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Le combat d’Yves Auberson

Sacré champion suisse junior de golf en 1988, le Vaudois Yves Auberson devient pro et joue sur le Tour pendant quelques années. A 35 ans, il est diagnostiqué avec la maladie de Parkinson. Il redevient sportif d’élite, mais cette fois-ci pour survivre, et traverse les Alpes à pied. Un deuxième grand projet est déjà planifié.

C’est une histoire de courage et de volonté. Celle d’un jeune père de famille, grand sportif, qui apprend qu’il souffre de Parkinson, une maladie neurodégénérative qui provoque la destruction progressive des neurones à dopamine dans le cerveau, ces transmetteurs qui régulent la motricité. A 35 ans, on lui annonce aussi que son espérance de vie est de quinze ans tout au plus.

Comme Un Funambule

* «Ma vie est un défi», un film de Stephan Rytz, en salle dès septembre 2022. Diverses autres vidéos sont à voir sur le site defi-parkinson.ch

Aujourd’hui, alors qu’il en a 52, l’ancien golfeur professionnel dévale l’escalier pour venir ouvrir la porte du petit immeuble à Nyon, où il habite. Il évoque ses «quinze ans de vie commune avec Parkinson» avec un sens de l’humour dont il ne s’est jamais départi, malgré la brutalité des coups du sort. Ses années de pro sur le circuit européen, en compagnie notamment du Valaisan Steve Rey – «mon super-pote» – étaient passionnantes mais financièrement précaires. «Je me suis alors converti dans l’immobilier.» En 2010, lorsque les symptômes de la maladie n’étaient pas encore trop forts, il a fait un tour du monde en famille, avant de suivre une formation et de travailler comme coach sportif à Nyon. Le sport lui a été quasiment transmis dès le berceau: son père (Bernard) est un ancien joueur de Coupe Davis et sa mère (Maya Roth) était championne suisse de tennis avant de devenir l’une des meilleures golfeuses amateures du pays. «Le sport est le meilleur médicament, quand je marche, mon corps a l’air d’oublier la maladie», dit Yves Auberson.

Cette découverte deviendra son mantra et sa raison de vivre. En 2019, il fonde l’association Défi Parkinson, dont le but est à la fois de combattre les idées reçues et de montrer qu’une activité sportive intense permet d’atténuer les effets de la maladie et, dans le meilleur des cas, de réaliser ses rêves. Yves Auberson en fournit la preuve en traversant les Alpes en cent jours, soit plus de mille kilomètres à pied, par monts et par vaux, à coup de quatre ou cinq heures de marche quotidienne. Son fils Arnaud, 17 ans alors, étudiant en HEC, l’accompagne sur un tronçon et voit son père qui chute, qui s’écorche les jambes et se fait des entorses – mais qui se relève toujours. «J’étais comme un funambule sur la corde raide. Mais je me bats parce que je ne veux pas que la maladie prenne le dessus», sourit Yves Auberson, ajoutant qu’il est «revenu à la vie» pendant cette longue marche qui s’est terminée sur les quais de Montreux par l’accueil de ses supporters.

Le Sport Int Gr La Th Rapie

Cet incroyable exploit sportif, filmé et diffusé à la télévision en Suisse et en France, a suscité un écho formidable*. Des milliers de gens réagissent et écrivent à Yves Auberson: «Ce succès a largement dépassé mes espérances.» Le Parkinson, l’une des maladies dégénératives les plus répandues, et pas seulement parmi la population âgée, devient un sujet d’actualité et, dans la foulée, Yves Auberson est nommé coach sportif à la clinique Valmont, à Glion. Il y travaille une fois par semaine, souvent avec des patients souffrant eux aussi de maladies dégénératives. «Le sport est aujourd’hui intégré dans les thérapies, il contribue à ralentir les syndromes de la maladie. Je joue un peu le rôle de modèle et les patients me parlent facilement de leurs soucis de santé», raconte Yves Auberson, passionné par cette nouvelle activité.

De 18 1 M Dicament Par Jour

Il n’empêche qu’après la traversée des Alpes, ses médecins lui proposent une opération dite de «stimulation cérébrale profonde», afin de diminuer à la fois les symptômes de Parkinson et la quantité de médicaments qu’il est obligé d’ingurgiter chaque jour pour rester à peu près «opérationnel». Lors de cette intervention (également filmée), les spécialistes du CHUV lui implantent des électrodes dans le cerveau, permettant de délivrer des impulsions électriques sur certaines zones cérébrales, afin d’harmoniser les mouvements. «Je suis un homme réseauté», plaisante Yves Auberson en sortant son natel spécial qui lui permet d’amplifier ou de réduire le courant sur certains groupes de neurones dans le but d’augmenter ou d’inhiber leur activité et donc de privilégier soit la marche, soit la parole. Au besoin, ses médecins peuvent également ajuster le réglage des électrodes à distance.

«J’ai rajeuni de dix ou quinze ans depuis l’intervention», se réjouit l’ancien pro, dont la qualité de vie s’est nettement améliorée. La préparation des repas ne lui prend plus des heures et il fait tous ses achats lui-même. Mais Yves Auberson ne pourra plus jamais jouer au golf. «Je n’y pense même plus», dit-il simplement. Le sevrage de dix-huit médicaments à un seul par jour a été autrement plus pénible. Le combat continue donc, car sa «troisième vie» qui a débuté après l’opération nécessite un entraînement quotidien pour retrouver la fluidité de l’élocution. En d’autres termes, les tremblements ont disparu mais de nombreux mots aussi...

UN NOUVEL EXPLOIT DE 100 JOURS

Notre conversation – un bon exercice de logopédie d’ailleurs – a duré plus d’une heure. Yves Auberson m’annonce encore son grand projet pour 2023: une nouvelle expédition de cent jours, mais cette fois-ci avec un vélo à trois roues, fabriqué sur mesure en Allemagne. Le parcours est déjà esquissé sur une carte de la Suisse, accrochée au mur. Pour l’instant, le trajet n’est pas encore définitif. Mais une chose est certaine, Yves Auberson, ce compétiteur dans l’âme, n’a pas fini de se lancer des défis qui mettraient à l’épreuve tout quinquagénaire en bonne santé. Après cette rencontre marquante, j’ai soudain compris que c’est sa maladie incurable qui lui a donné la force d’aller non seulement au bout de luimême, mais bien au-delà. •

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