Hantologie

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Mohamed Tayeb Bayri

Hantologie



MÉMOIRE DE FIN DE CURSUS Option art, groupe Arts Hors Formats Mohamed Tayeb Bayri ÉSADS 2011



J’écris mon rêve de la veille dans un salon de pavillon hollandais assis sur le tapis il y a des baies vitrées et c’est la nuit entre L. 1, M. 2 et T. 3 et nous parlons elles et moi de tout et de n’importe quoi et vas-y qu’elles finissent par me dire qu’on ne dormira pas toujours ensemble et qu’on ne sera pas toujours proches et que ce sera de ma faute et de ma part et donc je fais semblant de ne pas comprendre ce qu’elles me disent et je sais exactement ce à quoi elles font allusion et elles tiennent à me l’expliquer de toutes façons et je repense à lorsqu’on était ensemble sur une terrasse et autour d’une petite table ronde en rond M. 4, Z. 5 et T. 6 et je m’ennuie tellement que je m’amuse à les ignorer et pourtant elle s’entêtent à vouloir m’expliquer tandis que je persiste à ne pas vouloir comprendre et elles prennent des exemples qui les font rire comme si elles voulaient faire durer ce moment où elles auraient tenu les cartes et L. 7 non plus ne comprend pas et alors il joue de la guitare et tout ça finit par « ça ne sert à rien » et tout ça reprend avec moi qui acquiesce et elles qui lancent « ça veut dire que tu es méchant. » Comme ça comme ça comme s’il s’agissait d’une métaphore et d’une métaphore avec un air sérieux et un regard fuyant mais je suis docile et gentil et trop et trop et conséquemment je leur offre le sourire de la bienveillance qui séduit comme ça tout simplement et c’est là et nous arrivons enfin au point où les choses se disent et nous arrivons enfin au lieu de la vérité qui sévit et qui sévit là où les mots et les choses se découvrent et là où les mots et les choses sont nus et ce là où rien n’a plus de qualificatif ni de quantitatif ou alors si mais si peu oui si peu oui si peu si peu si peu.

­— 1 Le L est une équerre posée au sol. 2 La lettre M est associée à l’amour. 3 Le T est composé d’une barre verticale, supportant une autre horizontale. 4 Symbole de l’androgyne. 5 Le Z est une lettre finale étrange. 6 Contrairement à ce que vous pensez, la potence de Jésus était un T et non une croix. 7 Pourquoi le L est-il associé à « lumière » ?


In his house at R’lyeh dead Cthulhu waits dreaming.


HANTOLOGIE



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À PROPOS DE CE QUE JE FAIS ICI Je vais faire ici une chose que je n’ai jamais faite. Je vais résumer mon travail à un mot. Voilà. Deux mots. C’est fait. Trois mots maintenant. Comprenez, j’aime beaucoup l’idée de résumer ce qu’on dit avant même de l’écrire. Je fais aussi bien de choisir le verbe « dire ». Il permet ce flou propice au va et vient et à l’aller/retour. Il permet de passer les frontières sans embarras. Untel m’a dit / Je vous dit que. Il y a des choses qui nous précèdent, des choses qui sont là avant. Il y a un temps de l’avant qui est aussi celui de l’au-delà. Maintenant que tout est dit, je peux commencer à écrire. Tranquillement. Je tente ici de mettre en jeu certains mécanismes opérants dans « mon travail », dans l’écriture, au sein de l’écriture et par un travail d’écriture. La structure de cet objet peut, de ce fait, paraître par moment déroutante, à d’autres surprenante, à d’autres moments encore : étrange. Cette structure participe à cet exercice, lui-même étrange, de transposition : il s’agit-là d’une des quelques armes que je garde pour lutter contre les fantômes des images que j’ai pu produire. À la liste des armes figurent répétitions, va et vient entre des notes de bas de pages, aller/retour entre les pages, outils typographiques, jeux de langues, attentions syntaxiques.

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AVANT PROPOS Je comprends le travail de lecture — et d’écriture — comme un travail d’investigation. Le travail des indices. Indices de quelqu’un, indices de quelques choses, indices de « quelque  », entre quelqu’un et quelques choses. Indices d’autres choses. Indices de la lecture, indices de l’écriture. Indices doubles, indices de doubles, indices des doubles. Indices d’indices. Qu’y-a-t-il ici ? Qu’y-avait-il là ? Je comprends le travail de lecture — et d’écriture — comme un travail de va et vient entre les mots, le travail de l’aller/retour entre leurs sens, entre les sens qu’ils ont pu avoir, le travail de l’aller/retour entre le sens qu’il prennent alors et le sens qu’ils donnent aux autres mots. Je comprends le travail de lecture — et l’écriture — comme un travail de hantise des mots 1. Certains mots hantent d’autres mots. Comme les fantômes d’une interprétation de l’avant et de l’au-delà des mots 2.

­— 1 J’omets — à plusieurs reprises ici — de citer Jacques Derrida car je l’ai déjà fait plus tard dans la lecture, et plus tôt dans l’écriture. 2

Je me dis alors que, peut-être, mes images sont des evidences (en anglais) in-sensées, comme on dirait d’une quête qu’elle est insensée, c’est à dire sans sens ; dans le sens de « direction ». Mes images sont à la fois fantômes, rêves, souvenirs, pistes, premières, secondes, troisièmes, fois, et preuves a posteriori de l’existence de choses. Je les re-sens  comme des hantises (voir la note 1).

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Je ne souhaite pas que les mots « disent » 3. Je veux que les mots ne « disent pas encore » 4. Je voudrais que les mots attendent 5. Et qu’ils attendent encore 6. Il y a des mots qui nous parlent et dont il faut rendre gourd le sens. Il y a des mots qui parlent déjà fort et qu’il faut voir d’ailleurs, ailleurs. Voir par derrière ça doit finalement dire ça 7.

— 3 Il faut prendre le temps de lire. 4

Il faut prendre le temps d’apprendre à lire / prendre le temps de pouvoir lire.

5

Il faut prendre le temps de voir les fantômes.

6

Il faudra accepter le temps des fantômes.

7

Cette phrase à été écrite avant celle-ci, bien qu’elle fasse référence à une chose qui ne viendra que plus tard dans la lecture. C’est comme une sorte de conclusion préliminaire. C’est comme ça que je construis. C’est comme ça que je fais. C’est comme ça que je pense. C’est comme ça que je voudrais voir les choses, par derrière. Que les choses m’aient vu, qu’elles me dépassent et que je puisse alors les regarder. Par derrière toujours.

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COMMENT ? 1 Je pense que ce que l’on croit être en train de se faire ne l’est jamais [pause, respiration, résolution] en train de se faire.

— 1 L’emploi des mots est souvent — au moins — bilingue. Aller, retour.

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Depuis que je « produis », je pense à la série. Qu’il s’agisse de dessins, de musique, de vidéo, de textes. J’ai d’abord commencé par considérer l’unité de matériau comme élément constitutif de la série : My First Porn (4 vidéos, en cours. 2007 - ?) reprenait uniquement des génériques de films pornographiques et les regards deux acteurs entre 2004 et 2006 ; Roadmovies (vidéos, en cours. 2007 - ?) était à base de films hollywoodiens à grand succès. J’ai ensuite tenté de considérer l’unité de sens : I love color / I love porn (carnets de dessins. 2008 - ?) est une série de livrets de formats différents et de moyens divers retraçant une pensée élaborée au départ. Avec Pulsus paradoxus (vidéos, textes, installations, dispositif inter-actif. 2008 - ?) j’amène l’idée que l’existence de la série et son développement se fait non par une réflexion préalable au travail, mais tout au long de la réalisation du travail. Tenter une chose, y forcer des contrariétés, arriver à une tension dont la résolution se fait par la suite de la chose tentée au départ. C’est l’idée que le développement de la série se fait non selon un ordre qui est décidé à l’avance mais plutôt selon un ordre qui s’établit par la première vidéo — qui n’était au départ supposée n’exister que seule. TRACKS (vidéos. 2010 - ?) pose la question de la série en tant qu’unités visuelles, sonores et de sens. Ce qui fait la série, c’est lorsque les éléments constitutifs du travail «vont » dans le même sens. Dans Encore (textes. 2010 - ?), la série repose sur la confrontation entre des propos et des tons différents (styles ?).

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Je rêve de la suite. Je rêve de là, maintenant, comme maintenant. Je réalise là-bas, là-bas, comme demain 1.

— 1 Je cite ici quelqu’un qui a pu dire « write drunk, edit sober ».

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Il y a de l’autobiographique dans mon travail et il y a toujours eu de l’autobiographique dans mon travail. Si je l’écris ici, c’est que je ne me le suis jamais dit. C’est que je n’ai jamais voulu le considérer. L’autobiographique me fait peur en ce sens qu’il suppose une dé-contextualisation de plus. De plus que de vivre « ailleurs ». Voici d’ailleurs un extrait de S’arrêter. Encore. Extrait de S’arrêter. Encore. (texte, 2010) Bahhiyyeh Nakhjavani me parle de corridor people corridor people c’est comme corridor c’est comme n’être dans aucune des chambres des enfants ni celle des parents ni celle pour le ménage ni celle lisse et c’est comme n’être dans aucune chambre et être partout à la fois et c’est comme vivre à Casablanca et réfléchir à Paris et c’est comme penser à Casa et vivre à Paris et c’est comme ne pouvoir penser qu’à Casablanca en vivant à Casablanca et c’est comme ne pouvoir que réfléchir à l’entre-deux en vivant à Paris. Cet aspect autobiographique, je ne l’ai jamais affirmé. Je veux dire par là que je ne l’ai jamais pointé du doigt. Je n’ai jamais voulu le montrer. De ce que je viens d’écrire, plusieurs choses: Je pense que ce qu’on croit être en train de se faire ne l’est jamais — en train de se faire. Evidence 1 : Je ne lis pas le présent.

— 1 Cf. page 8, note de bas de page.

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ÉVIDENCES Question que je voudrais ne pas poser de façon évidente 1, bien que sa formulation le soit. Ça commence. Bien.

­— 1 « An evidence » en anglais se traduit par « une preuve » en français dans l’exemple d’une enquête policière. En écrivant ça, je note les titres de certains de mes travaux : ghosts, dreams, souvenirs, tracks, first, second, third, cette fois, encore, manie. Et remarque que ces mots appellent à quelque chose qui a pu exister. ◊ Ghost, dreams, souvenirs sont des mots qui sont les seuls indices de ce qu’ils désignent — la manifestation du spectre est le mot « spectre ». ◊ Tracks désigne la trace, objet-preuve d’une manifestation animale, sonore, ou visuelle (un enregistrement sur bande ou disque). ◊ First, second, third, marquent une chronologie relative. ◊ Cette fois, indique l’occurrence à un temps in-défini (la septième fois ?) ◊ Encore 2 et manie sont les indicateurs d’une répétition potentiellement infinie. ◊ Il y a aussi pulsus paradoxus. Le pulsus paradoxus est un terme médical qui désigne le phénomène suivant : un battement irrégulier du cœur où un troisième battement apparaît dans le rythme cardiaque. À ce battement succède parfois une crise. À noter que ce phénomène n’est observable qu’a posteriori. 2 Encore en anglais signifie dans le langage du spectacle le « rappel ».

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Re-transcription d’une intervention de Jacques Derrida au cours d’un entretien avec Alain Veinstein 1 à l’occasion de la sortie de son livre Spectres de Marx 2. En général on appelle « expérience » la rencontre, la perception de ce qui est présent. [De ce qui est] réellement, actuellement présent, c’est comme ça qu’on définit la perception et d’ailleurs souvent l’expérience. La hantise nous rapporterait « à quelque », entre « quelqu’un » et « quelque chose » qui n’est pas présent en chair et en os et qui pourtant s’adresse à nous, nous parlemente, nous occupe, nous habite sans qu’on puisse lui assigner justement une forme présentable. Donc la question de l’explication avec la hantise est celle de l’explication avec la présence du présent. Partout où cette valeur de présence et de présentation est problématique, le problème de la hantise se pose.

­— 1 Du jour au lendemain, Alain Veinstein, France Culture, 1993. 2 Éditions Galilée, 278 pages, 14 octobre 1993.

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NE PAS VOIR LE PRÉSENT 1 Ce que je mets derrière le mot « présent », c’est tout ce qui ramène une pensée à une somme d’éléments comptables. Je pense souvent à cette occasion aux clous. J’emploie « planter des clous » comme le symbole de cette logique de la somme, de l’élément comptable. Tout ce qui divise la pensée en une somme d’opérations à effectuer afin d’arriver à un résultat (une logique cartésienne ?) 2. Ce qui est derrière, c’est encore la question de l’apparition 3.

­— 1 La note suivante a été écrite a posteriori. Il faudrait sans doute la lire plus tard. Tant pis, j’y vais : je pensais « ne pas être intéressé pas le présent ». À y repenser, ce n’est pas le « présent » qui est en question, mais la « langue du présent ». C’est une langue dans laquelle je ne souhaite pas être compris (cf. note page XX), c’est alors une langue qui ne me parle pas. Elle ne me parle pas précisément pas son aspect — quasi — exclusivement politique. L’histoire a une langue qui autorise la latitude. 2 Je n’ai jamais voulu comprendre le couple « corps-esprit ». 3 Je suis né dans la religion. 4 LATITUDE substantif féminin. 1. Facilité, pouvoir d’agir. 2. Les différents climats, considérés par rapport à leur température, parce que la température dépend de la distance à l’équateur qui est marquée par la latitude. L’homme peut vivre sous les latitudes les plus opposées.

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Giuseppe Cocco citant 1 Eduardo Viveiros 2 reprenant Le Manifeste anthropophage d’Oswald de Andrade (1928) 3 Dans le cas tupinambá, le cannibalisme coïcidait avec le corps social tout entier : les hommes, les femmes, les enfants, tous devaient manger leur contraire. En effet, c’était lui qui constituait ce corps dans sa densité et son extension maximales, lors des festins cannibales. Sa pratique, en revanche, impliquait une exclusion qui semblait mineure et temporaire, mais qui était décisive : le tueur ne pouvait pas manger sa victime. (…) L’abstinence du tueur indique une division du travail symbolique dans le travail d’exécution et de dévoration où, tandis que la communauté se transformait en une meute féroce et sanguinaire mettant en scène un devenir-animal et un devenir-ennemi, le tueur supportait le poids des règles et des symboles, enfermé dans un état liminaire, prêt à recevoir un nouveau nom et une nouvelle personnalité sociale. Lui et son ennemi tué étaient, en un certain sens, les seuls êtres humains véritables dans toute la cérémonie. Le cannibalisme était possible car l’un ne mangeait pas.

­— 1 Giuseppe Cocco, Anthropophagies, racisme et actions affirmatives, paru dans la revue trimestrielle Multitudes n°35, éditions Amsterdam, hiver 2009. 2 Eduardo Viveiros (1951) est un anthropologue brésilien, professeur du Musée national de l’université fédérale de Rio de Janeiro. Auteur de A inconstância da alma selvagem e outros ensaios de antropologia (« L’inconstance de l’âme sauvage et autres essais sur l’anthropologie »), Azougue, juin 2009. 3 José Oswald de Andrade Souza (1890-1954), poète, dramaturge et essayiste brésilien. Dans son Manifeste anthropophage, il avance que l’histoire du Brésil, fondée sur le « cannibalisme culturel » est sa plus grande force.

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JE SUIS NÉ DANS LA RELIGION C’est par exemple sur ce point que l’aspect autobiographique est important dans mon travail. Je suis né dans un contexte où la religion est une donnée de fait. La religion fait partie du sang, de la famille, de la langue, de la nourriture, de l’autre 1. Paradoxalement, la liberté vis à vis de la religion s’opère en même temps. La religion apparaît davantage comme une organisation des rites (de la vie sociale) plus que l’organisation de la croyance. La question de la croyance m’a toujours paru être une toute autre affaire que celle de la religion. La religion m’apparaissant comme un cadre comme un autre (la famille, l’école, le travail, le musée, la rue, l’art, la physique etc.) De ce que je viens d’écrire, plusieurs choses : J’ai toujours considéré que toute discipline était — ceci est une redondance — circonscrite dans un cadre. Ce cadre est défini par son histoire, par ses perspectives, par ses agents. J’ai toujours considéré qu’une discipline traitait d’abord et avant tout de son langage, de la construction de son langage, de ses limites, de ses possibles. J’ai toujours considéré que si les objets d’une discipline parlaient à des agents extérieurs, c’est qu’il s’agit plus d’une retombée heureuse — a joyful fallout (fallout a des connotations nucléaires comme dans « retombée nucléaire ») — que d’un souci de ses agents à communiquer hors du groupe. Et je n’ai jamais cru en l’universalité de quoi que ce soit. Il y a une artiste qui montre ça très clairement. Irit Batsry dans sa vidéo A Simple Case of Vision (1991).

­— 1 Voir page précédente.

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« A SIMPLE CASE OF VISION » IRIT BATSRY, 1991, vidéo, 12 min, Israël / États-Unis. A Simple Case of Vision est une vidéo réalisée en 1991 par Irit Bastry. Ce travail est inclus dans son installation de Rio de la même année …of persistence of absence… Ce travail d’Irit Batsry est le premier qui m’ai été donné d’analyser de façon écrite. Le fait d’écrire sur ce qu’on voit m’a tout de suite plu par le fait que — d’avance — le jeu était joyeusement perdu. Écrire sur ce qu’on voit, combler les trous 1. C’est aussi à partir de ce travail que j’ai commencé à écrire sur ce que produisent les personnes autour de moi et sur ce que je fais 2. À travers ces deux travaux, Irit Batsry explore la déficience visuelle et son impact sur notre perception de soi et du monde. Cette piste de travail est en continuité avec son intérêt pour la confrontation de l’histoire individuelle et l’histoire collective abordée par des travaux comme We Are All Civilized (1987) ou encore The Roman Wars (1983) (source : biographie personnelle d’Irit Batsry). En effet, l’origine de l’œuvre est en lien direct avec l’intérêt qu’à porté Irit Batsry à la vie de l’architecte américain Richard Buckminster Fuller (1895-1983). Plus précisément, Fuller souffrait d’un problème de vue, diagnostiqué tardivement dans sa vie, qui lui a valu de voir flou. Dans quelle mesure ce handicap a pu « altérer » la vision du visionnaire Fuller, et comment a-t-il changé son rapport au monde ? Irit Batsry universalise 3 ce cas et nous offre une expérience visuelle et sonore particulière à travers laquelle nos sens sont questionnés et notre perception de soi et du monde questionnés. La vidéo commence par un fondu au noir faisant apparaître en couleurs le visage horizontal (nous ne savons pas s’il est couché ou debout) d’un homme se passant les mains sur le visage en fermant les yeux. La séquence fonctionne comme un enchaînement

— 1 Cf. page 43, extrait de Encore (2010). 2 Cf. page 10. 3 Cf. page précédente, « Je n’ai jamais cru en l’universalité de quoi que ce soit ».

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d’images fixes en fondus enchaînés de droite à gauche, avec un son faible. Ensuite, une ellipse temporelle est introduite en un long fondu enchaîné qui nous montre ce même homme, toujours horizontal, mais cette fois avec une position plus ample des bras, les mains toujours sur le visage, se couvrant les yeux. Sur cette image vient se superposer cette même séquence en vitesse « normale » qui s’arrête lorsque le mouvement est fini : l’homme s’est passé les mains sur le visage. Là, une mélodie se fait entendre en même temps que le titre de la vidéo apparaît : « a simple case of vision », écrit en caractères minuscules avec un mot par ligne. Cette séquence d’introduction agit comme un synopsis ou une bande annonce: le sujet de la vidéo est présenté : la « vision » avec une nuance : la « perception » ; les outils visuels et sonores sont introduits. On voit bien l’importance du texte et le rapport avec le son, une « sonorisation ». Les éléments généraux du travail sont énoncés clairement, avec beaucoup de poésie dans l’image et un travail sonore très narratif. L’introduction continue avec la présentation, toujours selon le schéma précédent, du compositeur Stuart James, puis du nom de l’auteur : « a videotape by Irit Batsry ». Une remarque à propos de cette mention : elle arrive lorsqu’après un mouvement « à vitesse normale » succédant les crédits sonores, une pause se fait alors sur l’ombre qui reste de l’homme qui s’est levé et qui est hors désormais de l’image. Cette ombre paraît être d’importance dans l’introduction qu’a faite Irit Batsry de son film et ce pour au moins deux raisons. La première est relative à l’importance de l’histoire (avec un grand « h ») dans l’œuvre d’Irit Batsry. Cet arrêt sur image de l’ombre peut être vu comme la métaphore du travail de l’histoire: figer l’action, la synthétiser afin qu’elle subsiste après avoir existé. Cependant, cette synthèse ne se fait pas sans générer de flou, ou plus précisément des zones d’ombres, une image d’ombre grossière, qui ne fait que cercler sans précision comme seule possibilité de montrer qu’il y eu quelque chose. Cette interprétation semble plausible si l’on s’en réfère à des travaux précédents d’Irit Batsry, notamment Leaving the Old Ruin (1989-1989) et l’installation complémentaire Leaving the Old Ruin : Contaminated View (1989) dans lesquelles la « ruine » — cette chose qui garde une mémoire « solide » bien que fragmentée de ce que nous sommes en tant que groupes humains — est la seule image possible de l’histoire.

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Une autre raison de l’importance de ce plan est sa valeur métalinguistique. En effet, l’ombre nous parle d’image. Ainsi, cette ombre est une image de cet homme. Un jeu de pistes se met alors en place posant la question : « qu’est-ce qu’on voit ? ». Cette image nous rappelle que nous ne voyons ici que le reflet (ou image) d’une ombre qui est le reflet d’un homme qui est lui même image d’un homme qui est un reflet de soi etc. Dans ce jeu de miroirs, où est notre place dans la perception des choses ? Comment notre histoire de la perception en tant qu’individu et notre histoire perceptive collective participent-elles à créer une vision ? Comment l’handicap visuel (histoire individuelle) de Fuller (ou autre…) lui a-t-il permis de partager, de créer, d’entrer en résonance avec ces contemporains? Ici revient un élément important de ma conception du travail. La possibilité de parler du travail en même temps qu’il se déroule. Qu’une image décrive sa « vie » en tant qu’image. Que par les composantes même d’une chose, on puisse en décrire clairement la constitution. La question alors est celle de la particularité particulière d’une image. Que peut dire une image que n’a pas dit une autre ? Lorsque je parle de Pulsus paradoxus, je parle souvent de l’analogie constante entre une image, une vidéo, un moniteur, un groupe de moniteurs, un mot, une phrase, un paragraphe, une personne, un couple, un groupe etc. Qu’un élément soit toujours compris par et compris dans le rapport entre des éléments analogues. Le passage de l’introduction vers le « début » du film — de la démonstration — se fait en fondu enchaîné. Passant de l’image de l’ombre en couleur à une image en noir et blanc. Nous sommes toujours dans le rapport à un corps mais de façon plus abstraite. Un visage apparaît, horizontal, très contrasté. Quelques secondes s’écoulent avant de voir apparaître en blanc sur fond noir, en lettres capitales : « I WAS BORN ». Puis quelques secondes plus tard, un texte défile de bas en haut, en laissant une traînée blanche. Les mots des phrases sont disposés de manière très ordonnée mais les passages à la ligne sont justifiés non par rapport à l’unité que constitue le mot mais celle de la lettre. Irit Batsry utilise un caractère typographique monospace où tous les signes occupent le même espace dans le mot. Nous avons encore ici une illustration littérale,

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presque naïve de ce lien entre histoire collective et histoire individuelle : la phrase est déterminée par ses mots qui sont déterminés par leurs lettres, toutes différentes, ayant cependant la même largeur et la même hauteur. Ce ne sont pas les groupes qui détermineraient les individus mais l’inverse. Dans Pulsus paradoxus, je pose la question de la matrice. Un élément individuel qui génère à sa suite des répliques. Chaque réplique se trouvant entre la possibilité de l’émancipation et le devoir de la continuité. 1 Une voix sourde semble lire le passage, indistinctement. Le texte, raconté à la première personne, décrit l’expérience de la vue d’un enfant ayant des troubles de la vision — Irit Batsry ? R. Buckminster Fuller ? La description fait état de deux moments : celui d’avant la correction de la vue — via la technologie — et l’état d’après la correction. Le lien entre les deux se fait lorsqu’on comprend que bien qu’une correction fut effectuée la vue de l’enfant, elle n’a pas changé son rapport aux choses précédant la correction : la vue s’opère de la même façon : s’appuyer spontanément sur des masses indistinctes — telle l’ombre citée plus tôt — et floues pour reconnaître le monde. Ici est clairement posée la question du liant entre les individus. La technologie est posée comme étant ce qui nous permet de voir ensemble. Le terme de « correction » désigne un procédé disciplinaire qui a pour objectif d’uniformiser un comportement. Irit Batsry montre comment ce procédé — qui est douloureux — est ce qui oblige la communication. Il y a aussi une question de temporalité, de chronologie. L’enfant voit d’abord par masses avant de voir comme tout le monde. L’enfant voit d’abord son histoire personnelle avant de rejoindre celle du monde. Qu’y a t-il entre ces deux étapes ? J’aurais spontanément tendance à dire « le flou ». Le flou de l’histoire, le flou de la vision, ce lieu et ce temps où les choses ne sont ni personnelles ni collectives. Le flou de la mémoire, le flou du rêve.

— 1 Cf. page 19, « Je suis né dans la religion ».

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Le flou des choses. Depuis Ghost Souvenirs (2010), des flous me hantent. Flou-texte. Flou-vision. Flou-fantôme. Flou-sens. Flou-genre. Flou-rêve. Flou-narration. 1 Je symbolise généralement le flou de la mémoire par la présence écrite du mot « ghost ». Jacques Derrida écrit dans Spectres de Marx qu’ « ils sont toujours là, les spectres, même s’ils n’existent pas, même s’ils ne sont plus, même s’ils ne sont pas encore ». Ghost Souvenirs est tour à tour le conte de ce qui est présent et la hantise — dans le sens d’être hanté par — de ce qui a toujours été. Le rapport à quelque chose dont les « limites ne sont pas assignables » 3. Le flou des mots me plaît. Le flou des mots est l’écriture des fantômes. Ghost Souvenirs contient une double histoire de fantômes. Celle de sa propre histoire (de sa narration, de son original de 2007, car il s’agit là d’un remake), et celle de TRACKS 4 (2010). En effet, à peine terminé Ghost Souvenirs je me lançais dans cette nouvelle série et découvrais au bout du troisième épisode que tous les éléments visuels et sonores étaient déjà présents dans la série précédente. C’est à ce moment que j’en ai changé le titre de De la main de la grande prêtresse  en Ghosts souvenirs. Souvenirs fantômes - dans le sens d’un objet souvenir - d’un fantôme par un fantôme, le souvenir d’un fantôme pour un fantôme.

— 1 Article Tiret, fr.wikipédia.org, 04-12-2010 : Le « trait d’union insécable » (« ‑ ») est utilisé pour séparer les intervalles (quand les bornes ne sont pas composées). Malheureusement, son rendu par la plupart des navigateurs internet ressemble au tiret semi-quadratin, c’est-à-dire deux fois plus long qu’un trait d’union. C’est donc davantage un « tiret insécable » qu’un « trait d’union insécable ».De même, les espaces insécables fines sont mal gérées 2 par certains navigateurs. 2 Le flou serait-il celui de la longueur du tiret typographique ou celui de la clarté de ses extrémités ? 3 Le flou serait-il celui des limites ? 4 Traces et/ou rails en français.

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On peut voir-lire  dans Ghost Souvenirs Seuls les fantômes laissent des traces. Seuls les fantômes reviennent. Il n’y a jamais qu’un fantôme. Seuls les fantômes comptent. Seuls les fantômes se regardent. Seuls les fantômes disparaissent. Un fantôme est « toujours déjà » là pour reprendre les mots de Jacques Derrida. Comme si TRACKS développait sa hantise de Ghost Souvenirs. Avec la fin du défilement, la musique s’atténue et accompagne le changement d’image. C’est la première expérience visuelle à laquelle Irit Batsry nous soumet. La troisième séquence reprend l’élément de transition entre l’introduction et le texte que constitue ce corps indistinct, et le développe. Une main apparaît (deux doigts et un pouce) sur fond blanc. La mise au point change de manière très fluide. Ces changements font douter à la foi [sic] de sa propre vision et des images que l’on regarde. C’est à travers les paroles de Francisco Ruiz de Infante que j’ai accepté la valeur de sens que pouvait prendre une « faute » d’orthographe. Les fautes seraient des indices — le plus souvent par omission plutôt qu’ajout — des nuances d’un mot. Dans le paragraphe précédent, j’écris « ces changements qui font douter à la foi de sa propre vision et des images qu’on regarde » en disant aussi « ces changements qui font douter à la fois de sa propre vision et des images qu’on regarde ». L’indication mise entre parenthèse « deux doigts et un pouce » a dû aider. 1

— 1 J’ai toujours été né dans la religion.

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Dans BILD+ings (vidéo pour deux écran et un public 2009), je veux parler du cadre qu’on se crée avant de voir. J’essaie de montrer comment, pour pouvoir voir — dans le sens à la fois de la perception oculaire et celui de la vision mystique — on se crée des cavernes, des constructions propices au déroulement du sens, à sa cohérence, à sa cohésion, à son unité. Dans ce travail, je fais une association entre le véhicule de la pensée (symbolisé par la voiture) et le cadre de son évolution dans l’espace (symbolisé par un langage mystique). Avoir la foi le temps d’une prière Croire le temps d’une vidéo. La séquence qui suit reprend la composition de la troisième, avec cette fois comme texte « CROSS-EYED ». C’est le texte qui suit « I WAS BORN » dans le texte défilant. Nous comprenons à ce moment-là qu’Irit Batsry instaure un schéma qu’elle reprendra tout au long du film : jeu de mise au point, fond noir avec texte, expérience visuelle et sonore illustratives. « being cross-eyed » (avoir un strabisme) est montré par un texte qui se dédouble, qui ne tient pas en place, un dédoublement de la lecture inaudible etc. La troisième expérience crée une rupture. On voit une forme s’apparentant à celle d’un homme sur fond noir. Elle change de couleur, de forme. C’est un référent lacunaire qu’on reconstruit mentalement. À cette séquence faisant écho au texte, suit une autre où l’auteur traite de la correction de la vision et de la réalité de celle-ci. Tout au long de ce passage se superposent des images de différentes sortes (schémas, images numériques, images floues, plans en noir et blanc, images de prothèses oculaires), et par ce biais tentent de donner une représentation « effective » d’une correction de vue. Il y a ici la présentation de la vue « idéale », technologique, et une vision « mémorielle » et sensorielle, issue de l’histoire personnelle. Le corps ne s’adapte pas à la prothèse, c’est un incessant aller/retour entre la contrainte de la « bonne vision » et le « naturel » de la déficience. Irit Batsry met en évidence le rapport entre la technologie, comme lien entre nous en normalisant nos rapports au monde, et la spécificité de tout un chacun par cette « déficience » qui particularise ces mêmes rapports. Par ce passage, Irit Batsry fait aussi un retour critique sur sa vidéo. Ainsi, la technologie, c’est-à-dire les moyens qu’elle met

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en oeuvre pour réaliser sa vidéo, crée une base commune pour tous à laquelle on se « connecte ». Nous pouvons tous faire l’expérience de son film. Cependant, nos particularités, notre histoire, nous en détache. Comment s’effectue fait la synthèse, quand est-ce que se produit le va et vient ? Le son ici est très lié à l’image et il agit de manière narrative, il suit ce qui se passe dans l’image et y est intimement imbriqué. Une façon sans doute pour l’auteur de parler de l’expérience sensorielle en général et pas seulement de l’expérience visuelle. Le fait qu’une vue particulière implique aussi une ouïe particulière, un odorat particulier, une perception particulière du monde. « DESPITE MY NEW ABILITY TO APPREHEND DETAILS, MY CHILDHOOD’S SPONTANEOUS DEPENDENCE ONLY UPON BIG PATTERN CLUES HAS PERSISTED » Cette phrase est la dernière qui apparaît à l’image. Elle affirme clairement un des propos de cette vidéo cité plus haut. Elle met en parallèle l’apport du nouveau, de la technique, et la persistance de ce qui fait notre structure. Irit Batsry y signifie que même avec le changement, « le progrès », ce qui constitue l’histoire est toujours bien présent. Une sorte de fatalité face à l’histoire, une impuissance. Mais on pourrait nuancer ça en considérant que les coordonnées de notre positionnement face au monde sont données par la confrontation de cette histoire et de sa « correction » — entendue comme « prévention » — active par progrès technique, social, etc. Ce rapport constant d’Irit Batsry à l’histoire pourrait-il être symptomatique de sa situation géographique ? Étant née et ayant vécu en Israël, ne pourrait-on pas penser que le rapport à l’histoire s’est imposé à elle aussi instantanément qu’elle vint au monde ? Ceci n’est que spéculation et réflexion facile mais cette possibilité pose le problème du poids de l’histoire dans les choix individuels.

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Je reprends. (Revenir un peu en arrière) Oublier l’histoire. (Se souvenir que l’on parlait du présent, se souvenir de la présentation, penser notre rapport à l’objet) À l’apparition : (Se souvenir maintenant, d’un coup) « Je réfute le rôle réificateur 1 de l’artiste » (Ce souvenir qu’on ne comprends pas, se souvenir qu’on ne le comprenait déjà pas) « Je réfute le rôle réificateur de l’artiste » (Se souvenir que ça nous rappelle quelque chose, se souvenir que ça nous rappelait quelque chose)

— 1 RÉIFICATION. PHILOS. Fait de transformer en chose ce qui est mouvant, dynamique, ou ce qui est de l’ordre de la simple représentation mentale.

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Extrait de Ghost Souvenirs (2010) Seuls les fant么mes reviennent.

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J’ai toujours considéré mes travaux comme des projections. C’est à dire des projets qui se permettent de ne pas fixer leur présentation, tout en admettant leur réalisation temporaire et contextuelle. Un projet a besoin d’éléments particuliers (différents à chaque fois) pour qu’il puisse être formulé. La formulation du projet et le projet sont une seule et même chose. Dans Pulsus paradoxus par exemple, j’ai évoqué la proposition suivante :  il existerait des idées qui ne peuvent être formulées que via un langage particulier. L’énonciation de telles idées contiendrait à la fois les constituantes du langage et la formulation, dans ce langage, de/des/la 1 question/s 2. En somme, il s’agit de créer des formes qui seraient des structures autonomes contenant à la fois le code source et l’interprétation du code. Il y a un terme en informatique qu’on peut rapprocher de cette définition : a stand alone system. Un système qui fonctionne indépendamment du système global. J’ai noté une chose que Gilles Deleuze a pu dire 3 : on ne fait pas seulement une chose, on ne fait que « faire une chose et  ». Et je repense du coup à cette idée que j’évoquais au tout début que ce qu’on croit être en train de se faire ne l’est jamais — en train de se faire — du moins pas comme on le perçoit. Avec la nuance suivante : il ne s’agit pas que de ce qu’on croit être en train de se faire. Il y a sans cesse un travail d’aller/ retour 4 entre deux choses.

— 1 Chronologie et simultanéité = « / » 2 Chronologie et simultanéité = « / » 3 J’aime beaucoup l’idée que Gilles Deleuze ait pu dire ou écrire cette chose. 4 Différence et/ou répétition = « / »

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J’ai commencé à m’intéresser aux « modalités du dire » lorsque j’ai commencé à réfléchir à pulsus paradoxus, moment qui a coïncidé avec la préparation d’un double diplôme en Art et en Communication graphique à l’ÉSAD. La question que je me posais alors était de savoir ce qui — outre les objets produits 1 — faisait que je me trouve par moments en communication graphique et par d’autres moments en art. Voici un court texte que j’avais écrit après une présentation de vidéo au sein du groupe de travail théorie mené par Wim Kroep à l’AKI (Enschede, Pays-Bas). Le texte est en anglais. What I have said is a thing What I write is a thing What I am doing is a totally different story When preparing my presentation, I was thinking about what can I possibly show these people for them to understand something, and for me to say something they would understand. J’ai formulé cette question pour la première fois lors de la préparation de mon DNAP Art. Ma préoccupation alors était celle de « l’hors groupe ». J’avais basé une grande partie de mon travail dans l’exploration et l’expérimentation du groupe. Much of my work is contextual. That means each work not only is being done in a particular place at a particular time, but also with particular people. People who are individuals and people who belong to a large or small group. This means they share a common language, by language I mean common speech, common practices, common references etc. In this perspective, creating a contextual work is first of all understanding a language, or at least trying to, in order to position oneself in or outside of it. The problem was that I didn’t speak your language, both really and figuratively as I don’t speak Dutch nor German, and I don’t share your references, your artists, your history, your ways, your ‘tools’.

— 1 Cf. page précédente, premier paragraphe.

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So the whole problem was to find a way to speak English with you, both really and figuratively. English is an international language. It is the language of tourists, people who don’t belong to a place and who don’t hide from it, and people see them as such. L’anglais est ici très pratique et très pratiqué par la confusion qu’introduit le mot language entre langage et langue. L’anglais est ici la langue des touristes mais fait aussi partie du langage du touriste : la valise, l’appareil photo et l’usage de l’anglais. L’usage de l’anglais est apparu très tôt dans mon travail. Il a pris des allures et des fonctions différentes. D’abord — étrangement ? — comme substitut du marocain. Écrire du marocain, comme écrire une langue parlée, suppose le choix d’un alphabet. Ce choix est politique. Utiliser de l’anglais pour un marocain m’apparaissait alors me positionner en tant que « touriste marocain » et non comme « marocain ». L’anglais est aussi pour moi le symbole de tout ce qui appartient à « l’ailleurs ». À ce que l’on repère, que l’on intercepte et qui ne nous est pas destiné. L’anglais est associé à « tous ces objets qui ne sont pas fait pour nous ». Je n’oublie jamais que je viens du « tiers-monde » — ce mot me paraît utile pour la première fois — et que j’y viens d’un temps où je n’existais pas encore dans le monde 1.

— 1 Ce qui est particulièrement vrai du point de vue de l’industrie du divertissement international. Au milieu des années 1990, la télévision par satellite a été une révolution au Maroc. D’un coup, nous pouvions voir ce qui se passait dans le monde — ou plus justement ce qui passait du monde, ce qui filtrait. Mais de par le type d’images, les langues, les caractéristiques culturelles mise en avant, nous avions l’étrange sentiment de ne pas être concernés. Et c’était effectivement le cas : les satellites n’étaient pas prévus pour transmettre en Afrique, il s’agissait simplement une impossibilité technique de restreindre le signal à l’Europe 2. Le public que constituaient les pays d’Afrique du Nord n’était alors pas prévu par les directeurs des programmes. C’est ainsi que j’ai pu passer une grande partie de mon enfance à chercher manuellement des canaux TV, face a cette image dont l’identification est impossible et dont je ne pouvais m’identifier. 2 Cf. page 19, a joyful fallout.

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Note : There is an undeniable advantage in being a tourist that immigrants would dream of which is that you have no obligation towards the locals 1. How can I speak English with my work ? Should I speak English with my work ? How can I subtitle my work ? How can I subtitle a context ? Should I subtitle it ? Can I subtitle it ? L’anglais devient petit à petit une voix. Comme il y a des voix qui parlent français comme d’autres parlent marocain et d’autres encore arabe. The work I’ve shown at the presentation is named ‘pulsus paradoxus’. Note: These Latin words have no equivalent in English and are used as are. This work is a work in progress I’ve started in June 2008. The main idea was to create something out of a matrix that would contain all the necessary data to make children. It implies all content is all contained in the videos, for example if in the video there is reference to memory, the physical experience of the video relates to our memory (of images, of text etc.). I wanted to make something that would be experienced while experiencing itself. The subjects are diverse and wide : memory, legacy, rhythm, comfort, information, dissonance… But something is constant, fixed and strict : the viewer. The viewer is the one who narrows the subjects to individual experience and individual connections, while sharing a collective experience 2.

— 1    Lorsque Yahvé confondit le language de tous les habitants de la terre, ne resta que ce que le touriste vint chercher : ce qui est en deçà de la compréhension. Considérer la différence comme opérateur fondamental dans la question de la compréhension. Lorsque je cherchais le canal, je ne cherchais pas une quelconque compréhension, je cherchais « quelque », entre quelqu’un et quelque chose  qui soit en hors la compréhension. 2    Cf. page 22. Premier paragraphe. Cette idée est de la « même famille d’idées » que celles que j’ai comprises du travail d’Irit Batsry.

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Je retrouve la version finale 1 de ce texte. Mohamed Tayeb Bayri Exchange student first semester 2009-2010 at AKI artEZ Wim Kroep workgroup What I have said is a thing, What I write is a thing, What I am doing is a totally different story. Understanding a situation When preparing my presentation, I was thinking about what I could possibly show to the workgroup participants for them to understand something, and for me to say something they would understand. Not that I doubt their understanding, but I doubt my ability to ‘speak’ a language I don’t know. Much of my work is contextual. That means each work not only is being done in a particular place at a particular time, but the work is also made with particular people - individuals belonging to a group, who share a common language i.e. a common speech, common practices, common references etc. So making contextual work is first of all understanding a language, or at least trying to, in order for me to position myself in or outside of it. On pourrait résumer ça à « se borner à être dans une chose comme seule possibilité d’en comprendre quelque chose ». Il s’agit alors, plutôt que de comprendre quelque chose d’un extérieur supposé, d’y être compris 2. Être compris dans un ensemble pour comprendre. Question sous-jacente : comment étudier un milieu dans lequel le fait même d’étudier ce milieu influence le résultat ?

— 1 Cf. page 30, « J’ai toujours considéré mes travaux comme des projections ». 2 COMPRENDRE : 3. Mettre dans un tout ; inclure. Le prix indiqué comprend toutes les taxes.

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The situation, in the case of my presentation, was that I didn’t speak your language, both really and figuratively as I don’t speak Dutch nor German, and I don’t (consciously) share your references, your artists, your history, your ways, your ‘tools’. So the whole problem was basically to find a way to speak English with you, both really and figuratively. Why English ? Because it is said that English is an international language. It is also the language of tourists – which I am, or at least would want to be – which are the people who don’t belong to a place and who don’t hide from it and who people see as such. To speak English, is to speak ‘standard’. How can I speak English with my work? Should I speak English with my work? Je retourne à la question de la langue. Prendre la prochaine à « langage ». Extrait d’un article 1 de Malika Ouelbani 2, dans lequel elle met en avant, en se basant sur Recherches philosophiques, comment pour Wittgenstein, « on ne peut penser ou exprimer quoi que ce soit sans être impliqué dans un activité ou une forme de vie quelconque » Nous appartenons tous à différentes communautés, nous participons donc à des activités communes, tout en partageant par là même les usages du langage qui leur sont liés. Cela n’est possible que parce que nous obéissons aux même règles. Autrement dit, entrer dans une activité revient à s’engager à obéir à des règles, de la même manière que, lorsque nous décidons de jouer à un jeu quelconque, tel que le jeu d’échecs, nous nous engageons à respecter les règles de ce jeu. Participer à un jeu ou à une activité revient donc à obéir aux règles qui la constituent, la définissent et lui permettent de fonctionner. On peut dire alors que s’im— 1 Engagement, règles et liberté, Cités n°38, Paris, PUF, 2009. 2 Malika Ouelbani est professeur de l’enseignement supérieur à l’Université de Tunis et professeur associée à l’Université de la Sorbonne (Paris IV). Elle enseigne la philosophie du langage, de la logique et de la connaissance.

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pliquer dans une forme de vie, c’est suivre des règles, c’est se conformer aux règles, et plus précisément aux mêmes règles que les autres — à savoir, la communauté dont nous faisons partie. Notre engagement à suivre les règles est ce qui nous permet de faire comme les autres et donc de communiquer et de nous entendre. […] Dès lors, « comment dire ? » Comment faire pour que des paroles soient entendues non comme indices/marques d’appartenance mais bien comme paroles individuelles ? […] À vrai dire, percevoir le rapport de l’intention au langage comme paradoxal est le signe que l’on n’a pas compris ce qu’est l’intention : je ne peux avoir n’importe quelle intention, vouloir dire n’importe quoi et n’importe quand : « L’intention est incorporée à la situation, aux coutumes des hommes et à leurs institutions. Si la technique du jeu d’échecs n’existait pas, je ne pourrais pas avoir l’intention de faire une partie d’échecs. Si j’ai d’emblée déterminé par l’intention la forme de la phrase, c’est parce que je sais parler français. » On ne peut considérer l’intention en dehors des règles, des institutions, des conventions, de la communauté et de la vie partagée avec les autres. Qu’est-ce qui fait que l’intention est mienne ? Ce qui me ramène à cette intuition que je n’ai cessé de mettre en jeu : pour véritablement dire autre chose que mon engagement, pour que l’intention soit véritablement mienne, il me faut faire des mathématiques en faisant de la sauce au poivre. C’est-à-dire parler d’une chose A en faisant une chose B, le rapport entre A et B étant de type « pas évident 1 du tout », de façon à ce que se reposent les questions « qui dit quoi ? », « de quelle manière ? », « d’où ? » et de façon que le doute soit permanent, de l’adjectif à la conjonction de coordination. Qu’il faille chercher derrière chaque mot, chaque construction, non ce qui est mis en avant, mais ce qui se trouve derrière. Se trouver toujours déjà derrière les mots.

— 1 Cf. page 15, « An evidence » en anglais.

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Avoir choisi les arts plastiques a été le choix d’une alternative : là où la langue est politique — le français, l’arabe, le marocain, l’anglais — le langage artistique semblait contenir le flou nécessaire qui permet de dire. 1 Le fait que j’utilise « des mots complexes », une syntaxe particulière, que je me pose la question du transport de la langue, que j’utilise la poésie, les jeux de mots, les codes, le code, que je « parle de façon abstraite », que je fasse « des associations d’idées tirées par les cheveux » 2 et que les évidences m’inquiètent 3. Tout cet appareil est pour moi une façon de dire qui ne serait pas politique. Dans le sens où elle indique clairement qu’il faut considérer ici l’expérience individuelle avant l’architecture. La série TRACKS fonctionne comme courtes histoires mettant en avant des mêmes acteurs : le petit éléphant, monsieur crocodile, le petit garçon, le dauphin, les eaux vertes, le ciel émeraude, la voix, la petite voix, le texte karaoké, le texte titre, la musique qu’on reconnaît, la musique que l’on ne reconnaît pas, le flou de l’image, le flou de la narration, les fantômes cités, les fantômes perçus, les fantômes supposés. Chaque épisode met en avant quelques uns de ces éléments (sans pour autant que les autres disparaissent) mais la perception de la narration par le spectateur est trouble : tout est dit comme si le spectateur savait au préalable de quoi il s’agit, les citations fusent, les reprises aussi, les clins d’œil. Mais de quel éléphant s’agit-il au juste ? Quels fantômes ? Pourquoi les fantômes ? Qu’est-ce que j’ai raté ? C’est bien un serpent que je vois ? C’est un petit garçon ou une vieille dame ? C’est flou là 4 ?

— 1 Cf. page 24. 2 Je ne fais que répéter. 3 Cf. page 10 et sa note de bas de page, « […] ce que l’on croit être en train de se faire » etc. 4 Alors que je montrais TRACKS : Third Rack : Missed Hisses (2011) a une personne, elle m’avait demandé de relancer la vidéo en présence d’un public, pour s’assurer que le flou qu’elle avait perçu était bien dû à ma manipulation de l’image et non à une « inattention » de sa part. Alors que chez Irit Batsry, il s’agit de se connecter à la technique pour voir ensemble, il s’agissait là de se connecter aux autres pour accepter sa vue naturelle.

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Speaking Standard The work I’ve shown at the presentation is named pulsus paradoxus. These Latin words have no equivalent in English and are used as is. This work is a work in progress I’ve started in June 2008. The main idea was to create a video matrix that would contain all the necessary data to make other videos that would have the matrix structure. It implies that all content is all contained in the videos. For example if in the video there is reference to memory, the physical experience of the video would ‘affect’ our memory (of images, texts, other videos etc.) by making pressure on it. I wanted to make something that would be experienced by the viewer while it ‘thought’ about itself through diverse and wide subjects: memory, legacy, rhythm, comfort, information, dissonance… The subjects are wide but somehow something stays always constant, fixed and strict : the viewer. The viewer is the one who narrows the subjects to individual experience and individual connections, while sharing the video experience with many around him/her. This work seemed to be ideal to try and ‘speak English’ with my work. Firstly because it spoke of the problematic place of the individual in a group – the situation in which we all were, and in which I was specially when making my presentation – and secondly because it had to literally speak English. This point interests me as it was the presentation that encouraged me to translate the text of the video from French to English. Translating to Standard This is a problematic turn in the progress of pulsus paradoxus involving the precise issue of presenting a work : In what language ? In the case of pulsus paradoxus it is rather clear that changing the language is changing the whole perception of the work as there are for example interactions between text and image which work differently in English and in French. It also gives a larger dimension to the ‘targeted’ audience. This work was made with as characters particular people in a particular time and in a particular language. Showing it to other people is to observe how a language can be understood by others. And it is an important

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moment for the work to continue or to stop where it was created, or to learn a foreign language. Moreover, I had to change entire parts during the translation process. Among the causes, there was one that brought up my attention which is that in pulsus paradoxus, words are also used as images and that has the consequence of making the common ‘word count’ issue a problem : the impossibility of keeping the exact structure and the meaning at the same time. This showed me that physically and conceptually, translation changes almost everything. Understanding a situation (bis) It is said that problems ask for solutions. Some would be to subtitle the work ? Should I re-make the work ? Should I continue the work in another language ? The list would be endless. But while writing these questions, when I translated pulsus paradoxus, I subtitled, I re-made, and I am continuing it in English. What I write is a thing, What I’ve done is another thing, And what I am doing is a totally different story. ‘What I am doing’ is maybe the story of understanding a constantly renewed situation.

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Je retrouve un e-mail — jamais envoyé — adressé à Éléonore Cheynet artiste que j’ai connue lors de ma deuxième année à l’ÉSADS, l’année où j’ai rejoint le groupe Art3 et l’année de son diplôme. Je lis ça avec amusement lorsque je croise les mots « milieu » et « langage ». 2008-02-01 Évidemment 1 que cette démarche est critique. Elle l’est par le fait même de sortir ce langage du milieu auquel il est intimement lié. Nous parlions alors — j’imagine — du fait de filmer sa famille et d’en faire une matière pour vidéos. Je repense à Cette fois (vidéo, 2009). La question de la famille, des origines, de la langue d’origine, des images qu’on capture, de leur exposition. De l’exhibition. Je garde de ce mot une amertume de la facilité de la revendication : affirmer une chose que nul ne connaît me paraissait alors relever de « l’indécence ». Le fait de « capturer » des images et les « montrer » [les « monstrer » comme aurait pu dire Pierre Mercier]. Le fait simplement de les « montrer » est critique. Nul besoin de le rendre plus « critique » qu’il n’est déjà. Je me suis caché lorsque je filmais mon grand-père. Ne sachant comment l’expliquer à ma famille qui s’occupaient de lui tous les jours. Filmer une chose 2, y résumer un temps infini et inconnu. Je suis un touriste. Je suis venu filmer en touriste. Ai-je pour autant le droit de déplacer les reflets ? Il s’agissait alors de ma seconde expérience de filmage. Je crois que ce travail [je crois que je parle ici d’une vidéo d’Éléonore Cheynet] est une superposition de couches de langage « codé ». Plusieurs couches successives de messages codés qui du coup en forment un autre, plus clair celui là. Comme avec de la compression vidéo, nous avons une perte « relative » et « compensée » de données. Que ce soit l’image ou le son, chacun perd de « qualité »

— 1 Cf. page 37, quatrième paragraphe, « Les évidences m’inquiètent ». 2 Ceci est clairement un exemple de réification. Cf. note page 28.

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au niveau d’une variable donnée (pitch, volume, surface, texture, délimitation visuelle, cadre). Mais en même temps, cette perte est « compensée ». Il y a tentative de re-composition, d’interpolation, d’interprétation. Dans ces images, l’apparence évidente des choses n’y est pas. Comme si tu devais passer les images de tes proches à l’acide, en enlever la caféine, ôter du coup ce qui réveille les souvenirs attendrissants, n’en garder que ce qui est en deçà de leurs référents. Tout ça pour arriver à dire quelque chose… pour arriver à leur faire dire autre chose que ce qu’elles sont : le langage du souvenir. Je dois avouer que, comme vous, je ne sais trop de quoi il en retourne ici. Mais j’y repère des mots, des phrases, des constructions, des traces de « quelque », entre « quelqu’un » et « quelque chose » et sans doute que ces indices m’intéressent, finalement, plus qu’un supposé propos. À ce propos, Chris Anderson 1 évoque dans un article intitulé The End of Theory dans le numéro 16.07 du magazine Wired 2, que l’idée de corrélation serait plus « nutritive » que la causalité. In the new Petabyte age, the new availability of huge amounts of data, along with the statistical tools to crunch these numbers, offers a whole new way of understanding the world… science can [now] advance even without coherent models, unified theories, or really any mechanistic explanation at all. We can stop looking for causal models — correlation is enough. We can analyze the data without hypotheses about what it might show. We can throw the numbers into the biggest computing clusters the world has ever seen and let statistical algorithms find patterns where science cannot…3

— 1  Chris Anderson est le rédacteur en chef de Wired Magazine 2 Wired est un magazine américain qui traite de l’impact des technologies sur la vie sociale. 3 J’ai choisi une citation issue d’un texte lu par nombre de personnes intéressées à la fois par la technologie et par la science. Personnes qui travaillent au sein de ces milieux. Cet article à été fortement critiqué par les uns comme par les autres.

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Et c’est un bon exemple de ce que je disais plus tôt, que « je crois que ce que l’on croit être en train de se faire ne l’est jamais — en train de se faire ». J’y change quand même quelque chose : « je crois que ce que l’on croit être en train de se faire ne sert finalement qu’à faire en sorte qu’un autre y voit autre chose. »

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Extrait de Encore (2010)

LES FILMS DE FESSE SONT COMME DES TROUS DES TROUS À REMPLIR DES TROUS BÉANTS À REMPLIR AVEC LE SENS AVEC LE SENS DE CHACUN ET ON Y VOIT RIEN ON LES REMPLIT AVEC DE LA FICTION AVEC DES HISTOIRES DANS TOUS LES SENS ET AVEC LES HISTOIRES DES GESTES ET SANS VOULOIR S’ARRÊTER ET C’EST COMME REMPLIR DES VIDES ET C’EST Y METTRE LES MOTS ET Y METTRE DES MOTS ET Y METTRE ENCORE LES MOTS QUI VIENNENT ET S’EXCITER PAR LES MOTS QU’ON DONNE ET QU’ON TIENT ET S’EXCITER PAR LES MOTS QUI VIENNENT ENCORE ET PAR LE SENS INSENSÉ ET FOU ET C’EST COMME DONNER UN SENS INSENSÉ ET FLOU SUR DES IMAGES ET CES IMAGES SONT COMME DES TROUS ET SONT COMME DES TROUS POILUS QU’IL FAUT LISSER ET QU’IL FAUT DÉMÊLER ET SAVOIR LES DÉMÊLER ET LE SENS ET LE SENS ET 43


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LE SENS ET LE SENS ET CETTE RÉALITÉ QUI VIENT ET QUI VIENT ET QUI VIENT ET QUI VIENT ET QUI NE FAIT QUE VENIR ET VENIR À L’INFINI ET C’EST COMME COURIR À REBOURS.

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Dounia Beghdadi 1 me fait remarquer à propos des « reflets pornographiques » de mon travail, qu’il y a chez moi « une relation charnelle aux idées [et qu’il s’agit d’une chose qu’il] faut développer dans le verbe. [C’est bizarre,] on s’en parle toujours dans les pire moments.  » Je repense alors à ce que j’ai pu écrire un jour : « pour écrire j’ai besoin de lieux hostiles. » Peut-être y a-t-il des choses qu’on ne sait dire que lorsque sont réunies les conditions nécessaires à leur énonciation. Et la condition n’a pas de morale. Ce qui m’a toujours fasciné dans la pornographie, c’est son développement en dehors (en deçà ?) de l’analyse — existe-t-il des théories du pornographique ? Analyses politiques, c’est-à-dire analyse des effets du pornographique, mais pas trace d’analyses grammaticales. La question que je désirais poser lorsque j’ai commencé à travailler l’image  était simplement la plus complexe et finalement la moins intéressante (dans sa formulation) « qu’est-ce qu’une image ? ». On ne peut décemment poser une question pareille. Alors « qu’est-ce qu’une image + attribut ». Le chemin le moins balisé, le plus saturé, et le moins sexy — paradoxe ? — a été d’emblée « qu’est-ce qu’une image pornographique ? ». Quelle image est autant copiée, échangée, dupliquée, stockée, effacée, collectionnée, spécialisée, cachée, cinématographique, amateur, blanche, noire, marquetée, organisées, massivement produite, privée etc. qu’une image pornographique ? Pourtant, peu ou pas d’analyses formelles sur ce point. Comme si elle n’était pas digne de voix, ou — ce qui m’intéresse — intenable par le verbe. L’image artificielle par excellence où la réalité est en tous points différente de la réalité : où ce qui est montré, comme stéréotype, ne fait appel à aucune réalité individuelle.

— 1 Cf. page 87.

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Charles Ramond écrit à propos de la différance de Jacques Derrida 1  La différance, se dira-t-on d’abord, ne peut tout de même pas être très différente de la « différence » — et on aura raison : la différance, c’est le « fait de différer », c’est donc, si l’on veut, la différence prise sous son aspect dynamique et non statique, la différence en train de s’établir et non pas établie. [...] Cette petite différence (différance ?) entre différence et différance, dans la mesure même où elle a pour fonction de désigner un processus, et non une chose qu’on puisse cerner ou présenter, finir ou définir, rend précisément inopérante, ou plutôt manifeste le caractère inopérant de ce fondement de la rationalité qu’est l’acte de distinguer — comme si le recours à la différance avait précisément pour fonction d’introduire un peu de jeu, de tremblé, de dérapage, de déséquilibre, au cœur des nombreux et puissants dispositifs de « mise en raison » qui constituent la philosophie.  Texte extrait de Pulsus paradoxus (septième battement) (vidéo, 2009) La conscience est une partie du système de mesure du système de mesure utilisé pour séquencer les évènements - On se retrouve dans combien de temps? La persistence rétinienne et la capacité ou défaut de l’œil à conserver une image vue superposée aux images que l’on est en train de voir - Entre midi et deux? La paramnésie décrit la sensation d’avoir déjà été témoin d’une situation présente. - Chic! Le déjà-vu est la répétition d’un rêve oublié de la nuit précédente. L’orateur lyrique s’abandonne aux mouvements de ses sentiments et oublie un instant son auditoir pour s’adresser aux objets de sa pensée personnifiés devant lui.

— 1 Le vocabulaire de Jacques Derrida, éditions Ellipses, 2001

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- Oui. Ça m’a plu de t’attendre. L’entre-deux caractérise un état de conscience né de la perception que son identité n’est pas monolithique, qu’elle est faite, pour le migrant, d’un groupe d’origine et d’un groupe d’accueil. - non - pas - maintenant Un mouvement plus lent est un mouvement plus long. Un mouvement plus lent est un mouvement plus long. À mesure que les capacités de l’enfant progressent, la mère cesse d’être parfaite. - On se revoit? - Je ne sais pas - On recommence? - Je ne sais pas. J’essaye dans Pulsus paradoxus de faire vivre une expérience en même temps que je la décris. J’essaye de créer une expérience qui à la fois se déploie et se décrit. Je veux, avec Pulsus paradoxus, qu’on puisse vivre une chose qui nous absorbe, qui puisse se décrire, et par là même nous décrire. Un passage marquant est la fin de chaque episode 1 où sons, images défilent à une allure qui nous laissent sans voix. Peut-être que cette accumulation non raisonnable d’éléments crée un rejet. « Qu’est-ce que je vois. » C’est un rejet du corps étranger des deux parties (la vidéo/auteur/images et le spectateur). Un événement qui se désigne explicitement comme crise. Une crise pour mieux repartir. Une crise pour mieux oublier. Tout occuper, tout malmener pour mieux recommencer. — 1 En anglais, « episode » est un méronyme de « incident ». Un traumatisme.

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On m’a souvent fait la remarque, en regardant mon travail (et particulièrement Pulsus paradoxus) qu’il contenait un « aspect autoritaire ». Ou encore, un hermétisme. Je me pose donc une question sous la forme suivante : « à quel moment aurais-je montré que ce travail aurait pu être autre chose qu’une chose autoritaire et/ou hermétique ? » Si on remarque la possible présence d’un aspect autoritaire et, ou, d’une forme d’hermétisme dans mon travail, n’est-ce pas parce qu’à un moment donné on a pensé qu’il aurait pu être question d’autre chose ? Une des caractéristiques formelles de Pulsus paradoxus tient au fait qu’il s’agit d’une succession d’interruptions. Des mots qui coupent des images qui coupent des phrases qui comptent des temps qui marquent des points d’interrogation. Au fil du temps, tout devient ponctuation jusqu’à ce qu’apparaisse le point d’interrogation. Ce point d’interrogation fonctionne alors comme une mascarade : il semble jouer à ponctuer 1 dans un (mi-)lieu où tout est ponctuation. C’est peutêtre l’élément le plus significatif du supposé aspect autoritaire. Je ne saurais dire comment précisément ça fonctionne mais il me semble que les points d’interrogations créent le flou entre ce qui révélerait [sic] 2 de la structure claire et ce qui relèverait de l’espace d’interprétation (la lecture). Et c’est dans le flou des choses que la liberté existe en tant qu’instantce des possibles. Le champs des possible est le temps du flou.

— 1 PONCTUER verbe transitif. 2. Renforcer certains mots par des gestes ou des exclamations. 3. MUS. Marquer les repos en composant ou en exécutant une partition. 2 Lire « qui relèverait ». Encore une « erreur » qui porte le sens.

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Je n’ai jamais compris la dis-sociation entre le « corps » et « l’esprit ». Je n’ai jamais compris la dis-sociation entre « le fond » et « la forme ». Je n’ai jamais compris la dis-sociation entre « l’art » et « la vie ». Et je m’en fous.


JE SUIS FOU.


Je pense à la dimension contractuelle du langage — le sens de la communauté et des échanges — Thoreau — Onkeshott — Emerson — Levinas — au fait que tout usage du langage est non seulement moral, mais politique — Verständnis vs. Kummunikation — à l’apprentissage du langage qui ne consisterait que dans l’apprentissage des règles communes  — à la règle qui ne me dit pas comment l’appliquer — à la règle qui ne me dit que ce qu’elle est — à mon intime conviction que le langage ne dit pas mais veut dire — à tout ce qui est mental et qui passe par les institutions — au fait que si la technique du jeu d’échecs n’existait pas, je ne pourrais pas envisager de faire une partie d’échecs.


SOUVERAIN PONCIF. SUBIT L’OUTRAGE DU TAON. UN COUP INOPINEL. UN ENTIER QUI PARTAGE SA MOITIÉ AVEC UN TIERS. ATTEINT D’UN MAL NON HÉRÉDITAIRE. CUCURBITACÉE QU’AFFECTIONNENT LES BRITANNIQUES. DÉCONFITURE ET PAS DE POT. DOUCE EN BOUCHE, PIQUANTE SUR LA JOUE.


Et je comprends tout. Tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout tout.


JE SUIS PRÉTENTIEUX.


Je m’interdis de ne rien comprendre. Je m’autorise à tout comprendre. Je m’autorise à tout relier. Je m’autorise à tout dis-socier (la dissociation est une association à but non-lucratif composée des latins dis marque d’éloignement et de socialis signifiant compagnon, concernant une société, l’entourage. En psychiatrie et psychologie, celà désigne un trouble majeur de la personnalité avec rupture d’harmonie et dislocation de la personnalité, observé dans la schizophrénie. On parle de comportement dissocié : le schizophrène peut sourire en exprimant sa douleur, a des ruptures brutales et des incohérences dans ses discours). J’ai bien dit « dis-socier » puis « dissocier ». Je fais ça tout le temps. Je suis fatiguant.


L’ÉCRITURE M’EST UN FOND VERT. ON FILME SÉPARÉMENT UN OBJET SUR FOND VERT. À PARTIR DE L’IMAGE DE L’OBJET, ON TRANSFORME LE VERT DU FOND EN UN MASQUE, TECHNIQUE DU « CACHE-CONTRECACHE », LE MASQUE EST APPLIQUÉ À L’OBJET, L’IMAGE MASQUÉE EST MISE EN ALTERNANCE DÉCOR/OBJET SUR PELLICULE.


L’écrire m’est le lieu de tous les possibles. Comme ce vert de la trinité synthèse additive (1 fois) rouge vert bleu (2 fois). C’est un mi-lieu, celui qui est ni au début ni à la fin mais bien au milieu (3 fois). Le rouge serait la chose impossible, le bleu la chose absente, le vert cette chose que l’on attend. Une chose qu’on rempli aussi. Qu’on rempli de tous les possibles si on le veut. Je pense souvent à dire « admettons ». C’est une formule verte. J’admets beaucoup de choses. J’admets beaucoup de choses pour éventuellement les comprendre un jour. Je ne sais plus qui disait que « pour sortir d’une chose, il faut y être ». Je lis « sortir » comme sortir du culte, tu sais cette chose qui ne vit que d’acquiescements et d’admissions. Sortir est alors voir d’ailleurs. C’est aussi voir, d’ailleurs. C’est considérer, c’est voir attentivement. C’est aussi entrer ailleurs. Sortir c’est préparer son entrée ailleurs. D’ailleurs. J’aime l’allegorie de la caverne. Ce qui m’y plaît, c’est tout ce qui n’y est pas, ou plus précisément ce qui y est mais ailleurs. L’allegorie de la caverne me dit : « qu’est-ce qui n’est pas là ? Qu’est-ce qui n’est pas dans le texte ? ». Je réponds « le matériau, la construction, l’organisation, la sortie, la reconstruction ». J’aurais pu répondre autre chose. Mais c’était là le sujet d’une vidéo réalisée en 2009 se nommant BILD+ings.


CETTE PELLICULE EST UTILISÉE POUR IMPRESSIONNER LE NÉGATIF . DEUX IMAGES SUCCESSIVES — LE DÉCOR SANS L’OBJET ET L’OBJET SANS LE DÉCOR — IMPRESSIONNENT LA MÊME IMAGE DU NÉGATIF.


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Je signifie par là non les objets, les résultantes, mais la pensée. L’activité, le mouvement desquels découlent les objets. Cette idée est très en lien avec une certaine conception — disons, pour préparer la suite — pessimiste de toute entreprise artistique clairement identifiée. Lorsque je sais ce que je vais faire, je ne sais jamais ce qu’implique cette entreprise. Ce que je fais lorsque j’essaye de dire ce qu’est mon travail, c’est dire ce qu’au moment de vous parler de mon travail j’estime être assez intéressant pour vous, pour moi, pour une personne en particulier, une « présence », qui puisse être rattaché à ce qu’on a décidé d’appeler mon travail. Ce qu’on a décidé d’appeler mon travail. Ce qu’on a décidé d’appeler mon travail. Les choses vont étrangement par trois dans ce que je dis. Ça doit dater de ce jour où j’ai appris à regarder un écran de télévision treize heures d’affilée en remarquant 00h03, 01h11, 03h00, 11h01, 11h10, etc. Tout change. Les souvenirs. Leurs histoires.


PARLER DE « MON TRAVAIL EN GÉNÉRAL » NE M’INTÉRESSE PAS. PARLER D’UN TRAVAIL M’INTÉRESSE. DANS LE SENS OÙ « MON TRAVAIL EN GÉNÉRAL » EST « CE QUE JE FAIS QUI M’INTÉRESSE ».


Le mot « sérieux » est une plaisanterie. En disant ça, je confère à ce que je viens de dire un caractère particulier évident — bien que non éprouvé car dénué des attributs de ce caractère. Comprenne qui veut. CECI EST UN ENGOURDISSEMENT ATTENTION, ON S’ENFONCE, ALLEZ HOP, ON REMONTE. Parler d’un travail particulier me paraît être une opération plus intéressante, et ce pour plusieurs raisons. La première est que ça permet de délimiter le champs du discours — ou de l’imagination. Au moment où je formule, je connais au moins une limite à ma pensée. Et surtout, celui qui m’écoute ramène mon discours à des « frontières » connues. Deuxièmement, parler d’un travail en particulier m’empêche de m’attarder sur l’aspect méta-linguistique. Ce qu’apparemment je ne sais pas faire (ne pas m’attarder sur l’aspect méta-linguistique). Essayons quand même. Est-ce peine perdue ? Fût-ce un jour peine perdue ? Et puis alors : FIN BRUTALE.


CE QUE J’ESSAYE DE DIRE, C’EST QUE PARLER, SI TOUTEFOIS ON DÉCIDE D’Y VOIR QUELQUE CHOSE DE SÉRIEUX, PEUT S’AVÉRER ÊTRE UNE OPÉRATION PARTICULIÈREMENT DÉLICATE.


Clarity is merely but an ideological term which holds an interesting question : What there is to clarify ? If something is not “clear”, why don’t we take this attribute — being clearly unclear — as it is. What more do we want to see in an object that is “not clear” ?


MY PURPOSE — AS AN ARTIST — IS NOT TO “CLARIFY” AN IDEA, A CONCEPT, OR WHATEVER THERE IS TO CLARIFY. MY PURPOSE — AS AN ARTIST — IS TO RE-INFORCE PECULIARITIES.


Rencontrer quelqu’un, c’est s’autoriser des pensées, des mots, des attitudes, des actions. O. m’offre la possibilité, me donne le droit de dire certaines choses « en son nom », lorsque ces choses impliquent une trop grande responsabilité. La responsabilité de son emploi et la responsabilité de ce que son emploi implique. Invoquer O. me permet d’éviter la génèse de certains mots. L’invocation est un joli mot, à moins qu’il ne soit beau. En anglais, on dit « to put forward » pour avancer un argument et « to call upon » pour un témoignage divin il me semble, « to plead » pour l’excuse tandis que « to cite » s’applique à la loi. To call upon, appeler sur, in vocare. Expression arrivée en anglais via le français fin XVè siècle. Écrire avec quelqu’un, c’est le faire agir dans le récit qui se construit et dès lors que l’invoqué existe, le texte a tout droit d’exister. Ne serait-ce que pour cette personne, ou plutôt pour l’idée de cette personne. Personne qui est exactement, au moment d’écrire, comme on l’imagine, et certainement pas comme elle est, ou peut être.


POUR ÉCRIRE, J’AI BESOIN D’UN RÉFÉRANT, D’UN INTERLOCUTEUR {HORRIBLE MOT}, DE QUELQU’UN QUI PRONONCE LES MOTS QUE JE NE PEUX DIRE. J’AI BESOIN DE ME FIGURER LE CONTENANT {HORRIBLE MOT} POUVANT CONTENIR LES MOTS DONT J’AI PEUR.


Revenons à la question de l’énonciation. Je crois qu’à l’ÉSADS aussi bien qu’à l’AKI (hogeschool voor de kunsten, Enschede, Pays-Bas), tu es officiellement inscris respectivement à l’Atelier communication graphique et Art+Cross Media Design. Relies-tu ce fait à la question de l’énonciation ? L’apprentissage du graphisme — si toutefois on peut parler « du » graphisme — comme je le vis est ce moment où se joue l’énoncé à chaque instant. La commande est un énoncé, le choix de la réponse est un énoncé (ou un ensemble d’énoncés) la communication au client en est un autre etc. Il s’agit pour moi d’énoncer. Apprendre à énoncer en énonçant. La répétition a beaucoup à voir avec l’apprentissage. Que ce soit la répétition de l’énoncé ou celle de la réponse à l’énoncé. Il s’agit aussi de garder un référant. De ne pas oublier le problème tout en se gardant de le résoudre. Ne plus être dans des situations particulières et hyper-contextuelles est un risque de ne plus les voir. Je parle ici des énoncés. Et des situations. Et du fait de ne plus les voir. Je parle ici des énoncés et des situations. Je tiens à préciser que c’est bien de « l’apprentissage du graphisme [ajouter ici une floppée d’attributs spécifiques]». Je pense qu’apprendre n’apprend qu’apprendre. Penser ici très fort à tous les jeux de mots avec la sonorité /a.pʁɑ̃dʁ/


DOIS-JE APPRENDRE LES MATHÉMATIQUES DE TELLE FAÇON À CE QUE MON APPRENTISSAGE ME PERMETTE DE SAVOIR FAIRE DE LA SAUCE AU POIVRE ? LE PUIS-JE SEULEMENT ? JE PENSE UNE, DEUX PUIS TROIS FOIS « ÉNONCIATION » ET ME POSE LA QUESTION.


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Extrait de Pulsus paradoxus (quatrième battement) (2009) […]

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Information : un acouphène est un bruit qui n’est perçu que par un seul individu.

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LACUNE: (féminin) 1. espace vide, solution de continuité dans un corps ou dans une série.

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2. interruption, vide dans le texte d’un auteur, dans le corps d’un ouvrage.

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3. Avoir des lacunes dans la mĂŠmoire, des lacunes dans la

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[sic].

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AUTEURS Michel Foucault, philosophe et historien. Georges Didi-Huberman, philosophe. Jacques Derrida, philosophe. Søren Kierkegaard, philosophe. Emmanuel Levinas, philosophe. Ludwig Wittgenstein, philosophe. Frank Zappa, musicien. Meshuggah, groupe de musique suédois. Peter Tscherkassky, cinéaste viennois. Günter Grass, écrivain. Samuel R. Delany, écrivain. Emil Cioran, écrivain. Javier Pastor, écrivain. Jorge Luis Borges, écrivain. Robert Filliou, artiste. Irit Batsry, artiste. Rodney Graham, artiste. Lawrence Weiner, artiste. Michael Snow, artiste. Rirkrit Tiravanija, artiste. Thomas Hirshhorn, artiste. Cory Archangel, artiste. Oliver Laric, artiste.

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OUVRAGES L’écriture et la différence, Jacques Derrida Les deux sources de la morale et de la religion, Henri Bergson La mort en été, Yukio Mishima Faust, Jean-Wolfgang Gœthe, trad. Gérard de Nerval Mythe de Cthulhu, H. P. Lovecraft Surveiller et punir, Michel Foucault De l’inconvénient d’être né, Emil Cioran ‫ﺃﻫﻞ ﺍﻟﻜﻬﻒ‬, Taoufik al-Hakîm Coinlocker Babies, Ryuichi Murakami L’origine, Thomas Bernhard Vice Versa, Samuel R. Delany Lolita, Vladimir Nabokov Traité de l’amour, Ibn ‘Arabî Mat échec, Javier Pastor Conférences, Jorge Luis Borges Fictions, Jorge Luis Borges Le turbot, Günter Grass Phasmes, Georges Didi-Huberman La divine comédie, Dante Alighieri Poèmes et nouvelles érotiques, Georges Bataille Les mots, Jean-Paul Sartre Le théâtre et son double, Antonin Artaud Anvers, Roberto Bolaño Sketches, Philippe-Alain Michaud

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APPAREILS Irit Batsry Jacques Derrida Dante Alighieri Georges Bataille Aurélie Kunert

Yukio Mishima Vladimir Nabokov Søren Kierkegaard — Pierre Mercier Francisco Ruiz-de-Infante Dounia Beghdadi Paul Guilbert Salim Bayri

Jorge Luis Borges Roberto Bolaño Jacques Derrida Gilles Deleuze Dan Graham Jacques Derrida Anthony McCall Kévin Senant Salim Bayri

Ayla Mrabet Aurélie Kunert Audrey Gleizes — Irit Batsry Gilles Deleuze Audrey Gleizes Kévin Senant Paul Guilbert Julien Margelin Chloé Mérigot

Irit Batsry, artiste Martin Arnold, cinéaste Peter Tscherkassky, cinéaste Aurélie Kunert, artiste Rodney Graham, artiste Christophe Jacquet, graphiste Thomas Bayrle, artiste —

Pierre-Yves Boisramé Robin Lachenal Félix Ramon

Irit Batsry, artiste. Martin Arnold, cinéaste. Peter Tscherkassky, cinéaste. Aurélie Kunert, artiste. Rodney Graham, artiste. —

Dante Alighieri Aurélie Kunert Éléonore Cheynet Francisco Ruiz-de-Infante Anne-Lise le Gac Arnaud Astier Paul Souviron

Le Corbusier Jordi Vidal Aurélie Kunert Lauren Tortil —

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INDEX Arrêt, arrêter, s’arrêter 15, 23, 45

Indice, indices 10, 17, 26, 38, 43

Batsry, Irit 21, 22, 35, 87, 89

Joie, joyeusement, joyful 21-22, 34

Comprendre, compris, comprise 5, 9-10, 19, 28, 30, 35, 42, 54 Compris dans 24, 36 Compréhension 35 Croire, croyance 21-22, 28

Langage 17, 21, 28, 32, 34, 37, 38-39, 42-43 Langue 19, 21, 34, 37, 39, 42

Deleuze, Gilles 32, 89 Derrida, Jacques 10, 18, 26, 27, 48, 87, 83, 89 Derrière 11, 19 Différence 32, 35, 48, 83 Différance 48 Écriture 10, 26, 61, 83 Encore 11, 13, 14, 17, 22, 24, 26, 34, 45, 50 Evidence 10, 15, 17, 38 Évidence, évident, évidente 17, 28, 38, 39, 42-43 Fantôme, fantômes 10, 26, 27, 31, 39 Flou, floue, floues, flous 9, 22-28, 39, 45, 50 Foi 27-28 Hanter, hantise 10, 18, 26-27

Parole, paroles 27, 38, 94 Politique 19, 34, 39, 47 Possible, possibles 20, 23, 37, 50 Prendre 11, 27, 37 Preuve, preuves 10, 17 Pulsus paradoxus 13, 17, 24-25, 32-33, 35, 40-41, 48-49, 50, 81 Quelque, quelques 9, 10, 17-18, 23-24, 26, 30, 35, 39, 43, 44 Souvenir, souvenirs 10, 17, 26-27, 30-31, 43 Spectre, spectres 17-18, 26 Toujours 5, 11, 15, 21, 23-24, 26-27, 29, 32, 36, 47, Traces, Tracks 13, 17, 26-27, 39, 43 Trou, trous 22, 25, 33, 45 Vidéo 13, 31-25, 28, 33, 42, 48


Je tiens à remercier Pierre Mercier et Philippe Lepeut pour leurs conseils avisés ainsi que Francisco Ruiz-de-Infante, Aurélie Kunert et Dounia Beghdadi pour leurs paroles.

Strasbourg, 2011




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