TRANSFUGE N°115

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Janvier 2018 / N° 115 / 6,90 €

RETOUR EN GRÂCE DE

PAUL AUSTER​

All, Bel, Esp, Ita, Lux, Port Cont, DOM, Rou : 8,90 e - Mar : 84 DM - Can : 13,60 $CAD

TRANSFUGE

T \ #115 \ 01- 2018

Choisissez le camp de la culture

M 09254 - 115 - F: 6,90 E - RD

3’:HIKTMF=YU[^U^:?a@l@b@p@a"; CINÉMA Richard Linklater, Nobuhiro Suwa, Martin McDonagh 00-CVT_P001.indd 1

LITTÉRATURE Les 20 meilleurs livres de la rentrée janvier

EUROPE La complicité de l’Europe dans les crimes communistes

CINÉMA THÉÂTRE Retour sur Michael Katie Mitchell, Haneke, le maître Jonathan Capdevielle, qui dérange Jean Bellorini 11/12/2017 19:54


ultime :

Stéphane Legrand

Préface de Gaëtan Roussel

Vous cherchez un point commun entre Les Simpson et le Tea Party, Angelina Jolie et Alan Greenspan, Mad Men et Dirty Dancing, le fondateur de Wikipedia et l’administration Reagan, ou encore Vladimir Poutine, Queer as Folk et Donald Trump ? Il y en a un : Ayn Rand.

En conversation avec les critiques et auteurs de rock légendaires, Bashung se révèle au fil d’entretiens intimes et passionnants.

Quasiment inconnue en France, Ayn Rand est pourtant considérée aux États-Unis comme l’auteur du livre « le plus influent après la Bible ». Romancière, philosophe et chantre de l’ultralibéralisme, Ayn Rand a offert une mythologie au capitalisme, celle de l’entrepreneur comme surhomme et de l’égoïsme comme vertu ultime.

Pour les fans de toujours, ou pour ceux qui en savent peu, cette rencontre par la parole offre un portrait inédit de cet artiste hors normes, d’une timidité aussi audacieuse que touchante, toujours « à la limite ».

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TOP DIX CINEMA Clôture de l'année et des bilans. Transfuge fait le sien en cinéma. Palmarès de la rédac.

Fréderic Mercier

Ilan Malka

François Bégaudeau

Sidy Sakho

Jean-Christophe Ferrari

Nathalie Dassa

Damien Aubel

La rédaction

• Loving, Jeff Nichols • Ana, mon amour, Calin Peter Netzer • Faute d’amour, Andrey Zvyaguintsev • American Honey, Andrea Arnold • Happy End, Michael Haneke • Get Out, Jordan Peele • The Square, Ruben Ostlund • Carré 35, Eric Caravaca • Barbara, Mathieu Amalric • Jackie, Pablo Larrain

• Happy end, Michael Haneke • Logan Lucky, Steven Soderbergh • Jackie, Pablo Larrain • Une vie violente, Thierry de Peretti • L’Usine de rien, Pedro Pinho • The Square, Ruben Ostlund • A Beautiful Day, Lynne Ramsay • 120 battements par minute, Robin Campillo • Barbara, Mathieu Amalric • Mise à mort du cerf sacré, Yorgos Lanthimos

• Barbara, Mathieu Amalric • Certaines femmes, Kelly Reichardt • Emily Dickinson, a quiet passion, Terence Davies • Faute d'amour, Andrey Zvyaguintsev • Le Jour d'après, Hong Sang-soo • The Lost City of Z, James Gray • Loving, Jeff Nichols • Song to Song, Terrence Malick • Yourself and Yours, Hong Sang-soo • Western, Valeska Grisebach

• Les Fantômes d'Ismaël, Arnaud Desplechin • La Femme qui est partie, Lav Diaz • Un avant-poste du progrès, Hugo Vieira Da Silva • Gimme danger, Jim Jarmusch • Paris est une fête-Un film en 18 vagues, Sylvain George • Mise à mort du cerf sacré, Yorgos Lanthimos • Napalm, Claude Lanzmann • L'Indomptée, Caroline Deruas • Faire la parole, Eugène Green • Vienne avant la nuit, Robert Bober

• Lucky, John Carroll Lynch • Ali, la chèvre et Ibrahim, Sherif El Bendary • Le Concours, Claire Simon • The Square, Ruben Ostlund • A Beautiful Day, Lynne Ramsay • Transfiguration, Michael O’Shea • Carré 35, Eric Caravaca • Jeune femme, Léonor Serraille • Les Proies, Sofia Coppola • Le Prix du succès, Teddy Lussi-Modeste

• L'Usine de rien Pedro Pinho • Twin Peaks - The Return David Lynch • Tous les rêves du monde Laurence Ferreira Barbosa • Jackie de Pablo Larrain • Yourself and Yours Hong Sang-soo • Paris la blanche Lidia Terki • Le Parc Damien Manivel • Sayonara Koji Fukada • Carré 35 Eric Caravaca • The Square Ruben Ostlund

• Logan, James Mangold • Get Out, Jordan Peele • Les Fantômes d'Ismaël, Arnaud Desplechin • Jackie, Pablo Larrain • Lucky, John Carroll Lynch • Un beau soleil intérieur, Claire Denis • The Square, Ruben Ostlund • Dunkerque, Christopher Nolan • La Planète des singes – Suprématie, Matt Reeves • Patients, Grand Corps Malade et Mehdi Idir

• The Square, Ruben Ostlund • Carré 35, Eric Caravaca • Jackie, Pablo Larrain • Barbara, Mathieu Amalric • Les Fantômes d’Ismaël, Arnaud Desplechin • Mise à mort du cerf sacré, Yorgos Lanthimos • Lucky, John Carroll Lynch • Happy End, Michael Haneke • Loving, Jeff Nichols • Faute d’amour, Andrey Zvyaguintsev ÉDITO / Page 3

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SOMMAIRE Page 20

Page 3

PAUL AUSTER

NEWS

3 /  Top

10 cinéma

6 /  On

prend un verre avec Christa Theret

Page 58

Page 20

3 BILLBOARDS

Pa

DU CÔTÉ DE LA LITTÉRATURE

20 /  Nous

vous avons sélectionné dans les pages critiques les meilleurs romans de cette rentrée d’hiver, dont deux qui font événement : Paul Auster et Elnathan John.

52 /  Remous

CHRONIQUES 8 /  Le

N°115 JANVIER 2018

Wolton

: l’Europe complice des meurtres du communisme par Thierry

nez dans le texte par François Bégaudeau

10 /  Croyez

ce que vous voulez

12 /  Interview

express : Bob Colacello

14 /  Interview

express : Miransha Naik

16 /  Interview

express : Zanna Sloniowska

18 /  L’homme

pressé

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© STEPHEN CUMMISKEY

KATIE MITCHELL

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Page 58

SUR LES ÉCRANS

58 /  Nous

vous avons sélectionné les meilleurs films du mois, dont trois événements : le grand film de la rentrée 3 Billboards, les panneaux de la vengeance, et Last Flag Flying ainsi que Le lion est mort ce soir.

86 /  DVD 88 / Remous

: Michael Haneke, le maître qui dérange.

92 /  Cinémathèque

Page 94 94 / Scène :

+ festival Kinopolska

EN VILLE Katie Mitchell, en force à Paris

112 /  Festival

S. M. EISENSTEIN 11 JANVIER – 3 FÉVRIER 2018

114 /  En

route ! Va devant !

www.lacinemathequedetoulouse.com

Octobre. Mise en page : Bruno Dufour. Licences nº 1-1091243 , nº 2-1091244 et nº 3-1091245

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JO

Par F rédéric M ercier P hoto F ranck F erville

S

ur cette photo, Christ a Theret me pose une question à la brasserie LouisPhilippe sur les quais, un bar où elle aime se rendre. La comédienne, à l’affiche de Gaspard va au mariage d’Anthony Cordier, la plus folle, libre et intelligente des comédies françaises vues depuis au moins La Loi de la jungle d’Antonin Peretjako ( juin 2016), cherche à me mettre à l’aise devant l’objectif de Franck et me demande mille informations sur Transfuge. Elle se demande si nous allons continuer d’ouvrir le magazine à d’autres disciplines encore. Comme la sculpture, par exemple. Elle-même, si elle a commencé à jouer au cinéma dès l’âge de onze ans dans Le Couperet de Costa-Gavras, sculpte aujourd’hui,

« C’est à Princesse Mononoké de Miyazaki que je m’identifiais »

GASPARD VA AU MARIAGE

d’Anthony Cordier, avec Marina Foïs, Félix Moati, Guillaume Gouix… Pyramide, sortie le 31 janvier

pratique le moulage de petits personnages avec d’autres comédiennes qui l’y ont initiée. Et elle peint aussi. Christa Theret est fille de peintre. Sa mère était même le modèle de son père, ça ne s’invente pas. C’est comme ça qu’ils se sont rencontrés. Aujourd’hui, sa mère continue d’être modèle. Christa Theret, 26 ans, parisienne du XVIIIème arrondissement, a donc grandi dans un atelier : « un vrai bordel organisé ». Si bien que celle qui a déjà joué le modèle d’Auguste Renoir dans le biopic de Gilles Bourdos était à son aise dans Gaspard va au mariage, véritable screwball comedy (comédie loufoque) à la française, dont l’action se déroule dans l’enceinte d’un zoo.

Theret joue la fille du directeur fantasque de ce zoo menacé de fermeture. Colline est une fille sauvage, farouche, revêtue d’une capeline en peau d’ours comme Peau d’Âne. Elle éprouve un désir franc, pas du tout secret, pour son frère, lequel fuit ce désir en faisant mine d’être en couple avec une jeune femme rencontrée sur son chemin (Laetitia Dosch). Quand je lui parle de Peau d’Âne, ça ne l’émeut pas. Christa Theret n’est pas en train de jouer la comédienne cinéphile. Rien à voir avec la plupart des actrices qui se seraient immédiatement pâmées pour l’œuvre de Demy. Sa référence très pop me surprend : « C’est à Princesse Mononoké de Miyazaki que je m’identifiais : ce personnage mi-guerrier, mi-sorcière, plus proche des bêtes que des hommes ». Christa Theret est elle en train de me faire son autoportrait ? La jeune femme en face de moi, m’apparaît à la fois rêveuse et pugnace. Pour se couler dans le rôle, elle a « adoré » travailler avec un zoomorphe, un artiste capable d’épouser chaque mouvement animal. Il lui a appris à faire l’ours, à se déplacer comme une ourse, à « rouler des épaules » comme un grizzli. « Il m’a mise dans un état de transe comme celui que j’adore éprouver quand je danse toute la nuit sur de l’électro ». Pour illustrer son propos, elle roule des épaules comme une bête. Au fur et à mesure, elle se détend vraiment, me parle avec franchise de la scène où elle doit, comme un manchot, recracher un morceau de poisson mâché dans la bouche de son frère campée par son ami Félix Moati : « Heureusement qu’on se connaît bien. C’était plus facile. Mais je n’aurais pas aimé être à sa place. » Elle frissonne en y pensant. Étrange comédienne instinctive, dénuée de toute pose, que j’ai en face de moi. Beaucoup trop rare aujourd’hui au cinéma.

© DR

J’AI PRIS UN VERRE AVEC… CHRISTA THERET

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JOUR2FÊTE PRÉSENTE

« Bouleversant et authentique, déchirant » TRANSFUGE

C H A R LO T T E

R A M P L I N G

HANNAH UN FILM DE ANDREA PALL AORO

“HANNAH” UN FILM DE ANDREA PALLAORO AVEC CHARLOTTE RAMPLING, ANDRÉ WILMS UNE COPRODUCTION ITALIE - BELGIQUE - FRANCE PARTNER MEDIA INVESTMENT LEFT FIELD VENTURES GOOD FORTUNE FILMS AVEC LE SOUTIEN DE EURIMAGES - COUNCIL OF EUROPE, MIBACT DIREZIONE GENERALE PER IL CINEMA, REGIONE LAZIO (POR FESR LAZIO 2014-2020), CREATIVE EUROPE MEDIA DEVELOPMENT, FONDO REGIONALE PER IL CINEMA E L’AUDIOVISIVO, LE CENTRE DU CINÉMA ET DE L’AUDIOVISUEL FÉDÉRATION WALLONIE-BRUXELLES, LE TAX SHELTER DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL BELGE, CASA KAFKA PICTURES EMPOWERED BY BELFIUS, AVEC LA PARTICIPATION DU CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L’IMAGE ANIMÉE EN COPRODUCTION AVEC RAI CINEMA, TO BE CONTINUED EN ASSOCIATION AVEC SOLO FIVE PRODUCTIONS, LORAND ENTERTAINMENT, TAKE FIVE, TF1 STUDIO, JOUR2FÊTE VENTES INTERNATIONALES TF1 STUDIO MAQUILLAGE & COIFFURE VÉRONIQUE DUBRAY COSTUME JACKYE FAUCONNIER DÉCORATION MARIANNA SCIVERES SON GUILHÈM DONZEL MONTAGE PAOLA FREDDI DIRECTEUR DE LA PHOTOGRAPHIE CHAYSE IRVIN MUSIQUE DE MICHELINO BISCEGLIA COPRODUCTEURS DOMINIQUE MARZOTTO CHRISTINA DOW PRODUIT PAR ANDREA STUCOVITZ JOHN ENGEL CLÉMENT DUBOIN ÉCRIT PAR ANDREA PALLAORO ORLANDO TIRADO RÉALISÉ PAR ANDREA PALLAORO

AU CINEMA LE 24 JANVIER 06-07_JaiPrisUnVerre_P006.indd 7

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Pourquoi le chien ?

A propos de Mercy Mary Patty, Lola Lafon, Actes sud Par F rançois Bégaudeau

S

auf à lire au minimum 50% des 600 romans de septembre, personne ne peut rien dire littérairement d’une rentrée littéraire. Le concept marketing n’est pas un concept esthétique. Néanmoins l’échantillon des vingt romans les plus en vue, les plus commentés, salués, primés pendant cette période est significatif. Significatif, non du niveau général de la production, mais d’un certain état de la réception majoritaire. Les vingt romans les plus en vue de l’automne dernier laissent penser que les récepteurs majoritaires, qu’ils soient journalistes ou simples lecteurs, ne veulent pas de fiction. Tous ou presque traitent de faits réels et présentés comme tels : E. Ionesco de son enfance, Zeniter du parcours de ses ascendants harkis, Deville d’une très authentique famille française, Liberati de son père, Désérable de Romain Gary, Guez de Mengele, Jaenada d’un fait divers des années 40, Vuillard des dessous de l’Anschluss, etc. Certaine modernité a prétendu que la littérature n’avait pas de sujet ? Oublions. Le préalable de l’écriture est, aujourd’hui plus que jamais, de dégoter un bon sujet. Mengele est un bon sujet. Une mère qui prostitue sa fille est un bon sujet. Lola Lafon n’a pas eu tort de penser que l’enlèvement de Patty Hearst, héritière d’un magnat de la presse américaine, et son ralliement à la cause de ses ravisseurs de l’armée symbionaise de libération, était un bon sujet. Le problème est que d’autres l’ont pensé avant elle. Des dizaines d’autres, depuis les faits en 74 et le procès en 75 ont écrit des milliers de trucs sur ce mythe. C’est l’envers du bon sujet : si vous n’êtes pas le premier sur le coup, vous passez derrière. Comme un journaliste s’y efforce lorsqu’il aborde un marronnier, le romancier doit alors trouver : un angle. Un bout inédit par lequel prendre la chose déjà maintes fois prise. Lola Lafon prend Patty par le bout Gene Neneva, prof américaine chargée de rendre à l’avocat des Hearst un rapport démontrant, pour la disculper, que la kidnappée a été lobotomisée par les gauchistes. Mercy Mary Patty raconte donc, non la séquestration de Patty, mais les recherches de Gene sur cette très médiatique mésaventure. Les romans documentés sont de plus en plus des romans documentants. Lafon, comme Zeniter, comme d’autres, met en scène des personnages qui compulsent des articles d’époque, exhument et scrutent des archives filmées, ou désormais voyagent dans Google (d’où des phrases so 2010 comme : « c’est en croisant quatre mots-clés que je finis par trouver etc »).

LE NEZ DANS LE TEXTE

Trois petits problèmes. L’un, mineur : cette Gene rédigerait–elle vraiment son rapport terrée dans un bled du Sud-Ouest de la France ? Et associerait-elle une provinciale pas dégourdie et vierge politiquement, Violaine, à des recherches aussi touffues ? Le second moins mineur : Gene doit donc démontrer que Patricia a été mal influencée, alors que sa base militante et féministe la porte à admettre volontiers qu’une fille de la bourgeoisie épouse de son plein gré la cause de ses ravisseurs révolutionnaires. Il y a là un contremouvement. Ainsi Gene cherche sans chercher, se documente sur ce qu’elle connait déjà. Il y a là quelque chose d’artificiel. L’artifice est le risque de la fiction. Son risque c’est aussi, que, mise en miroir d’une histoire réelle sidérante, elle fasse pâle figure. Les échanges entre Gene et Violaine paraissent bien pâles au regard du parcours de Patty, restitué par intermittences. Et bien pâles les deux pages sur Lenny, le chien de Gene, alors qu’à ce moment le lecteur ne désire que reprendre le récit des semaines de captivité de Patty. Oui « le cuir de la truffe craquelée aux commissures » du chien de Gene est bien dérisoire après lecture d’une transcription d’un des stupéfiants messages envoyés par Patty à ses proches pendant ce traumatisme qui fut peut-être un « soulagement ». Pourquoi le chien ? Pourquoi, plutôt que du Patty brut, ce dispositif par strates - Lola se remémore Violaine qui observe Gene qui enquête sur Patty. On peut le deviner : ce qui est tissé ici est un fil de transmission. Lola Lafon veut conter un processus éducatif - « votre assistante que vous éduquez pour sa grande joie ». Ce qui l’intéresse, c’est que des choses passent d’une génération à l’autre - et d’une femme à l’autre, le titre est assez explicite là-dessus. D’où par exemple ce « vous » par quoi la narratrice s’adresse directement à Gene, au risque de plomber la lecture et d’embrouiller le lecteur. Ce qui passe de l’une à l’autre ? L’idée que cet enlèvement fut une évasion. Qu’« il n’y a pas d’âmes perdues, il n’y a que des corps trop passifs, les nôtres ». Qu’« on réserve l’accusation de lavage de cerveau aux influences qu’on désapprouve ». Que Patricia a eu raison de devenir Tania. Qu’une fille gagne toujours à s’arracher, sinon au milieu bourgeois, au patriarcat qui règne partout (Gene a écrit un article sur « la place congrue » laissée aux femmes jusque dans les mouvements révolutionnaires), pour goûter à l’émancipation mutuelle des filles entre elles. Et alors le chien Lenny figure ironiquement l’homme sèchement dégagé de la place pour y ériger une école des femmes.

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Sophie Dulac Distribution et Ciné-Sud Promotion présentent

L’ENFANT

DE GOA UN FILM DE

MIRANSHA NAÏK

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JANVIE

R

THIN AIR PRODUCTIONS PRÉSENTE L’ENFANT DE GOA UN FILM DE MIRANSHA NAÏK AVEC RUSHIKESH NAÏK, SUDEH BHISE, PRASHANTI TALPANKAR, GAURI KAMAT, BARKHA NAÏK PRODUCTION THIN AIR PRODUCTIONS EN COPRODUCTION AVEC CINE-SUD PROMOTION, KEPLERFILM DÉCORS PRONITA PAL, RAVI SHAH MUSIQUE PIERRE AVIAT SON THOMAS ROBERT, JEAN-GUY VÉRAN MONTAGE SIDDHESH NAÏK, JACQUES COMETS, SUZANA PEDRO IMAGE ABHIRAJ RAWALE SCÉNARIO MIRANSHA NAÏK COPRODUCTEURS OLIVIA STEWART & JACQUES COMETS, THIERRY LENOUVEL, DERK-JAN WARRINK, KOJI NELISSEN PRODUCTEURS DÉLÉGUÉS MIRANSHA NAÏK, VINIT CHANDRASHEKARAN RÉALISATION MIRANSHA NAÏK © 2016 - THIN AIR PRODUCTIONS

/Sophie Dulac Distribution

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Grandeur et misère de la wikilittérature

R

êvons d’une 2018 délestée d’une partie de sa wikilittérature. Nul besoin de vous faire remarquer ce syndrome de la littérature française de 2017 : la désertion de la fiction, l’adoration du document. L’imaginaire est devenu une vaste prairie vide et venteuse, le Kazakhstan en plus humide et pollué. Les écrivains ont quitté ces terres avec une unanimité rageuse. Ce qui n’est pas un drame, au contraire, les écrivains forment par nature une diaspora migrante : ils peuvent écrire sur une gomme, leur mère ou le Maréchal Pétain, tant qu’ils demeurent penseurs de la langue et de la forme, peu importe. Difficile de juger que ces fous de réel que sont Peter Weiss, Doug Wright, Norman Mailer, ne soient pas écrivains. Mais la nature a horreur du vide, si les écrivains s’approprient le document, regardez qui vient conquérir le Kazakhstan romanesque ; les documentaristes. Malins, ils enfilent le costume de romancier avec le désir tenace d’en être. Et au nom de la sueur écoulée dans leurs recherches, les voilà signant une wikilittérature qui ne se mesure non plus à la langue, à la construction, aux personnages mais au taux d’information, resucée, qu’elle contient. On reconnait ces romans à la bibliographie qu’ils accolent à leur récit. Une bibliographie! Il y a une sincérité désarmante à justifier un roman par le nombre de livres lus, comme si un professeur attendait les auteurs après parution du livre. Imaginons une émission littéraire qui serait salle de classe, et derrière chaque pupitre, un écrivain, armé de sa seule bibliographie… On se met à rêver de la bibliographie de Notre Dame de Paris, livre documenté s’il en est : La Bible, tome I, tome II, Dante, La Divine Comédie, en version non abrégée…Hélas Victor Hugo (et non Victor Hugo, hélas), ne connaissait pas encore les secrets de la wikilittérature, il n’a pas goûté cette transparence

so XXIe. Car il s’agit bien de cela : transformer le roman en récit informatif, c’est obéir au dogme de l’intériorité dévoilée, illuminée plein phares, monde du travail bien fait, sans arrière-pensée. C’est aussi la désertion du territoire de l’émotion complexe et pensive, le document agencé par le storytelling, n’a jamais ébranlé personne, et nous voilà lisant comme on regarde le 20 heures, sous la menace de ce que Duras appelait « la maladie de la mort », la désensibilisation générale. Mais 2018 sera différente. La preuve, une pluie de romans excellents. Paul Auster signe une quadruple fiction borgésienne. Il nous en parle longuement dans ce numéro. Paul Beatty signe Tuff, superbe Man Booker Prize 2016 (Cambourakis). Ananda Devi nous mène dans des territoires saisissants, dans Manger l’autre ( Grasset). Prenez garde aussi à la voix, tonique, de K ate Tempest qui signe son premier roman, Ecoute la ville tomber (éditions Rivages). On ne dit pas assez comme la littérature est affaire de nerfs, bien plus que de chair et de cerveau. Peut-être est-ce pour cela que la moitié des écrivains fume, la deuxième boit, et la troisième pratique les deux. Bref, Kate Tempest. La jeune Britannique n’est pas une débutante en nervosité poétique. Elle s’est fait un nom en slamant sur scène, elle écrit aujourd’hui au son d’un battement intérieur souvent maîtrisé : « Le thème sans cesse répété qu’elle tente de fuir, la pression qui s’accumule, le crescendo ancestral. (….) Elle sent les idées noires surgir des profondeurs, l’assiéger. Elle veut les éviter, nager à contre-courant, mais elle se retrouve cernée, prise au piège, et elle la sent qui approche, l’effroyable menace, informe et massive ». Le sujet ? Deux femmes qui s’aiment dans un Londres à bout de souff le. Une peinture de notre temps aurait-on dit autrefois. Ah, il fait bon vivre dans le Kazakhstan de la littérature… Oriane Jeancourt Galignani

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Le cinéma entre dans la danse

Isadora Les Chaussons rouges L’Entreprenant de M.Petrov Invitation à la danse

Auditorium du musée d’Orsay Du 11 au 14 janvier 2018 musee-orsay.fr

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