dit également : « un bon tableau doit être produit comme un monde, il consiste en une série de tableaux superposés, chaque nouvelle couche donnant au rêve (qui a enfanté le tableau) plus de réalité et le faisant monter d’un degré vers la perfection ». Cette vision de la peinture s’oppose radicalement à celle d’Horace Vernet, qui travaille par détails successifs. Sa méthode consiste à terminer tout à fait certaines parties du tableau tandis que d’autres restent seulement ébauchées au crayon. On obtient donc une toile morcelée contenant différents degrés de finition, des détails additionnés, mais ne donnant pas de vraie cohérence au tout. Incontestablement, le rejet du détail est à l’ordre du jour dans la gestation de la peinture moderne. Daniel Arasse reconnaît lui-même l’a priori négatif qu’il avait sur la minutie, sur l’attention au détail avant de commencer son étude. Mais ce qu’il découvre dans son travail, c’est que le détail n’est pas seulement d’ordre anecdotique et juxtaposé, il n’est pas seulement serviteur du « savoir interpréter ».

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b- Distinguer l’ornement et le détail. Certes, la naissance de la peinture moderne s’accompagne de l’affirmation qu’un tableau de peinture est, essentiellement, la solution d’un problème pictural ou plastique. Mais on y retrouve, radicalisée, l’idée que la représentation du détail ne saurait être qu’un élément hétérogène au tableau de peinture, un élément anecdotique ou littéraire. Le rejet moderne du détail bute sans doute sur une acception du mot trop étroite. Les modernes n’acceptent donc pas le détail dans son sens pittoresque et anecdotique, et prônent une simplicité, une épuration. Mais c’est sans compter sur la puissance plastique et picturale du détail, celle-là même qu’Arasse dévoile. On peut mettre en parallèle le sens que les modernes donnent au détail et le sens qu’Adolf Loos donne à l’ornement. Il est indispensable de parler de ces deux termes. Si l’ornement a pour but, selon Loos, de mettre en valeur, d’embellir par juxtaposition gratuite (non justifiée par la technique ou la fonction), le détail, lui, comme l’entend Arasse doit servir l’œuvre. Il ne doit pas simplement « orner » de façon anecdotique, mais plutôt faire comprendre quelque chose de l’histoire de l’œuvre et de son créateur. D’ailleurs, lorsque Loos adoucit sa pensée et son rejet catégorique de l’ornement, il parle de la « patte » de l’artisan comme d’un élément très riche. Il reconnaît alors que le simple geste de la main du potier sur la terre est une sorte d’ornementation sur l’objet. Ainsi, cette idée selon laquelle un certain type d’ornement raconterait quelque chose de la vie de l’objet rejoint la pensée d’Arasse à propos du détail « pictural » et « plastique ». c- Le détail est bien essentiel, sens du détail. Très différent du regard lancé de loin, celui qui est posé de près, celui qui, selon Paul Klee (peintre surréaliste du milieu du XXème siècle), « broute la surface », fait affleurer comme le sentiment d’une intimité, qu’il s’agisse de celle du tableau, du peintre ou de l’acte même de la peinture. Cette idée est valable pour la peinture, bien-sûr, mais aussi pour les arts appliqués. C’est en cela que la notion de détail est indispensable, au-delà même de la problématique picturale, le détail représente la vie au travers de la création. Le sens du détail est plus fin, plus profond mais surtout plus surprenant qu’à première vue. Le détail « pictural » d’Arasse, que nous pouvons qualifier de détail de vie permet à l’artiste ou au créateur d’exprimer à travers sa production sa volonté de création, sa façon de procéder, la philosophie de son travail. Le détail donne à l’ensemble sa force de surprise. Il offre une découverte toujours renouvelée même lorsqu’on croit connaître totalement l’œuvre, l’objet ou l’espace. Il permet une vraie compréhension du tout

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doublée d’une approche personnelle, affective et basée sur l’expérience. Par cette dimension de vécu, chaque individu peut avoir une perception, une interprétation différentes de ce tout. Nous verrons plus tard dans la réflexion comment la pensée de Daniel Arasse s’appliquera au design, à l’espace et à la démarche de projet.

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Complément :

* Ce qui s’ajoute ou doit s’ajouter à une chose pour qu’elle soit complète. Appoint, annexe, appendice, greffon. * En français : mot ou proposition rattaché à un autre mot ou à une autre proposition afin d’en compléter ou d’en préciser le sens. Extrait du Dictionnaire Larousse Illustré.

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Qu’est-ce qu’un complément ? Quel message et quelle force peut contenir l’action de compléter une chose existante ? Tout dépend indéniablement de l’objet de cette action : une phrase, une peinture, une pièce de mobilier, une fonction, un espace, le complément peut avoir des sens très divers selon sa place et son objectif.

1- Le sens du complément. Il est important de citer une nouvelle fois une formule du dictionnaire car il pose les bases classiques et normées du sens du complément. Il n’appartient qu’à la réflexion de nous en éloigner, de nous faire emprunter d’autres voies, plus personnelles et sensibles. On pourra donc partir de la définition que la grammaire française fait du mot. Le « complément d’objet direct ou indirect » est un moyen de préciser le sens d’une proposition et donc d’une phrase toute entière. Nous avons précédemment vu l’importance et la force du détail dans la compréhension d’un ensemble. On pourra dire que le complément est le détail qui fait sens dans la phrase. Il est aisé de faire le lien entre détail et complément. Tous deux, lorsqu’ils sont employés et compris par celui qui les observe, précisent, interrogent, éclaircissent le sens du tout. Une différence divise pourtant ces deux termes et elle est d’ordre chronologique, temporel. En effet, le détail d’Arasse est compris dans l’œuvre dès sa gestation, dès sa production. Le complément, lui, vient s’ajouter à un élément déjà existant. Le détail est partie intégrante du tout tandis que le complément vient s’y greffer a posteriori. Tous deux sont là pour aider à l’expérience du tout ; mais le complément trouve sa singularité dans le fait qu’il intervient en aval sur quelque chose qui se doit d’être incomplet, imparfait, qui l’est devenu au cours du temps, ou qui est jugé tel quel. C’est de ce point de vue précis que nous le verrons au cours de la réflexion.

2- Questionnement de ce qui complète l’existant. a- Mise à jour, renouvellement, actualisation. Le complément est donc un moyen de revenir sur ce qui a pu devenir obsolète, sur ce qui comporte des défauts, des manques. Compléter, c’est redonner du sens à ce qui en a perdu, c’est re-préciser les choses, les détailler pour les renouveler, les mettre à jour. Le complément, comme le détail, a un lien très étroit avec le vécu des choses. C’est le vécu, c’est l’expérience et le quotidien qui dénoncent les lacunes que l’ajout vient combler.

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En chirurgie, le greffon répare les fonctions du corps qui sont endommagées par « les accidents de vie » et par le temps qui passe. Il s’ajoute au corps pour qu’il soit de nouveau « complet ». Le complément peut être, à l’instar du greffon chirurgical, un complément que nous qualifierons de « réparateur ». Mais il peut également s’exprimer sous la forme d’un apport de totale nouveauté. Non plus le remplaçant, le substitut d’une fonction détériorée, mais bien le générateur d’une nouvelle originalité, ouvrant à d’autres possibilités de lecture ou d’usage. Ainsi, il possède une réelle force d’expression face à l’existant sur lequel il se greffe. b- Forces et limites du complément vis-à-vis de l’existant. En effet, l’action de compléter peut être qualifiée d’action créative, contrairement à l’idée que tout un chacun s’en fait à première vue. Cette force d’expression qu’acquiert le complément lorsqu’il devient création, nouveauté, lui permet de transformer, de transporter, de remettre en question l’existant. La remise en cause de l’existant, voici ce qui constitue à la fois l’une des grandes forces du complément et l’une de ses plus sérieuses limites. Le rôle du complément est avant tout de remplacer ou d’ajouter du nouveau et par la même de poser des questions, de faire évoluer fondamentalement l’existant. Or, cela demande un dosage sensible entre critique constructive et dénonciation, ainsi que dans la place accordée au complément. Il ne s’agit aucunement de « recouvrir » entièrement l’existant, ce qui reviendrait à l’annihiler. Il faut mettre à jour et questionner, non remplacer en totalité. L’existant et le complément doivent tous deux une force de présence, l’ajout ne doit pas « coloniser » l’existant jusqu’à effacement. Dans ce cas extrême, le complément ne se trouverai plus justifié en tant que tel et perdrait son sens. On peut synthétiser cette idée : le complément subsiste grâce à l’existant et l’existant revit par le complément. Cette pensée sera concrètement développée plus loin, lorsque nous aborderons le projet du point de vue des arts appliqués.

3- Question de l’achèvement d’une création. La réflexion sur le complément dans la création, sur le greffon et l’ajout mène irrémédiablement à la question de l’achèvement d’une création ou d’une œuvre. Le complément de création est-il légitime ? Une création est-elle terminée à un moment ou à un autre de sa vie ? A-t-on le droit de revenir sur la création d’un autre, de la discuter, de la compléter ?

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a- En Art. La pensée exposée plus haut, met en exergue le fait que le complément est un moyen de mettre à jour, de renouveler et de remettre en cause l’existant tout en le préservant. Mais ancrons le sujet dans du concret. Prenons en exemple le domaine artistique, dans lequel nous avons travaillé en amont. Avant même de faire l’apologie de ce qui complète, nous devrions nous demander s’il est possible de compléter une œuvre d’art. A première vue, on suivra l’avis du philosophe Michel Onfray présenté dans son ouvrage Antimanuel de philosophie publié en 2001. L’auteur nous y explique que la transformation de l’objet d’art, contrairement à celle de l’objet du quotidien, a une fin. L’œuvre d’art est terminée lorsque l’artiste le décrète. Elle est universelle et éternelle nous dit Onfray. C’est ce qu’a compris Marcel Duchamp lorsqu’il expose en 1917 un urinoir choisi parmi des centaines d’autres, toutes semblables, dans une fabrique de sanitaire qui les manufacture en série. Une seule chose distingue cet urinoir devenu célèbre dans le mode entier d’un autre produit de la même usine mais utilisé à ses fins habituelles : la signature. C’est elle qui donne fin à l’étape de création. A partir de là, la pissotière est un œuvre d’art et est considérée comme telle. Exposée, elle ne servira pas, ne changera pas, ne sera jamais réajustée ; l’éternité de l’objet d’art est donnée à l’objet banal par une action qui prouve et arrête la création. Si l’œuvre d’art est figée dès la fin de son processus de création, le complément ne peut s’y développer. Mais qu’en est-il de la restauration des œuvres d’art ? Serait-ce un acte similaire à celui de compléter dont nous parlions plus tôt ? La restauration est bien un renouvellement, un rajeunissement de l’ancien ou de l’existant détérioré. Mais c’est une copie parfaite, qui ne remet jamais en question l’œuvre elle-même. Il semble donc que l’œuvre d’art n’évolue plus après sa période de gestation première. Elle n’offre ainsi pas de place au complément. b- Dans les Arts Appliqués. Les arts appliqués, à ce terme tronqué correspond celui-ci plus claire : les arts appliqués à l’industrie. Apparus à la fin du XIXème siècle, en pleine révolution industrielle, les arts appliqués sont basés sur l’association de l’esthétique des arts majeurs (beaux arts, peinture, sculpture) et de l’intérêt de la fonction et de la technique des arts mineurs (architecture, artisanat d’objet). Cet alliage sensible permet une production en série d’objets pensés et dessinées pour être à la fois pratiques et beaux. Ces objets du quotidien sont des « objets de vie », des objets d’usage. Ils évoluent avec leurs utilisateurs, s’ajustent, s’usent, existent par et pour l’homme. En cela,

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ils ne sont pas figés dans le temps, ils « servent », se jettent et deviennent obsolètes. Là, l’intervalle dédié au complément est trouvé. De par sa dimension temporelle (en opposition à l’art intemporel), l’objet du quotidien, celui des arts appliqués répond au complément. Celui-ci peut alors jouer son rôle réparateur, révélateur et créatif. En entrant un peu plus dans le projet, nous allons comprendre comment le détail et le complément peuvent concrètement alimenter le quotidien en surprises et en expériences esthétiques et fonctionnelles.

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Complètements urbains ! est le titre choisi

pour ce projet qui parle des notions de détail et de complément en design et plus précisément en design urbain. Voyons quel peut être le rôle du design dans l’urbain et quelle force réside dans le choix de ce contexte pour ce projet.

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1- Le détail en design (application de la réflexion d’Arasse au design). a- Pourquoi traiter le détail en design ? Le travail de Daniel Arasse sur le détail nous éclaire grandement pour ce qui est de la peinture. Qu’en est-il de la question du détail en design ? On sait que le design est aujourd’hui un mot utilisé en toutes circonstances. Nous parlerons ici de ce qui nous incombe, le design d’objet. C’est celui-là même qui est né avec le terme d’arts appliqués. Celui qui se doit de concevoir pour le plus grand nombre des objets fonctionnels et esthétiques. L’objet de design n’est pas comme l’objet d’art, c’est une chose du quotidien, que l’usager doit éprouver. Il possède une qualité fonctionnelle que n’a pas l’objet d’art, qui lui n’existe que par sa force esthétique et sémantique. La fonction, c’est ce qui a trait à la vie. C’est ce qui concerne l’usage des choses. Pourtant, on se souvient que Daniel Arasse parle dans Le Détail d’une façon de vivre, d’éprouver l’œuvre d’art par le détail. Plus loin, il précise en appelant ces détails que l’on peut vivre, les « détails picturaux ». Ce sont ceux qui ont été générés par l’histoire propre à l’œuvre, à l’artiste, et au spectateur ; ce sont les détails plastiques, traces, défauts, griffures qui sont apparus sur l’œuvre depuis sa période de création jusqu’à sa perception par le spectateur. Il y aurait donc un usage des œuvres d’art, une dimension de vécu à travers l’attention au « détail pictural ». C’est cette notion de « détail pictural », que l’on retrouve dans le design. On ne pourra évidemment pas employer ce terme ici bien que la surface d’un objet ait peut-être quelque chose à voir avec la surface d’une toile peinte. Mais le détail en design est réellement lié au vécu de l’objet. D’une part, l’usage de l’objet est générateur de détails. En effet, des détails de déformation, d’usure, de griffure, de dépigmentation apparaissent à mesure que l’on utilise un objet. Il est d’ailleurs intéressant de noter le rapport étroit entre usage (la fonction) et usure (le temps). D’autre part, en design, chaque détail doit être pensé et dessiné pour remplir les qualités fonctionnelles, techniques et esthétiques propres à l’objet. L’objet est en fait une mécanique de détails qui doit être bien huilée pour fonctionner. Il faudra encore une fois ne pas confondre l’ornement que dénonce A.Loos dans son Ornement et crime de 1908 et le détail. Par exemple, on dira que les réalisations du Bauhaus, école allemande fondatrice de la conception moderne des arts appliqués, qui étaient dans une recherche de simplicité dénué d’ornement, étaient pourtant loin d’être privées de détails. L’attention au détail en design est bien à la fois fonctionnelle, technique et esthétique. C’est pourquoi il est intéressant et même indispensable de penser au détail en design.

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b- Que deviennent ici les détails “iconiques” et “picturaux” ? On vient de voir comment se traduisaient les détails « picturaux Le design doit être à la fois un travail d’attention au détail et à l’ensemble. Baudelaire condamne pour la peinture « la manière pédante où chaque partie semble vouloir se montrer d’elle-même ». Ce concept d’homogénéité dans la création est d’autant plus fondamental en design puisqu’il y est question d’objets fonctionnels, qui sont voués à la manipulation, à l’utilisation. c- Le détail ne doit pas desservir l’ensemble. Le travail du détail comporte en design comme en peinture des dangers. Le principal est celui soulevé par Baudelaire dans Le Salon en 1846. Ce qu’il met au jour pour la peinture, c’est que le détail ne doit pas desservir le tout que forme le tableau. Il doit être pensé dans une notion de cohérence et de simultanéité avec l’ensemble de la toile. C’est la technique de Delacroix qui s’oppose à celle d’Horace Vernet. Cette idée est tout aussi valable en design. Certes, il est important de prêter toute l’attention au détail mais ceci doit être fait dans un esprit de cohésion globale. Un objet dont tous les détails techniques, fonctionnels et esthétiques sont travaillés séparément avec la même minutie, ne pourra être qu’un objet pâle, dénué de sens global. Compléter, c’est à la fois parfaire un objet dans la fonction, l’estime, l’univers et l’imaginaire. Cela peut être aussi, comme dans le cas du collectif Compléments d’objets un acte presque manifeste. Dans le projet, on considère le complément comme un moyen d’enrichir l’objet, de le faire voyager dans des imaginaires différents de celui qui lui est propre, de le rendre plus adapté et plus « actuel » dans ses fonctions. Le complément est ici l’occasion de ne pas accepter forcément, sans rien y changer, l’objet existant. Il montre combien l’objet quotidien est différent de l’œuvre d’art et combien il est important de le faire évoluer. Le designer ne doit pas être ce « créateur tout-puissant » qu’est le peintre ou le sculpteur et qui est le seul à avoir un droit sur ses œuvres. Il doit accepter de créer « pour les autres ».

2- Le complément en design. Le projet de design doit donc prêter une grande attention au détail, tout en ne perdant pas de vue la cohésion de l’ensemble. Mais le principe qu’il met en application est, avant tout celui du complément.

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a- Ce qui est impossible en Art est possible en design. Comme nous l’avons évoqué auparavant, l’œuvre d’art n’accepte pas la notion de complément du fait qu’elle possède une fin, un achèvement. On ne peut pas revenir sur un objet d’art pour l’améliorer, ni le remettre en question autrement que par la parole. En revanche, les arts appliqués autorisent l’action du complément, ils la stimulent même. La dimension même d’usage de l’objet du quotidien appelle à l’évolution, à la mise à jour, à l’amélioration, à la critique. On pourra encore dire que l’objet des arts appliqués qui n’évolue pas est voué à la triste obsolescence. Le remettre à jour par le complément, c’est lui donner à nouveau un sens aux yeux de l’usager. C’est réanimer son intérêt pour l’objet, le faire à nouveau correspondre aux besoins actuels, aussi bien en terme de fonction, qu’en terme d’image. b- Que compléter ? La fonction, l’estime, l’univers, l’imaginaire. Compléments d’objets, c’est le nom que s’est donné un collectif de designers danois dont l’objectif est de combler les fonctions manquantes des objets du quotidien dans l’habitat. Ils travaillent principalement sur des objets auxquels il manque une fonction qui pourtant permettrait leur usage. Leur travail montre à la fois la capacité de mise à jour du complément et sa force de dénonciation. En effet, ces designers ont soigneusement choisi les objets sur lesquels ils sont intervenus. Pour exemple, ils montrent du doigt les lacunes d’objets devenus des icônes du design pour leur simple qualité esthétique. Le Juicy Salif, presse-citron de Philippe Starck en est un des exemples les plus probants. Cet objet ne rempli qu’à moitié sa fonction car il presse l’agrume, certes, mais le jus en coule à côté du verre et les pépins avec. Compléments d’objets n’hésite alors pas à casser l’image du créateur « tout puissant » qu’est Starck et ajoute au presse-citron un réceptacle pour canaliser le jus et récupérer les pépins. On voit donc ici la capacité du complément à critiquer l’existant et à l’améliorer.» de Daniel Arasse en design. Ils correspondent à la notion d’usage et se manifestent de deux façons. Tout d’abord, ils sont présents dans le vécu de l’objet et dans son usure ; puis on les retrouve également dans l’attention portée à chaque partie d’un objet afin qu’il soit « bien conçu », à la fois d’un point de vue fonctionnel, esthétique et technique. Mais Arasse souligne dans son ouvrage la présence d’un détail « iconique », plus courant en peinture qui n’est autre que le détail anecdotique, symbolique, celui qui renseigne sur l’histoire que raconte le tableau. Ce détail est plus rare et plus effacé en design mais il est bien présent. Cette fois-ci on le retrouvera peut-être dans ce que Loos entend par ornement. C’est un élément de l’objet qui n’est pas du tout lié à la fonction et qui met en valeur l’objet par juxtaposition pour sa qualité esthétique. C’est le détail « qui fait image », qui fait appel au savoir et non au vécu. On le

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retrouve par exemple dans les productions de l’Art nouveau français, au début du XXème siècle. L’Art nouveau de l’école de Nancy raconte le naturel de façon descriptive et anecdotique. Il stimule le savoir botanique et non l’expérience du lieu ou de l’objet. L’emploi de ce type de détail ne dessert-il pas l’objet dans ses qualités propres ? c- Dangers et “gadgetisation”. Tout comme l’attention au détail, l’usage du complément doit avoir des limites dans le cadre du projet. On fera attention à ne pas desservir l’objet noyau, l’objet existant en le complétant. Le complément ne doit, en aucun cas, voler sa place à l’objet de base. S’il advient que l’on ne voit plus l’existant sous le complément, l’intervention perd son sens. Si l’on veut que l’opération fonctionne, il faut que le complément soit totalement justifié. Il se doit de ne pas être gratuit auquel cas il s’expose à devenir un « gadget » hors de propos. L’objet complément doit avoir une raison d’être en concordance avec le tout. Il ne doit pas pouvoir exister sans l’objet noyau ; il doit se justifier par rapport à ce dernier. Cette réflexion tient une place importante dans la démarche du projet. C’est elle qui légitime et cadre le travail créatif.

3- Application à l’urbain. Complètements urbains ! est le titre choisi pour ce projet qui parle des notions de détail et de complément en design et plus précisément en design urbain. Voyons quel peut être le rôle du design dans l’urbain et quelle force réside dans le choix de ce contexte pour ce projet. a- L’urbain, support de réflexion concret. En premier lieu, le projet se situait dans l’habitat qui apparaissait comme étant un contexte porteur pour ce qui est de la vie au quotidien. De plus, il avait déjà été exploré à plusieurs reprises par des créateurs de compléments comme le collectif Compléments d’objets. Ce cadre semblait donc rassurant pour la recherche en design. Pourtant, une fois engagé dans ce travail, on se confronte rapidement au fait que l’habitat est un lieu que les designers exploitent souvent et qui est, aujourd’hui, trop dépourvu de contraintes. La contrainte est pourtant ce qui permet de créer avec inventivité tout en tenant compte des exigences de l’humain. C’est pourquoi le projet s’ancre dans le cadre urbain, un milieu à grande échelle dans lequel les contraintes sont omniprésentes et fixent un cahier des char-

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ges précis. Si le travail dans l’habitat peut déboucher facilement à une « gadgetisation » du complément (évoquée plus haut), celui qui prend pied dans l’urbain se doit d’être efficace et réaliste. La ville est un support de réflexion très concret. C’est le lieu d’une vie ardente, parfois violente qui est génératrice de contraintes intéressantes à prendre en compte en design. Mais c’est aussi le lieu d’une poétique particulière, faite d’attentions minimes dans un univers gigantesque, d’habitudes de quartier et de civilités. Par ces qualités, l’urbain guide le projet et le nourrit à la fois en poétique et en fonctionnalité. b- Rapport au détail et au global dans l’urbain. Cette poétique urbaine peut être vue sous l’angle du détail. La notion de détail est tout à fait intéressante dans le milieu urbain. Quel est le plaisir de la rue, de la place ? Voir un détail dans une ville, c’est habiter la ville, c’est être attentif à tout ce qui fait la ville : un magasin, un passant, une dispute, un banc délaissé, une gourmandise dans une vitrine, l’ombre d’un arbre… On a plaisir à voir, plaisir à habiter une ville, à donner un sens aux formes du lieu, à la vie urbaine, au mouvement humain. Se promener dans la ville, c’est épouser un lieu, consentir à l’abandon de soi-même, en stimulant notre imaginaire. Le détail urbain, c’est donc ce qui motive la découverte, l’expérience de la ville. L’espace public n’est pas un simple lieu de passage auquel on ne ferait pas attention. C’est cette idée vers laquelle tend le projet : le design devient créateur de détail urbain. Le rapport au détail et au global dans l’urbain se retrouve également dans les masses. Les foules urbaines, immenses et, à première vue, impersonnelles sont composées d’unités. L’espace public doit donc être pensé comme un espace social dans lequel il existe un réel plaisir de la foule. Celle-ci apparaît comme un spectacle et nous rappelle que nous vivons avec d’autres. On éprouve alors le plaisir d’une relation qui n’est pas fusionnelle avec les autres mais qui est de l’ordre de l’urbanité. Comment le design peut-il cultiver le plaisir de la foule et des détails urbains ? c- Quel sens pour le complément urbain ? Le complément urbain, c’est ainsi que le projet définit le moyen de créer du détail dans la ville. Le design intervient donc ici sur le mobilier urbain et les éléments architecturaux existants de certains quartiers. Sur le principe du greffon, du complément, on vient redéfinir des îlots urbains en contradiction avec les phénomènes de flux et de réseaux qui se développent de plus en plus. Des centralités urbaines, mettant en scène une vie mêlant l’attention au détail et la poétique urbaine. Le complément urbain doit répondre aux attentes du passant, du promeneur, du rêveur ou du gourmand… Prenant place sur un mobilier urbain normalisé, qui est le même dans toute la ville, il vient donner un

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quelque chose de plus, peut-être réveiller l’attention des gens pour qu’ils soient toute ouïe à « l’appel de la ville ». Le complément joue donc un rôle d’innovateur en terme de fonction, d’esthétique du mobilier mais aussi en terme d’expérience urbaine. Cette dimension réside dans l’impact que l’ajout a dans le paysage. Le travail sur le rythme, la multiplicité, l’unité et la couleur s’inscrit dans l’idée d’une scénographie urbaine, d’une mise en scène qui bouscule une vision préétablie de la ville.

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Conclusion

Ce travail sur le détail et le complément nourrit et enrichit le projet de design. Le petit détail sans importance, insignifiant, la bagatelle, la bêtise, la broutille… sont des termes que la réflexion démonte. Le « détail pictural » de Daniel Arasse nous éclaire sur l’importance et la dimension de vie du détail en peinture. On voit que cette pensée est parfaitement adaptable aux arts appliqués. Le détail est indispensable à la compréhension et à la cohérence du tout. Le complément, quant à lui, vient parfaire l’existant tant aux niveaux fonctionnel, esthétique, technique ou sémantique. Il prouve que le design est un domaine qui doit accepter la remise en cause de ses formes, de ses usages et de ses codes. Pas de « créateur tout-puissant » en design, c’est un travail altruiste qui doit évoluer avec l’homme et ses besoins, bref avec la société. Se jouant des préjugés, le travail du designer cherche à redonner ses lettres de noblesse à la réalité quotidienne. Par une action sur le mobilier urbain, le greffon rend à la ville sa capacité à surprendre, sa force esthétique et poétique. Celui qui se promène redécouvre une expérience du lieu, accompagnée d’un plaisir à éprouver l’objet urbain. Grâce à cette « scénographie urbaine », le citadin attentif est invité dans un parcours, dans une promenade, ponctuée par les compléments.

« L’échelle des voies de circulation et des bâtiments mute. Mais de Paris à Londres, de Vienne à Barcelone, on s’attache à réaliser des espaces publics. Et partout, subsiste un rapport aux lieux, une échelle d’urbanité, une forme d’identité urbaine, de ville, si vous voulez. En dépit des terminologies en usage, nous avons désormais quitté l’époque des métropoles pour nous engager, depuis approximativement les années soixante, dans l’ère de l’aménagement réticulé ». Propos de Françoise Choay, théoricienne de l’urbain - De la ville à l’urbain - 1999.

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Citées ou non dans le mémoire, ces références alimentent l’imaginaire et la réflexion du projet de différentes façons.

Bibliographie : Histoire de l’architecture et de l’urbanisme modernes (T.3, De Brasilia au post-modernisme, 1940-1991), Michel Ragon 1986, Ed. Points Essais. Ornement et crime, Adolf Loos 1908, Ed. Rivages poche / Petite Bibliothèque. La vie, mode d’emploi, Georges Perec 1978. Le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture, Daniel Arasse 1992, Ed. Flammarion. Ecrits sur Starck (à l’occasion de l’exposition Philippe Starck en 2003, critique du travail du designer) 2003, Ed. Centre G.Pompidou. Antimanuel de philosophie, Michel Onfray 2001, Ed. Bréal. Intramuros n°93-94 2000. De la ville à l’urbain, Propos de Françoise Choay 1999. Objets Publics, Exposition au Pavillon de l’Arsenal 2004, Ed. du Pavillon de l’Arsenal.

Filmographie : Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, Jean-Pierre Jeunet (Présentation des personnages : « elle aime, elle n’aime pas… », 3’16’’ - 4’38’’ et 9’30’’- 13’28’’). 2001, TF1 Vidéo Edition.

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philosophie_détails et compléments dans la création.

arts appliqués


p.7

Introduction

p.9 p.11 p.11 p.11 p.12 p.12 p.15 p.15 p.17 p.17 p.17

I. Compléments urbains... (cadre)

p.19 p.21 p.21 p.21 p.23 p.23 p.25

II. Compléments d’objets... (moyen)

p.29 p.31 p.31 p.31 p.31 p.33 p.33 p.33

III. Complétements urbains ! (pistes et enjeux)

p.35

Conclusion

1- Pourquoi l’urbain ?

a- L’urbain, fournisseur de contraintes. b- Lieu de vie intense.

2- Que compléter ici ?

a- Objets. b- Espaces. c- L’action du complément.

3- Le complément, créateur de centralités urbaines. a- Centralité urbaine ? b- Comment le complément peut intervenir ici ?

1- Le sens du complément d’objet ?

a- Une profondeur sémantique principale. b- La multitude des possibles.

2- Travaux existants (quelques exemples de ces possibles). a- Dans l’habitat. b- Dans l’urbain, constat d’un manque.

1- Le complément a posteriori

a- L’îlot urbain colonisé. b- L’aspect saisonnier. c- Un laboratoire sur l’aspect évolutif du mobilier urbain.

2- Le complément a priori

a- Cahier des charges pour un travail en amont. b- Un mobilier urbain évolutif et créateur de centralités urbaines.

Références (cf.partie philosophie_détails et compléments dans la création) p.37

Remerciements

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Introduction

Après avoir posé et verrouillé les grandes notions qui font le projet, il est désormais indispensable d’en préciser les objectifs concrets. Ainsi, Complètements urbains ! est un travail qui aborde la notion de complément d’objet, connue aujourd’hui dans le design grâce, notamment, aux travaux de Dominik Harborth et Jörg Adam, designers berlinois dont le collectif est lui-même nommé Compléments d’objets. Si ces deux designers « réparateurs de fonctions » ont travaillé au sein de l’habitat, comme beaucoup d’autres, le projet ici exposé s’ancre, pour sa part, dans le milieu urbain. Mais pourquoi travailler le complément, le greffon, dans le cadre mouvementé, intensément vivant et parfois hostile de la ville ? Quel but cette démarche peut-elle bien avoir ? Quelle utilité pour le complément d’objet en ville ? C’est ce que nous tenterons d’explorer en premier lieu. Afin de préciser le sens global du complément d’objet, il faudra ensuite voir quelle est la force sémantique de cette démarche de création. Pour ce faire, il sera bon de présenter et d’analyser différents travaux et approches de designers concernés par le thème du greffon ou du complément. Pour terminer ce travail et pour introduire une discussion future, nous expliquerons les voies et les modes opératoires choisis pour traiter le thème du greffon dans l’urbain et quelles sont les raisons de ces choix. Suivant une démarche de création précise, le projet tentera de donner à l’urbain une nouvelle force de surprise, une nouvelle vigueur esthétique et fonctionnelle.

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Le complément d’objet comme moyen

de renouveler les fonctions, l’image, la scénographie des îlots urbains... Comment faire évoluer la ville dans le temps en fonction de la façon dont elle est vécue par les usagers, en fonction des saisons, des évènements ou des nouveaux besoins ?

(cadre)

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1- Pourquoi l’urbain ? Il est indispensable pour la bonne compréhension du projet de commencer cette présentation en le situant, en lui définissant un cadre et en expliquant son choix. a- L’urbain, fournisseur de contraintes. Le projet met donc en jeu le complément d’objet dans un milieu qu’il a encore peu exploité dans le cadre d’une démarche conceptuelle globalisante : la ville. Ce choix de contexte est, avant tout, dû à la présence dans l’urbain d’un élément indispensable au design, la contrainte. Il faut avouer (cf. partie philosophie III/3/a) que le projet se situait initialement dans l’habitat. Mais à la vue des toutes premières recherches produites, l’habitat, parût être un contexte trop vague et aujourd’hui trop dépourvu de contraintes concordantes et collectives (donc objectives) pour faire l’objet d’un travail innovant sur le complément d’objet. Nous verrons plus loin que l’habitat est aussi le cadre le plus exploité par les designers contemporains qui ont traité, de près ou de loin, le thème du greffon. Mais ce choix du cadre urbain confère au projet un réalisme et une vraie justification. En effet, la ville est un milieu à grande échelle dans lequel les contraintes sont omniprésentes et fixent un cahier des charges précis. Quand le travail dans l’habitat peut déboucher facilement à une « gadgetisation » du complément, celui qui prend pied dans l’urbain se doit d’être efficace et réaliste. La ville est un support de réflexion très concret. Bien sûr, l’habitat est le lieu d’une vie quotidienne fourmillant d’attitudes fonctionnelles très tangibles ; mais l’urbain en héberge certaines qui sont bien plus cartésiennes (protéger de la pluie, éclairer les trottoirs, s’asseoir, protéger les passants des voitures...). Ainsi, grâce à ces contraintes, il est plus aisé d’élargir le rôle du simple complément d’objet, risquant de devenir gadget, à celui d’un complément de service qui prendra en compte la réalité d’un milieu urbain changeant. Alors que la plupart des productions de compléments pour l’habitat aboutissent à une accumulation d’objets se complétant les uns les autres et ne trouvant parfois plus de réelle justification, le milieu urbain permet de travailler de vraies fonctions tout en réfléchissant à l’impact esthétique et sémantique du complément sur son noyau et sur la ville. b- Lieu de vie intense. Le cadre urbain fournit donc au design les contraintes nécessaires à l’élaboration d’un cahier des charges très précis. C’est le lieu d’une vie ardente, parfois violente qui est génératrice de problématiques intéressantes à prendre en compte en design. C’est aussi cette vie intense que

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le projet va rencontrer. Faite de flux, de réseaux, de stations, de pauses, de masses et d’unités, la vie urbaine présente une richesse aussi bien en terme de fonctions qu’en terme de poétique. La poétique urbaine, c’est probablement être attentif à la ville, la regarder, la vivre, l’arpenter, bref, l’habiter. Le projet s’inscrit aussi dans cette idée de vivre la ville avec toute l’attention du corps et de l’esprit. Le complément urbain, c’est ainsi que nous l’appellerons, remplit donc aussi un rôle démonstratif vis à vis de la ville. Il faut qu’il soit bien compris en tant que greffon mais ne doit en aucun cas « cacher la ville », bien au contraire, il doit tenter de révéler ce lieu riche et rythmé. C’est là que le complément trouve sa justification dans l’urbain. D’une part, il doit apporter une nette nouveauté en terme de fonction et d’image et donc avoir une identité propre et forte. D’autre part il ne doit pas dissimuler le noyau* sur lequel il se greffe, celui-là même qui lui permet d’exister. Ici, les noyaux sont de divers types, mobiliers urbains, éléments architecturaux, mais surtout la ville elle-même, son ambiance, son esthétique, son activité, sa vie. C’est cela que les greffons produits se devront de mettre à jour, de renouveler sans détruire ni cacher.

2- Que compléter ici ? La question du noyau est importante. Le complément est un élément venant se rapporter sur un noyau existant, se greffer sur celui-ci, le remettre à jour, l’actualiser, le discuter ou encore l’approuver. Pour exister, le complément a donc besoin d’une base, d’un terreau sur lequel il peut, en quelques sortes, se développer. Mais quels peuvent être, dans le cadre urbain, ces noyaux ? a- Objets. La ville offre une grande variété de noyaux à compléter. Parmi ces éléments de base, considérés comme pérennes, il y a les « objets urbains ». En clair, ce sont les pièces de mobilier urbain, qui équipent les rues, places et squares des villes : bancs, lampadaires, poubelles, abris, plots de séparation... Ils répondent tous à des besoins de base, profondément fonctionnels et contribuent aussi à définir un « paysage urbain ». Ces mobiliers sont bien souvent réfléchis en terme de fonction et tentent, en général (parfois en vain), de cultiver l’esthétique de la ville. Ils sont pensés avec des objectifs précis : être efficaces dans un maximum de scénarios d’usage, résister à la vie mouvementée de la ville, être fixes (donc non modulables). C’est contre ce caractère « figé » du mobilier urbain existant que se positionnent les compléments. Les greffons auront pour rôle d’actualiser le mobilier et de d’activer l’intérêt des usagers pour un équipement urbain « du moment ». Car si le mobilier urbain est le même à toute saison * Notons au passage que nous parlerons à maintes reprises dans le travail de noyaux (qui reçoivent) et, donc, de compléments (qui ajoutent, étoffent).

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et dans toute circonstance, il n’en va pas de même pour les besoins du citadin. b- Espaces. Le mobilier urbain est donc le principal point d’accroche des compléments que le projet génère. Mais pour parler de compléments urbains, il faut aussi parler en terme d’espace. On ne peut intervenir dans la ville (ou même en général dans un cadre qui engage le terme de paysage) sans se préoccuper de l’impact des objets dans l’espace. Rythmes, résonances, couleurs, ambiances, il faut prêter à ces notions une immense attention afin d’aboutir à une cohérence global et de faire passer le message. Là, on peut parler de « scénographie urbaine », de mise en scène de la ville, des quartier, des îlots. On parlera plus loin de l’importance dans le projet de cette notion d’impact du design sur l’espace urbain. L’espace peut aussi, tout comme le mobilier, être le noyau nécessaire à la mise en place de compléments. En effet, escaliers, murs, trottoirs sont autant d’éléments architecturaux pouvant faire émerger de nouvelles fonctions et pouvant être transportés dans des univers esthétiques différents du leur. Mais quelles sont les notions sur lesquelles le greffon peut intervenir dans l’urbain ? Dans quelle mesure peut-il transformer, faire évoluer l’urbain ? c- L’action du complément. (cf. partie philosophie II/définition du complément) Le complément est un moyen de revenir sur ce qui a pu devenir obsolète, sur ce qui comporte des défauts, des manques. Compléter, c’est redonner du sens à ce qui en a perdu, c’est re-préciser les choses, les renouveler, les mettre à jour. C’est apporter une nouveauté à l’existant pour qu’il soit « complet » et corresponde à des exigences changeantes. Cette nouveauté peut être d’ordre fonctionnel lorsque l’on vient, par exemple, ajouter un confort supplémentaire ou un autre usage à un mobilier urbain de base. Mais le changement que le complément provoque peut aussi être d’ordre esthétique, il peut modifier l’image qu’un mobilier ou qu’un élément architectural dégage. Il peut, par là même, agir sur l’estime attachée par l’usager au mobilier en question, sur l’univers auquel il fait référence ou encore sur l’ambiance globale de la rue ou de la place dans laquelle il se trouve. Il est alors perçu comme un signe (aspect), par extension comme un signal (service) ou encore comme une signature (identité). En fait, le projet présente le complément comme le générateur de nouvelles originalités, ouvrant à d’autres possibilités de lecture ou d’usage. Ainsi, il possède une réelle force d’expression face à l’existant sur lequel il se greffe. Pour autant, il ne doit, encore une fois ne pas prendre le dessus sur son noyau, auquel cas il n’aurait plus de raison d’être. 15.


3- Le complément, créateur de centralités urbaines. Mais entrons plus au coeur du projet et voyons quel est le but précis du complément urbain ici. a- Centralité urbaine ? Le projet Complètements urbains ! s’inscrit tout à fait dans la pensée exposée par Françoise Choay, théoricienne de l’urbain (citée dans la partie philosophie/Conclusion). Celle-ci souligne que la ville contemporaine grandit et ses bâtiments, ses axes, sa population la suivent. Dans une époque de mobilité, de réseaux et de flux, il est important de conserver « un rapport aux lieux, une échelle d’urbanité, une forme d’identité urbaine ». Cette identité urbaine est une sorte de pause, même infime, où l’on observe, où l’on vit la ville à échelle humaine. L’espace urbain doit donc ménager des lieux où l’activité est autre, plus attentive aux besoins des citadins (hormis les besoins rattachés aux réseaux) et à l’entretien d’une « échelle d’urbanité ». Ces lieux seront appelés ici zones de centralités urbaines, c’est-à-dire, des places, des squares, ou des rues ayant une force d’attraction pour les citadins désirant se poser une minute, flâner une après-midi, rêver ou discuter une heure... b- Comment le complément peut intervenir ici ? C’est là que les compléments urbains prennent tout leur sens. En s’ajoutant à des mobiliers parfois pâles et aux fonctions soit obsolètes, soit incomplètes, ils vont créer des points d’attraction surprenants et peut-être générer un nouveau regard sur la ville. Le design intervient donc ici sur le mobilier urbain et les éléments architecturaux existants de certains quartiers. Sur le principe du greffon, du complément, on vient redéfinir des îlots urbains en contradiction avec les phénomènes de flux et de réseaux qui se développent de plus en plus. Des centralités urbaines, mettant en scène une vie ponctuée par de nouvelles fonctions et un nouveau paysage urbain dans lequel on identifie aisément le complément. Prenant place sur un mobilier urbain normalisé, qui est le même dans toute la ville, il vient donner un quelque chose de plus, peut-être rendre les gens plus attentifs à leur ville et aux autres. Le complément joue donc un rôle d’innovateur en terme de fonction, d’esthétique du mobilier mais aussi en terme d’expérience urbaine. Il engendre une scénographie urbaine, une mise en scène qui bouscule une vision préétablie de la rue, du quartier, de la ville.

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« Les compléments d’objets ou complices trouvent un sens dans leur rôle d’ajout et deviennent indissociables de l’objet initial. ». Dominik Harborth_interview pour Intramuros en 2000.

(moyen)

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1- Le sens du complément d’objet. a- Une profondeur sémantique. Sous l’intitulé « Compléments d’objets », l’exposition de Jörg Adam et Dominik Harborth, deux jeunes designers berlinois, présentée en 2000 à la biennale du design de St-Etienne, relevait d’une analyse critique sur l’insuffisance de fonctionnement de nombreux objets existants dans le commerce. Ils ont, en quelques sortes, théoriser ce que d’autres pratiquaient peut-être déjà sans le formuler. « Les compléments d’objets ou complices trouvent un sens dans leur rôle d’ajout et deviennent indissociables de l’objet initial » explique Dominik Harborth lors d’une interview pour Intramuros en 2000. Le complément d’objet est donc un « objet greffon » venant s’ajouter à un produit déjà existant. Il trouve sa singularité dans le fait qu’il intervient en aval sur quelque chose qui est incomplet, imparfait (dans le cas où le complément contribue à parfaire le noyau), qui l’est devenu au cours du temps, ou qui est jugé comme tel. Les compléments d’objets précisent, interrogent, éclaircissent ou même discutent le sens de l’existant. Lorsque l’on travaille sur ce type d’objet, il est important de souligner qu’ils forment un mode de création à part entière en design. Ayant un statut réel d’objets, les compléments ne sont pas de pâles gadgets s’appuyant sur l’existant. Pour aller plus loin, ils s’inscrivent même tout à fait dans la conception du design comme quelque chose qu’il est possible de renouveler, de discuter, de mettre à jour. b- La multitude des possibles. Dans la production de Jörg Adam et Dominik Harborth, le complément intervient à la fois comme un objet réparateur et optimisant ; il est vu ici comme un complément réparateur de fonction. Mais l’approche de ces deux designers n’exploite peut-être pas toutes les qualités du complément d’objet. En effet, plusieurs autres travaux, que nous verrons plus en détail par la suite, montrent que les compléments peuvent avoir des influences très variables sur leurs supports. Certes, ils peuvent servir de réparateurs de fonction, mais ils peuvent aussi être des moyens pour métamorphoser l’esthétique, la fonction ou bien l’univers rattachés à l’existant. Ils peuvent être parasites, perturbateurs, dénonciateurs ou encore révélateurs. Les futurs compléments d’objets seraient-ils moins des objets complétant un manque, que des stratégies mises en oeuvre pour améliorer les produits (dans leurs valeurs fonctionnelles, esthétiques et d’estime) ? Pourraient-ils devenir des compléments de services, ayant un réel impact sur leur entourage ? C’est ce que le projet tente d’explorer. Les compléments d’objets de Jörg Adam et Dominik Harborth.

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2- Travaux existants (quelques exemples de ces possibles). Certaines de ces possibilités d’approche du complément ont été employées par divers designers contemporains. Ainsi, ci-dessous sont listés une série de projets existants faisant écho de près ou de loin à la notion de complément. Sans être forcément des lignes de conduite, ils forment en tout cas une base de réflexion et de questionnement indispensable au projet.

Say The Right de Olze et Wilkens.

a- Dans l’habitat. + Compléments d’objets_Jörg Adam et Dominik Harborth Une collection d’objets simples et astucieux qui comblent les lacunes de certains objets, qu’ils soient icônes du design ou appartenant au quotidien de tout un chacun. C’est à partir de l’approche théorique du thème du complément que Jörg Adam et Dominik Harborth ont développé ces « complices » fonctionnels. Ainsi, ils dénoncent avec humour l’incapacité des objets à répondre pleinement à la fonction à laquelle ils sont destinés. = complément réparateur de fonction. + La Chaise mise à nu_Florence Doléac Une housse de feutre matelassée couvrant l’assise et le dossier se prolonge en traîne et tapis. Complément simple d’un objet témoin, la chaise, qui se métamorphose ainsi dans une plastique organique. L’intervention est ici intéressante car elle apporte à la fois une nouvelle fonction et un nouveau confort à la chaise, mais aussi une nouvelle image, un nouveau langage esthétique. L’habit vient compléter l’identité toute entière de la chaise, sans pour autant la dissimuler.

La Chaise mise à nu de Florence Doléac.

= métamorphose esthétique et fonctionnelle par un habillage complémentaire. + No TV Today/Parasite de télévision_Matali Crasset Un objet parasite pour poser des limites, se souvenir des « bonnes intentions ». Proposer une structure pour prendre du recul sur nos comportements liés à la télévision ou l’ordinateur, devenus des objets noyaux de l’habitat, et esquisser avec humour notre dépendance. Le complément d’objet comme élément perturbateur de la fonction même de l’objet noyau. = complément parasite. No TV Today/Parasite de télévision de Matali Crasset.

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+ Say The Right_Olze & Wilkens Mobiliers pour murs, portes et fenêtres. Parmi leurs travaux sur les surfaces verticales de l’habitat, certains s’avèrent être des compléments d’éléments communs dans l’architecture, comme ici pour les portes. Il est intéressant de voir comme l’ajout de ces éléments simples met en avant des objets intégrés à l’habitat que l’on avait presque oubliés du fait de leur évidence. = complément révélateur. La liste des travaux contemporains jouant sur la notion de complément pourrait être plus longue. C’est un thème récurrent chez de nombreux designers. Mais ces travaux sont le plus souvent situés dans le cadre de l’habitat, qui pourtant est un milieu où le choix des objets est rapidement saturé. N’est-il pas dangereux de compléter à l’infini les objets de l’habitat, d’ajouter de l’accessoire dans un cadre qui déjà, peut-être, en a trop ? N’est-ce pas une façon de confondre complément et gadget ? b- Dans l’urbain, constat d’un manque. La problématique du complément de fonction ou d’estime dans l’habitat aboutit donc bien souvent à une production d’objets sinon gadgets, plus ou moins superflus et partiellement justifiés. Afin de pousser la notion de complément plus loin, de parler enfin de « compléments de service », l’ancrage de létude en milieu urbain s’impose au projet. Il serait ainsi plus aisé d’imaginer une gamme d’objets greffons ayant un réel impact sur un quartier, sur une parcelle de vie urbaine ou sur un groupe d’usagers en terme de fonction et d’image. C’est pourquoi le projet Complètements urbains ! emploie le complément comme créateur de centralités urbaines : pour donner à cet objet qui n’existe que grâce à son support un objectif tangible, une réelle justification. Quelques objets entrent déjà dans ce cadre des compléments urbains : + Les objets publics_Ecoles Supérieures de création industrielle et d’architecture (exposition au pavillon de l’Arsenal en 2004) En 2004, le Pavillon de l’Arsenal organisa une exposition intitulée « objets publics » proposant une réflexion sur le mobilier urbain autour de travaux des élèves de plusieurs écoles supérieures de création industrielle. Certains de ces travaux donnent à voir des greffons urbains sur différents thèmes (voir la ville, rendez-vous amoureux en ville, le sport en ville, les parkings pour deux-roues...). Ces recherches sont pour la plupart restées à l’état d’idées, parfois utopiques, parfois réalistes, mais offrent une palette d’approches riches et intéressantes.

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+ Les structures de vente des bouquinistes de la Seine Ces structures de vente pour les bouquinistes des bords de Seine paraissent être de bons exemples de compléments urbains. Greffés sur les bordures surplombant l’eau ou les berges, ces petits étals où s’amassent livres jaunis, bandes dessinées souples et affichettes parisiennes, sont de vrais points d’activité urbaine. Rencontres, rendez-vous, discussions littéraires ou touristiques, tel est le quotidien des rives de la Seine autour des « compléments pour bouquinistes ». Bien que nous ne cherchions pas à aboutir à un projet tel que celui-ci, le complément y est présent en tant qu’agitateur de vie urbaine et c’est sur cet aspect que l’étude présente insiste.

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3 (pistes et enjeux)

complément a posteriori_travail en aval sur les compléments de l’existant.

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Compléter, c’est redonner du sens, préciser, détailler, renouveler, mettre à jour. Le complément d’objet est vu dans le projet comme un moyen de renouveler les fonctions, l’image, la scénographie d’un îlot urbain... Comment faire évoluer l’urbain dans le temps en fonction de la façon dont il est vécu, des saisons, des évènements ou des nouveaux besoins ? Comment créer des centralités urbaines, des lieux d’attention à la ville et aux autres, grâce à l’ajout de compléments d’objets et d’espaces ? Ce travail suit deux approches du complément différentes et cohérentes.

1- Le complément a posteriori. a- L’îlot urbain colonisé. Cette partie du projet est la principale et la seule qui se verra concrétisée en terme de réelles propositions à l’issue du travail. Il s’agit d’un travail de design qui envisage le complément après la production des objets noyaux (supports). Il intervient donc sur des objets urbains existants (bancs, lampadaires, potelets, escaliers, murs...), auxquels il vient greffer d’autres objets, fonctions, univers, images, afin de créer sur les places dans les rues ou les squares des zones de centralités urbaines. Le projet prendra donc place sur des « îlots urbains », principalement sur Paris qui servira de ville-support de réflexion. Ce travail pourra malgré tout appeler par la suite d’autres supports. b- L’aspect saisonnier. L’intervention des compléments « a posteriori » est saisonnière. Elle s’étale sur différents moments de l’année selon les compléments. De façon plus précise, chaque complément urbain a une durée de vie ou d’usage propre et est mis en place à un moment précis de l’intervention. De cette façon, les citadins assistent à la colonisation ascendante des espaces urbains par les compléments venant peu à peu apporter une nouvelle lecture du paysage et créer de nouvelles fonctions correspondant aux besoins du moment (couverture pour les saisons de mauvais temps, décorations pour Noël, mobilier sur berges pour les saisons ensoleillées...). De même, leur retrait sera progressif. c- Laboratoire pour un mobilier urbain évolutif. Ce premier type d’approche sur le complément « a posteriori » (c’est-à-dire le complément qui est pensé après la production du noyau sur lequel il se greffe) est, en somme, un moyen d’expérimentation saisonnier.

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complément a priopri_travail en amont sur le noyau et ses compléments.


En effet, cette méthode permet d’établir une liste des actions possibles et nécessaires pour améliorer le mobilier urbain et en faire un mobilier pouvant évoluer durant l’année en fonction des besoins présents des usagers. Elle est le garant de l’acceptation et de l’évolution des services proposés ou à proposer aux citadins.

2- Le complément a priori. Le complément « a priori », c’est le complément qui est pensé en même temps que l’objet noyau. C’est un complément qui anticipe les probables futurs besoins de l’utilisateur ou encore les possibles évènements pouvant se dérouler sur les lieux. Dans ce scénario, il faut donc s’atteler à penser à la fois un objet noyau réceptacle, une série d’objets greffons mais aussi préparer le noyau à de possibles futurs compléments pouvant être dessinés par la suite par d’autes designers (qui se positionneraient alors dans une démarche a posteriori). a- Cahier des charges pour un travail en amont. Comme dit précédemment, la première portion du projet permet de lister, par exemple, quels types de fonctions et de services il est possible d’ajouter au mobilier urbain existant. Ces constats servent à l’élaboration d’un cahier des charges qui constitue la seconde partie sur le complément « a priori ». Cette partie n’est donc pas poussée en terme de développement de projet (formes, prototypes...). Elle consiste simplement en un prolongement et une ouverture du projet, ayant pour but d’aboutir une démarche conceptuelle globale liée. b- Un mobilier urbain évolutif et créateur de centralités urbaines. Ce cahier des charges permet d’imaginer en amont, dans le cas d’un renouvellement entier de l’équipement d’une ville ou d’un quartier, un mobilier urbain composé d’un noyau de base sur lequel viendrait se greffer différents compléments en fonction des besoins. On peut, par exemple, ajouter sur un noyau-banc une couverture pour les saisons pluvieuses, une rallonge d’assise pour les périodes de forte fréquentation, un luminaire supplémentaire... Cette phase vise donc à aboutir à des principes de mobiliers urbains évolutifs créateurs de centralités urbaines.

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Conclusion

Complètements urbains ! est un projet de design qui tente d’investir la notion de complément d’objet dans le champ urbain. Il montre que le greffon peut être un élément fort de l’organisation et de la perception de la ville. Il met en place une démarche en deux phases (a posteriori et a priori) visant à démontrer qu’il est important que l’urbain évolue, s’adapte aux besoins du moment. Pourquoi le mobilier urbain n’est-il pas changeant alors que les besoins des usagers le sont ? Produire un mobilier urbain renouvelable, modulable, proposant des scènes de vie différentes et créant peut-être une activité qui lui est propre, c’est l’objectif de ce projet. En outre, la réflexion sur le mobilier urbain que le projet met en jeu s’ancre dans des problématiques réalistes. En effet, l’idée qu’il met en avant correspond aux préoccupations actuelles de la mairie de Paris, cadre de notre intervention, en terme d’équipement urbain. Ces intérêts communs entre le design et l’urbanisme serviront donc à la fois le projet et une réflexion globale sur l’aménagement urbain.

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merci_merci... aux Prof’s Rossin et Schall, à Roland, à M. Verhelst, à M. Robert, à Mme Viseux et M. Lavial, à M.Beladef pour les voyages, à Antoine Fermey, à Gérard Lesieux de la société AEF, à Odile Royer de la mairie de Paris et aux services urbanisme et voirie, à Lulu, aux dsaa2, compagnons d’aventure, à Caroline, à Maman et Philou, à Papa et Jo, à ceux qui m’ont relu et à ceux qui m’ont lu, à mes amis.

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