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Sommaire
Introduction Chapitre 1
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Voilà les robots ! Bienvenue aux nouveaux « preneurs d’emplois » et aides-soignants. Au cours de la prochaine décennie, les sociétés se transformeront à mesure que les humains apprendront à vivre aux côtés des robots.
Chapitre 2
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Le futur de la machine humaine La dernière industrie à mille milliards de dollars s’est construite sur le code binaire, des 0 et des 1. La prochaine se bâtira sur notre propre code génétique.
Chapitre 3
105
La « code-ification » de l’argent, des marchés et de la confiance Existe-t-il un algorithme de la confiance ? De nouvelles façons d’échanger obligent à réécrire le pacte entre l’entreprise, le citoyen et le gouvernement.
Chapitre 4
163
L’arsenalisation du code Le monde a laissé derrière lui la guerre froide pour finalement entrer dans une guerre du code.
Chapitre 5
201
Les données, matière première de l’âge de l’information La terre était la matière première de l’âge agricole. Le fer était la matière première de l’âge industriel. Les données sont la matière première de l’âge de l’information.
Chapitre 6
245
Géographie des marchés futurs Les dirigeants du monde entier en ont pris bonne note : le XXIe siècle est une période difficile pour les maniaques du contrôle.
Conclusion
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La chose la plus importante que vous aurez à faire Remerciements
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Introduction S’adapter ou périr, aujourd’hui comme toujours, est un impératif inexorable de la nature. H. G. Wells, A Short History of the World (1922)
Le mauvais côté de la mondialisation Il est 3 heures du matin et je nettoie du vomi qui a l’odeur de whisky après un concert de musique country à Charleston, en Virginie-Occidentale. C’est l’été 1991, juste après ma première année de fac. Tandis que la plupart de mes camarades de l’université Northwestern, située dans la banlieue nord de Chicago, font des stages de rêve dans des cabinets d’avocats, dans des services du Congrès ou dans des banques d’investissement à New York ou à Washington, j’intègre quant à moi l’équipe de six gars du service d’entretien du complexe municipal Charleston Civic Center qui compte 13 000 places assises. Travailler de nuit est pire que le décalage horaire. Je me réveillais à 22 heures, je prenais le petit déjeuner, je travaillais de minuit à 8 heures, puis je me couchais vers 15 heures. Les cinq autres gars de l’équipe étaient des durs à cuire. Ils étaient gentils, mais abattus. L’un d’eux tenait dans sa poche arrière une bouteille de vodka qui
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lui servait de « déjeuner » à 3 heures du matin. Les autres avaient la quarantaine et la cinquantaine, ce qui aurait dû correspondre au sommet de leur potentiel salarial. En général, les gens boivent beaucoup trop aux concerts de musique country en Virginie-Occidentale. Notre travail consistait donc à nettoyer les effets de ces beuveries. Tous les six, nous parcourions la salle avec d’énormes bidons de produits chimiques bleu fluo qui grésillaient lorsque nous les déversions sur le sol en béton. La dernière vague d’innovation et de mondialisation a produit des gagnants et des perdants. Les investisseurs, entrepreneurs et ouvriers hautement qualifiés qui se sont rassemblés autour des marchés en pleine croissance et des innovations ont été parmi les gagnants. Il existe une autre catégorie de gagnants, celle du plus d’un milliard de personnes qui sont passées de la pauvreté à la classe moyenne dans les pays en développement, parce que leur main-d’œuvre, relativement bon marché, constituait un avantage lorsque leurs pays se sont ouverts et sont devenus partie intégrante de l’économie mondiale. Les perdants étaient des personnes qui vivaient là où le marché du travail a un coût élevé, comme les ÉtatsUnis et l’Europe, et dont les compétences ne pouvaient pas suivre le rythme de l’évolution technologique et de la mondialisation. Les gars avec qui j’ai travaillé en équipe de nuit sont les perdants, principalement parce que le travail qu’ils auraient pu faire auparavant dans une mine de charbon a été remplacé par une machine, et que tout travail qu’ils auraient pu faire dans une usine, de 1940 à 1990, a été transféré au Mexique ou en Inde. Contrairement à moi, pour ces hommes être agent d’entretien et gardien de nuit n’était pas un job d’été, c’était l’une des seules options qui leur restait. Quand j’étais plus jeune, je pensais que la vie en Virginie-Occidentale était représentative de la vie partout ailleurs. Chacun faisait
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de son mieux pour gérer ce long déclin. Mais ce que j’ai pu observer dans cet État m’est apparu clair à mesure que je voyageais à travers le monde et constatais que d’autres régions étaient en plein essor, tandis que la Virginie-Occidentale périclitait. Vingt ans après avoir passé la serpillière en équipe de nuit, j’ai depuis parcouru le globe et j’ai côtoyé les acteurs majeurs des plus grandes entreprises technologiques et les gouvernements du monde entier. J’ai été le principal conseiller en innovation auprès de la secrétaire d’État Hillary Clinton, poste qu’elle a créé pour moi lorsqu’elle est devenue Madame la Secrétaire. Avant de travailler pour Clinton, j’ai été responsable « stratégies digitales et communication » pour la campagne présidentielle d’Obama, en 2008, et j’ai cofondé puis passé huit ans à gérer une entreprise sociale prospère axée sur la technologie. Mon travail au département d’État consistait à moderniser la pratique de la diplomatie et à apporter de nouveaux outils et de nouvelles approches pour relever les défis de la politique étrangère. Clinton m’a recruté pour apporter un peu de peps au département d’État. Nous avons eu beaucoup de succès et, au moment où elle et moi sommes partis, en 2013, notre cabinet était considéré comme l’organisme gouvernemental ayant la culture la plus propice à l’innovation. Nous avons élaboré des programmes efficaces pour relever des défis dans des lieux aussi divers que le Congo, Haïti et les villes frontalières contrôlées par un cartel dans le nord du Mexique. C’est dans ce contexte que j’ai joué un rôle de passerelle entre les entreprises innovantes américaines et l’agenda diplomatique des États-Unis. À cette époque, j’ai beaucoup voyagé. Avant et après mon arrivée au pouvoir, j’ai vu beaucoup de monde, mais les 1 435 jours que j’ai passés auprès d’Hillary Clinton m’ont permis de me faire une idée particulièrement précise des forces qui façonnent le monde. J’ai
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visité des dizaines et des dizaines de pays, parcourant plus de 800 000 kilomètres, ce qui équivaut à un aller-retour sur la Lune avec, en sus, un voyage en Australie. J’ai pu voir la prochaine génération de robots en Corée du Sud, des outils bancaires mis au point dans certaines régions d’Afrique où il n’y avait pas de banques, la technologie laser utilisée pour augmenter les rendements agricoles en Nouvelle-Zélande et des étudiants ukrainiens qui ont transposé oralement la langue des signes. J’ai eu la chance de voir bon nombre de technologies que nous réservent les années à venir, mais je me souviens encore souvent de ce passage en tant que gardien de nuit et des hommes que j’y ai rencontrés. Le temps que j’ai passé à acquérir une perspective globale sur les forces qui façonnent notre monde m’a aidé à comprendre exactement pourquoi la vie avait été si rude chez moi, dans les collines, tandis qu’elle devenait meilleure dans les autres régions de la planète. Le monde dans lequel j’ai grandi, l’ancienne économie industrielle, a été radicalement transformé par la dernière vague d’innovation. L’histoire est désormais connue : technologie, automatisation, mondialisation. Lorsque j’étais à l’université, au début des années 1990, l’accélération du processus de mondialisation s’est renforcée, mettant fin à de nombreux systèmes politiques et socio-économiques qui avaient déterminé les économies d’hier. L’Union soviétique et ses États satellites ont échoué. L’Inde a entamé une série de réformes pour libéraliser son économie, ce qui a permis à plus d’un milliard de personnes de se retrouver sur la scène économique mondiale. La Chine a renversé son modèle économique, créant une nouvelle forme de capitalisme hybride et sortant plus d’un demi-milliard d’individus de la misère. L’Union européenne a été créée. L’Accord
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de libre-échange nord-américain (ALÉNA) est entré en vigueur, intégrant les États-Unis, le Canada et le Mexique dans ce qui est, aujourd’hui, la plus grande zone de libre-échange au monde. L’apartheid a pris fin et Nelson Mandela a été élu président de l’Afrique du Sud. Lorsque j’étais à l’université, le monde venait aussi de se connecter. Le World Wide Web a été ouvert au public, ainsi que le navigateur web, le moteur de recherche et le commerce électronique. Amazon a été fondée au moment où j’allais intégrer un centre de formation pour mon premier emploi, à la sortie de l’université. À l’époque, ces mutations politiques et technologiques ne me semblaient pas aussi importantes qu’aujourd’hui, mais les changements qui se sont produits pendant mon enfance en Virginie-Occidentale et qui se sont accélérés avec l’essor d’internet ont fait que nos vies d’il y a à peine vingt ans me paraissent bien lointaines. Ceux de ma ville natale, dont la sécurité de l’emploi est moins bonne qu’à l’époque de leurs parents, vivent cependant une vie meilleure quand on compare ce que l’argent leur permet d’acheter aujourd’hui par rapport à il y a des décennies, notamment des outils de communication et des divertissements plus nombreux et de meilleure qualité, une alimentation plus saine, des voitures plus sûres, et des progrès médicaux qui les maintiennent en vie plus longtemps. Pourtant, ils ont connu une série de changements, tant positifs que négatifs. Et tout ceci n’est rien par rapport à ce qui va se produire dans la prochaine vague d’innovation, puisqu’elle touchera les 196 pays de la planète. L’ère de la mondialisation va déclencher une vague de changements technologiques, économiques et sociologiques aussi lourds de conséquences que ceux qui ont secoué ma ville natale au XXe siècle et ceux qui ont été causés par internet et la numérisation lorsque je
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quittais l’université il y a vingt ans. Si vous imaginez une innovation future dans des domaines aussi divers que les sciences de la vie, la finance, la défense ou l’agriculture, quelqu’un travaille déjà sur la façon de la développer et de la commercialiser. Les périmètres de commercialisation des innovations sont également en expansion. Aux États-Unis, les percées ne proviennent pas seulement de la Silicon Valley, de la Route 128 qui contourne Boston ou du triangle de recherche (le Research Triangle Park) en Caroline du Nord. Elles émergent peu à peu de l’Utah, du Minnesota, des banlieues de Washington (district de Columbia), de la Virginie et du Maryland. Les innovations ne sont pas non plus exclusivement américaines. Après des années de croissance ancrée sur une main-d’œuvre à faible coût, des signes prometteurs d’innovation viennent désormais des 3 milliards de personnes qui vivent en Indonésie, au Brésil, en Inde et en Chine. Les pays d’Amérique latine tournés vers le Pacifique, comme le Chili, le Pérou, la Colombie et le Mexique, semblent avoir trouvé comment se positionner dans l’économie mondiale. En Europe, les marchés de main-d’œuvre hautement qualifiée génèrent des start-up qui font pâlir d’envie la Silicon Valley et, en Estonie, « le petit pays qui pourrait devenir grand1 », toute l’économie semble être une e-économie. L’innovation transforme également l’Afrique, où même dans les camps de réfugiés du Congo, des technologies, aussi simples que le téléphone portable, relient les individus entre eux et à l’information comme jamais auparavant. Les entrepreneurs africains sont en train de changer la face du continent, alimentant le développement et créant une nouvelle classe d’entreprises compétitives à l’échelle mondiale. 1. En référence à l’ouvrage de Mart Laar, Estonia: Little Country That Could, Centre for Research into Post Communist Economies, 2002.
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Partout, les citoyens nouvellement « autonomisés » et les réseaux de citoyens remettent en question l’ordre établi par des chemins jusque-là inimaginables — de l’élaboration de nouveaux modèles d’affaires à la remise en question des vieilles autocraties. Dans un proche avenir, des combinaisons robotisées permettront aux paraplégiques de marcher, des médicaments de synthèse neutraliseront certaines formes de cancer et le code informatique sera utilisé à la fois comme monnaie internationale et comme arme pour détruire des infrastructures physiques à l’autre bout du monde. Ce livre examine ces avancées, mais il n’est pas seulement un hymne à l’innovation. Les progrès et la création de richesses ne s’accumuleront pas uniformément. Beaucoup y gagneront, certains y gagneront énormément, mais beaucoup seront évincés. Contrairement à la précédente vague de mondialisation et d’innovation numérique, qui a sorti un très grand nombre de personnes de la pauvreté dans les marchés de main-d’œuvre à bas coût, la prochaine vague va mettre au défi les classes moyennes du monde entier, menaçant d’en replonger beaucoup dans la pauvreté. La vague précédente a vu des pays et des sociétés entières se développer économiquement. La prochaine vague va intégrer les « économies frontières2 » dans le flux global de l’économie, tout en mettant au défi les classes moyennes des pays les plus développées. Dans de vastes régions du globe, les individus se sentent nouvellement mis sur la sellette par la hausse des inégalités et des disruptions indésirables. De nombreuses sociétés sont ébranlées par le sentiment omniprésent qu’il devient de plus en plus difficile de 2. Les « économies frontières » sont des pays à faibles revenus et à haut risque, considérés à la fois comme de nouveaux marchés où l’on peut vendre des biens et services et comme plateformes à partir desquelles on peut les exporter.
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trouver sa place dans le monde ou d’aller de l’avant. L’innovation est à la fois porteuse de promesses et de dangers. Les mêmes forces qui libèrent des progrès inégalés en matière de prospérité et de bien-être peuvent aussi permettre à un hacker de voler votre identité ou de pirater votre domicile. Un ordinateur capable de réduire le temps d’analyse de documents juridiques contribue aussi à diminuer le nombre d’avocats sur le marché du travail. Les réseaux sociaux offrent de nouvelles possibilités de connexions, mais créent aussi de nouvelles formes d’anxiété sociale. La digitalisation des modes de paiement peut faciliter le commerce ou permettre de nouvelles formes de fraude. Quand j’étais étudiant, à l’aube de la révolution internet, je n’avais pas la moindre idée de ce qu’allait être l’avenir. J’aurais aimé, à ce moment-là, pouvoir lire un livre qui anticipait ce qui adviendrait. Certes, personne n’est omniscient, mais j’ai eu la chance d’entrevoir ce qui nous attend. Cet ouvrage traite de la future « nouvelle économie ». Il s’adresse à tous ceux qui veulent savoir comment la prochaine vague d’innovation et de mondialisation affectera nos pays, nos sociétés et nousmêmes.
Grandir dans la vieille économie Pour comprendre où va la mondialisation, il faut comprendre d’où elle vient. J’ai grandi à Charleston, en Virginie-Occidentale, une ville dont l’histoire reflète depuis des siècles l’ascension de l’Amérique en tant que puissance économique et dont les mines crasseuses ont contribué à alimenter sa croissance. La VirginieOccidentale s’est construite sur l’industrie du charbon, un peu comme Pittsburgh sur celle de l’acier et Détroit sur celle de l’automobile. En effet, ce sont les liens tissés entre la Virginie-Occidentale
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et le Nord industriel, par le biais du charbon, qui l’ont conduite à se séparer de la Virginie et du Sud, plus agricoles, lorsque la guerre de Sécession a éclaté. La situation en Virginie-Occidentale reflétait celle d’autres complexes miniers reliés aux premiers centres manufacturiers de la révolution industrielle. Au Royaume-Uni, les villes des Midlands, comme Manchester et Leeds, sont devenues des sites industriels. Londres fournissait le financement, tandis que le charbon venait du Pays de Galles. En Allemagne, la région de la Ruhr, près de la vallée du Rhin, est devenue un bassin industriel de métallurgie et sidérurgie. La houille provenait de l’est de l’Allemagne et de la Pologne. Aujourd’hui, la Chine côtière, en particulier les régions autour de Shenzhen et de Shanghai, est devenue l’usine du monde. Son charbon provient de Chine occidentale et d’Australie. De même, les régions minières de la ceinture péninsulaire nord-orientale de l’Inde, la région de l’Anatolie en Turquie et l’État de Santa Catarina au Brésil constituent les bases industrielles pour leurs propres économies émergentes et pour d’autres économies à travers le monde. Dans chaque région, l’exploitation minière offre un tremplin vers des échanges et des opportunités économiques accrus, du moins pour un certain temps. Forte de son essor grâce au charbon, la Virginie-Occidentale a développé des industries complémentaires qui ont consolidé sa position de centre d’approvisionnement industriel et qui, à terme, ont causé son déclin. Au début du XXe siècle, Charleston connaît son deuxième boom : l’industrie chimique. L’Union Carbide Corporation a fondé la première usine pétrochimique au monde en Virginie-Occidentale, en 1920. Avec l’entrée de l’Amérique dans la Seconde Guerre mondiale, des quantités massives de caoutchouc synthétique ont été nécessaires pour répondre à la demande. Union
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Carbide, qui est devenue le plus grand employeur de Virginie-Occidentale et l’une des dix premières entreprises de produits chimiques au monde, a inauguré une période de croissance qui s’est poursuivie bien après la guerre. Entre 1946 et 1982, ses revenus sont passés d’environ 415 millions de dollars à plus de 10 milliards de dollars. Durant cette période, elle employait jusqu’à 80 000 personnes dans le monde, dont environ 12 000 en Virginie-Occidentale. Et Charleston a poursuivi sa croissance au fur et à mesure que l’entreprise se développait. Sa population est passée de 68 000 habitants avant la guerre à 86 000 en 1960. Lorsque j’étais à l’école, la majorité de mes camarades de classe étaient des enfants d’ingénieurs chimistes. Leurs familles étaient issues des meilleures universités du pays et du monde. Pendant plus d’un siècle, les secteurs industriels de l’ancienne économie de la Virginie-Occidentale (charbon, produits chimiques et plastique) ont été des choix de carrière stables et fiables. Ma famille est arrivée en Virginie-Occidentale pendant la Grande Dépression, lorsque mon grand-père, Ray DePaulo, a quitté les bassins houillers du Colorado. Faute de fonds, l’école secondaire avait fermé ses portes et remis des diplômes à tout le monde, y compris à mon grand-père de 13 ans. Heureusement pour lui, c’était encore une époque où l’on pouvait gagner sa vie avec un simple diplôme d’études secondaires. Une fois arrivé en Virginie-Occidentale, mon grand-père est devenu ce que nous appelons aujourd’hui un entrepreneur. Il a fait du porte-à-porte pour vendre des téléphones à une époque où les gens les installaient pour la première fois dans leurs foyers. Il a fait tourner un garage, un terrain de golf, un restaurant, une boulangerie, un parking et une entreprise de nettoyage, la plupart du temps depuis un bungalow utilisé par des vendeurs d’automobiles.
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Mon grand-père a compris l’une des curieuses énigmes de la mondialisation : l’ouverture crée non seulement des opportunités, mais aussi de la concurrence, et elle nous pousse à nous remettre en question et parfois elle nous fait perdre notre position dans le monde. Durant la vie de mon grand-père, la Virginie-Occidentale, comme tant d’autres centres industriels en Amérique, a atteint son apogée, mais ses faiblesses étaient sur le point d’être révélées par la concurrence de nouveaux marchés et de nouvelles machines. Je me souviens d’une ville nommée Nitro, à mi-chemin entre Charleston et le cabinet d’avocats de mon père. Quand, enfants, nous traversions Nitro, mon frère, ma sœur et moi commencions à nous tortiller dans nos sièges et à grincer des dents, dégoûtés par la puanteur des usines chimiques qui nous entouraient. Ma mère, assise sur le siège du conducteur, disait : « c’est l’odeur de l’argent », et elle associait cette horrible odeur avec des emplois — et des clients potentiels pour mon père. Dans la vieille économie, c’était l’odeur de l’argent non seulement à Nitro, mais aussi dans des lieux comme Gary en Indiana, Newark dans le New Jersey et Baton Rouge en Louisiane. Aujourd’hui, cette même odeur recouvre des sites industriels en Chine, en Inde et au Mexique, mais elle persiste encore dans certains vieux centres industriels d’Amérique. La vallée de la rivière Kanawha, qui traverse la ville de Charleston, est connue sous le nom de Chemical Valley (vallée de la chimie). Pendant près d’un siècle, Chemical Valley a accueilli la plus forte concentration de fabricants de produits chimiques aux ÉtatsUnis : Union Carbide, DuPont, Monsanto, la Food and Machinery Corporation (FMC) et bien d’autres. La nuit, la vallée ressemblait à un film futuriste, avec les imposantes structures d’acier de ses usines chimiques illuminées par de petites lumières. La fumée qui se dégageait dans le ciel nocturne ajoutait une lueur orange et toute
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la scène se reflétait sinistrement sur la surface de la rivière — une rivière qui semblait ne plus contenir un seul poisson ou tout autre animal vivant. La ville de Nitro, située à une vingtaine de kilomètres en aval de Charleston, tire son nom de la nitrocellulose ou de la poudre à canon, donnant un sens littéral à l’appellation boom town (ville champignon). Nitro a été construite pendant la mobilisation de l’Amérique lors de la Première Guerre mondiale, quand la production de poudre à canon aux États-Unis a fait face à une grave pénurie. Le gouvernement américain a investi plus de 70 millions de dollars dans la construction d’une usine, connue sous le nom d’Explosive Plant C, ainsi que dans les structures publiques environnantes. La guerre prit fin en novembre 1918, juste après la première livraison d’explosifs. Ce n’était pas la dernière fois que Nitro participait à une mobilisation. Dans les années 1960, l’ancienne usine chimique de Monsanto, située à Nitro, fabriquait l’herbicide agent orange, utilisé par l’armée américaine pour défolier la jungle pendant la guerre du Vietnam. Le déversement de ce produit chimique dans la jungle vietnamienne a nui à la santé de plus d’un million de Vietnamiens et de 100 000 anciens combattants américains, et a produit des malformations congénitales chez plus de 100 000 enfants. C’était un horrible commerce, mais ma mère avait raison : pendant un certain temps, pour la région, l’odeur de Nitro était synonyme d’argent. Mais l’argent n’a pas continué à couler. En fin de compte, les industries qui ont construit Charleston et la VirginieOccidentale ont également conduit à leur déclin. Dans le cas de l’industrie minière, la mécanisation a éliminé le besoin d’extraction manuelle du charbon. On est passé du pic et de la pelle à l’utilisation d’une machine qui pouvait faire le travail de centaines
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d’ouvriers humains. Dans l’industrie chimique, la mondialisation a permis aux entreprises d’implanter leurs usines à des endroits où les réglementations environnementales sont moins nombreuses et où la main-d’œuvre est moins chère. Lorsque les entreprises chimiques ont déménagé leurs activités en Inde et au Mexique, quitter la ville de Charleston est devenu la meilleure option pour beaucoup d’habitants : de 1960 à 1990, Charleston a perdu 40 % de sa population. En 1988, le taux de chômage en Virginie-Occidentale était près du double de la moyenne nationale. Il y avait moins d’enfants d’ingénieurs dans mon école, leurs parents ayant été transférés hors de l’État ou du pays. Charleston et la Virginie-Occidentale étaient représentatives des villes et des pays du monde aux prises avec le déclin post-industriel et la mondialisation. Pieds et poings liés à leurs ressources du moment et à leurs industries manufacturières, ces régions ont prospéré grâce à des années de croissance économique stable. Mais une fois le boom terminé, elles ont été durement frappées par la fuite rapide des capitaux et de la population. Leurs usines, autrefois moteur de richesse, sont aujourd’hui des structures d’acier inertes découpant la ligne d’horizon des villes. Les aciéries de Pittsburgh ont fermé leurs portes. La population de Détroit (Michigan) est passée de 1,8 million à 700 000 habitants, tandis que son industrie automobile est confrontée à une nouvelle concurrence venant de Tokyo et Séoul. Les villes américaines ne sont pas les seules à en souffrir. Manchester, première ville industrialisée du monde, a perdu 50 000 emplois dans les années 1970. Les bassins houillers du sud du Pays de Galles ont été mis hors service, le dernier ayant fermé en 2008. Le port de Marseille a été ravagé par la concurrence et a vu sa population diminuer de 150 000 habitants.
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Lorsque j’étais à l’université, les seuls produits chimiques qui assuraient la sécurité de l’emploi en Virginie-Occidentale étaient ceux qui grésillaient au contact avec le sol du Charleston Civic Center.
Le bon côté de la mondialisation Alors que la Virginie-Occidentale connaissait un déclin économique sur plusieurs décennies, ces mêmes forces de la mondialisation et la migration de la main-d’œuvre avaient des effets positifs ailleurs. En Inde et en Chine, soit 40 % de la population mondiale, les changements ont été spectaculaires. En trente ans, de 1982 à 2012, le taux de pauvreté en Inde est passé de 60 % de la population à 22 %. L’espérance de vie est passée de 49 à 66 ans. Quand j’étais jeune, l’Inde était le pays de Mère Teresa et de la famine. Aujourd’hui, ce pays se caractérise de plus en plus par sa technologie, son industrie de services internationale et une classe moyenne en plein essor. Les changements en Chine ont été encore plus spectaculaires, avec un taux de pauvreté qui a chuté de 84 % à 13 % au cours de la même période, sortant environ 600 millions de Chinois de la misère. Avec une économie vingt-cinq fois plus importante qu’il y a trente ans, la Chine est devenue la deuxième économie mondiale après les États-Unis. Ce qui était mauvais pour l’industrie en Amérique et en Europe était excellent pour l’Inde, la Chine et une grande partie du monde. Alors que la mondialisation et l’innovation remettaient en question les modes de vie de nombreux habitants des villes industrielles et des États occidentaux, elles ont stimulé la croissance économique des nations émergentes. Au-delà de ces pays en développement, le nombre d’individus et d’États dans le monde qui ont
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profité de la vague d’innovations technologiques s’est multiplié. Nos ressources les plus précieuses sont passées du sel et du sucre aux produits chimiques et au pétrole, puis aux données et aux services. Les régions qui en fournissent sont aujourd’hui à la tête de l’économie mondiale du savoir. À 4 000 kilomètres de Charleston, en Virginie-Occidentale, plusieurs milliards de dollars de richesse ont été générés dans la Silicon Valley grâce à des produits qui ont changé en profondeur la manière de vivre de tous ceux qui lisent ce livre.
Les secteurs porteurs et les métiers du futur Le livre que mes parents ou mes grands-parents auraient aimé lire dans les années 1960 aurait décrit ce que la mondialisation allait provoquer. Le livre que j’aurais aimé lire à la fin de mes études, il y a plus de vingt ans, m’aurait dévoilé ce que l’internet et la numérisation allaient provoquer. Ce livre explore les secteurs qui seront à l’origine des changements qui affecteront nos économies et nos sociétés au cours des vingt prochaines années. Ses chapitres sont construits autour des industries clés du futur — robotique, biologie de pointe, code-ification3 de l’argent, cybersécurité et big data — et des contextes géopolitiques, culturels et générationnels dont elles émergent. J’ai choisi ces secteurs non seulement parce que chacun d’eux est important en lui-même, mais aussi parce qu’ils symbolisent des tendances mondiales plus larges et ont une relation symbiotique.
3. [NdT] Ne pas confondre avec codification. L’auteur écrit « code-ification » pour indiquer qu’il s’agit de la transformation de l’argent et des échanges monétaires en code, par exemple les crypto-monnaies ou l’utilisation de la blockchain pour les transactions.
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Les chapitres 1 et 2 explorent comment les progrès en robotique et biologie de pointe changeront notre façon de travailler et de vivre, avec un impact énorme, mais inégal, sur nos moyens d’existence et sur nos vies. Les robots prenant de plus en plus de place à nos côtés, l’économie mondiale subira une révolution stimulée par l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique qui pourrait avoir une incidence sur la main-d’œuvre aussi forte que les révolutions agricoles, industrielles et numériques qui l’ont précédée. En même temps, les progrès spectaculaires des sciences de la vie permettront aux gens de vivre plus longtemps et en meilleure santé comme jamais auparavant, du moins à ceux qui en ont les moyens. De même, les retombées économiques de ces progrès technologiques et scientifiques seront inégalement réparties entre ceux qui sont bien placés pour créer ou adopter ces innovations et ceux qui risquent d’être laissés pour compte. Face à cela, les sociétés devront trouver de nouveaux moyens de s’adapter. Les chapitres 3 et 4 examinent comment l’application croissante du code informatique à de nouveaux domaines de l’économie — dans les mondes virtuel et physique — transformera deux sphères qui sont traditionnellement des monopoles d’État : la monnaie et l’armée. Les progrès rapides s’accompagnent souvent d’une plus grande instabilité. L’application du code au commerce offrira à l’individu lambda de nouvelles possibilités, dans n’importe quelle partie du monde, pour recevoir, détenir, dépenser ou transférer de l’argent. Par ailleurs, lorsque j’étais dans le bureau de la secrétaire d’État Hillary Clinton et dans la salle de crise de la Maison-Blanche, j’ai pu observer cette industrie qui de petite fonction informatique de back office est devenue l’un des secteurs les plus perturbateurs avec la croissance la plus rapide au monde : l’arsenalisation du code (weaponization of code). L’ensemble de ces évolutions pourra apporter
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de nouvelles opportunités, mais elles augmenteront également la capacité des mauvais acteurs à causer des dommages systémiques à l’économie mondiale. Les chapitres 5 et 6 examinent à la fois l’expansivité qu’autorisent les mégadonnées et les contraintes que la géopolitique imposera sur le marché mondial. La terre était la matière première de l’ère agricole ; le fer était la matière première de l’ère industrielle ; les données sont la matière première de l’ère de l’information. L’internet est devenu un immense méli-mélo d’informations chaotiques, mais il existe désormais un moyen de relier ces informations et d’en tirer de l’intelligence économique exploitable. Initialement destinées à la publicité ciblée, les mégadonnées sont maintenant un instrument qui offre des applications significatives pour divers secteurs d’entreprise et pour traiter les problèmes sociaux chroniques. Dans le même temps, les industries du futur seront créées dans le cadre géopolitique actuel et le transformeront. Au XXe siècle, la ligne de partage dominante entre les systèmes politiques et les marchés se situait le long de l’axe gauche-droite. Au XXIe siècle, le fossé dominant est celui qui sépare ceux qui ont des modèles politiques et économiques ouverts de ceux qui ont des modèles fermés. La nouvelle concurrence et la nécessité politique ont créé une série de modèles hybrides à travers le monde et ces deux derniers chapitres explorent quels marchés seront les futurs moteurs de croissance durable et d’innovation et comment les chefs d’entreprise pourront faire des choix éclairés pour investir leur temps et leurs ressources. Tout au long de l’ouvrage, nous explorons la compétitivité — nécessaire pour que les sociétés, les familles et les individus prospèrent. Parmi les pays et les entreprises les plus innovants au monde, un consensus émerge sur la meilleure façon de renforcer leur ressource la plus critique : leur population. Et il n’y a pas de
Introduction
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meilleur indicateur pour une culture de l’innovation que l’autonomisation des femmes. L’intégration et l’autonomisation complètes des femmes dans les champs économique et politique sont la mesure la plus importante qu’un pays ou une entreprise doit prendre pour renforcer sa compétitivité. Les sociétés qui ne parviennent pas à surmonter leur « héritage culturel négatif » en ce qui concerne le traitement des femmes vont sombrer avec la prochaine vague d’innovation. Les pays du monde ayant un système ségrégatif ont été absents de la dernière vague d’innovation et ils ne seront pas au cœur des industries et des entreprises du futur sans opérer de réels changements. L’innovation ne se produit pas dans des environnements fermés et les entreprises innovantes continueront à rester à l’écart des pays ayant des politiques inégalitaires et régressives en matière de genre. Enfin, l’ouvrage se propose d’explorer les actions que nous pouvons mener pour nos enfants afin de les préparer au mieux à réussir dans un monde de changement et de concurrence croissants. La parentalité est l’une des fonctions les plus importantes qu’une personne peut avoir et nos enfants hériteront d’un monde qui semble bien différent du nôtre. Nous pouvons tirer parti de la sagesse des innovateurs présentés dans ces pages pour nous préparer, nous et nos enfants, à ce qui va se produire dans la « prochaine économie » (next economy) — celle qui commence dès maintenant.