5 minute read

Stephen King au Cinéma

Stephen King et le cinéma, c’est une histoire qui dure. Pas étonnant quand on sait que ce gamin, originaire du Maine, passe une grande partie de son enfance à assouvir sa soif de septième art en se rendant chaque samedi au Ritz de Lewison pour bouffer de la bobine. À l’occasion de la sortie du remake de Simetierre ce 10 avril 2019, retour sur un mariage consommé pour le meilleur et parfois pour le pire.

Advertisement

Un lien indéfectible

Stephen King est un auteur prolifique. C’est un fait. Avec près de deux-cent histoires à son compteur, celui que l’on qualifiera de « Roi de l’Horreur », a non seulement signé quantité impressionnante de romans mais a aussi inspiré bon nombre de grands réalisateurs. Stanley Kubrick, Brian de Palma, George Romero, John Carpenter, David Cronenberg… Des noms prestigieux qui ont, à un moment ou un autre, donné vie aux œuvres de l’écrivain. Une évidence tant ses différents romans infusent la pellicule entre chaque ligne. Entre 1958 et 1966, alors âgé de 11 ans, le jeune Stephen se prend d’une passion dévorante pour le cinéma. Si H.P. Lovecraft lui inspire le gout de l’écriture, c’est définitivement le grand écran qui développe chez lui son style profondément visuel. Usant abondamment de métaphores et ne se privant jamais d’avoir recours à des séquences graphiques, Stephen King a toujours su ancrer dans la tête de ses lecteurs des images évocatrices. Une mine d’or pour cinéastes, qui n’ont plus qu’à s’emparer de ses magnifiques tableaux horrifiques pour illustrer leurs films. Si l’on omet – volontairement – séries et téléfilms, on compte 45 films directement adaptés d’un roman du maître – ou de Richard Bachman, son pseudonyme. Si l’on ajoute les différents projets émanant de l’univers de « King » mais non basés sur un de ses livres – les suites ou spin-off par exemple – on dépasse allègrement la centaine de bobines. Un univers gargantuesque qui mérite un passage en revue sélectif.

Prestige et désamour

Lorsqu’ on évoque les diverses adaptations de Stephen King, celle qui vient instantanément en tête n’est autre que Shining. Hors, il est de notoriété publique que King désapprouve totalement le film de Stanley Kubrick, allant même jusqu’à faire retirer son nom du générique et initiant une nouvelle adaptation en 1997 sous forme d’un téléfilm en trois parties. Un désamour qui peut se comprendre : en comparant les deux œuvres, force est de constater qu’elles ne traitent pas du même sujet. L’alcoolisme dans un cas. L’isolement dans l’autre. Leurs tonalités sont également radicalement opposées. Fidèle à ses habitudes, Stanley Kubrick fait de son film une œuvre froide, méticuleuse et implacable. Alors que la folie dépeinte par King est beaucoup plus chaude et imprévisible. Malgré ça, il est indéniable que Kubrick a su transcender le roman d’origine faisant de Shining l’argument ultime pour qui veut convaincre qu’une bonne adaptation nécessite trahisons. Des trahisons pas toujours au goût d’un Stephen King qui se penche lui-même sur le scénario de Simetierre en 1989.

Le bon petit soldat

Impossible de reprocher à Simetierre sa fidélité au roman. King est non seulement l’auteur du script mais ce dernier impose qu’il soit rigoureusement respecté. Par caprice, l’écrivain exige également que le tournage ait lieu dans le Maine. Il obtient aussi une brève apparition, achevant de signifier son emprise sur le projet. Est-ce que ces conditions font de Simetierre un meilleur film ? Pas vraiment. Certes, le sel du roman est scrupuleusement respecté mais on regrette l’absence de véritable auteur derrière la caméra. Longtemps pressenti à la réalisation, George Romero puis Tom Savini laissent leurs places à Mary Lambert qui peine à incarner cette histoire mortifère. En cause : le jeu des acteurs, complètement en roue libre, et des contraintes techniques compliquées. La difficulté de mettre en scène un chat et un bambin ramené à la vie conduit à des choix hasardeux. Comment ne pas être hilare face à la trombine fardée d’un poupon qui grimace sans savoir pourquoi ? Un écueil que contournera prudemment le remake de 2019 quitte à abandonner un peu de subversion. La version de 1989 conserve encore un peu de panache grâce à une écriture méticuleuse. Mais celle-ci soutient une mise en scène peu inspirée, n’évitant aucun poncif ringard et donnant au film un aspect terriblement daté malgré certains maquillages encore bluffants.

L’homme providentiel

À ce stade, facile de se convaincre que l’œuvre de Stephen King est inadaptable sans un minimum de liberté. Et ce n’est pas les tentatives téléfilmesques, chapotées par le maitre, qui sauront nous contredire. C’est sans compter sur Franck Darabont, chez qui King trouve son meilleur représentant. Sur les cinq longs-métrages qui composent la filmographie du réalisateur, trois sont des adaptations directes de l’écrivain. Trois films avec la particularité d’être excellents sans jamais transiger sur le matériau d’origine. Si Les Evadés ou La Ligne Verte sont des succès, The Mist est une petite pépite beaucoup plus confidentielle. Un petit groupe de personnes se retrouvent piégé dans la superette d’une bourgade du Maine. Une inquiétante brume, abritant des créatures effrayantes, empêchant toute sortie. Un film de monstre mais également une étude de mœurs puisque les interactions microcosmiques entre les différents individus seront au cœur du récit. Le film existe en deux versions au montage quasiment identique mais à l’approche radicalement différente. Cherchant à conférer un aspect old school, lorgnant sur le cinéma d’horreur des années soixante, Darabont souhaite réaliser le film en noir et blanc. Autre avantage, la monochromie permet d’esthétiser un budget assez mince et de masquer certains SFX pas toujours bien intégrés – notamment les tentacules. Évidemment, la production refuse prétextant que le N&B découragera le public cible. Le film bide et la version de Darabont fait alors surface lors de l’exploitation vidéo. En résulte un huis-clos suffocant, à mi-chemin entre Lovecraft et la 4e dimension, ou les hommes et leur folie se révèlent aussi dangereux que des monstres insectoïdes venus d’un monde parallèle. Seul changement notable et pas de moindre : la fin. Lorsque le roman de King s’achève sur une fin ouverte, Darabont propose un épilogue d’un cruel cynisme concluant le film sur une note d’ironie amer bouleversante.

Dernières cartouches

Néanmoins sporadiquement, l’œuvre du romancier a été adaptée brillamment par quelques autres cinéastes. On ne peut évidemment faire l’impasse sur Dead Zone et Christine, respectivement réalisés par David Cronenberg et John Carpenter. Sur Misery, réalisé en 1990 par Rob Reiner avec en vedette James Caan et l’effrayante Kathy Bates. Cette dernière rejoindra le casting de Dolores Claiborne, tandis que Rob Reiner s’était attelé, quelques années plus tôt, à Stand By Me, nommé à l’Oscar de la meilleure adaptation en 1987. Impossible également de faire l’impasse sur le téléfilm en deux parties Ça, réalisé en 1990 par Tommy Lee Wallace. Pas étonnant que, dans sa grande vague de remise aux goûts du jour, Hollywood s’y attaque tant ce téléfilm, à la qualité discutable aura su terrifier bon nombres d’enfants. Oublié de l’histoire, il existe également une adaptation d’Un Élève Doué réalisé par Brian Singer en 1998. Troublante, cette dernière met en scène Ian McKellen et Brad Renfro dans une relation malsaine et parasitaire entre un ancien nazi et un jeune garçon manipulateur. Un film difficile à digérer à l’aune des accusations portées sur Singer aujourd’hui et du destin tragique de Renfro, retrouvé mort en 2008 à la suite d’une overdose d’héroïne. Enfin, notez que si le cinéma n’a pas toujours été tendre avec Stephen King, ce dernier le lui a bien rendu. S’essayant à la réalisation le romancier, dont l’expérience restera la seule et unique, accouche de Maximum Overdrive. Un nanar stratosphérique dans lequel une comète extraterrestre donne vie à différentes machines et véhicules qui s’en prennent alors aux humains. Ni fait ni à faire, on ne peut pas être bon partout.

Quentin DUMAS