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Transparency International – Initiative Madagascar (TI-MG) est une association de droit malgache représentant le mouvement Transparency International à Madagascar, et a pour mission de lutter contre la corruption sous toutes ses formes tout en promouvant les principes de Transparence, d’Intégrité et de Redevabilité surtout au niveau du secteur public. Elle travaille aujourd’hui dans plusieurs secteurs incluant les Ressources Naturelles, la Santé, l’Education et les Finances Publiques, et s’appuie sur un solide dispositif de Mobilisation Citoyenne et Communautaire (MCC) ainsi que sur son réseau de journalisme d’investigation MALINA (www.malina.mg ) pour étayer ses recherches-actions et ses activités de plaidoyer.
Comité de cadrage technique : Dr Ketakandriana RAFITOSON, Directrice Exécutive de TI-MG | Andoniaina Liantsoa RAKOTOARIVELO, Chargée de Projet COR-SEX TI-MG | Hasiniaina Mickaëlle RANDRIANJA-ARIVONY, Responsable des programmes TI-MG | Andriamahefa Rado RAZAKANAIVO, Chargé d’Etude et de Suivi-évaluation TI-MG | Tsimihipa ANDRIAMAZAVARIVO, Coordonnateur des projets ONG Tolotsoa | Tsiory Setra RANDRIANARISOA, Economiste ONG Tolotsoa Traitement des données, analyse et rédaction du rapport : Andriamahefa Rado RAZAKANAIVO, Chargé d’Etude et de Suivi-évaluation TI-MG | Andoniaina Liantsoa RAKOTOARIVELO, Chargée de Projet COR-SEX TI-MG | Tsiory Setra RANDRIANARISOA, Economiste ONG Tolotsoa Design et mise en page : Equipe Communication TI-MG Photo de couverture : ©Transparency International – Initiative Madagascar, 2021 NB : Dans cette production, le masculin est utilisé sans aucune discrimination et uniquement dans le but d'alléger le texte.
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Résumé Exécutif La corruption sexuelle est un phénomène qui n'est pas nouveau à Madagascar. En effet, ce groupe de mots sous-entend l'utilisation du sexe comme monnaie d’échange dans la pratique de la corruption. L’expression ne s'éloigne pas vraiment de la "promotion-canapé" beaucoup plus connue dans le monde professionnel. En 2018, le Bureau Indépendant Anti-Corruption (BIANCO) avait élaboré une première étude diagnostique sur la question, assortie de la production d’outils de sensibilisation. Transparency International -Initiative Madagascar (TI-MG), a continué sur cette lancée à travers son projet de lutte contre la corruption sexuelle (CORSEX), réalisé en collaboration avec l’ONG Tolotsoa et avec l’appui de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) et de la Coopération française. Les résultats de l’étude sur la situation de la corruption sexuelle dans les secteurs de l’éducation et de l’enseignement supérieur dans les régions Analamanga, Atsinanana et DIANA ont été présentés le 28 septembre 2021 à l’Hôtel Colbert Antaninarenina. Des recommandations pour la sensibilisation et la prévention de cette forme de corruption ont été partagées lors de cet atelier.
d’Antsiranana et de Toamasina. La corruption sexuelle n’est pas unilatérale : 16 des 628 enseignants interrogés disent avoir été, eux aussi, victimes de ces actes répréhensibles, perpétrés cette fois-ci par leurs étudiants. Peur de représailles Dans la grande majorité des cas, les victimes choisissent le silence. Les unes par honte, les autres par la peur de représailles perpétrées par les auteurs de corruption. Elles évoquent trois raisons principales d’acceptation de ces offres illégales proposées par les corrupteurs : « par convenance, par peur et pour tenter l’expérience ». Les enquêtes et les investigations ne se sont pas faites sans heurts. La peur des représailles et le souhait de rester anonyme ont dominé. Ainsi, souvent, les répondants ne souhaitaient pas divulguer les noms des instigateurs ; les victimes ne souhaitaient pas dénoncer les méfaits et étaient réticentes à témoigner. En outre, les enseignants ont opposé une certaine résistance aux formations proposées sur les démarches de lutte contre la corruption en général, et contre la corruption sexuelle en particulier.
Enquêtes auprès de 5119 citoyens Pour le BIANCO, « la corruption sexuelle existe lorsqu’une personne exige des faveurs sexuelles en contrepartie d’une prestation qui fait partie de ses fonctions ». Partant de cette définition officielle, le projet CORSEX a lancé un chantier comprenant deux grands travaux : (1) la conduite d’enquêtes auprès de 5119 citoyens issus de 2005 ménages, d’élèves, d’enseignants et de parents d’élèves de 16 établissements scolaires et (2) la réalisation d’une investigation journalistique menée par les membres du réseau MALINA dans les trois régions cibles. Les résultats d’enquêtes dans ces trois régions ont pu établir la plus haute prévalence de la perception de la corruption sexuelle dans la région de la DIANA où 65 % des participants à l’étude ont déclaré connaître l’existence de cette pratique au sein des établissements scolaires et universitaires.
Des pratiques illégales qui sont « normalisées »
Des pratiques permanentes, perpétrées par les enseignants et les étudiants
Sahia mitoroka!
TI-MG, dans sa démarche, plaide pour prévenir et enrayer toutes les formes de corruption. La corruption sexuelle fait partie de ces pratiques illégales qui sont malheureusement entrées dans les mœurs et acceptées comme des pratiques courantes. Leurs conséquences sont importantes et dangereuses, notamment : atteinte à l’intégrité physique et morale de la personne, exposition des élèves à des situations risquées, vulgarisation de pratiques illégales et répréhensibles devant la loi, impunité des auteurs de corruption sexuelle, fragilisation du système éducatif et universitaire malgache. Des recommandations actionnables ont été formulées pour combattre ce fléau. "La corruption entrave le droit de tous à l'éducation": Miambina izahay!
Sur les 1327 parents d’élèves interviewés, 85 ont révélé que leurs enfants ont été victimes de corruption sexuelle. Des pratiques qui combinent abus de pouvoir, marchandage de notes et harcèlement. Ce mode opératoire est confirmé par les témoignages recueillis par les journalistes du réseau MALINA sur le terrain. Les sources et victimes dévoilent l’existence et la persistance de ces pratiques illégales dans les universités d’Antananarivo et au sein des lycées iii
1. Cadrage conceptuel et méthodologique
ii
1
Cadrage conceptuel et méthodologique
1.1 Les objectifs de l’étude Les objectifs de ce volet particulier du projet CORSEX sont de briser le silence, inciter à la dénonciation de toutes formes d’abus et éveiller l’engagement des citoyens, notamment des jeunes au sein des établissements scolaires et universitaires, pour une lutte active contre la corruption sexuelle Plus particulièrement, la présente étude a pour but de collecter des données sur terrain pour documenter l’existence de la corruption sexuelle et de mesurer son ampleur dans les milieux éducatif et universitaire. Les données collectées serviront de base aux actions de plaidoyer destinées à interpeller et mobiliser les autorités compétentes afin qu’elles prennent des mesures concrètes et adéquates face à la situation. Par ailleurs, une campagne publique de sensibilisation est programmée pour conscientiser et informer davantage les citoyens sur les dangers de la corruption sexuelle et susciter un élan collectif contre ce fléau.
1.2 La méthodologie adoptée L’approche méthodologique adoptée dans la réalisation de la présente étude a impliqué les étapes suivantes :
Le développement d’une note méthodologique et conceptuelle autour de la thématique de la corruption
sexuelle par une psychologue sociale, incluant l’élaboration de guides d’entretiens, avec les boîtes à outil de l’accompagnement des victimes et de la culture de dénonciation pour cadrer la collecte de données sur terrain et la conception de trois types de questionnaire pour une approche spécifiée et adaptée à la population ciblée, vu l’aspect sensible du sujet étudié ;
La préparation technique du terrain avec les travailleurs sociaux à partir de la prospection des
établissements bénéficiaires de la formation sur la corruption sexuelle au niveau des EPP, CEG, Lycées et Universités ;
La réalisation d’enquêtes quantitatives et qualitatives au niveau des trois régions d’intervention du projet
(Analamanga, Atsinanana et DIANA) durant les mois d’août et septembre 2021. Les principaux objectifs des enquêtes réalisées sont de (i) mesurer la connaissance des participants sur la notion de corruption sexuelle ; (ii) connaître l’ampleur que prend cette dernière dans les établissements scolaires et universitaires ; (iii) recueillir des témoignages concrets de la part des victimes ; et (iv) proposer des recommandations pour lutter efficacement contre cette pratique dans les secteurs choisis ; L’organisation de focus groups rassemblant des professeurs, des parents d’élèves et des étudiants des établissements scolaires et universitaires cibles et destinés à recouper et à discuter des informations collectées lors des enquêtes réalisées à l’étape précédente ;
La réalisation d’une investigation journalistique menée par le réseau MALINA.
Les résultats de cette étude permettent de brosser un état des lieux de la perception des citoyens de la corruption sexuelle, ainsi qu’un panorama des facteurs la favorisant.
Tableau 1 : Période de l’enquête et agents déployés Interviews des étudiants et parents
Interviews des enseignants
Région
Nombre d’enquêteur s
Nombre de jours
Période de l’enquête
Nombre de travailleurs sociaux
Nombre de jours
Période de l’enquête
Analamanga
9
8
Du 16 au 25 août 2021
2
26
Du 18 août au 13 sept. 2021
Atsinanana
11
7
Du 17 au 23 août 2021
2
27
Du 19 août au 13 sept. 2021
DIANA
8
8
Du 28 août au 04 sept. 2021
2
14
Du 30 août au 13 sept. 2021
Source : TI-MG CORSEX, 2021
Il est à noter que : -
D’autres résultats sont présentés selon la région et le sexe de l’interviewés quand ceux-ci sont statistiquement significatifs.
-
Pour les résultats des questions à choix multiple où les répondants ont répondu à plus de deux questions, les pourcentages ont été calculés sur le total des réponses obtenues. Des indications sont présentes dans les intitulés de chaque représentation graphique. Dans ce cas, l’interprétation des résultats s’est faite sur le pourcentage de réponses obtenues et non sur le pourcentage des répondants.
-
Afin d’avoir une meilleure lisibilité des résultats, les pourcentages ont été arrondis au plus proche.
1
-
2. Les principaux résultats de l’étude
2
2
Les principaux résultats de l’étude
2.1 Les caractéristiques des répondants L’étude sur la corruption sexuelle dans les milieux éducatif et universitaire s’est focalisée sur les trois grands acteurs dans ces milieux, à savoir les étudiants, les enseignants et les parents d’élèves. Au total, 5 119 individus ont été interviewés durant le mois septembre au niveau des trois régions d’intervention (Analamanga, Atsinanana et DIANA), dont une grande partie est composée par des étudiants (3 163), suivi des parents d’élèves (1 327) et des enseignants (629). Figure 1
Répartition des catégories de répondants par région
Les participants à l’étude sont majoritairement des femmes (69%), ceci est en adéquation avec les principales cibles du projet, c’est-à-dire les filles et les femmes. Cependant, des hommes ont aussi été interviewés et représentent 31% de la population d’étude. Figure 2
Répartition des répondants par sexe
3
La population des étudiants est composée d’universitaires (69%), de lycéens (22%), de collégiens (9%), de quelques écoliers et d’anciens étudiants. Figure 3 Classe et an n ée d'étude des étudiants interviewés
2.2 La corruption dans les milieux éducatif et universitaire Avant de se focaliser sur les perceptions de la population de l’étude sur la corruption sexuelle, il fallait d’abord connaitre son avis et son expérience vécue de la corruption en général dans les milieux éducatif et universitaire.
2.2.1
Les victimes ou témoins de cas de corruption dans les milieux éducatif ou universitaire
La corruption en général prend des proportions inquiétantes dans les milieux éducatif et universitaire. En moyenne, 36% des individus interviewés, soit une personne sur trois, ont affirmé avoir été victimes ou témoins de cas de corruption dans ces milieux. Globalement, la proportion des étudiants victimes ou témoins est la plus élevée par rapport aux deux autres catégories d’individus interrogées. S’il y a des similitudes entre les résultats obtenus dans les régions Analamanga et Atsinanana, les résultats de la région DIANA sont légèrement plus élevés comparés à ceux de ces deux régions. La proportion des étudiants victimes dans la DIANA atteint 58%. Pourcentage de répondants victimes ou témoins de cas de corruption dans le milieu éducatif ou universitaire
Figure 4
4
Comme l’indique le graphique qui suit, les réponses des individus victimes ou témoins tendent à indiquer que la corruption est plus présente au lycée et à l’université. En effet, 42% des réponses obtenues affirment que les victimes ou témoins ont fait face à cette pratique au lycée, contre 33% à l’université, 22% au collège et 4% à l’école. Figure 5
Répartition des catégories d'établissements où la corruption est la plus présente (% calculé sur le total des réponses)
Globalement, la corruption dans les milieux éducatif et universitaire se passe au niveau des établissements publics. Environ 66% des victimes ou témoins affirment qu’ils ont fait face à la corruption dans des établissements publics. Le graphique suivant montre que la pratique de la corruption, au sein des établissements publics, s’accroît par rapport au niveau d’étude. La proportion est de 56% au sein des écoles publiques jusqu’à atteindre 74% au sein des universités publiques. Figure 6
La répartition des types et catégories d'établissement où la corruption est la plus présente (% calculé sur le total des réponses) 80%
74%
60% 50%
66%
65%
70% 59%
56% 44%
41% 35%
40%
34% 26%
30% 20% 10% 0% Ecole
Collège
Lycée public
Université
Total général
privé
5
2.2.2
Les principaux instigateurs de corruption selon les victimes et/ou témoins
La pratique de la corruption dans les milieux scolaire et universitaire touche tous les acteurs de ces milieux. Globalement, une grande partie des réponses des victimes ou témoins pointe du doigt les enseignants avec une proportion de 35%, suivis des étudiants (19%), du personnel de l’établissement (18%), des parents d’élèves (15%) et des responsables d’établissements (13%). À part les enseignants, on ne constate pas une grande prépondérance des autres acteurs en matière de pratique de corruption. Figure 7
35%
LYCÉE
UNIVERSITÉ
1%
11% 8% 1%
24% 21% 1%
18% 16% 16% 14% 1%
5%
COLLÈGE
19% 18% 15% 13%
36%
35% 14% 16% 18% 17%
23% 24% 17%
22% 9%
ECOLE
2.2.3
36%
Les principaux instigateurs de corruption d'après répondants (% calculé sur le total des réponses)
TOTAL GÉNÉRAL
Enseignants
Etudiants
Personnels de l'établissement
Parents d'élèves
Responsable de l'établissement
Autre
Les demandes des instigateurs de corruption selon les victimes ou témoins
Les résultats de l’enquête tendent à confirmer que la corruption sexuelle, que ce soit dans le milieu éducatif ou universitaire, se développe en rapport aux notes et aux examens. L’obtention d’une bonne note ou la modification de notes, la demande de réussite aux examens et la demande de réussite aux concours d’entrée au sein d’un établissement sont les trois raisons les plus évoquées par les individus victimes ou témoins de cas de corruption. Figure 8
Parents
Etudiants
Enseignants
Les demandes des instigateurs de corruption selon les victimes ou témoins (% calculé sur le total des réponses) Bonne note, modification de note Réussite aux concours Réussite aux examens Avantage lors des recrutements ou affectations Divulgation de sujets d'examen Bonne note, modification de note Réussite aux examens Réussite aux concours Divulgation de sujets d'examen Facilitation de demande de logement Facilitation de préparation de dossier Réussite aux examens Bonne note, modification de note Réussite aux concours
35% 26% 23% 13% 3% 47% 24% 21% 4% 2% 2% 43% 33%
25%
6
2.3 La corruption sexuelle dans les milieux éducatif et universitaire 2.3.1
Connaissance de la corruption sexuelle par les répondants
D’un point de vue global, la perception de l’existence de la corruption sexuelle par les répondants est plus élevée dans la DIANA (65% en moyenne) que dans les deux autres régions. En effet, plus de la majorité des participants de l’étude ont souvent entendu l’existence de cette pratique de corruption sexuelle au sein des établissements tant scolaires qu’universitaires. Le graphique ci-dessous montre une grande proportion, plus de deux tiers soit 69%, des étudiants interviewés dans la DIANA connaissant l’existence de cette forme de corruption. Figure 9
Perception de la corruption sexuelle par type de population cible et par région d'intervention
2.3.2
Définition donnée à la corruption sexuelle par les répondants
Définition donnée à la corruption sexuelle par les participants 6%
5%
2%
Relation sexuelle par intérêt Harcèlement sexuel 41%
18%
La définition utilisée durant l’enquête a été celle du BIANCO selon laquelle il y a
corruption
sexuelle
lorsqu’une
personne exige des faveurs sexuelles en contrepartie d’une prestation qui fait
Abus de pouvoir en vue d'avoir une relation sexuelle
partie de ses fonctions. Avant de
Prostitution ou Traffic humain
partager
Violence sexuelle
cette
définition
aux
participants, leur propre définition sur la notion de corruption sexuelle a été
Pédophilie
29%
demandée.
Figure 10
Pour les personnes qui ont prétendu n’avoir jamais entendu parler de cette forme de corruption, il leur a été demandé de donner les mots ou termes qui leur venaient à l’esprit en entendant ce sujet. Sept définitions valides
7
de la corruption sexuelle ont été présentées par les participants après regroupement des réponses. Les trois définitions les plus récurrentes sont la relation sexuelle par intérêt (41%), le harcèlement sexuel (29%) et l’abus de pouvoir en vue d’avoir une relation sexuelle (18%). Les résultats détaillés au niveau du profil des répondants ne divergent par trop du résultat global, mises à part quelques écarts sur certaines réponses telles que « la pédophilie » et « la prostitution ou trafic humain ». La pédophile, par exemple, est plus présente dans les réponses des parents (7%) par rapport aux deux autres catégories de répondants, étudiants (1%) et enseignants (0%). Quant à la réponse « prostitution ou trafic humain », elle a été évoquée par 5% d’étudiants, 0% de parents et 1% d’enseignants. L’une des raisons qui pousse les étudiants à assimiler la corruption sexuelle à la prostitution ou même au trafic humain est le fait que, parfois, ce sont les parents eux-mêmes qui les incitent à s’y adonner afin d’alléger le financement de leurs études. Figure 11
Définition donnée à la corruption sexuelle selon les trois types de répondants 45% 35% 25% 15%
37% 30%
30%
30% 20%
40%
38%
40%
21%
18%
16%
15% 15%
13%
10%
10%
7%
5%
1%
5%
0% Abus de pouvoir en vue d'avoir une relation sexuelle
Abus sexuel
Harcèlement sexuel
Etudiants
2.3.3
Pédophilie
Parents
9% 5% 1%
Relation sexuelle par intérêt
Violence sexuelle
Enseignants
Les victimes de corruption sexuelle Trois catégories de population ont été approchées afin de diversifier les points de
11% 6%
6%
3%
0% 0%
Prostitution ou Traffic humain
Victimes de corruption sexuelle par région
3%
3%
0% 1%
0%
2%
2%
3%
4%
vue
(Etudiants,
parents
d’élèves,
enseignants) et mieux identifier les victimes de la corruption sexuelle. Dans les faits, les parents interviewés témoignent plutôt des cas vécus par leurs enfants tandis que les enseignants interviewés peuvent aussi bien être des victimes que des auteurs de corruption sexuelle.
Figure 12
8
Il a été demandé à toutes les cibles de cette étude si elles avaient déjà été victimes de la corruption sexuelle. Les résultats montrent que les jeunes sont les plus touchés. Quelques enseignants, majoritairement des hommes, ont eux aussi affirmé avoir été victimes de la corruption dans l’exercice de leur profession. L’analyse de l’ensemble des résultats démontre que la corruption sexuelle se pratique à partir de la classe de sixième jusqu’à l’Université. Au total, 129 étudiants parmi les 3 034 interviewés, soit 4%, ont admis avoir été victimes de corruption sexuelle, dont une proportion assez élevée est constatée dans la DIANA (9% soit 79 sur 881 répondants). Le nombre de victimes enregistrées au niveau des enseignants est de l’ordre de 16 sur 628 soit 3% des interviewés. L’étude n’a pas été limitée aux étudiants, mais elle prend également en compte l’avis des enseignants qui peuvent aussi être des victimes. En effet, sur les 628 enseignants interviewés, 16 ont révélé avoir été victimes de corruption sexuelle au cours de leur expérience dans le secteur de l’éducation. Globalement, 85 sur 1 327 personnes, soit 6% des parents d’élèves interviewés, ont révélé que leurs enfants ont déjà été victimes de corruption sexuelle au sein des établissements où ces derniers ont étudié. Les résultats par région montrent des proportions élevées : -
Au niveau de la région DIANA, l’ordre est de 11% (62 victimes) et est deux fois plus élevé que celui constaté dans les régions Analamanga et Atsinanana ;
-
A Analamanga, le taux est peu élevé car les victimes sont au nombre de 15, soit 5% par rapport à DIANA et cinq fois plus par rapport à Atsinanana ;
-
A Atsinanana, seules 2% des personnes interviewées soit 8 parents ont affirmé que leurs enfants ont été victimes de corruption sexuelle.
Les résultats issus des enquêtes au niveau des parents d’élèves concordent bien avec les résultats issus des enquêtes des étudiants. En effet, tant les enquêtes « étudiants » que « parents » ont fait ressortir des proportions élevées d’étudiants victimes dans la région DIANA, par rapport à celles des deux autres régions. Un double constat peut donc en être tiré : (i) la prévalence de la corruption sexuelle est plus importante dans la région DIANA que dans les régions Analamanga et Atsinanana et (ii) les victimes s’ouvrent plus à leurs parents dans la région DIANA. Proportion de cas de corruption sexuelle par région et type d’établissement 33%
18%
Victimes de corruption sexuelle par sexe
29%
54%
Figure 14
Figure 14
9
La figure 14 ci-dessus montre la répartition des victimes de corruption sexuelle par sexe (4% d’enseignants et 3% d’étudiants victimes). Les femmes, donc les étudiantes, sont en moyenne les plus vulnérables face à ce type de corruption dans le secteur de l’éducation. En effet, 38% des enseignants victimes de corruption sexuelle et 89% des étudiants victimes sont des femmes. Toutefois, il est intéressant de noter que, contrairement aux étudiants, les enseignants victimes de corruption sexuelle sont majoritairement des hommes. Les jeunes femmes/filles leur feraient des avances à partir d’une communication verbale, gestuelle ou vestimentaire. Figure 15
Nombre d’étudiants victimes de corruption sexuelle par classe ou année d’étude
Ce graphique montre que la corruption sexuelle fait des victimes aussi au niveau scolaire qu’universitaire : 67 victimes ont déclaré avoir vécu cette situation auprès des lycées, et 48 à l’université. Par ailleurs, quatre étudiants auraient subi cette situation à deux reprises dont deux étudiants deux fois au lycée et deux autres étudiants à la fois au lycée et à l’université. Proportion d'enseignants ayant affirmé que leurs étudiants se sont plaints auprès d'eux autour de la corruption sexuelle
Figure 16
10
Certains étudiants ont raconté à leurs enseignants les cas dont ils ont été victimes. Le constat reste le même, c’està-dire qu’il y a plus de victimes qui se plaignent dans la DIANA qu’au niveau de la région Analamanga ou Atsinanana. En effet, seulement 4% des enseignants interrogés à Analamanga ont affirmé que leurs étudiants leur ont déjà parlé de ce sujet au sein de l’établissement contre 11% à Atsinanana et 18% dans la DIANA.
2.3.4
Les principaux instigateurs de la corruption sexuelle et leur mode opératoire
Comme pour tout autre type de corruption, la corruption sexuelle implique deux personnes : le corrupteur et le corrompu qui sont tous deux coupables devant la loi. Un vocabulaire additionnel est ici utilisé : celui d’instigateur1, pour désigner la personne qui sollicite les faveurs sexuelles et enclenche la spirale de la corruption sexuelle. Les entretiens et les échanges sur terrain font ressortir que les enseignants suivis des étudiants sont les principaux instigateurs/auteurs de cette pratique. Cela contredit la croyance populaire selon laquelle ce seraient toujours les enseignants qui feraient des avances aux étudiants. Le personnel administratif et technique des établissements est aussi mis en cause par les enseignants, avant les responsables d’établissements. Pour plus de précisions, ces catégories de personnes (en plus des étudiants) solliciteraient des faveurs sexuelles des enseignants. Les enseignants sont les premiers corrupteurs car ils exercent un certain pouvoir sur les étudiants et ont leur futur entre leurs mains (à travers les notes), raison pour laquelle le type de corruption le plus utilisé est l’abus de pouvoir. Les supérieurs hiérarchiques des enseignants ont également le même type de pouvoir sur ces derniers et certains en abusent. Figure 17
Une grande majorité des étudiants, soit 64% des étudiants victimes de corruption sexuelle ont affirmé que les enseignants sont les premiers instigateurs de cette forme de corruption au sein des établissements où ils ont été confrontés à cette situation, suivis du personnel de l’établissement (13%) et des étudiants (13%). On peut donc constater que cette forme de corruption est déjà pratiquée par les étudiants et surtout entre eux.
D’après le dictionnaire Larousse, le mot « instigateur » signifie « Personne qui incite, pousse à faire quelque chose ». Ex : L'instigateur d'un crime. 1
11
Seulement 9 sur les 16 enseignants victimes de corruption sexuelle ont voulu dénoncer les principaux instigateurs de ces actes, parmi lesquels se trouvent en premier lieu les enseignants eux-mêmes, suivis des responsables d’établissement, des élèves/étudiants, des Chefs CISCO et enfin des inspecteurs de suivi. Figure 18
Le graphique ci-dessus montre les principaux modes opératoires utilisés graduellement par les instigateurs de la corruption sexuelle avant d’arriver à leurs fins. Il y a la pratique de la drague, la proposition d’un avenir meilleur, le harcèlement sexuel, la proposition d’une aide financière (qui oriente le cas vers du proxénétisme ou à l’incitation à la débauche), les menaces et la flatterie dans des proportions égales, le raccompagnement à domicile en voiture, les cours particuliers et les attouchements directs. Etant donné le nombre élevé d’élèves et d’étudiants suivant des cours particuliers dans le système scolaire malgache, cette approche est particulièrement inquiétante car elle pourrait dissimuler des proportions plus élevées d’agressions sexuelles que celles exprimées dans la présente enquête. Figure 19 LE MODE OPÉRATOIRE DES INSTIGATEURS DE CORRUPTION SEXUELLE SELON LES ÉTUDIANTS PAR SEXE DES INSTIGATEURS Homme 4% 11%
1% 32% 6%
Femme 7%
26%
7%
26%
7%
26%
7%
26%
0%
18%
13% 7% 3%
19%
33% 20%
20% 7%
13% 26% 33%
12
Les trois principaux modes opératoires des instigateurs de sexe masculin sont la drague, la proposition d’un avenir meilleur et le harcèlement. Comme l’indique le graphique ci-dessus, la drague peut être classée comme étant un mode opératoire propre aux hommes dans la pratique de cette forme de corruption. Du côté des instigateurs de sexe féminin, on retrouve la proposition d’un avenir meilleur, la menace et le harcèlement. On constate ainsi que la proposition d’un avenir meilleur et le harcèlement sont les deux pratiques les plus utilisées par les deux sexes lorsqu’il s’agit de corruption sexuelle dans les milieux éducatif et universitaire. Figure 20
Le mode opératoire des instigateurs de corruption sexuelle selon les enseignants
Une grande partie des enseignants qui ont osé dévoiler le mode opératoire des instigateurs de cette pratique ont expliqué qu’avant d’arriver à un point où la situation converge vers la corruption sexuelle, il y a eu tout d’abord un harcèlement sexuel de la part de ces derniers. Les demandes de rapports sexuels figurent parmi ce harcèlement sexuel. L’instigateur ne s’arrête pas là car il essaie de soudoyer la future victime par une proposition de poste au sein de son établissement. Cette approche consiste à brûler toutes les étapes classiques du recrutement afin de prouver à la victime que tout est possible si les deux parties se mettent d’accord sur la proposition, en échange d’une faveur sexuelle. Les p ro m esses d es in stig ateu rs de la corruption sexuelle
Figure 21 23% 2%
11% 24%
1%
5%
37%
2%
13
Les trois propositions les plus utilisées par les instigateurs de la corruption sexuelle dans le secteur de l’éducation sont la promesse d’une bonne note (37%), la promesse d’une réussite aux examens (24%) et enfin la promesse d’une aide financière telle que le paiement des frais d’inscription et écolages, des fournitures scolaires, etc. L’organisation des différents cours et encadrement spécial figurent parmi les stratégies utilisées par les instigateurs de la corruption sexuelle. D’après les échanges avec les interlocuteurs lors des descentes sur terrain, un encadrement n’est pas forcément utile lors de la préparation des mémoires de fin d’études mais certains professeurs insisteraient sous prétexte de parfaire la qualité du rapport et de mieux cerner les activités de l’étudiant. Tableau 2 : Les promesses des instigateurs de corruption sexuelle selon leur sexe d’après les étudiants
Instigateur de sexe Masculin Bonne note Aide financière Réussite aux examens Traitement exceptionnel en classe Contrainte sans aucune promesse Promesse de mariage Divulgation de sujets d'examen Instigateur de sexe Féminin Bonne note Aide financière Réussite aux examens
2.3.5
Effectif 38 32 27 6 2 2 1 Effectif 7 4 2
Proportion 35% 30% 25% 6% 2% 2% 1% Proportion 54% 31% 15%
Les réactions des victimes confrontées à la situation
La majorité des réactions des individus victimes de corruption sexuelle montrent une certaine réticence à dénoncer les instigateurs, par peur de représailles et à cause d’un sentiment d’inexistence d’une justice une fois la poursuite auprès des autorités compétentes entamée. Figure 22
Parents de victimes
Etudiants
Enseig nants
Les principales réactions des victimes de la corruption sexuelle après la proposition de l’instigateur Refuser et faire comme si de rien n'était Avertir l'instigateur Cacher à tout le monde Refuser et faire comme si de rien n'était Parler avec les parents, famille, amis Accepter la demande de l'instigateur Porter plainte au niveau du responsable de l'établissement Porter plainte au niveau des autorités compétentes Porter plainte au niveau du responsable de l'établissement Rien Avertir l'instigateur Changer d'établissement Payer l'instigateur afin qu'il laisse tranquille l'enfant Marier l'enfant avec l'instigateur
82% 18% 36% 33% 19% 9% 4% 29% 26% 26% 9% 7% 1% 1%
14
Une étudiante dans une université publique avait même raconté avoir décidé de changer de nom après avoir été victime de corruption sexuelle afin de pouvoir en dénoncer l’auteur. Environ 36% des étudiants victimes ont caché ce qui s’était produit à leurs proches et ont fait comme si de rien n’était après avoir refusé la proposition de l’instigateur. 19% ont décidé d’en parler. 9%, soit 18 étudiants, ont finalement cédé à la demande de l’instigateur de la corruption sexuelle. Et, seulement 4% des victimes ont osé porter plainte au niveau des responsables de l’établissement. Face à cette pratique malsaine dont leurs enfants ont été victimes, plus de 55% des parents ont porté plainte, soit au niveau des responsables de l’établissement soit directement au niveau des autorités compétentes. 26% de parents n’ont pas osé prendre de décision, c’est-à-dire qu’ils n’ont eu aucune réaction, tandis que 7% des parents ont préféré transférer leurs enfants dans d’autres établissements. Par ailleurs, 9% des parents interviewés ont essayé de prendre contact avec l’instigateur de la corruption sexuelle pour lui donner un avertissement et l’ont parfois menacé d’un dépôt de plainte au niveau des responsables au cas où il récidiverait. Figure 23
Les raisons pour lesquelles les étudiants ont accepté l’offre
La majorité des étudiants ayant accepté la proposition de l’instigateur de la corruption sexuelle a trouvé que la proposition était convenable, tandis que certaines victimes déclarent ne pas avoir eu le choix et avouent avoir cédé par peur ou par crainte. D’autres l’auraient fait pour tenter l’expérience. Il faut aussi signaler un fait étonnant lors des enquêtes sur terrain, certains répondants ont affirmé que pratiquer la corruption sexuelle leur était bénéfique car ils étaient toujours sous la protection de l’instigateur de celle-ci en cas de difficultés.
Les effets négatifs constatés par les étudiants ayant refusé la proposition
Figure 24
5% des étudiants ayant refusé de céder à la corruption sexuelle ont constaté un changement de comportement des instigateurs. Selon eux, le changement de comportement était tellement radical qu’ils ont été complètement ignorés par l’instigateur, voire même « détestés », marginalisés et isolés. Certains étudiants ont constaté avoir eu une mauvaise note de la part des enseignants instigateurs depuis le refus. D’autres ont même déclaré que leur redoublement était dû à ce refus. 15
3. Témoignages
16
3
Témoignages
Encadré 1: Le cas d'une personne qui s'alignait aux avances de l'instigateur et qui s'automutilait pour oublier son vécu
Cas n°1 : « Mr Y est Directeur dans une université publique de Madagascar, il a une très grande influence sur la région et est le fils d’une haute personnalité. Notre interlocuteur, victime de la corruption sexuelle, n’est pas à l’aise. Il garde ses mains croisées durant tout l’entretien, semble distrait pendant le cours de son récit, et cligne nerveusement des yeux. Ceux-ci semblent être injectés d’un mélange de peur et de haine. Il déclare qu’il souhaitait avoir le Diplôme de X dans la filière Z mais que la clé était entre les mains de Mr Y. Il avoue avoir cédé aux avances de Mr Y et est sorti avec lui, pour finalement obtenir le diplôme convoité. Il a obtenu ce qu’il voulait mais raconte que durant son immersion professionnelle, il se sentait incapable et sa conscience ne le laissait pas tranquille. Il n’était pas à la hauteur de ce que la société attendait de lui. Il a déprimé et a fini par s’automutiler pour épancher ses remords car il a décidé de garder le secret. Il n’a pas pu rester longtemps dans l’entreprise où il travaillait. » Encadré 2: Une étudiante a abandonné son rêve à cause du harcèlement qu'elle avait subi
Cas n°2 : Certaines victimes souhaitent tourner la page et se reconstruire dans un nouvel environnement éloigné des tracas émotionnels et des auteurs de corruption sexuelle. Mais le choc psychologique produit par la violence subie laisse des séquelles parfois difficiles à surmonter sans accompagnement psychologique – chose qui est encore rare à Madagascar. Un psychologue avait raconté lors des échanges avec l’équipe de l’association le cas d’une étudiante brillante qui avait décidé d’abandonner du jour au lendemain la carrière qu’elle avait envisagée, pour des raisons inconnues. Ce n’est qu’après une psychanalyse poussée que cette étudiante avait compris qu’elle avait été victime de harcèlement sexuel (qui se convertit en corruption sexuelle si la victime s’aligne sur la demande de l’instigateur) mais qu’elle avait refoulé cet épisode douloureux de sa vie. C’est la raison pour laquelle elle avait décidé d’abandonner son rêve de but en blanc. Encadré 3: Une avance non-aboutie d'un instigateur
Cas n°3 : Une étudiante au sein d’une université publique témoigne des avances de son professeur à son encontre. Elle ne se considère pas parmi les étudiantes attirantes au sein de sa filière mais dit que le professeur l’avait quand même remarquée. Il lui avait d’abord proposé de discuter du prochain examen et de la possibilité d’un éventuel encadrement pour parfaire son travail. Il lui avait donné rendez-vous dans un restaurant pour en discuter de vive voix. Il avait commencé à aborder le sujet en lui expliquant qu’elle n’avait pas à s’en faire par rapport aux notes. Elle était étonnée et commençait à poser des questions. Le professeur lui expliqua que si elle acceptait de sortir avec lui, il pouvait facilement lui donner de bonnes notes à l’issue des examens. Il a commencé à la toucher au-dessous de la table. Elle a repoussé sa main et s’est enfuie en courant. Traumatisée, elle a séché les cours pendant un certain temps et dupliquait les documents pour pouvoir être à jour des différentes matières. Elle est revenue en classe après pour continuer malgré cet incident. Sans surprise, elle se sentait isolée et était victime des remarques de son professeur. Heureusement, elle avait passé son examen mais gardait cette histoire comme son petit secret. Encadré 4 : Une brillante étudiante qui a eu des notes catastrophiques
Je lui ai demandé pourquoi je n’avais que des mauvaises notes et il m’a répondu « c’est parce que tu n’as pas suivi mes conseils ». A un moment, j’ai failli céder, parce que pour moi, mes études, c’était la seule issue pour sortir de mon milieu social. Mais après, je me suis dit : je suis enceinte, qu’est-ce que je vais faire ? Donc, j’ai dit non jusqu’à la fin. Mais je n’ai pas porté plainte, parce que c’est sa parole contre la mienne. Encadré 5 : Une proposition de modification de note en échange d’une relation sexuelle
Un enseignant qui a donné un deux sur vingt (02/20) à une étudiante. Du coup, elle a raté complètement son année. Il lui a proposé de rajouter un 1 juste devant le 2 pour qu’elle ait 12. Et comme ça, elle allait pouvoir passer. Pour ça, il fallait coucher tout simplement avec lui. Marie-Christina Kolo, Enseignante à l’Université, activiste, écoféministe. https://www.youtube.com/watch?v=jhiHc2HuY90 Encadré 6 : Aucune promotion possible sans faveurs sexuelles même avec un diplôme
« La corruption sexuelle, pour l’accès à la promotion, est une monnaie courante au sein de la DREN et de ses démembrements. Le personnel enseignant féminin concerné refusant les offres à caractère sexuel, même avec des diplômes dans le domaine de l’enseignement supérieurs aux autres, n’est pas éligible à une promotion quelconque en cas de refus ». Propos recueillis par le travailleur social de TI-MG dans la région DIANA auprès des enseignants durant les focus-group entre les enseignants. 17
4. Article d’investigation
18
4
ARTICLE D’INVESTIGATION
Les corrupteurs sexuels chassent dans les Universités et Lycées A Antananarivo, Toamasina et Antsiranana, nous avons rencontré des victimes de corruption sexuelle parmi les lycéens et les étudiants des universités. Une pratique malheureusement devenue une habitude dans le cursus scolaire et universitaire, et à laquelle les jeunes, en particulier les jeunes filles, sont très exposés. Faculté
de
médecine
d’Antananarivo
:
spécialisation contre faveur sexuelle
femmes ne sont pas les seules proies des
Au sein de la faculté de médecine d’Antananarivo, Sambatra
prépare
son
concours
pour
sa
spécialisation : « Initialement, je voulais me spécialiser dans la neurochirurgie. J’ai été vite ramené à la réalité par un interne qualifiant. Il m’a littéralement fait entendre que si je voulais prendre cette spécialisation, je dois être disposée à « ouvrir mes cuisses » partage-t-elle. Dans la spécialisation de
neurochirurgie,
les
internes
de corruption sexuelle n’a été décelée. Mais les
qualifiants
imposeraient leur loi. Ce sont les aînés du Département, et ils exigeraient des nouvelles recrues
corrupteurs : l’un des professeurs titulaires dans les différentes spécialisations est réputé s’intéresser aux garçons. « En dix ans, on ne compte aucune personne de sexe masculin qui ait fini son cursus universitaire dans cette spécialisation particulière », révèle un étudiant. Mais aujourd’hui, ces pratiques ont atteint une telle dimension qu’elles ne sont plus perpétrées par les seuls professeurs : les internes qualifiants s’en prennent aux nouveaux étudiants, et les internes corrompent les étudiants infirmiers. Ceux qui sont en position de pouvoir essaient d’en profiter.
leur soumission. Depuis 2010, cette spécialisation ne
Lycée d’Antsiranana : un enseignant qui
compte qu’une seule femme sortante. D’après les
martyrise les lycéens
témoignages reçus, les étudiantes se rabattraient toujours sur un second choix, pour échapper à la contrainte de faveurs sexuelles pour devenir neurochirurgiennes. Une situation dramatique pour les jeunes aspirantes à la neurochirurgie, comme le témoigne Espérance, étudiante : « Le cursus de spécialisation est dur. C’est une décision qu’on prend par passion et non faute de mieux. Cependant, nous avons vu, de nos propres yeux ce qui arrive aux femmes qui refusent de coucher pour réussir et on n’a pas envie du même sort. Nous avons également vu celles qui ont accepté le jeu, et ce n’est pas un destin qui nous intéresse. » Certaines spécialisations seraient plus sécurisantes pour les femmes, comme
A Antsiranana, dans le nord de Madagascar, ces pratiques seraient aussi monnaie courante dans les lycées et les collèges : les témoignages évoquent des cas au sein du lycée technique d’Antsiranana, du CEG de référence et du lycée Zafy Albert. Un enseignant, que nous nommerons Tolotra, est accusé de pratiques de corruption sexuelle : «Il est le seul responsable d’une matière et estime que pour obtenir un baccalauréat technique, les filles doivent coucher avec lui », explique un témoin. « A l’approche du baccalauréat, on s’applique à essayer de changer d’écriture pour échapper à ses filets » nous confie une de ses victimes. « Tolotra saborde l’avenir des lycéennes qui se refusent à lui, et s’en
la pneumologie ou la psychiatrie, où aucune pratique 19
prend aussi aux garçons qui fréquentent ses
Quand il a compris mon subterfuge, il a dit qu’il
cibles. Plusieurs jeunes ont abandonné leur cursus
m’attendrait au tournant. Grâce à des interventions,
scolaire à cause de cet enseignant ». Mais Tolotra
j’ai échappé aux foudres de Fabien. Mais
n’est pas le seul corrupteur sexuel de l’enseignement
actuellement, l’un de mes proches est obligé de
public
responsable
renoncer à une carrière au sein du corps enseignant
d’établissement s’adonnerait également à cette
par crainte de subir la vengeance de Fabien, car il ne
pratique. « Les jeunes ont peur de dénoncer cette
se contente pas de draguer les filles, il s’attaque
personne, de peur de représailles », résume un
également aux proches de ses proies ».
à
Antsiranana
:
un
témoin.
Au sein de l’ENSET, Fabien semble quasiment
Université d’Antsiranana: un professeur a fait
intouchable. En 2019, l’une de ces victimes a publié
l’objet d’une pétition
dans les réseaux sociaux des captures d’écran et
A l’École Normale Supérieure pour l’Enseignement Technique (ENSET), un enseignant que nous appellerons Fabien, continue de terroriser les étudiants au sein de la Faculté. Roselyne, étudiante, est l’une des victimes de Fabien. Suite à deux notes éliminatoires en deuxième année, la jeune fille et d’autres étudiants se sont retrouvées au bureau de Fabien. « Au cours de cette rencontre, il nous a sermonné sur l’importance de nos études et de nos notes. Mais après la réunion, il m’appelle au téléphone. Il m’a dit que si j’acceptais sa proposition de sortir avec lui, mes notes seront améliorées » dévoile Roselyne. Et pour souligner ses propos, Fabien revoit la note de Roselyne : une note nonéliminatoire sur l’une des deux matières dont il est responsable. Heureusement, l’ENSET a introduit le concept de validation par compensation : tout étudiant n’ayant qu’une seule note éliminatoire sur une seule matière peut passer au niveau suivant. « Comme j’avais de bonnes notes sauf pour la matière de Fabien, j’ai
pu passer en troisième
année. Une situation qui a valu à l’étudiante une année blanche car les élèves repêchés n’ont pas la même rentrée que leur promotion. » Ariette a failli avoir le même sort. « Je lui ai donné un faux numéro.
des enregistrements vocaux de ses échanges avec Fabien, et dans lesquels ce dernier réclame des faveurs sexuelles en contrepartie de bonnes notes. La présidente de l’université a sommé les chefs de département de prendre « les précautions nécessaires » faute de quoi, des poursuites judiciaires seront entamées. Mais entretemps, la présidente de l’université a quitté son poste et l’affaire, qui a pourtant fait grand bruit, est tombée aux oubliettes. Mais les étudiants étaient décidés à en découdre avec leur bourreau. « Nos aînés ont initié la pétition car il a donné des notes éliminatoires à un nombre exagéré d’élèves. Ils sont venus nous aborder, les juniors, pour nous demander si on avait des preuves contre lui. On a d’ailleurs massivement signé la pétition » certifie Roselyne. Une solidarité qui s’est soldée par un échec : « Le chef de département a convoqué une réunion. On a demandé aux élèves signataires de la pétition de se lever un à un. Après cela, le chef de l’établissement de l’époque nous a sermonné sur notre conduite » se remémore Gaétan. Ayant compris que les représailles seraient aux rendez-vous, les étudiants signataires de la pétition ont fait volte-face. « Nous sommes allés le voir pour demander pardon en
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associant nos actes à l’ignorance de la jeunesse »
pour payer les notes, certains professeurs proposent
termine-t-il avec une pointe d’amertume. Fabien n’a
le paiement en nature » nous confie notre source.
pas été inquiété et continue ses pratiques au sein de l’ENSET : « Car après cet épisode, on a encore obtenu des témoignages d’étudiantes qui ont reçu de propositions malsaines de Fabien pour améliorer leur note en contrepartie de faveurs sexuelles », selon un étudiant. Pour Fabien, cette affaire ne serait que malveillance à son égard : « J’avais été moi-même étudiant au sein de l’ENSET et parmi mes collègues actuels, il y a mes anciens professeurs. L’n d’entre eux ne supporte pas que je sois actuellement parmi le corps enseignant et use de manipulations auprès des élèves pour me nuire ». Sur la question de la fameuse pétition, Fabien de rappeler. « Pour votre information, sachez que les étudiants sont venus me demander pardon après coup ». Aujourd’hui, Fabien est pressenti à la direction de l’École. Université de Toamasina : le marchandage des notes
L’actuel président de l’Université de Toamasina avoue que la priorité est tout d’abord de palier à la corruption généralisée au sein du campus. « Jusqu’ici, on n’a pas reçu une plainte venant d’étudiants pour dénoncer des cas de corruption sexuelle » informe le président de l’université d’Antsiranana « Nous voulons mettre en place une structure avec le Bureau indépendant anticorruption pour pallier à toute forme de corruption car nous préférons prévenir ces cas ». Les témoins et victimes d’Antananarivo, de Toamasina et d’Antsiranana ont un point commun : la peur des représailles. Les corrupteurs sont souvent des personnalités dotées d’un certain pouvoir et peuvent prendre des décisions qui briseraient le parcours des étudiants. L’heure est venue de faire une chasse aux prédateurs pour sauver l’enseignement malgache et ses étudiants.
Six noms d’enseignants ont été cités par les témoins rencontrés au sein de l’université de Toamasina. La faculté de Droit et de Gestion est la plus évoquée : un enseignant y serait tristement célèbre pour la corruption sexuelle qu’il y pratiquerait depuis des années, sans que personne ne lève le petit doigt. A la faculté des Lettres de Toamasina, c’est au département d’Histoire que l’on relève plusieurs cas : « un enseignant a plusieurs petites amies à tous les niveaux, du L1 au M2 », confient les étudiants. Le système est bien rodé, à l’université de Toamasina : les professeurs passent par les délégués pour ferrer leurs proies. « Les professeurs abordent d’abord les délégués de classe pour qu’ils détectent les étudiants qui veulent marchander leurs notes. Par contre, si certaines filles n’ont pas l’argent 21
5. Recommandations
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RECOMMANDATIONS 1. Sur le plan juridique
Même si les questions juridiques dépassent les compétences des autorités administratives et des responsables d’établissements scolaires et d’enseignement supérieur, l’idée d’une réforme de la loi 2016-020 contre la corruption leur a été exposée. La démarche consiste à plaider pour l’insertion d’une disposition spécifique relative à la corruption sexuelle dans ce texte. La formulation de cette disposition devra résulter des consultations des parties prenantes, à entreprendre lors des phases ultérieures du projet. En attendant, l’application stricte de la loi contre la corruption dans sa forme actuelle a été recommandée pour mettre fin à l’impunité. 2. Sur le plan psychosocial L’un des principaux constats qui ressortent de cette étude réside dans l’inexistence et/ou la non-opérationnalisation des centres d’accompagnement des victimes de violences basées sur le genre. Il est de ce fait recommandé d’opérationnaliser et d’augmenter le nombre des centres d’écoute pour les victimes, avec l’affectation d’un nombre adéquat de psychologues et de travailleurs sociaux capables de prendre en charge les cas liés à la corruption sexuelle ; et d’encourager sans relâche la culture de dénonciation à travers une campagne continue d’information spécifiant où, quand, comment et à qui dénoncer les cas de corruption sexuelle. 3. Sur le plan administratif et sectoriel Comme l’étude a spécifiquement porté sur les secteurs de l’éducation et de l’enseignement supérieur, des recommandations spécifiques ont été développées à l’encontre de leurs responsables. 3.1 Pour les ministères concernés Afin de corriger le manque d’intégrité et d’éthique de certains fonctionnaires, il est conseillé d’intégrer systématiquement des enquêtes de moralité dans le système de recrutement et de renforcer la question d’éthique des enseignants à travers l’application du Code d’Ethique et de Déontologie des fonctionnaires2. Au besoin, des dispositions spécifiques visant à renforcer la lutte contre la corruption sexuelle, principalement la section III sur l’Intégrité dans son article 18, peuvent y être intégrés avec l’appui des institutions compétentes en la matière. Les ministères en charge de l’éducation et de l’enseignement supérieur doivent également prévoir des sanctions administratives sévères complétant les sanctions pénales à l’endroit des coupables de corruption, et veiller à ce que ces sanctions soient appliquées de manière uniforme, sans les effets malsains du corporatisme. Par ailleurs, pour réduire les possibilités de dérives, le programme d’éducation civique, morale et sexuelle à tous les niveaux d’apprentissage doit être renforcé. Ce programme doit notamment intégrer des modules relatifs au cadre juridique de la lutte contre la corruption et aux droits fondamentaux de l’Homme. Des travailleurs sociaux peuvent être recrutés pour appuyer les enseignants dans cette démarche et une collaboration avec les organisations de la société civile actives en la matière est fortement recommandée, que ce soit dans le développement de ce programme que dans sa mise en œuvre. 3.2 Pour les établissements (publics et privés) La lutte contre la corruption sexuelle repose en grande partie sur l’organisation interne des établissements scolaires ou d’enseignement supérieur, qu’ils soient publics ou privés. De ce fait, il est recommandé de/d’ : Renforcer le recrutement de membres du personnel intègre et compétent, en assurant des contrôles réguliers de cette intégrité et de cette compétence ; Décret n°2003-1158 portant Code de Déontologie de l’Administration et des Agents de l’Etat, art. 18 : L'agent de l'Etat ne doit solliciter ou réclamer, accepter ou recevoir, directement ou indirectement, aucun paiement, don, cadeau ou autre avantage en nature pour s'acquitter ou s'abstenir de s'acquitter de ses fonctions ou obligations 2
Renforcer la lutte contre toutes les formes de corruption, y compris la corruption sexuelle, en organisant notamment des formations régulières en la matière, mais aussi en matière de droits humains, et en mettant en place un système interne non-traumatisant (i.e. respectueux de l’identité et de l’intimité de chacun) de dénonciation et de sanction des coupables ; Mettre en place des séances collectives de formation et des groupes de discussion en matière d’intégrité, d’éthique, de respect de soi et des autres et de moralité qui favoriseront les échanges entre responsables, enseignants, élèves/étudiants et parents ; Mettre en place un programme d’éducation sexuelle à destination des élèves/étudiants et recruter du personnel qualifié (des travailleurs sociaux et des psychologues) pour les accompagner ; Assurer la sécurité des élèves/étudiants en réduisant le nombre de lieux ou pièces isolés (bibliothèques, laboratoires, etc.) et en soumettant ces derniers à des contrôles réguliers ; Renforcer la transparence dans la gestion des notes et des résultats d’examens des élèves/étudiants afin d’éviter les éventuelles niches de corruption ; Eviter les horaires de travail tardifs et augmenter les mesures visant à assurer la sécurité des élèves/étudiants et de l’ensemble du personnel de l’établissement ; Instaurer une école des parents pour renforcer la discussion avec les enseignants et aussi apprendre et informer les parents sur le sujet de la corruption sexuelle. 3.3 Pour les parents d’élèves et d’étudiants Afin de prévenir au mieux la corruption sexuelle et faciliter la prise en charge des victimes le cas échéant, il est recommandé aux parents de/d’ : Instaurer un système de communication ouvert, continu et rassurant avec leurs enfants, afin qu’ils puissent éventuellement les alerter sur les violences et abus qu’ils subissent dans leur établissement scolaire/universitaire ; Redoubler de vigilance quant à la santé physique et psychologique de leurs enfants et de ne pas hésiter à faire appel à un psychologue ou à un accompagnateur social en cas de signes de détresse (baisse de motivation, mauvais résultats, perte de sommeil, etc.) ; Renforcer le contrôle parental relatif à l’usage d’internet et des réseaux sociaux par leurs enfants et garder les accessoires et contenus à caractère sexuel à l’abri de leur regard ; Expliquer la notion de corruption sexuelle à leurs enfants, en utilisant des exemples précis pour que ces derniers puissent détecter et prévenir les cas dont ils pourraient être victimes. Cette pratique suggère néanmoins que les parents eux-mêmes soient bien informés de la question. L’élaboration d’un guide pratique sur la question est ainsi recommandée aux OSC actives dans le secteur de la lutte contre la corruption ; Refuser systématiquement les arrangements à l’amiable si jamais leurs enfants étaient victimes de corruption sexuelle ou de toute autre forme d’agression de quelque nature que ce soit. Les parents devraient avoir une liste des entités ou responsables à contacter en cas de besoin et dénoncer/porter plainte de façon rigoureuse les cas ou incidents concernés afin de faire valoir les droits de leurs enfants. 3.4 Pour les élèves et étudiants Comme signalé par les résultats de la présente étude, les élèves/étudiants sont les premières victimes de la corruption sexuelle dans les établissements scolaires et/ou universitaires. Ils peuvent aussi faire partie des instigateurs de la corruption sexuelle dans certains cas. Il leur est recommandé de/d’ : Se rappeler qu’ils sont des individus à part entière, dont les droits fondamentaux et l’intégrité physique et mentale doit être protégée de toute agression, quel que soit l’instigateur de celle-ci. Ils ont droit au respect de leurs pairs et de leurs aînés et se doivent de rapporter et de dénoncer immédiatement, soit à leurs parents, soit aux autorités compétentes les sévices et abus dont ils pourraient être éventuellement victimes ; solutions et qu’une telle pratique risque d’hypothéquer son avenir sur le long terme. 24
NOTES
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