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Dorénavant, Christiane adopte le masque blanc, comme visage, plus personne ne saura ce qu’il cache et elle part seule, dans la forêt, habillée de sa robe blanche (virginale), une colombe blanche à la main. Sous le masque blanc que va porter Christiane, non seulement la destruction physique est à l’œuvre, mais également la dégradation Défigurée à la suite d’un grave accident de voiture,
psychique.
Christiane (Edith Scob), fille d’un célèbre et très respecté chirurgien esthétique, le professeur Génessier (Pierre
Ce film est d’une beauté plastique
Brasseur), vit dans la vaste demeure familiale recluse,
envoutante par l’utilisation poétique
solitaire et désespérée, visage caché par un masque
du noir et blanc avec une maitrise
blanc anonyme. Son père ne pense qu’à trouver le
époustouflante. Le spectateur est
moyen de lui reconstruire son visage et pour ce faire,
attiré dans cet univers onirique,
mène des greffes expérimentales (hétérogreffes) sur des
lyrique, monstrueux et triste qui
jeunes femmes dont les visages ressemblent à celui de sa fille avant l’accident. Il est aidé par sa fidèle assistante, Louise (Alida Valli).
dégage une beauté formelle sans réelle épouvante. C’est ce qui fait la force de ce chef d’œuvre,
Les filles sont sacrifiées et en un instant, leur identité leur
l’horreur est suggérée, parfois
est arrachée. La victime endormie ignore l’ignominie, elle
montrée mais avec des audaces
a le visage enlevé et elle perd la vie par la froide volonté
cinématographiques qui la
d’un autre. George Franju dira du professeur Génessier
transforme en poésie de l’effroi,
que le chirurgien "n’est guidé que par des mobiles humains, l’amour paternel et la vanité professionnelle… C’est beaucoup plus terrifiant comme cela." (Cahiers du cinéma, n°149, 14)
en cauchemar éveillé. Le film est lent, étrangement sobre, très ambiguë sur les sentiments ressentis par le spectateur pour les personnages.
Le visage de Christiane n’apparaît que fugitivement, il est masqué la plupart du temps. On le voit avant
Il n’y a pas vraiment d’angoisse mais un subtil et lent phénomène
l’opération, de façon floue et après, avec la face greffée
de terreur archaïque qui se dégage
qui va rapidement se nécroser. Christiane n’existe qu’à
des lieux et des êtres. Nous ne
travers les yeux de son père ou de son assistante, tous
sommes pas loin d’un cinéma
les miroirs de la maison sont voilés de noir et interdits de
surréaliste, les interprétations sont
reflets. Le visage de Christiane alterne dramatiquement
multiples. Tout est suggestion dans
entre destruction et beauté volée, éphémère et putride.
ce film, dans un plan fugace ou un discret déplacement de caméra,
Cependant les tentatives pour reconstruire le visage de sa fille sont décevantes, les cadavres de jeunes femmes
LES YEUX SANS VISAGE DE GEORGE FRANJU (1960)
défigurées sont de plus en plus nombreux. La police est alertée et une enquête est ouverte. Les mailles du filet se resserre autour de l’étrange chirurgien. Christiane,
"Les yeux sans visage",
de soumise va basculer dans une violence libératrice en
c’est dans l’œuvre qu’il faut voir et non dans ce qui est montré directement. "Les yeux sans visage" est un film de réflexion sur tous les visages, de la beauté parfaite à
extraordinaire film de George Franju,
libérant la dernière captive sur la table d’opération puis en
l’horreur absolue, du portrait peint
tourné en noir et blanc en 1959, offre
assassinant Louise et dans une rébellion finale, en libérant
ou photographié au masque de
une fascinante réflexion sur le visage,
les chiens servant de cobayes sur son père. Le dernier
la défiguration, le masque, le maquillage.
plan du chirurgien montre son visage avec un œil en moins, tel un grotesque Œdipe.
l’acteur, du visage matière douce au toucher à la froideur du masque blanc…