L'observatoire du naming 2015

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JANVIER 2015



ÉDITO

Le choix d’un nom (pour une société, un produit ou un service) est une prise de position sur un marché et un acte managérial fort. De tous les éléments qui participent à la construction de l’identité d’une marque, le nom est non seulement l’élément premier – c’est l’acte de nommer qui donne vie à la marque – mais également le seul à être fondamentalement pérenne. L’identité graphique, une signature de marque, une stratégie de communication ou une campagne de communication évolueront tout au long de la vie de la marque ; le nom – sauf accident de parcours – restera inchangé.

L’Observatoire du Naming est né début 2013 d’une volonté : faire connaître la création de noms de marques. Plus généralement, il émane de la philosophie de Timbuktoo Groupe : dans une économie en pleine mutation, bouleversée par la disruption digitale, il devient indispensable de repenser le naming, d’en faire un métier tourné vers l’innovation, reconnu et valorisé. De toutes les expertises de la communication et du marketing, la création de noms est paradoxalement la plus stratégique et la moins connue de toutes.

Pourtant, il ne se passe pas une semaine sans que nous ne rencontrions des professionnels, dans des grandes entreprises autant que dans des PME ou TPE, qui ne savent pas que la création de noms est un métier. « Ah bon ? Je ne savais même pas que cela existait ! » Chez Timbuktoo, agence de naming positionnée dès sa création sur l’innovation, il a été très vite évident pour nous qu’il fallait faire connaître ce métier passionnant et singulier. Ainsi est né l’Observatoire de Naming, avec une double orientation : - analyser les attentes des entreprises et les tendances du marché d’une part, - donner de la visibilité à la création de noms

d’autre part en analysant régulièrement les noms des lancements récents. Le magazine LSA, qui décrypte chaque semaine les tendances dans la distribution et la grande consommation, et à qui nous avons proposé de relayer nos billets, s’est montré immédiatement enthousiaste, nous offrant une tribune en créant la rubrique « C’est quoi ce nom ? ». Dans cette première édition, vous découvrirez l’analyse d’une trentaine de noms créés pour des lancements de produits ou services, et pourrez vous balader dans l’univers très poétique, imaginatif, coloré et singulier de la création de noms. Je vous en souhaite une bonne lecture. L’Observatoire a vocation à s’enrichir au fur et à mesure des lancements, des idées de réflexion, des innovations qui se développent. Vos idées et suggestions seront d’ailleurs les bienvenues. N’hésitez pas à les partager avec nous ou à nous soumettre des sujets d’articles. Chaleureusement, Delphine Parlier Fondatrice et dirigeante

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AVANT-PROPOS Voir ce que les autres ont fait est pourtant la meilleure manière de se libérer de ses œillères pour se poser de nouvelles questions et ouvrir l’espace des possibles : « Et si on mélangeait des lettres et des chiffres ? Qu’est-ce que ça impliquerait ? » … « Utiliser une terminaison en « k » plutôt qu’en « -que », est-ce que ce serait moins classique ? », etc.

© Sandrine Moukagni « On attend trop de l’inspiration ; elle doit être le résultat de la recherche ; et je consens que la solution d’un problème apparaisse dans une illumination subite ; mais ce n’est qu’après qu’on l’a longuement étudié. » (André Gide, Journal des faux-monnayeurs) Au conservatoire, on analyse les compositions avant de composer ; à l’école des beaux-arts, on copie les maîtres anciens pour apprendre à peindre. L’analyse accompagne la création. Ce qui est naturel dans les formations artistiques vient parfois à manquer au quotidien des affaires.

C’est en analysant ce qui existe déjà que l’on découvre ce qui est à l’œuvre dans les créations réussies, ce qui fait qu’elles fonctionnent. Or, c’est lorsqu’on a compris quels sont les différents éléments qui font que ça marche – ou ne marche pas – que la création n’est plus de l’ordre d’un simple ressenti. Comme le suggère la citation du journal de Gide, l’inspiration joue certes un rôle dans la création. Mais si l’œuvre est excellente, c’est qu’elle est aussi le résultat d’une recherche poussée. En somme, c’est le bon critique qui fait l’excellent créateur, du moins lorsque la création veut être plus qu’expression de soi, lorsqu’elle doit servir.

les Mythologies de Roland Barthes. Et comme Barthes, Delphine Parlier et son équipe y savent prendre position et trancher. Au-delà d’un exercice de style, ce livret est donc comme une démonstration de vigueur : Timbuktoo sait séparer le bon grain de l’ivraie pour garder le nom juste et écarter les autres. Dr. phil. Klaus Speidel Docteur en philosophie, Klaus Speidel est professeur affilié à l’ICN Business School depuis 2014 et enseignant à l’EDHEC ainsi qu’à Strate, école de design. Il accompagne les entreprises dans leurs démarches d’innovation et les aide à développer leur stratégie de communication.

Vous découvrirez donc dans ce petit ouvrage des analyses de noms, qui rappellent parfois

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SOMMAIRE

8 XBOX ONE 10 SKOLL 12 ATAVIK ! BI1 ! 14 16 LA POUDRE À MAURICE 18 RED BLISS / YELLOW BLISS Nouvelle console de Microsoft

Une bière blonde aromatisée

Premières croquettes sans céréales pour toutous carnivores La nouvelle enseigne de supermarchés du groupe schiever

Cassonade mauritienne de Daddy

Cocktails anisés chez Ricard

6 | L’OBSERVATOIRE DU NAMING

20 QILIVE 22 FINLEY 24 FRITES FRAÎCHES BALL IN BOX 26 28 SIMPLISSIMO 30 LA TROP

La gamme technologique auchan

Le tonic made by Coca-Cola

Un nom absurde ?

Les boulettes de pomme de terre Fleury Michon

La sous-gamme Pastabox de Sodebo

La boisson au vin et à la bière de Hoegaarden


32 34 MAGISTA 36 AMAZON DASH 38 PLOOM LES FRUITS ET LÉGUMES 40 MOCHES 42 APURNA AUJOURD’HUI C’EST…

Les nouveaux petits plats infantiles par Blédina

La nouvelle chaussure de Nike

L’outil pour faire ses courses en ligne

L’alternative à la cigarette électronique

La nouvelle opération d’Intermarché

Gamme de nutrition sportive de Lactalis

44 46 OUIZ 48 RADIO DOUDOU 50 BIENFAITS POUR MOI 52 COCA-COLA LIFE 54 SPORTÉUS BOOMCO

Pistolets à fléchettes de Mattel

Concentré aromatique pour eau

La web-radio pour bébés

Plats nutritifs cuits à la vapeur

Coca voit la vie en vert

Boisson de récupération après l’effort

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XBOX ONE

NOUVELLE CONSOLE DE MICROSOFT

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2282 du 4 juillet 2013. Xbox One est la troisième console de jeu XBOX de Microsoft, plus puissante avec fonctionnalités multimédia. Son lancement, prévu au 4ème trimestre 2013, a été annoncé le 21 mai.

ANALYSE LINGUISTIQUE

ANALYSE MARKETING

Modèle de nom Syntagme anglais

Evocation « One » correspond à une définition de l’offre produit : le tout-en-un (all-in-one) technologique. Mais il est aussi synonyme de prééminence : c’est l’indispensable, le suprême (« he is the one », « the one thing to have »).

Prononciation Difficile : la lettre X suivie d’une consonne Euphonie Moyenne : son « X » dur, mais allitération Concurrence Noms de fantaisie : Wii, Wii U – syntagmes descriptifs : Playstation, Apple TV Potentiel international Elevé : mots anglais simples et courants, marque connue

8 | L’OBSERVATOIRE DU NAMING

Attention toutefois : one peut également renvoyer au caractère primitif (G1, 1ère génération). Originalité Faible. Box est un terme générique pour les media centers, les modems de FAI (Freebox, la Box de SFR)


Impact Faible. Rien ne définit la nouvelle génération de l’offre Xbox. Cela pourrait même qualifier l’ancien produit de l’offre Xbox, « la première Xbox sortie » !

ANALYSE JURIDIQUE

Distinctivité Faible Enregistrement Nous n’avons relevé aucun dépôt de XBOX ONE dans les registres de marques françaises, communautaires ou internationales.

Le nom a été en revanche déposé le 21 mai 2013 à l’USPTO (Etats-Unis) dans les classes 9 (video game software) et 28

(video game consoles). Microsoft a attendu la conférence de présentation du produit avant de procéder au dépôt du nom aux Etats-Unis. Noms de domaines Microsoft a déposé – toujours le 21 mai – quelques noms de domaines (xboxone.biz, .fr, .es). En revanche, à partir de 17H GMT le 21 mai, heure de l’annonce officielle, de nombreux dépôts de Xboxone ont été effectués par des particuliers ou des sociétés qui ont cherché à bloquer l’utilisation de ce nom (en espérant probablement en tirer profit auprès de Microsoft). C’est le cas des xboxone.com (site parking), xboxone .net, .eu, .it, .de, .nl, .hu, .ru, et d’autres encore. Ceci s’est produit dans les minutes qui ont suivi l’annonce officielle de Microsoft ! • |9


SKOLL

UNE BIÈRE BLONDE AROMATISÉE

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2284 du 23 août 2013. Skoll, une bière blonde aromatisée à la Vodka et aux agrumes, cautionnée par la marque-mère Tuborg (mais créée par les brasseries Kronenbourg)

ANALYSE LINGUISTIQUE Modèle de nom Mot dérivé d’un lexème danois : skål / « À votre santé ». Prononciation Facile Euphonie Forte Concurrence Noms de fantaisie : Kriska pour rimer avec vodka – toponyme : Kingston (au rhum) – lexème espagnol : Desperados (téquila). Potentiel international Créé par et spécifiquement pour le marché français.

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A priori extension possible en Europe, sous réserve de vérification linguistique. A l’exception des pays scandinaves où le nom perdrait toute son originalité.

ANALYSE MARKETING Evocation Bien que la prononciation en soit hésitante, les expressions étrangères pour « à la tienne » sont assez bien connues : prosit, cheers, na zdrowie… skål. De toute manière, l’univers construit par le nom évoque la virilité (« SK ») et l’ouverture (le « O ») et correspond par lui-même à une promesse pertinente pour le produit. Originalité Forte


Impact Fort en raison de la promesse exprimée de manière conjointe par le nom et l’identité visuelle (le bleu glacé et le visuel du viking).

ANALYSE JURIDIQUE

Distinctivité Très élevée

Enregistrement Le nom a été déposé à l’INPI en juin 2012, dans les classes 32 (dont relève la bière) et 33 (boissons alcoolisées, hors bière). Dépôt complémentaire de la signature Skoll so cold, en décembre 2012, à l’INPI en classes 32, 33 et 35 (publicité). Pas de dépôt communautaire relevé à ce jour. Noms de domaines Tous les noms de domaines génériques sont pris (.com, .net, .org, .biz)… mais aucun ne parle de bière. Même constat pour les noms de domaines des principaux pays européens. C’est une constante aujourd’hui : les noms très courts (4/5 lettres) sont tous quasiment pris. Pour trouver notre bière, il faut aller sur skolltuborg.com. • | 11


ATAVIK !

PREMIÈRES CROQUETTES SANS CÉRÉALES POUR TOUTOUS CARNIVORES

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2288 du 19 septembre 2013. Atavik !, ou comment de jeunes entrepreneurs ont créé des croquettes pour chiens à base de viande et de légumes, mais sans céréales pour respecter la nature essentiellement carnivore des chiens.

ANALYSE LINGUISTIQUE Modèle de nom Néologisme formé à partir de l’adjectif « atavique ». Prononciation Facile : alternance classique voyelle-consonne-voyelle. Euphonie Forte : les occlusives non-voisées « t » et « k » peuvent paraître dures, mais leur articulation autour de la fricative voisée « v », douce, et le rythme consonnevoyelle produisent un impact fort. Concurrence Noms de marques + descripteurs : Purina Proplan , Pedigree

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Professional Nutrition (produits premium) – noms de fantaisie et de chiens : Friskies, Fido (mass market) Potentiel international Connotations à vérifier à l’international, mais l’existence du mot « atavisme » dans plusieurs langues romanes et germaniques (anglais atavism, italien atavismo, allemand Atavismus…) laisse supposer une certaine facilité de lecture et de prononciation dans ces familles de langues.

ANALYSE MARKETING Evocation Le concept « élitiste » d’atavisme (la réapparition de traits génétiques anciens), renvoie à la santé originelle.


Mais il se marie à l’affectif populaire via une exclamation pleine de vigueur du maître à son chien (« attrape ! », anglais « attaboy !»). De fait, le point d’exclamation joue un rôle majeur dans le nom. L’orthographe finale en « -ik » évoque la force

nordique et rappelle un nom de chien (« Vik »). Originalité Forte. La rareté du mot « atavique », son orthographe modifiée et son point d’exclamation en font une création surprenante. Impact Fort. L’originalité du nom crée un haut de gamme non pas froid et distant, mais au contraire chaleureux et susceptible d’attirer une cible nouvelle.

ANALYSE JURIDIQUE

Distinctivité Forte : nom de fantaisie totalement déconnecté de la catégorie de produit.

Enregistrement La société a déposé « ATAVIK ! » le 5 mai 2011 à l’INPI dans les classes de l’alimentaire (29, 30, 31), dans la classe 44 (services vétérinaires, toilettage d’animaux…), mais également dans les deux classes des boissons alcoolisées et non-alcoolisées (32, 33) ; à quand une boisson pour les toutous ? Noms de domaines L’entreprise détient atavik.fr, .net, .org, .eu et .be mais n’exploite actuellement que le .fr. Le nom de domaine atavik. com est à vendre (2 595 $). Il pourra donc éventuellement être racheté par l’entreprise. •

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Bi1 !

LA NOUVELLE ENSEIGNE DE SUPERMARCHÉS DU GROUPE SCHIEVER

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2292 du 17 octobre 2013. Supermarché de proximité, ex-Atac, du groupe Schiever/Auchan. Bi1 était à l’origine une ligne de produits qualité d’Atac.

ANALYSE LINGUISTIQUE

ANALYSE MARKETING

Modèle de nom Abréviation en langage SMS du lexème « bien ».

Evocation « Bi1 » communique la qualité globale de l’enseigne. Mais c’est évidemment l’orthographe SMS qui frappe : volonté de toucher des cibles plus jeunes, plus populaires, et d’en faire « leur » magasin, mais avec le risque de s’aliéner une clientèle plus traditionnelle. Le groupe Schiever/Auchan semble adopter cette démarche de manière récurrente puisqu’il avait déjà lancé l’enseigne de magasins de proximités A2Pas (« à deux pas ») en 2012.

Prononciation En principe très facile, mais l’orthographe SMS peut dérouter les plus âgés. Euphonie Forte Concurrence Noms d’enseignes + descripteur : Carrefour Market, Intermarché Super, Super U – mots-valises : Biocoop. Potentiel international Faible. Le mot français « bien » ne sera pas décodé ; le nom sera lu comme « bi-one ».

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Originalité Fort sur l’orthographe. Faible sur le concept lui-même, qui reste assez vague. « Qu’en pensez-vous ? – C’est bien. »


Impact Moyen. S’attaquer à une cible jeune avec du langage SMS représente un pari, dont le risque potentiel est de perdre la cible traditionnelle.

ANALYSE JURIDIQUE

Distinctivité Forte. Le nom est commun, mais pas descriptif de l’activité, et son orthographe le rend original et distinctif.

Enregistrement Les dépôts de marques du groupe Schiever sont instructifs : ils révèlent que le premier dépôt concernait la dénomination « Bi1 Bien » (vs Bi1), et concernait non pas une activité de distribution (classe 35) mais une marque de MDD pour des produits alimentaires (classes 29, 30, 31) et nonalimentaires (classes 5 et 21). Noms de domaines Le site de l’enseigne utilise les noms de domaine bi1.fr, demarchebi1.com et demarchebi1.com. Le domaine bi1.com est à vendre ; bi1.net et bi1.org sont des sites parkings. Reste bi1.de, déposé par une autre entité mais inactif. •

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LA POUDRE À MAURICE

CASSONADE MAURITIENNE DE DADDY

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2296 du 7 novembre 2013. Daddy lance son nouveau sucre roux au goût de l’île Maurice.

ANALYSE LINGUISTIQUE

ANALYSE MARKETING

Modèle de nom Syntagme français (combinant lexème et toponyme).

Evocation En cohérence avec l’esprit de « bonne humeur » et de « folie » que veut s’approprier la marque, « La poudre à Maurice » est totalement originale. Elle dégénérise l’offre en jouant la connivence (le prénom) vs. la connaissance (l’île), l’empathie (le dodo) vs. l’information (la carte géographique), l’appropriation (« à ») vs. la description (« de »). Au final, cette offre est endossée par un petit personnage qui confère son caractère bienveillant à un produit traité jusqu’ici comme une « matière première exotique ».

Prononciation Facile : langage parlé Euphonie Forte Concurrence Un toponyme (imaginaire?) : Blonvilliers chez Beghin Say. Les autres produits concurrents (groupes Saint-Louis, La Perruche, et Erstein) utilisent le nom générique cassonade. Potentiel international Faible : expression française

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Originalité Forte, en soi mais aussi parce que c’est la première fois qu’on sort du générique.


Impact Fort, à partir du moment où, comme c’est le cas ici, le concept est incarné par un petit personnage explicitant le prénom « Maurice ».

ANALYSE JURIDIQUE

Distinctivité Forte

Enregistrement Pas de demande de dépôt de marque relevée à ce jour (19/09/13). Noms de domaines Pas de dépôt de nom de domaine à ce jour (19/09/13). • | 17


RED BLISS / YELLOW BLISS

COCKTAILS ANISÉS CHEZ RICARD

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2298 du 21 novembre 2013. Avec sa nouvelle gamme pour les femmes, Ricard réinvente le cocktail anisé.

En lançant Red Bliss et Yellow Bliss, Ricard affronte un double défi marketing : - moderniser l’image de marque de son produit phare – le fameux « Un Ricard, sinon rien » des années 80. - développer une clientèle hors pastis traditionnel, en faisant jouer à « Ricard » le rôle de marque caution. C’est d’évidence le but poursuivi par la gamme des deux cocktails Red Bliss (cranberry, orange) et Yellow Bliss (pomelo, menthe), tous deux complétés d’une « pointe d’anis » et signés Ricard.

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Pourquoi ces noms ? A première analyse, on dira que la sonorité, l’évocation du baiser (kiss, certainement plus connu que bliss), l’association à des couleurs ont tout pour plaire à une clientèle nouvelle – en l’occurrence féminine et plutôt populaire – en construisant un univers d’un romantisme à la « Harlequin ». Mais plus profondément, ces noms sont une belle illustration de la politique de long terme de la société Ricard. Aujourd’hui les cocktails comprenant du pastis ont des noms qui évoquent l’univers sympathique mais désuet et franchement


machiste des films d’Audiard : le Mazout, le RG, la Tronçonneuse, le Pérozoute, le Rorou, etc. Les noms Red Bliss ou Yellow Bliss gardent leur « pointe d’anis » avec la finale « iss », mais s’ouvrent à un univers différent en répliquant tout simplement la mécanique de cocktails appréciés des femmes comme Pink Love ou White lady. Le fait que le nom Ricard apparaisse fortement sur le pack, et qu’ils bénéficient de son puissant soutien, ne peut que participer à la construction d’une equity « Ricard » plus sophistiquée et plus contemporaine. •

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QILIVE

LA GAMME TECHNOLOGIQUE AUCHAN

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2300 du 5 décembre 2013. Auchan lance sa marque de MDD technologique.

Dans l’univers high-tech, rares sont les distributeurs qui proposent leur marque propre. Auchan jette un pavé dans la mare en lançant sa gamme Qilive, qui comprend

pour l’instant un téléviseur et des tablettes, mais est amenée à se développer puissamment à l’avenir. Le nom doit répondre à une double contrainte : d’abord, garder l’avance d’Auchan sur cette offre en en marquant sans ambiguïté l’origine, mais aussi trouver un nom évoquant le high-tech, alors que la grande distribution, Auchan compris, bénéficie plutôt d’une image construite par le PGC, le frais, etc. Auchan a fait le choix

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d’un positionnement sur la « vie » dès les années 80 qui perdure aujourd’hui : « Vivons mieux. Vivons moins cher. ». C’est là toute l’originalité de sa stratégie. L’enseigne ne pouvait dès lors marquer

cet engagement propre qu’en l’intégrant dans le nom de sa nouvelle gamme. D’où le « live » de Qilive, traduction littérale du mot « vie » en anglais, langue « jeune et moderne ». « Qi » est quant à lui éminemment technologique : on pense au quotient intellectuel bien sûr, à « qualité », mais aussi à ces autres mots en « Q », rares dans la langue française qui relèvent souvent de la physique : « quantique », « quark », « quasar », etc. En parlant de hightech, le personnage expert en gadgets technologiques de James Bond ne s’appelle-t-il pas Q ?

Auchan affiche avec ce nom une brillante réussite : Qilive porte le positionnement de l’enseigne sans occulter la dimension moderne/high-tech indispensable aux produits qu’il marque. •

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FINLEY

LE TONIC MADE BY COCA-COLA

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2302 du 16 janvier 2014.

Avec l’Indian Tonic, Schweppes avait développé à la fin du XVIIIe siècle une boisson orientée noblesse, gentry, posh. Du British distingué par excellence. De son côté, Coca-Cola imposait au monde entier une image de l’Amérique insolente de jeunesse. Aujourd’hui, les rôles s’inversent comme au carnaval : Schweppes se positionne sur le créneau des « 25-49 ans qui “aiment la nuit” » (dixit Stan de Parcevaux, directeur marketing France d’Orangina Schweppes) avec une campagne provocante qui sort la

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marque de son univers de référence… et Coca-Cola réinvestit le segment traditionnel du tonic en relançant la marque Finley.


De fait, Finley s’engouffre dans l’espace libéré par Schweppes. Pas seulement en adoptant une étiquette jaune citron, mais en recréant le mythe de la boisson gazeuse sophistiquée pour gentlemen qui se respectent. Le nom de la marque en témoigne : le patronyme Finley, nom irlando-écossais qui vient du nom gaélique Fionnlagh (littéralement « beau guerrier ») donne à la marque un ancrage puissant, une autorité et une distinction 100% britanniques. Avec ce

patronyme aux valeurs aristocratiques, deux personnages liés par leur éducation sans faille viennent à l’esprit : Finley, c’est aussi bien le noble rompu à l’art de vivre (Blessed Be the Name of the Lord Finley est un chant religieux) qu’un majordome impeccablement soigné ou un valet de chambre érudit à la Jeeves. Coca-Cola remet au goût du jour un nom et une marque dont les évocations sont fortes et différenciantes. L’intérêt vient aussi du timing : sans Schweppes pour maintenir l’image « noble » du tonic, le nom Finley reprend efficacement le flambeau. •

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FRITES FRAÎCHES

UN NOM ABSURDE ?

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2304 du 30 janvier 2014.

Dans un pays où la gastronomie est classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, le « Frais » est le mythe, la référence absolue, le synonyme d’excellence alimentaire pour nos concitoyens. Mais le « frais », c’est bien loin de n’être que le « produit du jour », le poisson qui vient d’être péché ou le fruit qui vient d’être cueilli. Le Frais est un concept malléable qu’une grande marque peut et doit réinventer (ce que Picard – distributeur préféré des Français – a bien compris). Le frais c’est d’abord une technique de conservation et un rayon qui bonifie tout ce qui a l’honneur

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d’y être admis : la même compote Andros sera bien plus désirable présentée au rayon frais. Mais le Frais désigne aussi imaginairement la qualité d’une nouveauté attirante et sympathique. La fraîcheur, c’est une façon de voir le monde et de savoir le réinventer.

veut marier une attitude (tournée vers la nouveauté) et une offre goûteuse et de qualité. Et même si le nom n’est pas protégeable parce que non distinctif, ce n’est pas un gros risque pour Lustucru : d’abord la marque est depuis longtemps associée à la « fraîcheur » (les « œufs frais »)… Et puis, un copieur ne servirait-il pas un peu du « réchauffé » ? •

Au final, « Frites fraîches » est donc un nom absurde si on assimile « fraîcheur » aux produits issus de la ferme. Mais il est remarquable si Lustucru | 25


BALL IN BOX

LES BOULETTES DE POMME DE TERRE FLEURY MICHON

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2305 du 6 février 2014.

Ball in Box sont des boulettes accompagnées de pomme de terre. Cette forme en bille est traditionnelle dans beaucoup de pays, mais elle n’appartient pas au lexique alimentaire français. C’est pourquoi Fleury Michon a pris le parti d’un nom inhabituel et déconcertant. D’abord par son origine anglo-saxonne évoquant clairement le fast food ( Kream Ball est une glace au lait vendu chez KFC, Jack in the Box une chaîne de fast food implanté sur la côte ouest des EtatsUnis…), et donc une nourriture encore perçue comme de piètre qualité. Ensuite et surtout : Ball renvoie à une forme (et non à une recette ou un ingrédient comme le veut la coutume), et à une forme ronde évoquant en France la nourriture animalière. Le Food-Ball est un support à

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nourriture pour rongeur et lapin, le Ball Buffet un distributeur pour perroquets, Snack-A-Ball une balle à nourriture pour chevaux (« Idéale pour chevaux et poneys en surcharge pondérale » !), etc. L’aspect provocant du nom est d’ailleurs parfaitement perçu par une cible à qui ça « fout pas les boules » (sic, dans le Forum my burger), même si le concept « m’en touche une sans faire bouger l’autre » (en référence aux « balls » anglais, commentaires sur nouveautés-conso.com). Voilà un nom qui ne plaira sans doute pas aux adultes. Ça tombe bien, ce sont les jeunes qui sont la cible ! •


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SIMPLISSIMO

LA SOUS-GAMME PASTABOX DE SODEBO

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2307 du 20 février 2014.

SODEBO est une marque à succès : créée en 1960, elle n’a cessé de se développer en anticipant les demandes montantes de snacking original et qualitatif. Tout va-t-il alors pour le mieux dans le meilleur des mondes du naming ? Pas forcément. La segmentation de l’offre SODEBO dans l’univers d’origine « Sandwiches » a abouti à 14 gammes, et d’autres offres ont vu le jour (« Pizzas », « BOX », « Salades », « Crêpes et Galettes », « Snacks », « Asiatique ») qui ont elles-mêmes multiplié les dénominations. Résultat : il y a beaucoup de noms, et notre nouveau produit ne simplifie pas le travail du consommateur en lui proposant une triple entrée – selon la marque (« SODEBO »), le segment (« Pasta Box »), et la gamme (« Simplissimo »).

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Le sujet décisif n’est donc pas tant celui de l’appellation de la gamme (« Simplissimo » est-il un « bon » ou « mauvais » nom ?) que celui de l’architecture de marque dans lequel il s’inscrit. Celle-ci doit renforcer la lisibilité et la puissance de l’offre et lutter contre l’« entropie » de la réussite qui amène à gérer chaque année une masse plus grande de dénominations. C’est pourquoi toute grande marque devrait « checker » son architecture tous

les 5 ou 10 ans. Que SODEBO innove et veuille « structurer l’offre box », c’est évidemment une excellente initiative. Mais celle-ci ne peut prendre toute son efficacité qu’à l’aune d’un regard global sur son portefeuille de noms. •

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LA TROP

LA BOISSON AU VIN ET À LA BIÈRE DE HOEGAARDEN

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2310 du 13 mars 2014.

Parmi les nombreux malheurs affligeant l’espèce humaine, la nécessité de varier son alimentation – contrairement à la vache par exemple – est l’un des plus paradoxaux : il nous faut sans cesse manger (ou boire) du « nouveau », mais en même temps, le changement nous effraie (ce que les sociologues appellent la « néophobie »). Il est donc indispensable aux marketers à la fois d’étonner et de rassurer – ceux de Nespresso, le plus grand succès de la décennie, l’ont fait de main de maître. Visiblement, la nouvelle boisson dont nous parlons n’a choisi que d’étonner, voire de provoquer : une catégorie inconnue (« boisson maltée à base de bière »), un packaging incertain (entre le vin et la bière), une couleur indéfinie…

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Loin de clarifier l’offre, le nom la rend encore plus opaque : Trop c’est d’abord « Saint-Tropez ». Mais comment le comprendre quand on effectue une abréviation au carré (de « Saint-Tropez » à « Saint-Trop’ », puis à « Trop ») ?

malheureusement, Trop sera sans doute « too much » pour lui. •

« Trop », c’est aussi l’interjection qui dans le langage « jeune » manifeste le contentement et l’admiration : « c’est trop », « trop fort », etc. Mais une des lois du naming consiste à privilégier le point de vue de la marque sur celui du consommateur (peu d’exceptions, sinon le « Je n’arrive pas croire que ce n’est pas du beurre » d’Unilever). Quant au féminin de la signature « la rosée de Provence », il ajoute encore à l’incertitude. Faire de l’innovation, ce n’est pas confronter le consommateur au chaos ; | 31


AUJOURD’HUI C’EST...

LES NOUVEAUX PETITS PLATS INFANTILES PAR BLÉDINA

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2313 du 3 avril 2014.

Dans le segment de l’alimentation infantile, les noms sont traditionnellement descriptifs : la règle est d’utiliser une dénomination générique (soupe, légumes) à laquelle on adjoint un mot lui donnant un côté enfantin. Par exemple « Petit » (voir P’tites recettes, P’tit goûter, P’tit onctueux de Nestlé ou Les petits gourmets du challenger Hipp) ou « Premier » (Mes premiers légumes de Hipp, Mon premier pot de Blédina, etc.). Aujourd’hui, les choses changent. Par exemple, Nestlé choisit de nommer sa gamme phare en nutrition infantile NaturNes, en référence au

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concept de naturalité. Et Blédina utilise un nouveau nom, Aujourd’hui c’est.., qui est remarquable à deux égards. D’abord, il met en avant la diversité de la gamme (si aujourd’hui c’est X, demain ce sera Y) et sa « fraîcheur » (notion de plat du jour).

avec un plat qu’elles n’ont pas préparé elles-mêmes. Au final, Aujourd’hui c’est… représente l’exemple parfait d’un nom de gamme illustrant à la fois l’insight consommateur central et le concept général de la marque – en l’occurrence « Blédina, du côté des mamans ». •

Mais surtout, il parle en quelque sorte à la place de la maman : Aujourd’hui c’est… renvoie à l’expression de la mère présentant le plat à son bébé. C’est un moyen particulièrement habile de pallier la vague mauvaise conscience que les mères ressentent à nourrir leur petit | 33


MAGISTA

LA NOUVELLE CHAUSSURE DE NIKE

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2315 du 17 avril 2014.

« Se donner les moyens de ses ambitions », un conseil précieux et universel. La firme Nike, du grec nikê, « la victoire », est bien placée pour le savoir. L’ambition ? Que « le football ne [soit] plus jamais le même », rien de moins. Le moyen ? Magista, la chaussure du mondial 2014. « Quoi, juste Magista ? » Pour un si gros projet, le nom semble presque trop simple. Pourtant, il est terriblement efficace. Magista, c’est bien sûr magister le « maître », le « chef » en latin, qui a donné « magistral » en français. Une position d’autorité incontournable et incontestable, en somme, mais aussi une recherche d’exceptionnalité pour la marque : Magista évoque aussi la « magie » ;

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elle ne saurait être comparée à une chaussure normale. Alors, quitte à faire simple, pourquoi Magista plutôt que Magister ? A la rigidité professorale de Magister, la finale -ista oppose une alternative énergique et sportive à l’espagnole ou à l’italienne


(vista, pianista…) – pays de longue tradition « footballistique ». On serait tenté de fusionner les deux mots : « Magistar », car un footballeur qui brille à la Coupe du Monde est voué à la célébrité, donc devient une star. Nike évite ce piège en faisant preuve d’une habile retenue. Peu importe le show-biz. Ce qui importe, c’est de révolutionner l’art vif et maîtrisé du football. •

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AMAZON DASH

L’OUTIL POUR FAIRE SES COURSES EN LIGNE

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2317 du 30 avril 2014.

Quel marketeur ne rêve pas de trouver un nom de produit dont tous les sens renvoient à son concept ? Un exemple ? Dash, le nouvel appareil domestique d’Amazon pour dresser simplement sa liste de courses sur AmazonFresh (son magasin américain de produits frais en ligne). C’est bien le triple sens du mot anglais dash qui fait la force de ce nom : to dash, qui signifie « se précipiter », rappelle ces situations d’urgence où l’on aurait bien besoin de racheter un pot de sauce tomate pour finir sa bolognaise, et surtout de pouvoir le commander rapidement. “A dash of”, pour « une pincée (de sel) », « une goutte (d’huile d’olive) », renvoie bien évidemment à l’utilité alimentaire de l’objet, car ce sont souvent ces assaisonnements et autres produits accessoires qu’on oublie toujours d’acheter et qui font pourtant toute

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la différence entre bonne et mauvaise cuisine. Enfin, “a dash”, c’est « un tiret » ou « un trait », signe de ponctuation mais aussi signe codé… comme un code-barres ! En effet, Amazon Dash offre la possibilité de scanner facilement les emballages de son domicile pour les ajouter automatiquement à sa liste de courses et « refaire le plein ». Polysémique et multifacettes, le nom Dash confère au produit un positionnement centré sur les contextes d’utilisation du consommateur : achat pressé et rapide, préparation culinaire plus subtile ou simple besoin de remplir son réfrigérateur. Amazon Dash nous rappelle que, si l’on est ce qu’on mange, on mange surtout ce qu’on a, et qu’on peut facilement commander et


se faire livrer ce qui nous manque. Reste une question que nous nous posons : aujourd’hui, Amazon se limite au frais, mais est-ce que la firme élargira son offre aux

produits de grande consommation, voire proposera une MDD à terme ? Avec un nom aussi simple, on pourrait craindre des soucis

d’indisponibilité juridique. C’est vrai, beaucoup de noms de marques contiennent le mot dash (on pense par exemple à la lessive Dash en France). Ce n’est pas un problème car le droit des marques repose, entre autres, sur un principe de spécialité : plusieurs marques aux noms similaires peuvent cohabiter si elles sont déposées dans des classes de produits ou services différentes. Ainsi, les stylos et autres produits de luxe Montblanc sont déposés entre autres dans les classes 14 (montres) et 16 (instruments d’écriture), tandis que les crèmes desserts Montblanc ont fait l’objet de dépôts dans les classes 29 (desserts à base de lait ou de produits

laitiers) et 30 (café, sucre, gâteaux…). En l’occurrence, l’activité de distribution relève de la classe 35, tandis que la lessive Dash (Procter & Gamble) a fait l’objet de dépôts en classe 3 (produits pour laver et blanchir). En fait la question n’est pas tant juridique que stratégique : aujourd’hui, Amazon se limite au frais ; demain, la firme élargira-telle son offre à l’ensemble des produits de grande consommation ? Et lancera-t-elle ses propres marques de MDD ? En d’autres termes, à quand la lessive Amazon ? •

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PLOOM

L’ALTERNATIVE À LA CIGARETTE ÉLECTRONIQUE

Article publié sur timbuktoo-naming.com le 15 mai 2014.

Aujourd’hui, on ne fume plus, on ne crapote plus : on vapote. Une innovation langagière qui en dit long sur le statut des cigarettes électroniques, qui s’imposent comme une nouvelle catégorie de produits au sein du marché du tabac. Dans cette effervescence « tabagique », la société américaine Ploom a débarqué sur le marché français le 15 avril dernier avec une cigarette électronique alternative à base de capsules de tabac, elle aussi baptisée Ploom.

Les marchés anglophones comprendront sans mal ce qui se cache derrière ce nom insolite : Ploom est une déformation orthographique du mot anglais plume (prononcé « ploum »), qui signifie « panache » de fumée dans la langue de Shakespeare, en référence à la vapeur visible et odorante caractéristique des cigarettes électroniques. Une image d’une certaine classe mêlée à une graphie originale et une sonorité légère, enfantine qui contrastent avec le sérieux et la gravité ordinaires d’un univers fortement stigmatisé par les questions de santé. Certes, pour un public français, le sens anglais du mot « plume » se perd. C’est malheureusement

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une contrainte classique des noms de marques internationales comme Whirlpool, dont le sens anglais échappe aux consommateurs non-anglophones. Il reste que le caractère iconoclaste du nom demeure en langue française. Le nom Ploom contribue ainsi efficacement à la réalisation de l’objectif d’originalité fixé sur le site de la firme : « repenser le tabac ». •

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LES FRUITS ET LÉGUMES MOCHES

LA NOUVELLE OPÉRATION D’INTERMARCHÉ

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2321-2322 du 28 mai 2014. Intermarché se lance dans la promotion des fruits et légumes « moches » pour lutter contre le gaspillage alimentaire, et ne s’en cache pas. Nom choc pour campagne choc.

Dans un monde où le culte de la beauté envahit tout – non seulement la mode et le show business, mais aussi la politique ou les entreprises – est-il bien raisonnable de lancer des produits « moches » ? Bien sûr que oui ! Quand on a une promesse forte à faire valoir (ici : défendre la planète et son portefeuille), être un peu provocateur est une garantie d’impact. Mais pour ce nouveau concept, on aurait pu imaginer bien des

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dénominations. Pourquoi donc avoir choisi le mot « moche » ?


D’abord, parce qu’il est issu d’un parler populaire ancien, mais toujours d’actualité (cf. le film : « Moi, moche et méchant ») : Intermarché ne lance pas un gadget « bobo » mais une offre pour tous, et surtout les plus modestes. Ensuite, et c’est le plus important, parce que sa « négativité » même en fait la revendication d’une nouvelle attitude de (dé)consommation. Quand le monde devient aussi précaire et que la contrainte budgétaire est permanente, il ne s’agit pas

seulement de consommer moins cher, mais de consommer d’une manière radicalement autre. Quel meilleur moyen pour faire comprendre ce grand bouleversement que de revendiquer un mot qui évoque la laideur, la contrainte, la gêne ? Avoir la fierté de savoir se contenter de peu, c’est le contre-pouvoir des sans-grades rusés et malins face à l’establishment. Avec les « Fruits et légumes moches », Intermarché est avec eux. A l’heure où nous publions ce billet, nous apprenons qu’Intermarché fait des émules : Auchan et Monoprix se sont lancés dans une opération similaire baptisée Quoi ma Gueule ?, en collaboration avec le collectif de producteurs Les Gueules Cassées. Affaire à suivre… • | 41


APURNA

GAMME DE NUTRITION SPORTIVE DE LACTALIS

Article publié sur timbuktoo-naming.com le 16 juin 2014.

Nous ne disposons pas d’informations officielles sur le sujet, mais de toute évidence la stratégie marketing de Lactalis a été conçue autour du nom « Annapurna » : la promesse « Atteindre son sommet » en fait foi. Ce nom aurait été évidemment très intéressant car porteur d’une idée d’exploit sportif (gravir un sommet) associé à un « air pur » qui va bien avec l’equity Lactel (contrairement à l’évocation d’une performance sportive dans le désert ou dans l’eau par exemple). Le nom « Annapurna » n’était – malheureusement pour Lactalis – pas disponible, car il existe déjà deux marques éponymes déposées dans les classes 29 et 30 (produits alimentaires, dont produits laitiers). Il ne faut malheureusement pas

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en être surpris tant les « ressources » de noms de marques ont diminué au cours de 10 dernières années (environ 20 millions de marques actives dans le monde !). Plutôt que de trouver un nom totalement différent, Lactalis a choisi de supprimer trois lettres au mot original. C’est une décision habile, car la construction même du mot garde l’idéal de pureté : on retrouve le mot « pur » à l’intérieur du nom, et celui-ci est


encadré par la voyelle ouverte « a » légère, aérienne. Au demeurant, cette proximité visuelle, phonétique et conceptuelle avec le mont himalayen est opérante : la newsletter de Stratégies.fr a d’abord parlé du lancement d’ « Annapurna » avant de corriger son erreur ! •

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BOOMCO

PISTOLETS À FLÉCHETTES DE MATTEL

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2325 du 19 juin 2014.

En 1967, Serge Gainsbourg, dans sa chanson culte Comic Strip, s’était amusé de quelques onomatopées à la mode issues de la BD : « Ça fait WHIN quand on s’envole et puis KLING, après quoi je fais TILT et ça fait BOING ».

Cependant, leur utilisation était alors limitée à la langue courante, et rares étaient les marques qui osaient les utiliser (à l’exception notable de Pschitt). Une

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marque se devait d’être sérieuse, rassurante et ancrée dans une origine : d’où la fréquence des patronymes (Michelin) ou des marqueurs géographiques (Air France).

(compagnies aériennes) et autres Bing, Sosh ou Waaoh.

Aujourd’hui, tout semble avoir changé, et on voit apparaitre des Hop et Wizz

Quoi de plus simple si on veut vendre un jeu qui permet de « s’éclater » avec ses « potes » (cf. le site) que le nom Boomco ? Pas très malin sans doute, mais imparable : le nom est synonyme de ce dont vous allez

L’influence du langage « texto » est évidente. Mais on y trouve aussi l’idée qu’une marque se doit d’être « cool », à l’écoute de ses consommateurs et qu’il faut leur communiquer le plus simplement possible une promesse à laquelle ils vont adhérer (et si possible mondialement).

bénéficier, il induit une compréhension intime entre la marque et son public. Certes ce n’est pas avec un nom comme celuilà qu’on se construit une autorité sur un marché, mais ce n’est pas le sujet pour un produit de mode comme le « blaster ». Et toc ! •

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OUIZ

CONCENTRÉ AROMATIQUE POUR EAU

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2328 du 10 juillet 2014.

Au premier abord, il semble que les promoteurs du « concentré aromatique » Ouiz aient voulu inventer une onomatopée assurant une image originale et attractive à leur nouvelle offre. Sur l’originalité, on ne manquera pas de relever l’analogie avec la compagnie aérienne Wizz – « Wizz » évoquant l’éclair et la vitesse. Quant à l’attractivité, si Pschitt évoque bien une boisson qui fait ce bruit quand on la débouche, quel rapport peut-on donc trouver entre Ouiz et un sirop ? A l’aune de l’onomatopée, Ouiz n’est donc pas une grande réussite : sans sens identifiable, la marque n’est plus qu’un son un peu bizarre, comme si on avait voulu faire « jeune », selon

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l’orientation donnée à ce mot chez les marketers quadragénaires… En réalité, la mention « enchanteur d’eau » qui apparaît sur le pack révèle un sens tout différent – et bien plus intéressant : pour ceux qui parlent anglais, la référence à wizard (magicien) est évidente. Ouiz ne serait donc pas une onomatopée, mais le diminutif du mot (techniquement : l’apocope phonétique). Et celui-ci évoque la métamorphose que génère ce produit

(d’une eau fade à une boisson qui a du goût), un film mythique (le Magicien d’Oz), voire la puissance de l’alchimiste à la portée du consommateur moyen ! Si Ouiz a de grandes ambitions et projette d’attaquer rapidement les Etats-Unis, sa démarche est risquée, mais séduisante. Alors que la plupart des marques trouvent un nom adéquat au pays de lancement et sont ensuite bloquées dans leur développement, Ouiz est déjà prêt pour l’étape 2 – à charge pour lui de ne pas rater la première marche. •

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RADIO DOUDOU

LA WEB-RADIO POUR BÉBÉS

Article publié sur timbuktoo-naming.com le 27 août 2014.

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Le marketing des bébés nous apporte une innovation dans un univers jusquelà réservé aux adultes et aux ados : la radio. Dans la conscience collective, les enfants en bas âge écoutent des berceuses, des comptines… bref, de la musique spécialement conçue pour eux, et rien d’autre. C’est ce à quoi veut remédier Radio Doudou, la première radio en ligne destinée aux 0-3 ans qui pioche également des morceaux appropriés dans l’éventail

de la musique « légitime » pour adultes : classique, jazz, pop… Si le concept séduit, la qualité de son nom est moins évidente. Le mot « doudou », en soi, est adapté et intéressant : moins banal et descriptif qu’un « Radio Bébé » par exemple, il symbolise l’univers enfantin. Le doudou, cet objet mystérieux qui peut prendre toutes les formes et accompagne l’enfant partout où il va, rassure au même


titre que la musique apaise et adoucit les mœurs. Toutefois, pour une offre éclectique qui permet entre autres aux parents en mal de patience de ne pas recourir aux trois mêmes comptines en boucle, le nom Radio Doudou omet totalement la spécificité de cette radio. Il n’exprime ni la promesse aux enfants – de la « vraie » musique –, ni le bénéfice aux parents – finies les sessions musicales répétitives et, il faut bien l’avouer, un peu gentillettes. Alors que l’offre semble prendre les enfants et leur éveil musical au sérieux, le nom renvoie finalement à une vision contreproductive de la petite enfance car vague, quelque peu mièvre et finalement trop convenue pour ce concept original. • | 49


BIENFAITS POUR MOI

PLATS NUTRITIFS CUITS À LA VAPEUR

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2338 du 16 octobre 2014.

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On traite habituellement la diététique et l’équilibre alimentaire avec un certain sérieux. Pour autant, cela ne doit pas en faire oublier la finalité : pouvoir apprécier la vie simplement et avec un enthousiasme de tous les instants. La société Nutrifood semble consciente de cet objectif, à en juger par sa nouvelle gamme de plats nutritifs cuits à la vapeur au nom original : Bienfaits pour Moi. Un jeu de mots simple pour une idée simple : bien se nourrir, c’est se soucier de soi-même, prendre soin de soi. Voilà donc un nom on ne peut plus clairement positionné sur un bénéfice utilisateur – « bienfait », la traduction littérale du latin beneficium, et « moi », qui renvoie évidemment au consommateur.

Le jeu de mots avec l’expression « bien fait pour toi », habituellement négative, rend le nom paradoxalement accessible et sympathique par son côté taquin. On aurait même envie de lui accoler un point d’exclamation pour marquer plus franchement son côté rebelle. Cette pointe de dérision amusée, qui passe par le jeu de mots, est inattendue dans le naming ; elle pourrait bien se révéler efficace en prenant le contrepied de l’image sérieuse de la diététique, tout en recentrant clairement l’offre sur le consommateur et son bénéfice. •

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COCA-COLA LIFE

COCA VOIT LA VIE EN VERT

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2342 du 13 novembre 2014.

La déferlante stevia, ce substitut plus sain du sucre et de l’aspartame, séduit tout l’agroalimentaire. Dernier en date : Coca-Cola et sa nouvelle alternative enrichie à la stevia baptisée Coca-Cola Life. Un nom éminemment « Coca » et un nouvel exemple de « naming mécanique » pour la marque. A l’instar de Coca-Cola Light et Coca-Cola Zero, Coca-Cola Life est en effet construit sur le modèle « nom de marque + descripteur », une formule qui a fait ses preuves pour Coca-Cola. Mais l’originalité et l’efficacité de cette nouvelle déclinaison vient de son caractère évocateur : si Light (« allégé ») et Zero (« zéro sucre ») expriment directement une promesse produit, Life exprime quant

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à lui une valeur : le respect et la célébration de la vie par une


consommation plus saine. Surtout, le nom Coca-Cola Life s’inscrit pleinement dans la stratégie de marque et l’ADN universel et multigénérationnel de Coca-Cola. Rappelons-nous les slogans empreints d’optimisme et de joie de vivre initiés au tournant du millénaire, et qui continuent encore aujourd’hui d’imprégner la marque : « Enjoy », « The Coke Side of Life », « Ouvre Coca-Cola, ouvre du bonheur », « Life begins here »… On attend de goûter le produit, mais CocaCola Life est pour nous un nom très fort qui va, s’il en était encore besoin, renforcer davantage le leadership de la marque. •

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SPORTÉUS

BOISSON DE RÉCUPÉRATION APRÈS L’EFFORT

Cet article a été écrit pour le magazine LSA. Retrouvez-le dans le n°2345 du 4 décembre 2014.

Le nom est une créature trompeuse. Avec un nom comme Sportéus, Lactel semble simplement choisir d’exprimer le positionnement du produit : une boisson énergétique, pour le sport. La finale « éus », avec son caractère latin, scientifique, vient en renfort pour exprimer une légitimité produit. Un nom en apparence dénué de subtilité. Mais un nom est plus que la somme de ses constituants. En effet, un brin d’imagination et de gymnastique cérébrale révèle une triple référence dans le nom Sportéus : le gladiateur thrace Spartacus, à cause de son rythme trisyllabique, de sa première syllabe en « sp_rt » et du « us » final ; Protéus, une divinité gréco-romaine, qui apparaît si l’on inverse le « r » et le « o » ; enfin, « protéine », qui rappelle la forte teneur en protéines qui fait l’intérêt de cette boisson.

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Les références et les évocations portées par un nom ne sont pas toujours conscientes ou évidentes pour les consommateurs (ni même pour ses créateurs !), mais elles lui donnent une valeur ajoutée, un je-ne-sais-quoi qui fait inconsciemment sens. En l’occurrence, au-delà du simple positionnement et d’une expression de la légitimité, Sportéus rappelle finalement une conception antique élevée du sport et de l’homme

dans l’effort : une activité par laquelle l’homme touche au sacré, au divin ; un jeu olympique. •

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À PROPOS DE TIMBUKTOO Timbuktoo est une agence de naming positionnée depuis sa création sur l’innovation : innovation dans les process, les méthodes, les outils. Développement du logiciel de créationvérification ABC-Naming en 2012, lancement de l’Observatoire du Naming en 2013, lancement de Tim-naming début 2014… Nous nous attachons à repenser notre métier afin d’offrir à nos clients des

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solutions aux challenges qui se posent à eux en matière de création de noms. Les projets technologiques que nous développons bénéficient du soutien de l’incubateur de projets innovants Paris Pionnières, de la Mairie de Paris, et de subventions et financements d’Oséo et de BPI France. Notre plateforme collaborative Tim-Naming par ailleurs été sélectionnée par HEC dans leur programme Mercure

HEC Booster (promotion 2014). Besoin d’un nom pour un projet, un événement, un produit ou un service ? Envie de fédérer vos équipes autour d’un projet créatif ? Nous serons heureux d’en parler avec vous. N’hésitez pas à nous appeller.



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