Hyper-vitesse, Hyper-mobilité, Hyper-design

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Hyper-vitesse, Hyper-mobilitĂŠ, Hyper-design

Antoine Bourhis


Mémoire de recherche en design réalisé par Antoine Bourhis, sous la supervision de Julien Borie et Sophie Clément.

Diplôme Supérieur d’Arts Appliqués, Design éco-responsable, option design de produit, à PSDNA, La Souterraine. 2018


Capsule

date HTT-3005

NOTE

20 18 . 20 50

heure 09 : 21

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LES MOTS DU CO-PILOTE À peine ai-je eu le temps de poser le pied dans l’ascenseur que mon partenaire de voyage a donné trois coups sur le bouton de fermeture des portes. Cette impatience en dit long sur notre société de l’urgence, qui s’agace lorsque les pages web de l’ordinateur tardent à s’afficher ou grogne au volant de son bolide dernier cri bloqué dans les embouteillages. Nous vivons une époque où la culture de la vitesse est célébrée avec une ferveur croissante, constitutive de l’histoire de l’humanité. Le paysagiste et écrivain Paul Virilio déduisait ainsi que « Si le temps c’est de l’argent, la vitesse c’est le pouvoir. » Alors nous allons, du vélo électrique aux microprocesseurs supersoniques, en passant par le four à micro-ondes, monorail et autres gyropod pour satisfaire notre appétit du « toujours plus vite ». Et paradoxalement le temps semble nous filer entre les doigts. Mais les grands inventeurs de ce monde comptent bien nous faire justice et dans cette guerre contre Chronos nous pouvons compter sur Elon Musk et son phénoménal Hyperloop. L’ingénieur à la tête de Space X suggère nul autre qu’un cinquième mode de transport majeur pour nous transporter à près de mille deux cents kilomètres heures dans des capsules propulsées à travers des tubes sous vide pour dévorer l’espace et le temps. Alors à quoi ressemblerait un monde avec l’Hyperloop ? Pour éviter de tomber dans l’hypnose et la fascination de l’hyperprojet, je me suis rangé du côté des sceptiques pour tenter de comprendre l’avenir et les risques de la mobilité à grande vitesse. Et par une approche prospective j’entends questionner les options préférables pour l’avenir. Alors comment le designer peut-il s’emparer des problématiques du futur liées à la vitesse et la mobilité ? Quel rôle peut-il jouer une fois plongé dans un univers de fiction intangible ? Dans cette quête de réponse je serai votre co-pilote, et je vous accompagnerai tout au long de ce récit afin de vous fournir les clés de compréhension d’une fiction très réaliste.

Les informations émises ci-dessus sont à prendre en compte pour la bonne compréhension de la recherche. Document confidentiel à conserver précieusement. © Antoine Bourhis


Sommaire

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INTRODUCTION 15-25

VITESSE ET MOBILITÉ, DES RISQUES QUI TRAVERSENT LES ÉPOQUES A. Les angoisses récurrentes L’accident L’angoisse sanitaire Le lieu clos

B. Inflation des effets Indésirables L’espace se rétrécit Inhérence des inégalités socio-économiques Le versant énergétique 25-41

PARLER AU FUTUR A. Le rôle de la science-fiction Raconter le monde de demain La dystopie : ou comment éviter la sidération Fiction et imaginaires

B. Design et fiction réaliste «Et si ?», vers un design qui pose les questions Introduction au design fiction L’utilisation de médiums diégétiques

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Sommaire

71-89

CONSTRUIRE UN DESIGN POUR LE DÉBAT A. Fabriquer des matériaux à débat Générer des scénarios dystopiques Construire des médiums appliqués Une fiction en nuances de gris

B. Mettre en scène le design fiction Construire la situation de réception du projet Orchestrer le débat Un débat, et après ? 71-89

CONCLUSION 89-102

BIBLIOGRAPHIE 89-102

REMERCIEMENTS

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INTRODUCTION Il y a seulement cinq mille ans que l’Homme a mis à son service le cheval, grâce auquel nous pouvions enfin aller plus vite que nous-mêmes a permis de développer diligences et autre carrosses. Jusqu’aux premiers chemins de fer, traverser la France d’Est en Ouest prenait plusieurs mois. La vraie accélération date finalement du milieu du XIXe, avec l’avènement de la machine à vapeur que l’on considère comme la première source d’énergie mécanique maîtrisée par l’homme. Elle est devenue la Mère du progrès, de la vitesse et de la révolution industrielle. La naissance de cette incroyable machine a marqué le passage à un degré supérieur, une évolution de l’humanité vers un but idéal. Et la vitesse, progressivement s’impose en corollaire de la modernité. Aujourd’hui, dans les pays développés, nous sommes parvenus à une vitesse technique proche de celle de la pensée. C’est-àdire que nous pouvons faire passer un message aussi vite que nous l’écrivons dans notre esprit au regard des technologies de l’information et de la communication. Et nous voulons atteindre une instantanéité dans nos déplacements, similaire à celle que nous avons avec les échanges par internet car notre quête de performance, de conquête de l’espace et d’hypermobilité n’est jamais assouvie. Mais pourquoi vouloir aller plus vite ? Pour l’expliquer on peut d’abord adhérer à la pensée du sociologue et professeur d’histoire du droit Jacques Ellul selon lequel « la vie globalement est contrainte à une vitesse croissante du fait même de ces

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Introduction

machines », expliquant alors notre accélération par les produits mêmes de l’innovation. Dans ce sens, nous nous mouvons dans toutes les directions et à toute allure avant tout parce que la technologie le permet. Notre penchant pour la vitesse peut également tenir du désir humain de se transcender comme le théorise Mark Kingwell, professeur de philosophie et de sociologie politique à l’université de Toronto. La conscience de notre mortalité fait que nous cherchons toujours des moyens d’accomplir nos désirs plus vite, afin de nous en distraire. Le choix de l’accélération se fait également dans une perspective d’augmentation : se déplacer plus vite nous permet de faire plus de choses, sensiblement en tout cas. Enfin, la vitesse procure une certaine ivresse sensorielle, ce qui va plus vite est, dans l’imaginaire collectif, plus performant, plus intense et plus excitant. Ainsi l’ordinateur a fait disparaître la machine à écrire, les individus qui semblent engagés dans une interminable course contre la montre présentent le train de vie le plus honorable et trépidant et la technologie Hyperloop, capable de nous emporter à près de mille deux cents kilomètres heure à travers de grands couloirs sous vide rendra insipides les frégates d’antan. Le créateur américain Elon Musk ressort des vieux tiroirs cette idée de se déplacer à bord de capsules propulsées à travers des tubes suggérée déjà en 1967 par l’inventeur américain Albert Ely Beach. L’Hyperloop, lui, pourrait voir le jour d’ici 2021. « Ce que l’on veut c’est un système où il n’y a jamais d’accidents, qui soit au moins deux fois plus rapide qu’un avion, qui soit alimenté par

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Introduction

l’énergie solaire et qui part dès que vous arrivez, donc qu’il n’y ait plus d’attente ni d’horaires précis » affirme le dirigeant de Space X. Ce mode de transport résonne dans l’actualité comme une révolution. Mais à quoi ressemblerait un monde avec l’Hyperloop ? Ce contexte en toile de fond doit permettre de mener une recherche en design sur de nouveaux comportements, les répercussions sur nos usages, qui pourraient apparaître en corrélation avec ce type d’innovation, avec un regard anti-utopique afin de dépasser la fascination. Comment est-ce que notre santé pourrait être affectée ? Quels rapports socio-territoriaux allons nous entretenir ? Vers quel avenir énergétique nous conduit cette technologie ? Et plus largement, nous tenterons de comprendre dans quelle mesure et de quelle manière le design, et notamment le design fiction, peut permettre d’ouvrir un débat sur l’avenir de l’hypervitesse, l’hypermobilité et plus largement sur notre rapport au progrès. Pour ce faire, il faudra d’abord effectuer un retour en arrière et comprendre comment, dans le passé, les technologies de mobilité rapide ont été sources d’angoisse et de dangers. À cela s’associe la question de la méthode qui sera la clé de voûte d’un projet bien conduit. Mettre le présent au superlatif et utiliser le futur comme un moyen d’interroger le présent : ce sont certains des principes du design fiction. Nous rentrerons dans les coulisses d’une pratique capable de conduire à la construction d’une fiction réaliste qui présente, en correspondance à notre sujet, un avenir probable vers lequel nous

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Introduction

Visuel du tube en situation, par HyperloopOne, 2017 © HyperloopOne

Visuel de la capsule, extrait de la vidéo Hyperloop Explained, 2017 © HyperloopOne

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Introduction

mènent l’hypervitesse et l’hypermobilité portée par l’Hyperloop. L’enjeu réside dans l’ouverture d’un espace de débat sur nos modes de vie, nos pratiques, et les options préférables pour le futur. La méthodologie engagée, les outils employés, seront questionnés à travers le projet afin de saisir le bon usage de cette pratique pour enclencher une discussion sur la vitesse et la mobilité de demain.

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Introduction

Visuel technique de la capsule, extrait de la vidéo Hyperloop Explained, 2017 © HyperloopOne

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VITESSE ET MOBILITÉ, DES RISQUES QUI TRAVERSENT LES ÉPOQUES Fondamentalement, la notion de «Progrès» est employée pour décrire l’évolution de l’humanité, ou d’une civilisation vers un terme idéal, là où le « progrès » fait référence à une progression dans un domaine spécifique. Mais depuis la révolution industrielle le Progrès est généralement confondu avec l’apparition de nouvelles technologies et autres innovations techniques ou scientifiques. Or, comme l’exprime simplement Paul Virilio, « il n’y a pas d’acquis sans perte » au sens où la naissance de moyens, d’outils nouveaux fait disparaître ce que l’on avait précédemment. De cette manière, la voiture a fait disparaître le cheval comme moyen de locomotion par exemple. Et cet état de conscience des répercussions du progrès permet de mieux en anticiper les risques. Mais dans les sociétés développées nous avons été exposés à une « propagande du Progrès » qui nie ses dégâts selon Paul Virilio. Seul l’accident révèle l’envers du décor : lorsqu’un train déraille, alors on s’inquiète des dérives de cette avancée technique. Il semble donc indispensable d’étudier la catastrophe pour éviter d’y remédier, et c’est là tout l’enjeu de la prospective qui nous amène à penser le présent avec prudence. Pour notre cas d’étude, il s’agit de se plonger dans le passé pour voir quels angoisses et risques majeurs ont soulevé les technologies de la vitesse et du déplacement, afin de comprendre

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comment ils pourraient se répéter ou s’accentuer avec la technologie Hyperloop et mieux situer les opportunités d’action en design.

A. LES ANGOISSES RÉCURRENTES L’accident

1. Le train est un contexte très largement visité dans le cinéma d’action, encore aujourd’hui. Ce monstre de fer, une fois lancé sur ses rails, est inarrêtable, et la vitesse rend le danger omniprésent. Il devient alors un exhausteur d’angoisse des sociétés modernes.

La source d’angoisse primordiale, c’est d’abord le danger immédiat créé par la vitesse, le risque d’accident. Le 8 mai 1842 sur une correspondance Paris-Versailles, un déraillement, suivi d’un incendie dans la tranchée de Bellevue (Hauts-de-Seine) provoque la mort de 55 voyageurs. Notons qu’à l’époque les portes des trains étaient fermées à clé. Très tôt la peur liée à un potentiel accident poursuit ces machines qui dévorent l’espace à grande vitesse. Aussi, le cinéma s’est emparé de l’engin sur rails pour représenter la vitesse dans son caractère crispant et dangereux. Dans L’Arrivée d’un train à La Ciotat, film français réalisé par Louis Lumière en 1895, est montrée une machine à vapeur arrivant en gare de La Ciotat, ville proche de Marseille. La légende raconte que lors de la projection, l’image d’un train qui se dirige vers le public l’a, contre toute volonté des réalisateurs, terrifié. Ailleurs c’est le train ou l’avion sans conducteur qui sont interprétés, ou bien sur le point de percuter un obstacle, entraînant les passagers à une mort certaine car lancés à toute allure, à moins d’une intervention héroïque de Zorro1. Car il n’y a pas de doute que lorsque la vitesse augmente le risque que l’accident soit fatal

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est proportionnel. Il faut attester que si les habitants du monde se déplaçaient exclusivement à bicyclette, la mort ne serait pas à chaque coin de rue. Mais le voyageur a endossé le rôle d’usager du transport aux dépens de la force physique, sociale et politique dont ses pieds sont dotés. L’usager se voit comme un corps emporté à toute vitesse à travers des étendues invisibles. Il perçoit son déplacement grâce à la machine qui lui permettra d’atteindre les espaces qu’il convoite. Une fois à bord, son chemin est tout tracé, il n’y plus qu’à attendre, sereinement et avec un soupçon d’impatience, en espérant que tout se passe bien. En fin de compte, lorsque ses pieds ne foulent plus le sol, il perd une partie du contrôle de ses mouvements : le monde moderne, avant d’être construit pour l’Homme, est construit pour les voitures, les trains, les aéroports et bientôt l’Hyperloop. Alors faut-il reconsidérer le statut de l’Homme dans le fonctionnement des moyens de transport dont il profite au titre de simple usager ? De plus, il va sans dire que l’idée d’un déplacement à 1200 km/h à l’intérieur d’une capsule close ne vient pas sans une certaine appréhension, les conditions de voyage et en premier lieu la vitesse annoncée sont naturellement inquiétantes. Une entrée d’air dans le tube sous vide et c’est l’explosion immédiate, ou bien une mauvaise gestion des écarts qui séparent les capsules et la collision serait mortelle. Difficile de faire pleinement confiance à ce système même s’il est entièrement automatisé ce qui est, selon les ingénieurs, gage de sécurité. Mais la peur de l’accident va de pair avec la vitesse du déplacement qui, souvent, hôte l’usager de tout pouvoir ou sentiment de contrôle. Et par ailleurs

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cette peur soulève des inquiétudes sur notre capacité physique à l’endurer.

L’angoisse sanitaire Comme le fait remarquer Colette Hourtolle dans son étude Les trains et l’imaginaire menée en 2011, les médecins des années 1850 avançaient que le train fatiguerait la vue, causerait des avortements et des troubles nerveux. Ces propos alarmistes n’ont pas découragé les voyageurs mais faisaient planer un doute sur les limites de vitesse que le corps pouvait supporter. Déjà avec le développement des vélos, certains spécialistes soutenaient que le cyclisme pouvait causer des déformations faciales voire cérébrales. Dès qu’il y a augmentation significative de la vitesse, les doutes sur la capacité du corps à supporter le déplacement émergent. L’historien Jules Michelet écrivait dans La Mer en 1861 que «l’extrême rapidité des voyages est une chose anti-médicale. Aller comme on le fait en vingt heures de Paris à la Méditerranée en traversant d’heure en heure des climats différents, c’est la chose la plus imprudente pour une personne nerveuse ; elle arrive à Marseille, pleine d’agitation, de vertige.» Même si le propos ne faisait pas l’unanimité et qu’aujourd’hui ces angoisses sont dissipées, il reste que les modes de transport ultra-rapides nous amènent définitivement à jouer avec les fuseaux horaires et les climats. D’où les effets de décalage chronique lors de vols long-courriers qui affectent déjà notre santé en nous désynchronisant du rythme

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2. Selon MediRessource Inc, basée à Toronto, entreprise spécialisée en santé, forme et bien être qui développe des solutions digitales pour gérer notre santé.

3. Concept forgé par Pierre-André Taguieff, politologue et historien francais. Il décrit par ce terme, avec un jugement péjoratif, notre incessante envie de bouger et le culte du changement pour le changement, ou du mouvement pour le mouvement.

local ce qui provoque des états de fatigue et des maux d’estomac2. Et la science-fiction s’est également emparée de cette problématique sanitaire. On peut ainsi voir dans le film Alien, réalisé par Ridley Scott, sorti en 1979, des capsules qui régulent le sommeil pendant un déplacement à grande vitesse, dans l’espace en l’occurrence. La mise en scène de ces solutions techno-centrées dans le cadre de fictions trahit sans doute une inquiétude sur nos aptitudes à supporter des déplacements ultra rapides, par la matérialisation d’équipements de compensation. Et si le futur de la mobilité à haute vitesse voyait fleurir ce type de technologies afin de rendre les déplacements supportables ? La question sanitaire comprend également le déplacement des virus qui nous accompagnent dans notre bougisme3. Le biologiste Stephen Jay Gould ironisait en 1995 en disant que « Si nous continuons ainsi sur la voie de l’accélération technologique, la terre et ses bactéries vont bientôt sourire de nous comme d’une folie passagère de l’évolution » illustrant bien le risque d’une pandémie largement soutenue par notre hypervitesse et notre hypermobilité. C’est pourquoi, avant d’atteindre certaines destinations, des vaccins sont obligatoires pour prévenir des maladies auxquelles on peut être exposé sur place, et dans l’autre sens éviter d’emporter un virus à la maison. Mais à mesure que l’on accélère, on réduit l’intervalle qui permet cette anticipation et c’est sur ce point que Stephen Jay Gould tire la sonnette d’alarme. Alors à nous mouvoir si vite dans toutes les directions ne sommes-nous pas simplement en train de précipiter notre disparition ?

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Capsule de régulation du sommeil, extrait du film Alien, par Ridley Scott, 1979 © DR

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Quelles mesures de contrôle sanitaire pourraient voir le jour à l’ère de l’hypervitesse et de l’hypermobilité ? En ce sens, il est également important de comprendre comment les conditions de voyage se sont transformées au nom de la vitesse.

Le lieu clos Le gain de vitesse dans le transport a contribué à l’enfermement progressif des voyageurs dans le moyen de locomotion exprime précisément Paul Virilio dans son ouvrage Vitesse de libération. Une fois à bord de notre wagon, capsule ou aéroplane lancé dans un flux de vitesse, on ne peut s’en extraire ce qui est source d’angoisse. Remontons au début du XXe siècle pour retrouver l’architecte Hector Guimard et ses édicules d’accès aux chemins de fer métropolitains de Paris. Il n’était ordinaire pour les Parisiens de s’engouffrer dans les sous-sols de la ville pour être transportés dans des wagons sombres à travers la capitale. En l’absence de référents sémantiques et symboliques, les nouvelles technologies du transport sont parfois sujettes à des aversions et participent à une forme de néophobie qui freine l’expansion de l’innovation. Alors pour inviter les citadins à s’aventurer vers la nouvelle attraction souterraine et dépasser leurs craintes, l’architecte a imaginé ces structures en arches végétales qui surplombent les entrées des stations et nous laissent à penser que l’on entre dans un autre monde. Au fil du temps, les voyageurs se sont conditionnés à l’enfermement voire l’entassement

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4. L’association Osez le féminisme a relevé en 2014 que le sujet des harcèlement sexuels dans les transports en public restait tapi dans l’ombre. D’où la campagne Take Back The Metro qui souhaitait dénoncer ces violences.

5. En 2009, la compagnie aérienne Rayanair souhaitait contrôler le poids de ses voyageurs pour taxer les passagers les plus lourds qui compromettaient selon la société le confort à bord de leurs voisins.

pour la vitesse et la mobilité, individuelles comme partagées. Et dans le transport collectif, ils se retrouvent dans des lieux clos, à la merci d’éventuels compagnons de voyage qui pourraient être animés de mauvaises intentions. Dans les faits divers on apprend ainsi que le 6 décembre 1860 un passager a été retrouvé mort dans son compartiment de train lors d’un voyage entre Mulhouse et Paris. On peut se demander alors si la vitesse, dans les conditions de voyage qu’elle impose, ne favorise pas des formes de collisions sociales tragiques. Il est bon de reprendre la pensée de Paul Virilio qui faisait alors remarquer que lorsque la vitesse augmente, les contrôles augmentent proportionnellement. Alors à quoi ressembleront les contrôles dans un système aussi clos que celui de l’Hyperloop ? L’angoisse liée aux rapports de proximité imposés entre voyageurs étrangers est flagrante dans un mode de transport comme le métro parisien. Dans une métropole comme Paris la fréquentation de certaines lignes est devenue étouffante et nous avons vu apparaître des campagnes publicitaires pour prévenir contre les vols, et bientôt les formes d’agressions sexuelles4 qui, dans ces tableaux de densité démographique, se sont multipliés. Avec l’Hyperloop, nous sommes face à une innovation qui enferme et calibre toujours un peu plus le voyageur, devenu un vulgaire colis, dont on contrôle le poids5, pour des volumes d’appareil rentabilisé au possible. Mais à en croire les spots commerciaux publiés par les bureaux d’Hyperloop One qui simulent un voyage à bord de l’engin, rien à craindre en terme de confort, d’engorgement ou de sécurité à bord. Pourtant il convient de préciser qu’il

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6. La Ligne 13 du Métro parisien est l’axe le plus fréquenté du réseau et fait l’objet de véritables entassements humains à certaines heures de forte affluence.

7. Formulé par Eric Vidalenc, spécialiste des questions énergétiques, responsable du pôle transition energétique de l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie), dans un article du même titre pour Alternative Economique.

n’est pas envisageable de fréter à chaque voiture un membre de personnel chargé de la sécurité à bord, au risque de faire disparaître le caractère autonome du système. Des capsules de première classe verront certainement le jour pour faire profiter aux catégories socio-économiques les plus favorisées d’une forme de confort de l’entre soi et de capsules plus aérées. Il est hors de question que les plus riches voyageurs aient à subir des situations d’entassement invivables, semblables à une traversée de la Ligne 13 un soir d’été, sous une chaleur étouffante6. Le constructeur automobile BMW l’a parfaitement décrit dans une publication du 6 Juin 2017, «laissons donc les bus et métro aux pauvres en sueurs»7. Il reste que dans l’Hyperloop, une trentaine de passagers seront installés dans une capsule relativement étroite, entièrement cloisonnées et sans fenêtre, avec seulement des écrans numériques simulant l’environnement extérieur. L’ensemble des passagers sans exception possible seront tenus de rester semiallongés sur leur siège toute la durée du trajet pour des raisons techniques contraignantes que sont la vitesse du déplacement et le volume des capsules. Rien ne laisse croire à une véritable révolution en termes de confort. Il faudra être inventif pour proposer des privilèges attractifs aux plus riches voyageurs.

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Visuel de l’intérieur d’une capsule Hyperloop, par Hyperloop One, 2017 © Virgin hyperloop One

Publication de BMW i France sur Twitter, 2017 © BMW

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B. INFLATION DES EFFETS INDÉSIRABLES L’espace se rétrécit

8. Armin Nassehi est un sociologue allemand, spécialiste en sciences sociales et reconnu pour sa contribution aux dialogues interculturels.

La brièveté du déplacement concourt à la modification de l’espace. À propos des chemins de fer, Armin Nassehi8, sociologue allemand, explique en 2011 que « les espaces ne sont distancés pour nous qu’en fonction du temps qui nous est nécessaire pour les franchir; si nous accélérons ce dernier, l’espace dans son influence sur la vie et la circulation est réduit. » Ainsi on s’affranchit progressivement de toute contrainte spatiale avec la vitesse ce qui semblait déjà inquiéter certains auteurs du XIXe siècle. « On voyage en quatre heures et demie jusqu’à Orléans, et en autant d’heures jusqu’à Rouen. Qu’est-ce que cela donnera quand les lignes vers la Belgique et l’Allemagne seront achevées et reliées aux trains locaux ? Il me semble que les montagnes et les forêts de tous les pays se rapprochent de Paris. Déjà je respire le parfum des tilleuls allemands ; la mer du Nord déferle à ma porte. » écrivait le poète romantique Heinrich Heine dans Lutezia, en 1854. Le sentiment d’uniformisation et de compression du globe se faisait sentir déjà avec le développement du train, accompagné d’un risque de perte d’identité des territoires. Pour être plus clair, qu’est-ce qui différencie encore Bordeaux de Rome lorsque vous pouvez déguster vos vins préférés dans la capitale

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Italienne et apprécier le travail de grands peintres romains en déambulant dans le Musée des BeauxArts de La Belle Endormie ? Plus alarmant, Paul Virilio affirme que « la vitesse réduit le monde à rien » à entendre que le monde nous semble à présent tout petit, les continents se rapprochent à grand coup de lignes supersoniques et systèmes de communication instantanée. Avec cela, le phénomène de métropolisation et de désertification des territoires s’accélère à mesure que se développent des lignes rapides qui acheminent toujours les grandes villes. Cela favorise les logiques de polarisation qui restent sourdes à l’espoir d’un développement plus équitable des territoires. Lorsque l’on regarde le réseau imaginé pour l’Hyperloop, on comprend que l’on filerait toujours plus vite entre, ou vers, des métropoles concentrées, traversant des déserts d’espaces ruraux vides. Est-ce vraiment la vision de l’aménagement du territoire que l’on souhaite promouvoir ? Finalement, en réduisant l’espace, la vitesse en fait disparaître certaines portions, et avec elles les hommes qui les habitent. Nous naviguons de points en points et notre vision du globe est radicalement déformée par l’industrie de la mobilité à grande vitesse. Nous ne parlons plus des six cents kilomètres qui séparent Paris de Bordeaux mais des 2 heures qu’il nous faut pour rejoindre la capitale. Dans l’imaginaire, cette valeurs est bien plus intelligible, figurable et permet à nos voyageurs empressés de rentabiliser les 1440 minutes que leur accorde chaque journée. De plus, pour reprendre Sophie Lacour, Docteure en Sciences de l’Information et Communication, consultante et experte en prospective touristique, « on emmène

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9. Exprimé lors du débat #3 organisé par Les moutons numériques avec pour sujet «La mobilité du futur doitelle refléter nos désirs ?» avec Sophie Lacour et Eric Vidalenc.

tout le monde au même endroit »9 ce qui fait l’objet de révolte dans les régions qui reçoivent. On observe depuis 2016 des manifestations antitouristes en Europe et à Barcelone notamment. Les plaignants pointent du doigt les hausses des loyers, les agglomérats humains qui se forment sur les sites touristiques, qui mettent en danger l’écosystème et perturbent l’équilibre de la ville, la gentrification des quartiers et la perte du sentiment de communauté. Ce type de projet, qui vise à accélérer les déplacements, renforce les logiques de polarisation à l’œuvre autour des lieux desservis, en l’occurrence les villes centres. Ces logiques ont démontré leurs limites dans la formation de métropoles gigantesques, les problèmes d’accessibilité ou encore les phénomènes d’engorgement.

Inhérence des inégalités socio-économiques

10. Extrait d’une recherche exploratoire réalisée en 1997 par l’Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité (INRETS), intitulé Mobilité urbaine et déplacements non motorisés : situation actuelle, évolution, pratiques et choix modal. L’auteur de ce travail est Vincent Kaufmann, chercheur à l’Institut polytechnique fédéral de Lausanne.

Un examen des relations entre la position sociale et la vitesse des déplacements dans la mobilité quotidienne montre que les personnes les mieux dotées socialement se déplacent plus rapidement et plus loin10. Les inégalités sociales sont rendues visibles et accélérées par la capacité des individus à se déplacer plus ou moins vite selon les modes de transport employés. Et quoi de mieux que le Concorde pour incarner ce phénomène ? Cet avion de ligne supersonique franco-britannique pouvait nous emmener de Paris à New York en 3h30 à la vitesse de 2800 km/h, un record. Mais pour profiter de ce type de liaison immédiate il fallait compter 6000

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11. John Chambers, ancien PDG de Cisco, pour qui, « dans le monde d’aujourd’hui, ce n’est pas le gros qui mange le petit, mais le rapide qui dévore le lent ». Il revisite l’angoisse générée par le grand nombre de choix à faire trop vite.

euros pour un aller, contre environ 2000 euros pour un vol classique avec Air France et une durée de vol de 8h30 en direct. Déjà dans les années 1910, les premiers vols aériens commerciaux restaient les loisirs de quelques riches individus. Aujourd’hui, le développement de lignes aériennes low cost qui proposent des billets à prix réduit a permis de démocratiser le voyage en avion. Mais à ces prix est rendu un service contestable, entre délais interminables et confort de vol précaire. Peut-on croire néanmoins que l’augmentation de la vitesse technologique soit porteuse de solutions pour une mobilité plus partagée et équitable ? « Une vitesse élevée est le facteur critique qui fait des transports un instrument d’exploitation sociale. [...] Entre des hommes libres, des rapports sociaux productifs vont à l’allure d’une bicyclette, et pas plus vite. » estimait le penseur autrichien Ivan Illch en 1973. L’ère de la vitesse constitue d’extrêmes privilèges au prix d’un asservissement général. « En une vie de luxueux voyages, une élite franchit des distances illimitées, tandis que la majorité perd son temps en trajets imposés pour contourner parkings et aérodromes. » dénonce le penseur. L’individu qui profite de moyens de transport ultra rapides et qui se situe en haut de la hiérarchie paralyse souvent les individus qui lui sont inférieurs dans la pyramide sociale, « Le plus rapide mange le plus lent » selon l’ancien chef d’entreprise John Chambers11. Autrement dit, celui qui ne peut pas suivre le mouvement est dépassé voire éliminé. Ceux qui n’ont que leur force physique pour se déplacer sont définitivement considérés comme des outsiders sous-développés.

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Campagne de publicité pour le Concorde, titrée «Demain il n’y aura que deux sortes de compagnies aériennes celles qui ont CONCORDE, celles qui mettent deux fois plus de temps.», par Air France © DR

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12. Extrait de l’ouvrage Energie et équité, paru en 1973, par Ivan Illich, penseur de l’écologie politique et figure importante de la critique de la société industrielle.

13. Formule émise par Etienne Klein, philosophe et physicien francais. Il décrit ainsi la pression exercée par le temps psychologique qui nous pousse à atteindre un résultat le plus rapidement possible.

14. C’est ce qu’affirme par Eric Vidalenc dans un article pour Alternative Economique paru en 2017, Hyperloop, ou une certaine fascination pour la vitesse. Il vise à interroger les limites d’un projet de ce type.

« Dis-moi à quelle vitesse tu te déplaces, je te dirai qui tu es. »12 résume parfaitement Ivan Illch. Car la vitesse a de tout temps permis de comparer les Hommes, que ce soit avec les Jeux en Grèce, ou l’élection des employés les plus performants dans certaines entreprises atteintes du « syndrome de Chronos »13. On se livre à un jeu de symbolique, où la disposition d’un stationnement réservé à son lieu de travail, ou d’une voiture de fonction est souvent un privilège offert aux cadres supérieurs et aux directeurs. À l’inverse, être contraint d’effectuer des déplacements par des modes de transport lents, sur des longues distances, est la situation la moins enviable. Point de révolution à attendre donc pour le périurbain et les campagnes, qui sont littéralement en marge de ces offres de vitesse. Pendant que l’on se concentre sur un hypothétique projet Hyperloop pour une élite mondialisée, nous restons bloqués avec nos feuilles mortes sur les rails entre la Corrèze et le Cantal14. Et si l’objectif de l’Hyperloop est de résoudre la mobilité à grande échelle, reste à savoir si la solution nécessite réellement de reconstruire l’ensemble du monde urbain. Selon Eric Vidalenc, spécialiste des questions énergétique, le problème du transport collectif ne se situe pas au niveau de la vitesse mais bien au niveau du débit. Car avec l’Hyperloop on peut certes transporter 4000 personnes plus vite entre Paris et Marseille mais pour en transporter 12 000 on se retrouve à un ratio similaire à celui du TGV. En termes de vitesse collective il n’y a donc aucun progrès à espérer. Car la vitesse ne peut être le privilège que de quelquesuns, il faut l’assumer et ne plus croire qu’un billet

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15. Le solutionnisme technologique consiste à croire aveuglément que les solutions aux problèmes d’aujourd’hui et de demain se trouvent dans les innovations technologiques. 16. Geoff Manaugh est un futurologue auteur du blog d’architecture BLDG et éditeur contribuable de Wired UK.

17. Aspiration rassemble les organisations à but non lucratif, les fondations et les activistes qui portent des solutions technologiques pour les droits des hommes.

à prix éco nous envoie de Bordeaux à Londres en une petite heure. Ne fermons plus les yeux devant le temps qu’il nous faut pour atteindre les aéroports, répondre aux séries de contrôles, supporter l’attente avant de pouvoir entrer dans l’appareil et puis se rendre jusqu’à notre destination finale. Qu’en est-il de l’amélioration des réseaux de train, des bus, des métros et infrastructures qui supportent déjà des systèmes bien étalés ? Le problème de l’Hyperloop, et de la culture du solutionnisme technologique15, c’est de ne proposer que des hyperprojets séduisants comme solutions aux problèmes du quotidien, pour reprendre la pensée de Geoff Manaugh16. C’est un moyen de fuir les véritables frictions de la vie normale, dont l’élite ne fait pas l’expérience dans sa capsule volante, et de s’amuser à construire des projets pour les caprices des plus aisés. Pour Beatrice Martini, activiste à l’ONG Aspiration17, ce phénomène révèle un problème plus large : « Alors que certaines innovations technologiques sont présentées comme universellement positives et bénéfiques pour les communautés dans le monde entier, au-delà des frontières et par-delà les cultures (...), il est nécessaire de questionner comment et pour qui les outils et services sont créés et avec quels droits et quelles restrictions ils sont rendus accessibles, afin de montrer comment la technologie reproduit des paradigmes colonialistes. » Et lorsque la spécialiste en droit et justice emploie la notion de colonialisme, cela nous amène à réfléchir à ceux qui sont de l’autre côté de la barrière, qui vont véritablement subir avec le plus de souffrance un système de type Hyperloop.

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En appelle alors à ces personnes invisibles, parfois engagées dans la construction des lignes, ou bien la recherche de métaux rares pour la confection des capsules et autres microtâches « nécessaires » au bon fonctionnement du mode de transport révolutionnaire. Cela nous invite à considérer l’inégalité des technologies de la mobilité rapide, au-delà de l’aspect pratique, dans leurs mises en œuvre. Si les pays du Nord subiront les dysfonctionnements mécaniques, logistiques ou organisationnels de l’Hyperloop, les pays du Sud souffriront pour sa construction. Alors à qui profite vraiment notre soif de vitesse ? Le designer peut-il ouvrir un débat de fond sur les fractures sociales que favorisent l’hypervitesse et l’hypermobilité portées par des projets de type Hyperloop ?

Le versant énergétique Nous étions prévenus, « plus de vitesse, c’est plus d’énergie et plus d’inégalités » écrivait Ivan Illch il y a plus de quarante ans. Dans la mise en circulation de moyens de transport, l’énergie employée, à une certaine mesure, se transforme en vitesse. Aussi une valeur critique, si dépassée, conduit à une dégradation environnementale et sociale sous l’effet de fortes consommations d’énergie. Au XIXe siècle, en Occident, dès qu’un moyen de transport public a pu franchir plus de 25 kilomètres à l’heure, il a fait augmenter les prix mais aussi la quantité de déplacements. Se déplacer plus vite, c’est aussi se déplacer plus souvent, en reprenant le rapport établi

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18. Dans son ouvrage Accélération : Une critique sociale du temps, Hartmut Rosa explique que le choix de l’accélération se fait dans une perspective d’augmentation, d’avoir plus, de faire plus.

entre accélération et augmentation par le philosophe et sociologue allemand Harmut Rosa18. Entre 1850 et 1900, la distance moyenne parcourue en un an par chaque Français a été multipliée par cent avec l’extension fulgurante des lignes de chemins de fer. On se déplace plus vite et régulièrement du fait même de nos machines et nos technologies. Alors dans ces conditions nous avons tendance à confondre le bien-être et l’abondance énergétique, ce qui cause de profondes séquelles environnementales. Plus que la soif de carburant, c’est la profusion d’énergie qui a mené à la surexploitation et la surconsommation par les plus offrants. Certes nous commençons à accepter la nécessité d’un quota d’énergie consommée par une personne, pour des conditions de survie et pour faire face à la crise énergétique. Mais pour maintenir un équilibre social et environnemental, il faut qu’une société limite radicalement la consommation d’énergie de ses plus puissants citoyens. Et une mobilité à grande vitesse pour certains se paye à un tout autre prix pour la planète qu’un service général soutenable. C’est une des raisons pour lesquelles le Concorde a été retiré du circuit, au-delà de l’accident de Gonesse en 2000 qui a valu une baisse du nombre de passagers et les coûts de maintenance qui rendaient l’appareil non rentable. Les plaintes puis les normes contre la pollution massive générée par l’engin ont largement pesé sur la balance. D’autant que les nuisances et pollutions liées aux transports ne sont pas justement partagées. Les catégories sociales défavorisées qui vivent en banlieue sont davantage exposées aux pollutions sonores ou atmosphériques provoquées

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par les déplacements des plus aisés. C’est dans leurs jardins que se déversent dans un premier temps les vagues de kérosène des avions, et devant leurs fenêtres que sont installés les pistes de décollage et bientôt les tubes pour l’Hyperloop. Pourtant ce sont bien les catégories sociales supérieures qui profitent des déplacements et se rendent complices des plus grandes pollutions. Une industrie de la vitesse technologique, quand elle a atteint un certain quota, ne vient pas sans répercussions sur l’environnement si tenté de croire que, selon l’inventeur Elon Musk, les panneaux photovoltaïques placés sur les tubes permettront de stocker plus d’énergie que nécessaire pour propulser les capsules faisant de l’Hyperloop un exemple d’éco-responsabilité. N’oublions pas encore une fois que les industries d’extraction des matériaux nécessaires à la constructions des infrastructures, des capsules, et autres maillons énergivores et polluants dans le circuit de production que peuvent être les déplacements de pièces, les montages, ou autres assemblages, doivent être compris dans l’évaluation de l’empreinte écologique laissée par le système. Peut-on vraiment croire à une révolution énergétique dans notre mobilité portée par l’Hyperloop ? Reste à savoir si le design peut remettre les préoccupations énergétiques et environnementales liées à la vitesse et la mobilité de demain au cœur du débat.

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LES MOTS DU CO-PILOTE À travers ce temps d’analyse nous avons procédé à un déminage méthodique des problèmes primordiaux qu’un projet de type Hyperloop pourrait soulever pour en dégager une matière à se projeter en design. Gardons à l’esprit que le projet d’Elon Musk a beaucoup avancé depuis l’écriture de ces lignes, induisant alors l’absence d’une palette de données complète afin de formuler une critique démocratique et distanciée. Mais nous avons conduit une étude prospective rigoureuse qui doit à présent être une base solide à la construction d’un projet de design fictionnel et frictionnel. Il ne s’agit pas de prédire l’avenir ici, mais d’élaborer des scénarios possibles à différents degrés en nous appuyant sur cette analyse rétrospective basée sur des données disponibles et sur des intuitions liées aux signaux faibles. Nous voulons finalement parler de manifestations probables, qui sont en vérité déjà visibles, pour mettre en relief par résonance les options préférables. Et pour cela, il faut d’abord mieux comprendre ce que «parler du futur» signifie, comment cela se manifeste et quels en sont les enjeux. En ce sens, il semble indispensable de revenir aux origines de la fiction et précisément la science-fiction dans ses modes de représentation, ses messages et ses réceptions. Après cela nous pourrons éclaircir le rôle du designer dans la création de fictions plus réalistes au regard de pratiques foisonnantes en design. Nous tenterons notamment de mieux dessiner les contours du design fiction en vecteur de débat, qui s’empare du futur pour questionner le présent en faisant appel au design dans sa qualité à faire apparaître, rendre visible et projeter de nouveaux usages.

Les informations émises ci-dessus sont à prendre en compte pour la bonne compréhension de la recherche. Document confidentiel à conserver précieusement. © Antoine Bourhis


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​ Dans un entretien avec l’auteur anglais Alex Cole pour le recueil EP vol.2, Design Fiction sorti en 2016, l’écrivain et penseur italien Umberto Eco, pionnier des recherches en sémiotiques explique que « la fiction a le même rôle que le jeu. Dans le jeu les enfants apprennent à vivre parce qu’ils simulent des situations dans lesquelles ils pourraient se retrouver en tant qu’adultes. » Il semble alors que la fiction présente des vertus didactiques que le design ne va pas tarder à emprunter. La fiction, qui tire son étymologie du verbe latin « fingo, ere » signifiant façonner, forger de toutes pièces, puis feindre, doit d’abord être entendue comme un produit de l’imagination qui n’a pas de modèle complet dans la réalité. Mais nous verrons que la fabrication de fiction entretient des liens étroits avec le présent et le réel. À la fin du XVe siècle l’ingénieur et inventeur Italien Léonard de Vinci développa des idées inspirées par des phénomènes naturels et ses études en science et mathématique très en avance sur son temps, comme l’avion, le sousmarin et même l’automobile. Très peu de ses projets étaient réalisés ou même seulement réalisables de son vivant, et leur réception reste limitée par le manque d’instruction et de vérité de ses propositions. La science-fiction en revanche s’est imposée en profitant des révolutions de la technologie, de la technique et de l’industrie, devenues des puits d’inspiration pour imaginer le futur. De la littérature au cinéma avant d’atteindre le design, la fiction va jouer un rôle majeur dans la

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construction de l’individu et de la société. Nous allons en décortiquer les tenants et aboutissants pour ensuite comprendre en détail le rapport que peuvent entretenir design et fiction.

A. LE RÔLE DE LA SCIENCE-FICTION Raconter le monde de demain Presque cent ans avant le lancement des premiers programmes spatiaux en 1950, l’auteur d’aventure et d’anticipation français Jules Verne imaginait dans De la Terre à la Lune paru en 1865, la conquête de l’espace par l’Homme. Le romancien, en vulgarisateur des connaissances scientifiques de son époque, devait œuvrer à partir de théories dont il ne pouvait vérifier la vraisemblance. L’une des solutions opérées pour renforcer la crédibilité des objets de ses fictions était de reproduire les caractéristiques d’inventions existantes en multipliant la taille et la performance de celles-ci. Parce qu’il n’y a pas de science-fiction sans science, Jules Verne introduisait alors autant que possible dans ce roman des éléments de contexte techno-scientifiques mais aussi politiques et financiers tenant du réel pour fonder son récit. De sa fascination pour les engins mécaniques de son temps, il ne faisait qu’imaginer à quoi devraient logiquement nous conduire les merveilles de la science et de la technologie nouvellement appliquées. Les premières discussions sur le voyage spatial ont en fait eu pour foyer la littérature de fiction

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Les trains de projectiles pour la Lune extrait du roman, De la terre à la lune, par Jules Verne, 1865 Š DR

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19. Jocelyn de Noblet, Fondateur du Centre de Recherche sur la Culture Technique, (CRCT), il est également chercheur et professeur en histoire et théorie de la Culture Matérielle et du Design.

20. John Wool Campbell Jr était un fameux écrivain américain qui après quelques publications d’histoires de science fictions novatrice, fut rédacteur en chef d’Astounding Stories Magazine.

avant d’animer la Maison Blanche ou le Kremlin. Dans son œuvre Design : le geste et le compas, édité en 1988, Jocelyn de Nobelet19 voit cette première forme de science-fiction comme apologue de la révolution industrielle qui raconte la réalisation de nos rêves. Ce type de fiction, dans ses prémices, conte des utopies trahissant l’enchantement des auteurs face aux progrès mécaniques, scientifiques et techniques de leur temps. Après quoi des séries puis des magazines viendront seconder la littérature avec notamment Amazing Stories, à partir de 1926, animé par le romancier et homme de presse américain Hugo Gernsback. Le feuilleton manifesta une surenchère d’effets et une fantasmagorie au service de « l’aventure pour l’aventure » comme l’exprime Jocelyn de Nobelet, dans un futur fantastique et abondant. On parle à l’époque de « romances scientifiques » que Gernsback transforme en « scientifictions », soit des fictions qui reposent sur les progrès scientifiques et techniques de demain, devenues alors science-fictions. Dix ans plus tard, sous la direction de John W.Campbell Jr.20, paraissent les magazines Astounding Science Fiction qui révélent une forme de science-fiction plus moralisatrice, ancrée dans des contextes sociopolitiques concrets. Elle met en scène des formes de sociétés qui s’organisent autour de la prise de pouvoir et les mauvais usages de découvertes techno-scientifiques transposés dans le futur. Les récits gagnent en véracité et en assises techno-scientifiques tout en échappant à la nécessité de décrire formellement et de façon réaliste les objets de la fiction. Mais on remarque l’émergence de fictions plus méfiantes et sceptiques à l’égard du

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21. Des architectes tels que Walter Gropius en pionnier du Bahaus seront appelés à construire les nouveaux quartier de la ville dans un esprit avantgardiste qui inspirera la fiction de Fritz Lang.

progrès dont le rôle dépasse la simple fabulation ce qui nous rapproche un peu plus des enjeux de la fiction en design. En 1926, Fritz Lang se démarque alors avec son film Metropolis qui reste encore aujourd’hui une référence en termes d’expression de toutes les contradictions d’une société parvenue à un haut niveau technologique. Dans cette œuvre délibérément dystopique, la mégapole Metropolis présente une société divisée spatialement avec dans la ville haute la classe dirigeante et dans la ville basse les travailleurs qui font fonctionner la ville. La « machine M », divinité monstrueuse à ses heures, à laquelle les plus infortunés sont sacrifiés, rythme la vie des travailleurs. L’opinion est divisée, certains y voient une accumulation de clichés et de bêtises, voire une œuvre fasciste, d’autres en apprécient la richesse plastique et la violente intensité qui dépasse l’anecdote. Néanmoins, par la mise en scène du premier robot humanoïde, le défilé de voitures volantes, et un décor vertigineux fort de ses immenses édifices inspirés par l’architecture allemande de la République de Weimar21, Fritz Lang se rend auteur de certaines des images les plus inspirantes pour le cinéma de science-fiction qui lui succédera et ouvre la porte à une fiction plus critique. Ne nous y trompons pas, la fiction et la science-fiction n’ont pas vocation à prédire l’avenir, en revanche elles nous aident à imaginer à quoi pourrait ressembler le monde de demain en considérant la façon dont il avance aujourd’hui. Et les représentations d’un monde croupissant en fin de civilisation, noyé sous les fumées noires de sa pollution, ou en ruine post-apocalyptique, vont devenir plus fréquentes.

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La «Machine M», extrait du film Metropolis par Fritz Lang,1926 © DR

La ville du futur, extrait du film Metropolis par Fritz Lang,1926 © DR

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22. Frederic Jameson est un critique littéraire américain et théoricien politique. Il sera reconnu pour ses analyses de la culture contemporaine, voyant dans le postmodernisme une spacialisation du capitalisme.

Le critique littéraire américain Frederic Jameson22 pense ainsi en 2003 qu’il est aujourd’hui devenu plus simple d’imaginer la fin du monde qu’une alternative au capitalisme. Cela explique en partie la prolifération de visions sombre sdu futur, contre des visions plus réjouissantes ou en nuances de gris tendant à la réflexion plutôt qu’à la critique acerbe. Mais la science-fiction anti-utopique semble plus juste contre la naïveté des fictions idylliques jugées chimériques car ne tenant pas compte des réalités culturelles, sociales, politiques et environnementales du présent. En revanche la dystopie, dans son caractère cauchemardesque et parfois violent peut être mal reçue, et générer des réactions virulentes qui détournent le débat. Il faut en éclaircir les tenants et les aboutissants pour en faire bon usage et éviter la réprobation immédiate du spectateur face au futur que l’on présente.

La dystopie : ou comment éviter la sidération « L’image du progrès joue sur l’émotion, la promesse, elle réveille des valeurs communes et reconnues chez le spectateur » faisait remarquer Paul Virilio dans un entretien donné à Arte en 2009 pour le documentaire Paul Virilio : penser la vitesse. Les nouvelles technologies, dans leur nature incompréhensible, leur habillage qui ne dit rien du fonctionnement de leurs objets, entretiennent un mystère qui rend le progrès magique. Nous pouvons apprécier alors dans la campagne publicitaire de l’Hyperloop - que l’on peut caractériser de

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23. Le Cyberpunk est un genre de sciencefiction dytopique qui met souvent en scène un futur proche, avec une société technologiquement avancée, dans des mondes empreints de violence, lugubres, avec un ton parfois cynique et grinçant.

science-fiction - cette habileté dans la vulgarisation technologique, la construction des visuels qui restent auto-centrés sur la magnificence de la vitesse que peut atteindre l’engin et dans l’imaginaire sollicité. L’équipe de communication présente une technologie complexe, qui nous dépasse, qui semble de l’ordre du miracle, mais dont le fonctionnement n’est pas à remettre en cause, la confiance est le mot d’ordre. L’Hyperloop nous promets des lendemains ensoleillés. Ces images peuvent provoquer chez le spectateur un « choc émotionnel » paralysant qui étouffe la critique : il entre dans un état de sidération. D’autre part, il faut noter que chez le spectateur, l’imaginaire industriel se construit autour de la science-fiction et des images de fiction. Microsoft et ses vidéos « Future vision » expose chaque année une vision d’avenir technologique brossée au peigne fin, sourde aux véritables révolutions techno-scientifiques, laissant place à des cuisines connectées, des serrures à empreinte digitale et des fenêtres intelligentes, qui font d’ailleurs l’objet de recherches en design qui laissent à désirer quant à leur bien-fondé. En cela, la science-fiction et ses images ont un pouvoir de fascination : elle exercent sur nous un attrait irrésistible qui nous enchantent et nous fot rentrer dans la fiction, cela notamment par la production d’artefacts, de formes évocatrices et séduisantes. Mais certains auteurs s’insurgent face à ces représentations du futur idéalisées et décoratives. L’américain Bruce Sterling, l’un des pères fondateurs du mouvement Cyberpunk23, défend une sciencefiction plus sombre, consciente que l’on n’arrête pas la technologie mais que l’on ne va pas forcément vers

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L’espace de travail de demain, extrait de la vidéo Microsoft Future Vision, 2011 © Microsoft

Rick Deckard dans un sombre restaurant chinois, extrait du film Blade Runner, par Ridley Scott, 1982 © Blade Runner

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24. Dans le film de sciencefiction Retour vers le futur, Marty McFly en héros de la trilogie fait un bon dans le futur et profite en guise de repas d’une pizza miniature qui une fois placée dans un four spécifique reprend ne quelques seconde sa forme initiale.

le progrès. L’avenir radieux disparaît progressivement pour laisser place à un avenir plus frictionnel. Et Ridley Scott en 1982 va s’illustrer remarquablement dans le genre avec Blade Runner, en proposant un film aux tendances « hard rock » percutantes. L’univers obscur de cette fiction dépeint une société de 2019 étouffée et construite sur le modèle de la Métropolis de Fritz Lang : par couches et élévations. Dans cette version du futur, le héros Rick Deckard ne se nourrit pas de pizza miraculeusement réhydratée24 mais se contente d’un bol de nouilles chinoises dans un restaurant douteux. Sa voiture volante est poussiéreuse et montre des signes de fatigue. Ces aspérités, dans la forme, rendent finalement la fiction plus proche de la réalité et de ce à quoi ressemblerait vraiment une voiture volante, avec ses pannes et ses bavures. Éviter la sidération c’est aussi envisager l’utopie qui vire au cauchemar, et on entendra par utopie, la floraison de nouvelles technologies au service du bonheur de l’Homme. Nous pouvons alors citer le travail de la réalisatrice britannique Charlie Brooker, qui nous a offert en 2011 certains des plus sanglants revers de technologie avec son anthologie télévisée Black Mirror. Dans l’épisode 2 de la saison 4 titré : « Arkange », une mère inquiète pour la sécurité de sa fille va l’équiper d’un implant de surveillance de pointe. Celui-ci permet alors à cette mère protectrice de localiser son enfant, flouter les éléments de son champ de vision qui pourraient la heurter et même avoir des informations sur son état de santé. Mais la technologie va devenir encombrante pour la jeune fille qui grandit et l’empêche par exemple de se rapprocher d’un jeune homme qu’elle apprécie et qui

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25. Dunne & Fiona Raby forment un duo de designer spéculatifs britanniques à qui l’on doit la popularisation de la notion de «design critique». L’ouvrage Speculative Everything tente d’expliciter les mécanismes et le rôle du design spéculatif dans notre société.

souhaite partager avec elle des images qu’elle ne peut visionner. L’épisode se clôture sur un saignant accrochage entre les deux femmes et la destruction de l’outil de surveillance par la jeune fille qui ira presque jusqu’à tuer sa mère sans s’en apercevoir car toujours exposée à un filtre floutant les images violentes. La fiction atteint un plus haut niveau de consciencialisation et de recul critique face aux technologies qui habiteront le monde de demain lorsqu’elle se porte sur des frictions du quotidien, envisage l’erreur, les décrochages et les dérives des objets fictionnés. On admettra que la dystopie a cette capacité à poser la question : allons-nous dans la bonne direction ? Mais elle laisse transparaitre distinctement que le chemin que l’on emprunte est dangereux. La designer critique britannique Fiona Raby résume dans l’ouvrage Speculative Everything25 édité en 2013 que « l’obscurité en antidote face au techno-utopisme naïf peut pousser les individus à l’action. » Un bon usage de l’aspect « négatif » de la dystopie doit permettre d’attirer l’attention sur d’effrayantes possibilités vers lesquelles on avance aveuglément : il peut être un acte de mise en garde. Nous pourrons nous demander en revanche si ces constructions radicalement dytopiques ne stérilisent pas les discussions sur l’avenir en coupant court aux espoirs de lendemains radieux. Mais avant tout il faut comprendre les mécanismes de construction des images et des fictions.

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Le filtre de floutage, extrait de la sÊrie Black Mirror, par Charlie Brooker, 2014 Š Black Mirror

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Fiction et imaginaires

26. Pierre Musso est Docteur en sciences politiques et professeur en sciences de l’information et de la communication. Il a à son actif une série d’ouvrages critiques sur les imaginaires et les représentations sociales des technologies qui tentent d’en définir la construction et le lien avec l’innovation.

27. Considéré comme l’un des pionniers du design industriel, le français Raymond Loewy exerçait ce qu’il appellait «l’esthétique industrielle» comme une croisade contre la laideur. La Laideur se vend mal est le titre d’un ouvrage qu’il a publié en 1953 racontant cette épopée et ses idéaux.

28. La planète Mongo a été conçue de toutes pièces par l’auteur pour faire vivre la fiction de son héros Flash Gordon. Elle confronte des cultures de l’âge de pierre face à des communautés technologiquement avancées.

La fiction et ses objets cristallisent des imaginaires très spécifiques qui font écho aux structures mentales existantes du spectateur, cette relation s’effectue souvent à un stade non conscientisé. Dans l’ouvrage Innover avec et par les imaginaires, Pierre Musso, Stephane Coiffier et Jean-François Lucas26, considèrent l’imaginaire comme un conservatoire de récits et de symboles relevant d’un patrimoine propre à chaque civilisation. Ainsi la fiction sollicite avec habilité ces imaginaires pour exister et l’on entendra alors par « imaginaires » dans le cadre de la fiction, ces évocations visuelles qui référencent l’image, en orientent le sens, la lecture et le jugement. Au moment où la série Flash Gordon est révélée par Alex Raymond en 1934, on sait déjà, notamment par Raymond Loewy, que « la laideur se vend mal »27 mais aussi que la beauté est aérodynamique. Toute l’influence des formes profilées, naissant de la recherche dans l’industrie automobile et aéronautique, se devine dans la conception formelle des appareils électroménagers, des projets architecturaux, jusqu’aux objets les plus quelconques de la vie quotidienne, qui, encore aujourd’hui, se donnent des airs de bolide. Les archétypes du Streamline se font les ambassadeurs de la modernité et du futur, ceux qu’Alex Raymond va emprunter pour dessiner les engins de la planète Mongo28 et Elon Musk pour présenter sa vision de la mobilité de demain. Ces fictions font appel à un imaginaire technologique et spatial symbolique de l’exploration de l’espace

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et du fantasme de l’hypervitesse. Prenons à présent l’exemple de la ville dans la science-fiction, développé par Aldo Bearzatto et Hervé Bougon en 2010 dans Cinéma de science-fiction et imaginaires de la mobilité. Les deux spécialistes de la ville expliquent que les imaginaires urbains dans la science-fiction déploient largement des idées comme celles du cyberespace, de l’hypermobilité ou du pouvoir. Ces thématiques sont alors centrales dans les visions d’avenir et font référence à des acquis du monde moderne prégnant, voire inquiétant dans leur devenir. Le cinquième élément de Luc Besson, sorti en 1996, décrit un paysage urbain futuriste semblable à une forêt de tours compacte et encombrée. Toute la verticalité de l’architecture, qui n’est pas sans rappeler la vision de Fritz Lang ou Ridley Scott, s’impose comme seule réponse à la congestion des espaces urbains de demain devenue fatalement seul lieu de vie possible. La vie est figurée par les flux de circulations multiples que le film représente par des ballets incessants de voitures volantes qui se juxtaposent à tous les échelons de la mégapole. Cette attirance pour l’objet volant traduit un imaginaire porté sur une forme de libération physique et sociale des individus, représentée par une mobilité totalement libre et individualisée, sans contraintes spatiales. Il n’est jamais question de réseaux de transports en commun riches et denses ou de pistes cyclables bien développées. Ces réalisateurs font appel à des univers mécaniques et techniques, car la technique a une valeur totémique, emblématique et à quoi on voue un respect quasi religieux, symbole de modernité et de progrès. En revanche, Luc Besson n’omet pas

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Valeurs / Croyances

Récits / Images Mise en scène

Modélisation des pratiques

Le «Cake de l’imaginaire», (d’après Jacques Lacan) adapté de l’ouvrage Innover avec et par les imaginaires

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d’intégrer les frictions du quotidien avec un futur qui ne fait pas disparaître les files d’attente devant le McDonald’s Drive, indispensables pour éviter une fiction candide. Ces représentations proposent finalement des versions amplifiées et hyperboliques du présent. Enfin, dans Innover avec et par les imaginaires, les auteurs s’attachent à clarifier les relations qui lient imaginaire, réel et symbolique d’après les théories de Jacques Lacan. L’imaginaire est un langage fait de récits, d’images, d’émotions qui joue parfois un rôle d’intermédiaire pour révéler la symbolique du sujet. Mais, car il n’y a pas de frontières entre les strates du schéma, il s’avère que l’imaginaire permet dans d’autres cas de rendre visibles les effets du réel sur le sujet (par exemple : la ville sous le brouillard, symbole de danger et de destruction présentée dans Blade Runner met en exergue les effets des pollutions actuelles sur notre futur). L’imaginaire permet par ailleurs de donner un sens nouveau au réel ou bien de saisir les symboles, les croyances collectives qu’il porte (par exemple : la voiture volante individuelle de Rick Deckard est la solution aux problèmes de la mobilité du présent, elle incarne la liberté par le mouvement rapide et illimité). Finalement, le ymbolique, imperceptible et immuable, a ses représentations fixes et acceptées par le plus grand nombre (par exemple : la balance représente la justice) que la fiction dans son caractère mouvementé va densifier, étirer et défier en jouant avec des éléments du Réel et l’Imaginaire. Ce sont donc des rapports clés à considérer dans la construction d’une fiction prégnante en design.

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LES MOTS DU CO-PILOTE Nous avons discerné ici certains principes favorables à l’élaboration d’une fiction que l’on pourrait qualifier de réaliste, ou probable, terme que nous préfèrerons pour le caractère disruptif du projet engagé. Du pouvoir de la fiction dystopique il faut retenir qu’elle a cette qualité de poser la question «allons-nous dans la bonne direction ?». Elle permet d’envisager un hyperprojet de type Hyperloop sous des angles soucieux, en admettant l’erreur, les dérives du quotidien, le cauchemar, contre la naïveté d’un discours obnubilé par le solutionnisme technologique. La littérature, le cinéma mais aussi le design nous allons le voir, s’emparent de la fiction pour questionner notre réalité et celle vers laquelle nous avançons. De la science-fiction à la fiction en design, il n’y a qu’un pas. Et comme l’exprime Fiona Raby dans un entretien avec l’auteur anglais Alex Cole pour le recueil EP vol.2, Design Fiction : « Il est naturel de changer le mot design avec le mot sciences. Le design peut exprimer la complexité et peut-être même la relation compliquée que nous avons avec le monde. Nous designons des situations et des scénarios de la même manière que la littérature et le cinéma le font. » Entrons alors dans les coulisses de ces pratiques de fiction en design qui nous fourniront les derniers éléments de construction d’un projet en design capable de générer un débat sur l’avenir de la vitesse et de la mobilité.

Les informations émises ci-dessus sont à prendre en compte pour la bonne compréhension de la recherche. Document confidentiel à conserver précieusement. © Antoine Bourhis


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B. DESIGN ET FICTION RÉALISTE « Et si ? », vers un design qui pose les questions Les designers spéculatifs et critiques britanniques Dunne & Raby soulèvent très justement dans leur ouvrage Speculative Everything qu’il devient évident que « nombre des défis auxquels nous faisons face aujourd’hui sont incorrigibles et le seul moyen de les surmonter est de changer nos valeurs, nos croyances, nos attitudes et nos craintes. » De ce constat est né un nouvel usage du design qui s’extrait de la production industrielle, des commerces et des exigences du marché pour se présenter comme un moyen de spéculer sur comment pourraient être les choses : Le design spéculatif. Aucune solution ou réponse à attendre ici, en revanche il s’agit de soulever des questions, aux travers de possibilités, exprimées par le langage du design. On pourra alors reconnaître dans cette première définition les ambitions du design radical italien des années 60 qui tentait à l’époque de changer la perception du courant moderniste avec des projets utopistes. Le courant a vu émerger notamment le groupe Archizoom, qui a développé une recherche sur la ville, l’environnement et la culture de masse, à travers le projet No-Stop City. Ce modèle d’urbanisation globale est un projet théorique qu’Andrea Branzi, membre du collectif d’architectes, décrit comme une « utopie critique fondée sur une vision réaliste du monde, où le design est

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Modèle de la No-Stop City, par Andrea Branzi, 54.5 x 52.2 x 51.7 cm, 1969 Š Philippe Magnon

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conçu comme l’outil conceptuel fondamental pour modifier les modes de vie et le territoire. » Cette «ville sans fin» présente la même organisation qu’une usine ou un supermarché, elle propose un schéma répétitif aux centres multiplesn aux allures de parking aménagé de meubles habitables, dans lesquels l’individu peut réaliser son habitat. No-Stop City offre ainsi le modèle d’une ville dont la matérialité est dominée par les flux d’informations, les réseaux technologiques, la consommation. Ils interviennent pour décliner l’idée du Progrès comme rationalisation du monde et en exposer les limites. Archizoom pose ainsi les jalons théoriques d’une recherche radicale et critique en architecture et en design. Mais au-delà du design radical, Dunne & Raby en pionniers du design spéculatif s’intéressent aux futurs possibles comme outils pour comprendre le présent et discuter des options préférables pour demain. L’aspect radical, qui ne correspond plus à notre époque, animée d’un regain d’intérêt pour les solutions alternatives, se dissipe au service d’un design toujours provocant mais qui ouvre des espaces de débat. Les scénarios se construisent alors autour d’une question en « Et si ? », point de départ pour générer un futur alternatif. « Les projets de design qui posent la question «Et si ?» sondent nos croyances et nos valeurs, remettent en question nos hypothèses et nous encouragent à imaginer comment les choses pourraient être autrement » affirment les deux designers. Ainsi le binôme a proposé en 2007 le projet Technical dreams series: no.1, en posant la question « Et si demain les robots faisaient tout pour nous ? » Quelles nouvelles interdépendances

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et relations pourraient émerger selon différents niveaux d’intelligence et de facultés de ces robots ? Le studio a alors réalisé une série de 4 robots visant à ouvrir un débat sur la relation que nous souhaitons entretenir avec ceux-ci : servile, intime, dépendante ou égale. Le premier robot est très indépendant, le deuxième est plus nerveux, le troisième robot est une sentinelle très méfiante, et le dernier est extrêmement intelligent voire indispensable. Si la projection reste relativement limitée dans le cadre de mise en action des robots, les designers ont misé en revanche sur une pluralité de visions afin de confronter le public à plusieurs possibles. En présentant des individus qui profitent de produits, de services ou de systèmes hypothétiques, qui existent dans des futurs alternatifs, on engage l’audience à se positionner en tant que citoyens ou en tant que consommateurs. De là se présente la possibilité d’engager un débat, une discussion qui laissent les contradictions s’exprimer dans le but de générer des prises de conscience, de servir un projet alternatif ou bien de repenser nos pratiques. Cependant, il y a de nombreuses manières de poser une question en « Et si ? », et au regard de la No-Stop City nous pouvons retrouver la question derrière la fiction en design qui pourrait être : Et si les marchés, les réseaux technologiques et les flux d’informations devaient redéfinir la ville de demain ? Le studio Archizoom a pris le parti de pousser au degré supérieur l’absurdité de certaines pratiques d’urbanisation de l’époque en imaginant ce « à quoi pourrait ressembler » la ville du futur si l’on reste sur cette voie. L’artiste et chercheur allemand Sascha Pohflepp, pour construire The Golden Institute,

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Voiture à antenne capteuse d’énergie, pour le projet The Golden Institute, par Sascha Pohflepp , 2007 © DR

Présentation des quatre robots de la Technical dreams series: no.1 par Dunne & Raby, 2007 © Dunne & Raby

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29. Le programme Apollo lancé par John F.Kennedy, président des Etats-Unis en 1961, avait pour objectif d’envoyer un homme sur la Lune et le budget de la mission se compte en dizaines de milliards de dollars. Après quoi, le nouveau président Jimmy Carter (1977 à 1981), renforça la législation sur la protection de l’environnement. Il sera battu en 1980 par Ronald Reagan loin de ces préoccupations environnementales.

s’interroge «Et si en 1980 le président américain Jimmy Carter avait été élu et avait propulsé les efforts en terme d’énergie renouvelable à une échelle comparable à celle du programme Apollo ?»29. Dans ce scénario uchronique, le créateur va se demander « ce qui aurait pu se passer » pour proposer une vision alternative du présent et du futur. Il imagine ainsi le projet Quartz qui déclare que l’État du Nevada est une zone d’expérimentation météorologique où les orages sont ensemencés artificiellement pour produire de l’électricité, des structures récupèrent l’énergie perdue lorsque les véhicules ralentissent ou encore, à l’échelle individuelle, le développement de véhicules en mesure d’absorber l’énergie d’orages à l’origine d’un nouveau marché. Il a composé le matériel de sa fiction en empruntant au Streamline Americain et ses objets en robe d’aluminium qui renvoient aux prémices de la production de masse et aux constructions aéronautiques. Design critique, design spéculatif, design prospectif, design radical et plus récemment design fiction, se ressemblent finalement lorsqu’ils entretiennent ce même rapport étroit à la fiction comme outils de création devenant médiateurs de débats actifs autour de productions en design.

Introduction au Design Fiction Julian Bleecker, designer spéculatif et ingénieur américain, est le père fondateur de la notion de Design Fiction qu’il définit en 2008 comme « l’utilisation intentionnelle de prototypes

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30. Max Mollon est designer, chercheur, enseignant et doctorant actuellement engagé dans la mise en évidence d’une forme de design pour le débat. Il est également à la tête du Design Fiction Club à Paris, qui propose des discussions et des ateliers autour de la pratique.

diégétiques pour rompre la défiance ou l’incrédulité à l’égard du changement. » Le design fiction est un ensemble d’artefacts mis en scène, donnés à manipuler à des individus pour qu’ils se confrontent à un monde possible. C’est une nouvelle façon de produire des récits pour nous aider à mieux appréhender le futur. Le but n’est pas de parier sur l’existence ou non des produits de fiction mais d’ouvrir des espaces de débat sur les options préférables pour demain. Distinction notable néanmoins avec le design spéculatif, le design fiction prospecte généralement sur l’introduction de nouvelles technologies dans notre monde et en a fait son terrain de prédilection. La pratique repose sur trois piliers que sont : la génération d’un monde fictionnel, la génération de réflexions sur des usages non-anticipés d’une technologie, et la génération d’un débat ou d’une discussion. Le design fiction utilise d’abord la fiction comme scénario d’usage. De là il est en mesure de « défricher des applications non-anticipées de technologies et parfois inspirer de nouvelles pistes. » selon Max Mollon, chercheur en design diplômé de l’HEAD30. Nous pouvons de cette manière cerner des signaux faibles et anticiper certains usages ou certaines limites éthiques. Enfin le design fiction permet aux spectateurs ou aux experts de se projeter dans un futur alternatif où ils pourront mieux appréhender les enjeux possibles de technologies. Aussi il convient de distinguer les différentes nuances dans les usages du design fiction qui peuvent être associées à différentes appellations, entre design pour la fiction, design de fictions, et design par la fiction. Le design pour la fiction

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désigne la conception de contenu fictionnel. Ainsi nous pouvons faire référence au designer industriel et concepteur Syd Mead qui après avoir offert ses services à Ford ou Honda, s’est consacré aux univers visuels de films de science-fiction emblématiques en dessinant notamment les voitures volantes de Blade Runner. Le design de fiction est davantage orienté vers un design qui est lui-même fiction. Il s’inscrit dans un milieu fictif qui est un support pour concevoir un produit ou un service hypothétique qui sera générateur de débats par les questions qu’il soulève. Enfin, le design par la fiction consiste à utiliser des éléments fictionnels au service d’un processus en design. Il s’agit là de projeter un produit à venir dans un contexte de fiction pour en révéler et anticiper les limites, les dérives, les bons et mauvais usages. Après quoi le projet peut être remodelé en tenant compte de ces éléments spéculatifs avant d’atteindre ses fins mercantiles et/ou servicielles. Les frontières entre ces différentes mises en application du design fiction restent relativement ténues. Alors, certains auteurs et chercheurs vont tenter de théoriser la pratique du Design Fiction. Nous pouvons de l’ouvrage Jouer avec les futurs : utiliser le design fiction pour faire pivoter son entreprise par Nicolas Minivielle, Olivier Wathelet et Anthony Masson retenir sept mécanismes principaux pour un design fiction fonctionnel. (Ils seront mis en relation avec d’autres éléments repérés précédemment) 1. Construire un monde et une fiction crédible, en multipliant les artefacts et éléments de mise en scène.

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Ainsi le spectateur est amené à un second stade de lecture du projet qui dépasse la mise en cause de la faisabilité et la viabilité des objets de la fiction (nous détaillerons ce volet par la suite). 2. Conserver les liens entre le monde au sein duquel l’audience vit et celui représenté, en faisant appel à des éléments contextuels du présent. exemple : Dans Le cinquième élément, les technologies de pointe dans l’appartement du personnage principal sont intégrées dans un environnement insalubre et très banal, avec un canapé-lit, et de vieux chaussons. 3. Créer une situation de réception de la fiction qui masque, temporairement, son caractère fictionnel, pour générer une expérience. Il faut par ailleurs veiller à ne pas «piéger» le spectateur au risque de tomber dans un «canular» frustrant qui ne pourra donner suite à une situation de débat. 4. Inscrire dans le scénario des moments de rupture, des aspérités. 5. Mettre en scène des points de vue différents, introduisant des polémiques à l’intérieur même d’une fiction. Il faut éviter de défendre une orientation unique et fermée qui ne générerait pas de débat. 6. Faire de la réception un moment actif. Il faut rendre manipulables des versions du futur voire, en quelque sorte, permettre de jouer avec. Il s’agit

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d’engager l’audience à interagir avec les prototypes, créer une appropriation émotionnelle puis analytique. 7. Accompagner le public dans l’expérience, dans la fiction. Il faut dans ce sens, si possible, rythmer le travail d’appropriations. exemple : Le studio Superflux a réalisé en 2017 le projet Future Energy Lab, à la demande du ministère de l’énergie et le Premier Ministre des Emirats Arabes. L’objectif du projet était de simuler les opportunités et les conséquences de différentes politiques énergétiques pour le futur du pays. L’une des pièces de la fiction permettait d’avoir une idée de ce à quoi ressemblerait l’air en 2020, 2028 et 2034 selon les politiques énergétiques envisagées. Une succession de petits pas est plus crédibles qu’un évènement unique, et le projet a finalement permis de débloquer des fonds pour les recherches sur les énergies renouvelables. Nous ajouterons à cela qu’il faut en bout de course, sans quoi le design fiction n’est pas fonctionnel, orchestrer le moment du débat qui ne peut s’autogérer et doit être amené et scénarisé : le moment du débat fait partie de la fiction. Aussi nous pouvons signaler les réflexions portée sur l’exposition de projet de design fiction dans des musées qui font l’objet de critiques de par ce manquement fondamental. Ce cadre de présentation conventionné enraye le pouvoir immersif des fictions et ne favorise pas la mise en place de situations de discussion active. Les objectifs clés que sont ceux de provoquer

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Echantillon de l’air du futur, pour le projet Future Energy Lab, par Superflux, 2017 © Superflux

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des prises de conscience ou extraire une matière à penser les objets et le monde de demain par le débat peuvent être dès lors remis en question. Aussi, nous comprenons tout l’enjeu des supports de médiation qui vont permettre la bonne réception de la fiction et cela en trois étapes : la validation du terrain, la faisabilité technique et la prise de conscience du contenu. Il faut dans un premier temps que le spectateur accepte le contexte de la fiction et l’envisage comme probable. Dans un second temps la question technique ne doit pas faire l’objet de doute, le spectateur doit croire en la viabilité du projet pour finalement pouvoir atteindre les visées plus profondes de la fiction. C’est spécifiquement ce qui explique la participation de designers dans la conception de nombreuses pièces de films de science-fiction comme nous l’avons remarqué plus tôt. Enfin, c’est dans cette dernière strate que le spectateur prend conscience de certains enjeux sous-jacents de la fiction et se positionne, voire réagit. Ou bien, à une autre échelle et dans d’autres circonstances, comme pour le projet Future Energy Lab de Superflux, les acteurs invités à discuter entreprennent des actions concrètes ou dégagent des alternatives.

L’utilisation de médiums diégétiques Le design est un outil puissant pour confronter une audience à un futur possible. En tant que designer nous avons les facultés de produire des prototypes diégétiques, c’est-à-dire des outils à valeur narrative,

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qui donnent une réalité tangible aux scénarios et à la fiction exposée. Comme l’évoquait Estelle Hary, designer d’interaction et co-fondatrice du studio Design Friction à Nantes, lors d’un échange : « Les Hommes sont curieusement attachés aux volumes, à l’espace et au matériel. Les objets et prototypes sont des points d’accroche qui permettent à la fois de suspendre l’incrédulité et de se projeter. » Le volume permet de proposer une expérience que les autres médiums tels que la littérature, les articles, les films, vidéos, sites web et images concepts ne peuvent égaler : une expérience pratique. Max Mollon, précise en revanche que « ce qui compte c’est que l’on croie que l’objet existe » et il n’est pas toujours nécessaire de passer par le volume. De là l’importance de convoquer une multiplicité de supports de médiation afin de renforcer le récit et mieux accompagner l’audience dans la fiction, mais aussi de faire bon usage des différents médiums selon le contenu à communiquer. La littérature est historiquement le premier moyen employé afin de parler du futur, et le support papier reste un élément de médiation fort dans certains projets en design fiction. Le Near Future Laboratory a édité l’année dernière un mode d’emploi de la voiture autonome avec le projet Helios , Pilot Quick Start Guide qui imagine la façon dont pourrait fonctionner ce système. La création d’un mode d’emploi constitue un support commun et connu de tous pour se projeter facilement dans la fiction. Ce médium a les vertus d’être parfaitement viable, facilement réalisable, distribuable et de rendre compte simplement de ce à quoi pourrait ressembler le quotidien avec ce type de technologie.

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Sur la couverture, un logo Amazon, établit un lien direct avec un contexte temporel proche et met le lecteur dans la peau d’un potentiel consommateur. La mise en situation du guide avec une clé de voiture sur le guide trahit formellement le pouvoir du volume, et du prototype en exhausteur de fiction. Par ailleurs, les films ou les vidéos de fiction restent un des outils de médiation privilégiés en design fiction, ils présentent entre autres l’avantage de pouvoir atteindre un plus large public car ils échappent à toute contrainte spatiale. La designer et graphiste Gemma Kingsley a été appelée pour imaginer les interfaces de nombreux outils numériques présents dans la série Black Mirror. Prenons l’exemple de l’épisode 2 de la première saison : « Quinze millions de mérites », qui expose un prolétariat condamné à vivre dans des tours à produire de l’énergie pour la société en pédalant sur des vélos d’exercice. Dans cette forteresse, les murs sont des écrans qui projettent divertissements abrutissants et publicités inévitables. Les qualités esthétiques de l’univers de fiction de Black Mirror sont indispensables à la bonne immersion dans la fiction, et cet épisode joue d’un imaginaire mimétique qui condense tous les excès visuels des divertissements télévisuels de notre époque. Cependant il est important de considérer que lorsque l’on est face à une série télévisée, un filtre s’installe automatiquement du fait même du statut de « fiction » du médium qui ne permet pas une immersion « naïve » et innocente. Nous savons d’emblée que nous avons affaire à une fiction. Or, nous l’avons soulevé précédemment, il est important de masquer temporairement le caractère fictionnel

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Diégétype du projet Audio Tooth Implant, par Auger&Loizeau, 2001 © Auger&Loizeau

La salle de production d’énergie, par Gemma Kingsley pour la série Black Mirror, 2016 © DR

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31. James Auger & Jimmy Loizeau sont deux designers britanniques qui se sont illustrés par des projets spéculatifs conflictuels qui ont animés de nombreux débats publics. Ils se démarquent dans la neutralité du ton employé dans leurs fictions qui ont le mérite d’ouvrir la critique.

du projet pour intensifier le pouvoir immersif de la fiction. Se pose alors la question de la distance que l’on souhaite entretenir entre la fiction et le spectateur pour un bon rapport entre immersion et recul critique. Par exemple, le projet Audio Tooth implant de 2001 porté par le studio Auger & Loizeau31 imaginait une dent munie d’une puce permettant au cerveau de recevoir directement des informations sonores. La mise en forme de prototypes manipulables qui simulaient le fonctionnement de l’appareil a suscité l’intérêt de nombreux visiteurs, mais aussi l’horreur de beaucoup d’autres. Les designers qui voulaient soulever un débat sur l’implantation de systèmes non médicaux dans le corps se sont retrouvés à faire face à des menaces ou bien des offres financières pour ce projet. Nous devons nous interroger sur le bon usage du « canular » qui peut parfois dérouter l’audience comme nous l’avons évoqué plus tôt, et de fait désorienter le débat sur la seule question de savoir si le projet va exister. Choisir ce que l’on montre, ce que l’on ne montre pas, ou ce que l’on dit plus tard, doit faire l’objet d’un questionnement dans la construction d’une fiction en design pour atteindre les bons objectifs. Il est également possible d’élaborer une fiction à partir de moyens moins « lourds », et pour cela nous pouvons nous tourner du côté du studio Superflux et son projet Univited guests. Cette vidéo raconte l’histoire d’une personne âgée qui vit entourée d’équipements qui contrôlent son alimentation, son régime, son sommeil, sa santé et que ses enfants supervisent à distance. Ces objets connectés, presque anecdotiques deviennent envahissants pour le vieil homme et il va finalement trouver des moyens

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32. Le «quantified self», ou «mesure de soi» en français est un mouvement qui regroupe les outils, les principes et les méthodes permettant à chacun de mesurer ses données personnelles, de les analyser et de les partager Les outils s’incarnent souvent dans des objets connectés et des applications mobiles.

de détourner les ordres qui lui sont donnés en faisant par exemple semblant de manger des légumes avec la fourchette connectée pour profiter d’un autre repas qui lui fait envie sans subir d’incessants rappels à l’ordre. On pourra regretter une fiction qui reste pauvre dans le degré de projection, mais on peut noter dans le ton légèrement humoristique, un attachement sentimental au personnage qui aide le spectateur à prendre conscience des répercussions de ces technologies très en vogue de télé-assistance et « quantified self »32. En composant avec des moyens humbles, la fiction gagne parfois en sobriété et en clarté, on réduit la distance entre les objets de la fiction, les questionnements et le spectateur. Le designer a un ensemble d’outils à sa disposition pour matérialiser des fictions probables qu’il doit manipuler en adéquation avec les questionnements de fond de sa fiction et aux points de réflexion auquels il souhaite amener le public.

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La fourchette connectée, extrait de la vidéo Univited Guests, par Superflux, 2015 © DR

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Capsule

date HTT-3005

NOTE

20 18 . 20 50

heure 19 : 23

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LES MOTS DU CO-PILOTE Nous avons à présent un éventail d’ingrédients nécessaires à l’élaboration d’un projet de design fiction visant à questionner l’avenir de la vitesse et de la mobilité. Si la première phase d’étude à permis de défricher des angles morts, les enjeux clés liés à l’hypervitesse et l’hypermobilité au regard d’un projet de type Hyperloop, nous avons avec le design fiction un moyen de mettre ces risques et ces questionnements au coeur du débat. Il devient alors possible d’ouvrir par le design un espace d’échanges qui laisse les désaccords s’exprimer et permet à tous et à chaqu’un d’interroger nos comportements actuels, nos logiques de déplacement. Il s’agit maintenant de situer les questions, les objectifs du débat et de voir dans quels scénarios et objets de fiction ils peuvent s’incarner et se matérialiser pour générer des réactions autant que des prises de position. Nous verrons la façon dont le design fiction, appliqué à notre sujet d’étude, doit être mis en scène pour atteindre ses objectifs. Mais il faudra aussi tenter de comprendre quel sont les acteurs d’un projet de design fiction, dans sa mise en forme et dans les temps de discussion.

Les informations émises ci-dessus sont à prendre en compte pour la bonne compréhension de la recherche. Document confidentiel à conserver précieusement. © Antoine Bourhis


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CONSTRUIRE UN DESIGN POUR LE DÉBAT Le design fiction est employé pour permettre de visualiser les angles morts d’une technologie, en évaluer les effets, les mauvais usages avant sa mise en service ou bien de manière plus drastique d’alerter l’audience sur les dérives et les risques qu’elle porte. Construire un projet de design fiction, c’est ouvrir un espace de discussion afin que les désaccords s’expriment, que chacun puisse prendre position, en signalant des dérives ou des ouvertures possibles pour demain. De la fabrication des matériaux qui vont permettre d’activer le dialogue, jusqu’à l’organisation du débat en lui même, en passant par la mise en situation de l’ensemble du projet, construire un design pour le débat est une pratique proliférente qui se précise lentement, dans les outils et les méthodes. Nous allons tenter de mieux en définir les tenants et aboutissants au regard d’une intervention en design qui vise à interroger notre vitesse et notre mobilité.

A. FABRIQUER DES MATÉRIAUX À DÉBAT Générer des scénarios dystopiques Un projet de design fiction, nous l’avons remarqué précédemment, repose généralement sur un scénario fictif qui tient à une question « Et si? ». Il s’agit alors, pour ouvrir un champ de possibles, de générer

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33. Depuis l’ouvrage Utiliser le design fiction pour faire pivoter votre entreprise.

des scénarios, dans notre cas dystopiques, sur l’apparition d’une technologie de mobilité rapide comme celle de l’Hyperloop. Et ces scénarios se cristallisent d’abord à partir de la première étude littéraire qui a mis en lumière des points noirs, des effets indésirables de l’hypervitesse et de l’hypermobilité. C’est un premier outil que Nicolas Minivielle, Olivier Whatelet et Anthony Masson appellent la « revue de littérature »33 autrement dit, plonger dans le passé pour pressentir des situations qui pourraient se répéter et montrer que les problèmatiques sont anciennes. Cet outil fait appel à une démarche probabiliste très utilisée par les instituts économiques pour prévoir l’évolution d’indicateurs macroéconomiques par exemple. En créant des passerelles entre des éléments du passé, du présent et de science-fiction, la revue de littérature permet d’identifier des récurrences qui traversent le temps, à partir desquelles des scénarios peuvent naître. Par exemple, nous avons soulevé dans la première partie de cette recherche le risque de désertification des territoires traversés par un système de type Hyperloop pour la polarisation d’individus mais aussi de ressources et d’énergie autour de lieux forts. Nous pouvons alors nous demander, au vu des manifestations anti-touristes, de la perte du sentiment de communauté, si les habitants d’hypercentres supporteront durablement cet aménagement du monde et quel rapports sociaux ces lieux vont entretenir. Ce qui conduit à la suggestion suivante : Et si pour supporter les hypercentres encombrés il était nécessaire d’altérer nos sensations de la ville ? Un second outil permettant de faire surgir des

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34. Expression populaire décrivant un train de vie de l’urgence, une sollicitation et un mouvement constant qui ne laisse plus le temps de faire ses besoins.

scénarios, également proposé par les trois auteurs, consiste à faire varier un élément de contexte. Nous pouvons ainsi imaginer que dans un futur avec l’Hyperloop, une loi impose une restriction des mouvements mondiaux, devenus source de pollutions préoccupantes. D’où la suggestion : Et si, pour faire face à l’alerte environnementale, il fallait immobiliser une partie du monde ? Enfin, un troisième outil que nous allons mettre en application, défendu notamment par Nicolas Nova et le Near Future Laboratory, vise à questionner le futur des situations banales, du petit quotidien. Il s’agit de penser aux situations de tous les jours qui pourraient changer avec l’Hyperloop. Un lien de sens s’est établi avec le fait que dans ce nouveau mode de transport il n’y aura pas de toilettes pour des raisons techniques, et les ingénieurs sont convaincus que pour une heure de déplacement les privilégiés devraient pouvoir se retenir. Nous pouvons prendre l’exemple des spationautes qui, au vu de leurs conditions de voyage, sont équipés en cabine d’un aspirateur à urine afin de se soulager sans avoir à retirer leur combinaison, et enfin les pilotes de Formule 1 qui avouent parfois uriner dans leur tenue pour rester dans la course. Dans une société qui « n’a même plus le temps d’uriner »34 il semble alors légitime d’imaginer le scénario : Et si, pour gagner en vitesse et garder le rythme on se libérait du besoin d’uriner ? On vient alors toucher un besoin primaire, une situation familière qui pourrait être mise au défi au nom de la vitesse. Ces trois scénarios imaginent des objets ou services peu enviables qui pourraient voir le jour dans un monde avec l’Hyperloop. Mais une fois les scénarios , il est indispensable de les évaluer pour mesurer leur

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35. grille d’évaluation et critères proposés sur mesure pour le projet.

qualité respectives à produire un débat appliqué. Ainsi, la grille d’évaluation ci-après a permis de confronter plusieurs scénarios, présentés sous forme d’objets diégétiques, en employant des modes de prototypages rapides, à un premier panel de testeurs pour faire émerger ceux à approfondir. Elle est construite selon 6 critères35 : Probabilité : Le scénario est probable, crédible Questionnant HV/HM : Le scénario interroge l’hypervitesse et l’hypermobilité de demain Marge prospective : le scénario peut encore être approfondi dans un travail de design Sensibilité : Les questions soulevées par le scénario font réagir et ne laissent pas indifférent Innovant : Le scénario est surprenant, nouveau Attractif / Répulsif : Le scénario peut-être désirable comme détestable À ce stade, un défaut s’est révélé dans la précision des questions que les scénarios portaient. En revanche, les trois scénarios utilisés en exemple plus haut ont été retenus pour leur nature polémique et leur capacité à toucher trois échelles d’interrogation : la question sanitaire à l’échelle de l’individu, les bouleversements socio-territoriaux à l’échelle locale, et la question énergétique à l’échelle globale.

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Construire un design pour le débat HV / HM sont néfastes pour notre santé Et si, pour supporter physiquement notre hypermobilité à très grande vitesse, des équipements de compensation voyaient le jour ?

Probabilité

Attractif/ Répulsif

Questionnant HV/HM

Innovant

Marge prospective

Sensibilité

La grille d’évaluation des scénarios de fiction, par Antoine Bourhis, 2018 © DR

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3. Construire des médiums appliqués Afin de produire des médiums efficaces permettant de toucher les bonnes questions, il faut garder en tête les fondations de la fiction. Pour le scénario Et si, pour gagner en vitesse et garder le rythme on se libérait du besoin d’uriner ? un document technique rappelle l’ensemble des composants de la fiction pour que les médiums ne s’écartent pas du coeur du projet : Pourquoi ? De quel constat est né ce scénario ? Questions de débat ? Quels points de questionnement ouvert souhaitons-nous soulever, en l’occurrence, Jusqu’où sommes nous prêts à aller pour être plus mobiles, plus rapides, et étancher notre soif de vitesse ? Le corps sera-t-il amené à être augmenté pour s’adapter aux nouveaux équipements de la mobilité ultra-rapide ? L’objet à débat : proposer un système d’extraction des urines autonome intégré au corps. Les médiums envisagés et la fonction de chacun d’eux. Le prototype à échelle accompagné d’un guide d’utilisation a pour mission de rendre tangible le projet par la présence d’un dispositif qui atteste de l’existence soudaine de cette réalité, c’est une brique du futur « manipulable », celui-ci devenant ainsi plus facile à sonder. Des documents techniques décrivant le fonctionnement interne du dispositif vont permettre d’évacuer les doutes sur la faisabilité du projet. Une vidéo de présentation du projet aura pour

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Future Human Augmentation Laboratory

Visuels du système d’extraction d’urine en analogie à une image du film 2001, L’Odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick, par Antoine Bourhis, 2018 © DR

Planche d’ambiance pour le système d’extraction d’urine, par Antoine Bourhis, 2018 © DR

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ambition de replacer les motivations du projet, pour établir le lien avec l’Hyperloop, l’hypervitesse et l’hypermobilité. En intégrant l’avis de clients ce support permet également d’appuyer l’existence du projet et d’étirer les points de vue. Enfin, un médium appliqué repose sur la bonne relation entre les éléments d’imaginaire, du réel et de symbolique qu’il convoque. Aussi pour ce scénario les éléments suivants devaient émaner des objets de la fiction :

IMAGINAIRE

RÉEL

technologie et science industrielles

univers médical et chirurgical

augmentation de l’homme

objets technologiques industriels lisses,impersonnels

conquête de l’espace

équipements spationautes produits de luxe, bijouterie

SYMBOLIQUE fluidité / performance / élitisme

La production de corpus iconographiques référenciels permet d’imager l’ensemble de ces termes afin d’établir des liens visuels entre des éléments de l’ordre de l’existant, du contexte, des codes symboliques et des imaginaires. Ces connexions s’incarnent alors dans la forme et parfois aussi la fonction des matériaux de la fiction, en l’occurrence l’objet permettant l’extraction des urines à gauche.

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36. William Hawley Bowlus était un designer et ingénieur américain des années 30. La société Wally Byam produira l’emblématique Airstream Clipper toute d’aluminium symbole du rêve américain dévorant les routes.

Les médiums sont par ce processus méthodique plus à même d’atteindre les questions de fond du projet en faisant appel aux structures mentales existantes de l’audience. Et l’on devine l’emploi de pratique similaire pour un projet comme The Golden Institute de Sascha Pohflepp qui, pour sa voiture à antenne capteuse d’énergie, va emprunter les codes du Streamline Americain, associés à un imaginaire aéronautique rappelant sensiblement la fameuse caravane Airstream Clipper pensée par William Hawley Bowlus36 en 1936. Sa fiction s’ancre alors dans un contexte connu, qui va inconsciemment réveiller chez le spectateur des imaginaires populaires, soutenus par des médiums allusifs et suggestifs. Le ton employé pour la fiction reste relativement descriptif, l’uchronie entretenue par le designer permet difficilement de créer des ponts avec des éléments du présent qui doivent être le coeur du débat.

Une fiction en nuances de gris L’effectivité d’un projet de design fiction réside dans sa capacité à animer un débat sur les futurs préférables afin de repenser nos actions aujourd’hui. Certaines fictions présentent des avenirs radieux qui reposent sur un bon usage et un bon fonctionnement des systèmes technologiques du monde de demain, c’est le cas des visuels de communication de l’Hyperloop ou des vidéos Microsoft Future Vision dont nous avons pu parler plus tôt. D’autres fictions se montrent beaucoup plus sombres et acerbes, nous pouvons reprendre ici le travail de Charlie Brooker pour Black Mirror, ou bien la No-stop City

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37. Ontario College of Art and Design,situé à Toronto.

38. Extrait de la vidéo What is NaturePod ?, par le Situation Lab, 2016

d’Andrea Branzi. Or, pour éviter de créer l’entière adhésion par une fiction sans épine ou bien le rejet unanime par une formulation catastrophique, Max Mollon exprime la nécessité de produire des fictions en nuances de gris capables de diviser le public. De là peut naître un débat alimenté par des arguments variés, voire conflictuels pour laisser les désaccords s’exprimer. Le défi consiste ainsi à maintenir une tension entre un produit ou un service désirable et détestable, qui entretient un paradoxe de fond, mais qui ne laisse pas transparaître la position du designer. C’est sur ce principe que le Situation Lab, accompagné d’étudiants diplomés de l’OCAD University37, a construit le projet Naturepod bati sur l’hypothèse : Et si nous pouvions profiter de tous les avantages de passer du temps dans la nature sans même quitter notre bureau? À partir de là l’équipe a présenté en 2016 un fauteuil connecté à un ensemble d’équipements numériques jouant sur les sons et les images pour simuler une escapade en pleine forêt ou bien au coeur de canyons. La proposition a suscité parfois l’enthousiasme mais ailleurs l’horreur de certains des individus ayant testé le dispositif, présenté dans un salon de l’innovation en design et architecture IIDEX réputé au Canada. Les auteurs de la fiction souhaitaient concevoir une situation absurde où l’on glisse notre tête dans un écran en appelant cela «Nature» pour sonder le public sur les relations qu’il souhaite entretenir avec l’environnement. « En créant Nature Pod aujourd’hui on ouvre la possibilité de décider quel chemin on souhaite prendre demain. »38 explique le Docteur Stuart Candy, directeur du studio Situation Lab.

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Si en retraçant l’histoire de la fiction on en découvre le fond dystopique relayant un message préventif plutôt qu’une question ouverte, les designers ont su dans la médiation maintenir le paradoxe entre une solution technologique soulageante mais inacceptable. Cette tension est vectrice de débat, elle doit être intégrée dans la construction des médiums d’une fiction. Notons également que le caractère fictionnel du dispositif a été révélé plus tard dans une vidéo relatant l’ensemble de l’expérience. Nous pouvons alors nous demander à quel moment il est judicieux de lever le rideau sur les questions de fond du projet et les ambitions des designers. Et en cela, il est bon de reprendre une réflexion de Max Mollon lors d’un échange sur le sujet qui exprimait l’importance dans la présentation d’un projet de design fiction de « se poser la question du hors champ, décider de ce que l’on montre, ce que l’on ne montre pas, ce qui doit être montré plus tard, ou ce qui est induit. » afin de le rendre frictionnel. Pour son projet Mitoyen, Max Mollon visait à interroger les nouvelles relations sociales que l’on pourrait entretenir avec nos amis ou familles éloignés grâce aux progrès technologiques et numériques, il a proposé un mur vidéo associé à une table à manger «connectable» pour simuler un diner avec nos bien-aimés. Si le designer avait en tête de remettre en question nos pratiques de communication à distance qui soulagent l’éloignement sans véritablement rapprocher les individus dans une société animée d’un syndrome de la mobilité, les réactions ont rapidement penché en faveur de ce type de solution. Il faut finalement, à bonne mesure, introduire des indices permettant

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Le service Mitoyen, extrait de la vidéo Mitoyen, par Max Mollon, 2012 © DR

Le dispositif Naturepod, extrait de la vidéo What is NaturePod ?, par Situation Lab, 2016 © DR

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à l’audience de manipuler divers points de vue. Mais nous comprenons aussi qu’il est difficile d’anticiper les réactions du public et la tournure que prendra le débat, il est en revanche possible et parfois nécessaire de le réorienter pour atteindre les questions que l’on souhaite voir abordées.

B. METTRE EN SCÈNE LE DESIGN FICTION Le lieu du débat : construire la situation de réception du projet Comme nous avons pu le souligner dans les mécanismes fondamentaux pour la production d’un design fiction efficace, il est indispensable de construire une situation de réception de la fiction qui en masque temporairement le caractère fictionel. Si l’on reprend le projet NaturePod dirigé par le studio Situation Lab, les conditions de présentation du projet dans un salon d’innovation en design et architecture, ont largement contribuées à comprendre le projet comme une solution d’avenir sur le point d’investir le marché. L’équipe a alors développé non seulement le produit mais aussi un stand et ont profité par ailleurs d’un public relativement concerné par le projet, à savoir des entrepreneurs, hommes et femmes d’affaires citadins déconnectés de ce que l’on peut appeler Nature. Penser la mise en situation de la fiction, c’est conditionner le public. C’est sur ce principe que la maison de haute couture Chanel a, pour son défilé Automne Eté 2016,

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transformé le Grand Palais à Paris en un aéroport pour contextualiser ses productions et orienter la réception des pièces. Les moyens employés pour embarquer les invités dans un contexte précis sont particulièrement importants mais efficaces dans leur pouvoir de projection. Avec l’Hyperloop en toile de fond d’un projet questionnant notre vitesse et notre mobilité, nous pouvons accompagner le public dans la compréhension du contexte et des projets en les exposant dans un Hall de départ Hyperloop fictif. Mais il semble d’autant plus bénéfique de présenter les objets au sein même d’un aéroport ou d’une gare sans avoir à déguiser une pièce pour soutenir le cadre de la fiction. Et ainsi le public invité à se positionner et à réagir face aux scénarios proposés est celui directement concerné : des individus actifs, en déplacement. Nous pourrons tempérer ce propos en précisant qu’il est également profitable de mettre en débat des individus plus ou moins «touchés» par la fiction. De cette manière les discussions et les avis récoltés peuvent se montrer plus dissonnants. Aujourd’hui une vague émergente de designers de fiction en France menée entre autres par Max Mollon, Nicolas Nova ou encore Estelle Hary avec le studio Design Friction explorent une forme de design fiction qui s’extrait des musées ou des expositions qui restent un cadre de réception des fictions conventionnés, qui en dévoilent naturellement le caractère fictionnel. Et il semble important avant, de se demander « où », de définir « qui » on souhaite réunir autour de la table. C’est à partir de cette réflexion que peut également se définir la situation de réception que l’on souhaite investir ou concevoir.

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Scénographie de l’aéoport pour le défilé Chanel, 2016 © Alessandro Garofalo

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La situation de réception doit être pensée de manière à donner des clés de compréhension du contexte de la fiction et aide l’audience à se projeter. Le conditionnement peut aussi être activé avant le jour de la fiction pour introduire en amont son cadre (invitation, billet, annonce,...). Enfin, comme l’a soulignée catégoriquement Léa Lippera, membre du studio Design Friction, lors d’un entretien : « Le débat fait partie de la fiction, il doit être intégré dans la stratégie de projet et dans l’espace. » Il est donc primordial d’organiser ce temps charnière.

Orchestrer le débat « II faut non seulement créer la design fiction, mais aussi designer sa circulation et les débats afférents, avec les audiences à préciser » rappelle Nicolas Nova au terme d’une discussion. Or, il semble que c’est un point parfois négligé dans les constructions de projets de design fiction aujourd’hui, bien médiatisés mais qui ont tendance à laisser le débat s’auto-génèrer et s’auto-gérer, sur internet ou dans les musées, ce qui ne fonctionne pas toujours, faute d’accompagnement. Et contre ce problème, des designers tentent de mettre en place des outils afin d’orchestrer le débat et en récolter le fruit, que les échanges soient documentés. Il semble indispensable de reprendre alors ici la question de l’audiance, des individus que l’on souhaite mettre en débat, les entités auprès desquelles nous souhaitons « infuser une matière à réflexion » pour reprendre une expression de Léa Lippera.

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Le projet d’extracteur autonome d’urine intégré au corps visant à sonder les limites de notre soif de vitesse et de mobilité va concerner directement des individus souvent en voyages et en mouvement constant. Il s’agit aussi de faire intervenir des médecins, scientifiques et experts capables de contester le bien fondé d’un tel dispositif. Aussi, des experts de la mobilité vont faire remonter les questions de fond sur notre capacité à aller vite qui n’est pas équitablement partagée. À plus grande échelle, les ingénieurs de l’Hyperloop pourraient remettre en question certains aspects de la technologie qu’ils s’épuisent à mettre sur pied. Et puis, bien entendu, une audience plus « neutre » doit être amenée à s’exprimer sur la présence de ce type de technologie dans le monde de demain. Dans le cadre de fiction présentée dans un lieu précis, le studio Design Friction fait usage d’outils simples pour donner la parole au public et inviter chaque personne à se positionner et à réagir. Lors de la présentation du projet La cité des données réalisé en co-création avec des habitants de la ville de Nantes, dans le but d’interroger les limites des villes connectées, les individus présents lors de la restitution du projet ont pu profiter d’un mur de réactions pour se prononcer sur papier au sujet des propositions exposées, en réponse à une question ouverte. Le médium papier, ou bien l’ouverture d’une plateforme de discussion numérique offrent l’avantage de pouvoir archiver les réactions. Ils permettent également à tous et à chacun d’avoir un oeil sur ce qui a pu être dit et de se positionner. En revanche on ne fait pas appel aux émotions à chaud du spectateur, qu’un débat oral

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peut suciter et qui a le mérite de faire de ce moment un évènement dont on conserve un souvenir. En générant une situation unique où les désaccords vont s’exprimer en réaction directe face à l’avis d’autrui, nous sommes plus a même de générer des prises de conscience, de désarmer nos certitudes. Le studio Design Friction c’est aussi essayé au débat mouvant qui s’avère efficace dans sa capacité à inclure l’audiance dans la discussion en lui imposant un état de déplacement actif. Ce support consiste, par exemple, à placer une ligne au sol représentant un avis neutre, puis une fois la question posée (par exemple : Seriez-vous prêt à vous équiper de l’extracteur d’urine ?) L’audience choisit son camp et se place plus ou moins loin de la ligne selon qu’elle est totalement en accord, en désaccord ou bien mitigée. L’une des critiques que l’on peut formuler ici tient au fait que la question d’ouverture du débat est par nécessité fermée, en revanche elle permet de rapidement visualiser les divergences et de décider, en médiateur, à qui nous souhaitons donner la parole. À ce moment là les personnes décidées à réagir vont pouvoir développer et défendre leur point de vue. Il faut veiller, comme le rappelle Estelle Hary, à bien partager les temps de parole, pour mieux étaler le débat et qu’il atteigne ses points les plus sensibles par des interventions variées. Le Situation Lab pour le projet NaturePod a misé sur la collecte de réactions face-caméra qui permet de développer par la suite une production post-fiction pour prolonger les réfléxions et formuler un contenu résumant le projet. Cela permet après coup l’intervention d’un nouveau public qui aura en main les clés de compréhension

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du projet synthétisé dans un support vidéo pérenne. Ce sont des outils qui intègrent progressivement les démarches de design fiction mais qu’il s’agit d’employer judicieusement et d’interconnecter afin d’éviter un « débat pour le débat » mais plutôt d’atteindre des niveaux plus profonds.

Un débat, et après ?

39. Extrait d’un entretiens avec Nicolas Nova, sur la question du débat, 2018

Si ce sont des points qui ont ponctué ce mémoire de recherche, il semble pourtant essentiel de mieux s’interroger sur l’intérêt et sur les objectifs d’un design pour le débat. Nicolas Nova répond que « le débat ne peut être une fin en soi. »39, d’où la nécessité de définir rapidement les objectifs de la fiction et de ce temps d’échange. Le studio Superflux, en réalisant le projet Future Energy Lab, à la demande du Ministère de l’Energie des Emirats Arabes, souhaitait remettre en question les politiques environnementales en vigueur dans l’Etat. Il peut se targuer d’avoir participé à débloquer près de 163 milliards de dollards pour la recherche dans les énergies renouvelables, au-delà de conscientisations personnelles sur la situation de pollution du territoire. Les enjeux du débat étaient certainement dictés en préface de la fiction qui c’est initié sur la base d’une collaboration conséquante. Mais la fiction a su, dans sa forme, son organisation et la mise en place d’un temps de discussion actif en présence d’influenceurs, faire bouger les lignes. D’autres fictions vont tenter d’insuffler de nouveaux points d’entrée dans le développement d’une nouvelle technologie, elles vont développer une matière à

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penser qui sera injectée dans de nouvelles stratégies de projet, dans la reformulation des priorités voire des fonctionnalité d’un projet en cours. Il s’agit de rapidement répondre à la question « un débat, pour quoi faire ? » et nous pouvons en premier lieu trouver des points de concordance à un ensemble de projets de design fiction. D’abord dans l’ambition de mettre en doute nos certitudes, nos croyances sur notre culture, nos modes de vie et nos pratiques actuelles. Lorsque l’on utilise comme point d’ancrage de notre fiction l’arrivée d’une nouvelle technologie dans notre monde, le débat nous aide à prendre en compte de nouveaux paramètres dans la lecture que l’on peut avoir de ces technologies. Confronter les points de vue permet de nuancer son avis sur la question et nous pousse à avoir une regard distancié et plus critique sur les objets de demain. De cette manière, nous sommes plus à même d’envisager, et visualiser les futurs préférables. Dans le cadre de notre fiction, le fond critique du projet vise à sensibiliser l’audience à notre rapport viral, voire fasciné à la vitesse et à la mobilité. Notre relations aux nouvelles technologies ne laisse aucune place aux avis minoritaires, et nous rend sourd aux véritables révolutions qui peuvent s’enclencher pour une vitesse et une mobilité partagée, équitable et soutenable. Le débat permet alors de donner la parole à des spécialistes, mais aussi des individus qui ne sont pas invités à s’exprimer en temps normal et qui vont parfois subir les effets de ces technologies. C’est en cela que le temps de discussion peut générer des prises de conscience sur les choix que nous voulons opérer pour demain, au regard des options qui s’offrent à

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40. Le Design Fiction Club constitue des temps d’échanges, de partages, d’atelier, autour du design fiction à Paris depuis 2017.

nous et des témoignages, des avis de chacun, qui vont bousculer nos préjugés. Il est en revanche très difficile d’évaluer l’impact d’un projet de design fiction de ce type dont les résultats ne sont pas mesurables. Comme le relève justement Léa Lippera,« un projet peut avoir généré peu de débat sur le coup mais avoir planté des graines de réflexion qui prendront du temps à germer, comme une sorte de design fiction à effet papillon ». Nous pouvons envisager des outils de suivi, d’accompagnement post-débat qui vont prolonger les discussions hors du cadre de la fiction. Le studio Design Friction a par exemple mis en place un forum en ligne permettant de réagir sur les projets nés de La cité des données en continu. Même si le dispositif n’a pas rencontré un grand succès, il permet de redéfinir la temporalité dans laquelle s’inscrit le projet. C’est aussi un moyen de récolter une matière à évaluer le bon fonctionnement de la fiction dans sa capacité à faire réagir. Il est aussi possible de déconstruire, plus tard, le projet de fiction pour le reformer et qu’il soit générateur d’alternatives raisonnées. C’est ce que tente de faire le Design Fiction Club40 animée par Max Mollon lors de workshop comme celui du 17 Mars 2018 intitulé Black-Mirror : Jouer, déjouer, rejouer la série. Au cours de cet atelier l’objectif était de remettre en question le techno-pessimisme incarnée par des innovations en design fiction que la série met en scène, pour faire émerger de nouvelles voies pour ces technologies. Ce second temps de débat peut être catalyseur d’initiatives plus soutenables.

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Le Design Fiction Club à la Gaité Lyrique, Paris, par Max Mollon, 2017 © DR

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Capsule

date HTT-3005

NOTE

20 18 . 20 50

heure 23 : 12

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LE DÉBRIEF DU CO-PILOTE Le design fiction apparaît à une époque où le besoin de débattre et de discuter du futur devient plus déterminant que jamais. Max Mollon précisait en ce sens que « le design est pointé du doigt lors des grandes crises, environnementales et écologiques notamment, pour les déchets qu’il produit, les fossées sociaux, territoriaux qui peuvent en résulter ». Devenu un producteur de masse après les révolutions industrielles, le designer est aussi entendu comme responsable de « maintenir ou améliorer l’habitabilité du monde » pour reprendre la définition que formule Alain Findeli. Et face à ce paradoxe, des designers comme Dunne & Raby, Auger & Loizeau, le studio Superflux, et avant eux Andrea Branzi avec Archizoom, entre autres, voient une crise dans le métier du designer. Devant la floraison d’hyper-projets miraculeux pleins de promesses dont l’Hyperloop est un grand représentant, la prolifération de cuisines intelligentes, lunettes liseuses, et autres glacières connectées, la nécessité de défricher les angles morts, les mauvais ou bons usages, voire les risques de ce type de produits ou services semble indispensable. Alors des formes de design qui cherchent à poser ces questions apparaissent, entre pratiques spéculatives, critiques et discussives, conscientes que les solutions aux grands enjeux de notre monde se situent non plus à l’échelle des objets mais bien celle des consiences, des comportements. Et lorsque l’on parle de la façon dont on se déplacera demain, le design fiction et le débat qu’il génère ont la capacité d’éviter la sidération face aux vulgaires discours technophiles et aux images scintillantes d’un futur sans embûches. Dans nos sociétés du « zapping », envahies par l’image, où l’on n’absorbe pas moins de 350 publicités par jour, il devient urgent de ménager des temps d’échanges pour discuter du bien-fondé de ces technologies avant qu’elles n’envahissent les marchés de demain.

Les informations émises ci-dessus sont à prendre en compte pour la bonne compréhension de la recherche. Document confidentiel à conserver précieusement. © Antoine Bourhis


Capsule

date HTT-3005

NOTE

20 18 . 20 50

heure 23 : 12

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LE DÉBRIEF DU CO-PILOTE La vitesse réduit notre champs de vision, et à mesure que l’on accélère, notre capacité à poser un regard panoramique sur notre futur afin de prendre en compte un ensemble de paramètres se réduit. Le design fiction tente alors de faire tomber les oeillères pour redonner du champ, un pouvoir critique aux habitants du monde de demain. Cette pratique nous invite par ailleurs à être plus méfiant face à des propositions comme l’Hyperloop qui prétendent pouvoir résoudre les problèmes de mobilité de notre époque, en tirant des lignes entre les grandes villes, loin de vouloir reformer les maillages territoriaux disparus dans les élans d’urbanisation et de polarisation de l’espace monde, entre autres problématiques ignorées. Amorcé par un travail d’analyse prospectif permettant un déminage de problèmes inhérents à un futur à grande vitesse, l’objet de design vient incarner les idées ainsi générées, leur donnant une valeur ontologique pour en faire des matériaux à débat afin de questionner l’avenir de l’hypervitesse et de l’hypermobilité.

Les informations émises ci-dessus sont à prendre en compte pour la bonne compréhension de la recherche. Document confidentiel à conserver précieusement. © Antoine Bourhis


Bibliographie

LIVRES Jocelyn de Nobelet Design : Le geste et le compas Somogy éditions d’art, 1988 ISBN : 2850561886

Anthony Dunne & Fiona Raby Speculative Everything MIT Press, 2014

Hartmut Mosa Accélération Une critique sociale du temps La Découverte, 2010 ISBN : 2707154822

Marc-Olivier Padis et Olivier Mongin Le monde à l’ère de la vitesse Esprit N°345, 2008

ISBN : 9780262318495

ISBN : 978-2-909210-67-4

Alex Coles Ep Vol. 2: Design Fiction Sternberg Press, 2017

Carl Honoré Éloge de la lenteur Et si vous ralentissiez ? Marabout, 2013

ISBN : 978-3-95679-048-5

ISBN : 978-2501089524

Nicolas Minvielle, Olivier Wathelet et Anthony Masson Jouer avec les futurs : utiliser le design fiction pour faire pivoter votre entreprise Pearson France, 2016 ISBN : 274406646X

Paul Virilio La Vitesse de libération Galilée, 1995 ISBN : 9782718604589

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ARTICLES Studio Design Friction The data city https://medium.com/design-friction/ la-cité-des-données-5a4e1060429e Medium, 2016 Anthony Dunne & Fiona Raby Introduction to What If http://www.dunneandraby.co.uk/ content/bydandr/496/0 Dunneandraby, 2009


Bibliographie

Anthony Dunne & Fiona Raby Introduction to What If http://www.dunneandraby.co.uk/ content/bydandr/496/0 Dunneandraby, 2009 Nicolas Minivielle et Olivier Wathelet Le design fiction : un nouvel outils pour se projeter dans le futur https://www.wedemain.fr/Le-designfiction-un-nouvel-outil-pour-seprojeter-dans-le-futur_a1993.html We Demain, 2016 Michel-Maxime Egger La vitesse : enjeux politiques https://notavparis.files.wordpress. com/2012/08/la_vitesse_enjeux_ politiques.pdf Choisir, 2005 Eric Vidalenc Hyperloop, ou une certaine fascination pour la vitesse https://blogs.alternativeseconomiques.fr/vidalenc/2016/05/26/ hyperloop-ou-une-certainefascination-pour-la-vitesse-22 Alternative Économique, 2016

Vincent Lucchese La mobilité accélère, et les discriminations avec https://usbeketrica.com/article/ la-mobilite-accelere-et-lesdiscriminations-avec Usbet & Rica, 2017 Thomas Saintourens Tourisme : comment voyagera-t-on dans 20 ans ? https://usbeketrica.com/article/ tourisme-comment-voyagera-t-ondans-20-ans Usbet & Rica, 2017 Aldo Bearzatto et Hervé Bougon Cinéma de science-fiction et imaginaires de la mobilité http://www.villeetcinema.com/ cinema-de-science-fiction-etimaginaires-de-la-mobilite/ VilleetCinéma, 2005

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Bibliographie

FILMOGRAPHIE ET VIDEOS Charlie Brooker Black Mirror Netflix, 2016 Ridley Scott Blade Runner The Ladd Company, 1982 Ridley Scott Alien, le huitième passager Brandywine Production, 20th Century Fox, 1979 Luc Besson Le cinquième élement Gaumont, 1997 Tracks Arte Bruce Sterling : genèse d’un pionnier du cyberpunk https://www.youtube.com/ watch?v=BWdkB-yZuXk Arte, 2016 Virgin Hyperloop One Hyperloop Explained https://www.youtube.com/ watch?v=LAWEOwDDt_Y&t=6s Virgin Hyperloop One, 2016

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Max Mollon Design Fiction Club #1 à 5 https://www.youtube.com/ watch?v=39qeDEpyWcQ&list =PLNK9S8HYoaILYKTuFsjfy BB3b78lM1B9n Max Mollon, 2016 Max Mollon Design Fiction Club #5 Lien non communiqué Max Mollon, 2016 Sophie Lacour et Eric Vidalenc Débat#3 - La mobilité du futur doitelle refléter nos désirs ? Les moutons numériques, 2017 Stéphane Paoli Paul Virilio : Penser la vitesse La Générale de Production, ARTE France, 2008 Tamar Baumgarten-Noort Transports du futur à la conquête de la vitesse Arte, 2018 Fritz Lang Metropolis Universum-Film AG, 1927


Bibliographie

Robert Zemeckis Retour vers le futur 2 Universal Pictures, Amblin Entertainment, U-Drive Productions, 1989

ÉTUDES Colette Hourtolles Les trains et l’imaginaire https://www.icem-pedagogie-freinet. org/sites/default/files/284train.pdf ICEM, 1986 Maxime Simon Fiction Réaliste Opportunité du design-fiction dans un contexte de projet https://issuu.com/maxsim_simon/ docs/split_fiction-realiste_ maximesimon DSAA Villefontaine, 2016

ENTRETIENS Éric Vidalenc Responsable du pôle Transition Energétique au sein de la Direction Régionale Hauts de France de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) Par téléphone, Aout 2017

Max Mollon Designer diplomé de l’HEAD, chercheur, enseignant et doctorant actuellement engagé dans la mise en évidence d’une forme de design pour le débat. Fondateur du Design Fiction Club à Paris. Rencontre sur Paris, Décembre 2017, Mars 2018 Nicolas Nova Co-fondateur du Near Future Laboratory, une agence de recherche basée en Europe et en Californie, professeur associé à l’Ecole des Arts et du Design de Genève (HEAD). Par téléphone, Décembre 2017 Estelle Hary Designer d’intéraction spécialisée dans le design d’information, co-fondatrice du studio Design Friction. Par téléphone, Novembre 2017, Mars 2018 Léa Lippera Designer critique pour Casus Studi, spécialisée dans le design interactif, et associée au studio Design Friction. Rencontre sur Paris, Février 2018

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Remerciements

Je tiens sincèrement à remercier l’ensemble des personnes qui ont contribué à enrichir l’écriture de ce mémoire. Au-delà d’un engagement personnel, il est le fruit de rencontres et de discussions passionnées. J’adresse mes chaleureux remerciements à Sophie Clément et Julien Borie qui m’ont accompagné et conseillé avec un engouement remarquable tout au long de ma recherche. Merci à l’ensemble de l’équipe pédagogique, Elisabeth Charvet et Ann Pham Ngoc Cuong pour leurs recommandations, Didier Voisin et Christophe Recoules pour leur implication dans les dimensions techniques du projet. Je remercie également mes camarades de classe pour leur vitalité, leur soutien et leurs bons conseils, qui ont animé le processus. Un grand merci à Alice Guiet, Émilie Klein, Élora Michel, Manon Alves et Baptiste Bodin ainsi que mes autres fidèles collègues. Remerciements également aux spécialistes et têtes pensantes qui ont répondu à mes sollicitations afin d’apporter un regard expériementé à ma recherche et inspirer ma pensée en design. Merci à Estelle Hary, Carolyn F.Strauss, Léa Lippera, Eric Vidalenc, Max Mollon et Nicolas Nova pour leur investissement. Enfin, une pensée à ma famille et notamment mes parents Brinda et Philippe qui me soutiennent dans toutes mes initiatives en design depuis le début.

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Conception graphique Antoine Bourhis Typographies

Helvetica Light, Light Oblique, Regular, Oblique, Bold, Bold Oblique Eurostile LT Std Papier

Amber 90g, Rives sensation gloss 270g Imprimé en 12 exemplaires pr Agi Graphic à la Souterraine. Le copyright de chaque image du corpus appartient aux

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ont été mis en œuvre pour identifier les ayants droit des images

reproduites, l’étudiant rédacteur s’excuse pour les éventuels oublis involontaires et se tient à disposition pour toute réclamation.



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