La gratuité c'est la liberté: plaidoyer pour un transport en commun gratuit

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La gratuité c'est la liberté Plaidoyer pour un transport en commun gratuit

Ouvrage collectif de Subvercité


Table des matières Introduction Pourquoi cette campagne ? Justice sociale et droit à la mobilité La juste part : 0 $ Qu’est-ce qui nuit au droit à la mobilité ? La gratuité pour améliorer le tissu social Améliorer nos milieux de vie : La vie sans auto Ma rue n’est pas une zone industrielle À qui la rue ? La rue vivable La désindustrialisation : No Parking ! Mon quartier n’est pas un stationnement Ma ville n’est pas une autoroute Un développement réellement durable La gratuité en pratique L'exemple de Hasselt (Belgique) Les cas français Le cas emblématique de Tallin Villes où une partie du réseau est gratuit Comparaisons internationales et historiques Luttes internationales historiques Illégalisme et gratuité pratique Financement du transport public La gratuité, un choix politique La structure du financement du RTC et son évolution Multiplicité des principes et des contributeurs potentiels Exemples d'outils alternatifs Montage financier de la gratuité du transport en commun Le coût de la gratuité Qui doit payer ? Conclusion Pour aller plus loin

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toutes les vies du jour le jour tous les coincés des paiements à rencontrer les hypothéqués à perpétuité la gang de christs qui se plaint jamais les derniers payés les premiers congédiés ils n’ont pas de couteau entre les dents mais un billet d’autobus mes frères mes frères - Cantouque des hypothéqués, Gérald Godin chanté par Pauline Julien

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Introduction Les élus sont toujours prêts à jurer, la main sur le coeur, le respect de nos droits, de l’inclusion sociale, d’une meilleure qualité de vie et d’un environnement plus sain. Lorsqu’il est le temps de passer aux actes, c’est beaucoup moins évident. La gratuité est pourtant une solution pragmatique, facile, abordable et efficace d’accomplir ces objectifs. Pour qu’une personne puisse se connecter à la communauté, se trouver un emploi ou pour visiter sa famille, bref pour avoir une vie épanouie, elle doit être en mesure d’assurer ses déplacements. On doit assurer son “droit à la mobilité”. Les villes ont cependant été développées d’une façon à favoriser les déplacements auto solo et le transport en commun est trop dispendieux. Les beaux principes entrent en collision avec cette réalité, ce qui nuit au droit à la mobilité. Les automobiles ont une importance disproportionnées dans la ville. Elles orientent toutes les politiques publiques d’envergure. Le prix du moindre coulis d’asphalte est faramineux. L’automobile pourrit la ville. Les stationnements sur rue et hors rue contribuent à créer des îlots de chaleur nuisant à la qualité de vie. Ces espaces, qui pourraient être utilisés à meilleur escient, sont consacrés à faire patienter l’auto, en pure perte, 95 % du temps. Ces zones privées réduisent la quantité d’espace disponible à des projets d’utilité publique. Soutenue adéquatement, la gratuité répond aux objectifs du développement durable. Les transports émettent beaucoup de gaz à effet de serre. Le RTCGratuit contribue à réduire ce problème en diminuant le nombre d’autos en circulation. Électrifier le RTC donnerait aussi un bon coup de main. En pratique, la gratuité fonctionne bien. Plusieurs villes l’ont adoptée à travers le monde : France, Belgique, États-Unis, Chine, Estonie… un impact notable est l’augmentation drastique de la clientèle. Historiquement, la revendication est portée par des syndicats et d’autres mouvements sociaux. Elle émerge parfois dans la foulée de plans d’aménagements urbains d’envergure (rénovation urbaine, olympiques) ou à la suite de mesures d’austérité (hausse des tarifs). D'autres collectifs autonomes contemporains en France mettent de l'avant des pratiques individuelles illégalistes, fabricants de faux billets et partageant les vrais. Ces méthodes mettent de la pression sur les sociétés de transport et les élites politiques. La contribution de la clientèle au budget du RTC étaitde 31.7 % en 2014. Il s’agit d’un chiffre arbitraire décidé par les élites politiques. Ce prix, cet argent dépensé pour acheter des billets, nuit à l’accessibilité des gens ordinaires au service. Le RTC devient de facto réservé à une partie privilégiée de la population. Ce transport, soi-disant populaire, devient un transport difficilement accessible à la classe populaire Dans les années 90, la contribution du gouvernement du Québec a beaucoup chuté, passant de 39 % en 1991 à 6 % en 2001. Cela explique, du moins en partie, le prix élevé du billet. La gratuité serait financée par des mesures fiscales faisant contribuer les bénéficiaires principaux que sont les entreprises (taxe sur les salaires), les automobilistes (taxe sur l’immatriculation et l'essence) 4


et les centres commerciaux (taxe pour le transport en commun). Le gouvernement provincial doit aussi recommencer à mieux financer le réseau. Nous pourrions obtenir 198 M$ de cette façon sans piger dans les poches de la classe populaire. Il s’agit d’une façon réaliste de financer la gratuité. Si on est honnête avec la volonté d’assurer la mobilité des gens, de contrer l’étalement urbain, de réduire la pollution et d’améliorer la vie en ville, la gratuité est une solution abordable, équitable et pragmatique. Fin 2013, le collectif Subvercité décide de lancer une campagne sur la gratuité du transport en commun. Nous vous présentons dans les pages qui suivent le résultat de nos recherches collectives pour construire l'argumentaire le plus complet possible sur la question. Nos idées sont gratuites, partagez-les ! Merci à tous les militants et militantes du RTC Gratuit.

Pourquoi cette campagne ? Pourquoi Subvercité, un collectif anticapitaliste, fait cette campagne La gratuité du transport en commun est une revendication qui va à l’encontre de la logique dominante des politiques publiques actuelles. La gratuité rompt avec la tarification, elle étend le domaine du service public au lieu de le restreindre. Revendiquer la gratuité permet aussi d’aborder des questions politiques et stratégiques plus larges. Revendication intersectorielle Il s’agit d’une revendications à la croisée des chemins, touchant à la fois la question écologique, la question urbaine et la question sociale. C’est une question rouge-verte par excellence. Revendication concrète C’est une idée réalisable puisque c’est une question de choix politique. On ne parle pas d’un concept flou et abstrait. Elle aura aussi un impact positif important sur le budget de nombreuses familles de la classe populaire. L’argent épargné pouvant être utilisé à meilleur escient. Une autorité « compétente » claire Contrairement à d’autres thèmes radicaux (la guerre, la mondialisation), dans le cas de la gratuité du transport en commun il y a une autorité compétente claire capable d’agir sur le dossier : la municipalité (avec ou sans l’aide financière des paliers de gouvernements supérieurs). C’est un élément essentiel pour établir un rapport de force. Revendication polarisante Le transport est une question polarisante à Québec. C’est pratiquement devenu un élément de démarcation gauche / droite. La radio-poubelle, en tout cas, s’en sert comme ça. On est soit de gauche et écolo, adepte de la marche, du vélo et du bus ou bien de droite et libertarien, adepte de la voiture, du 4×4 et de la moto. Sauf que, contrairement à plein d’autres dossiers où la droite populiste a le champ libre, dans ce cas-ci il y a une certaine résistance populaire. À contre-courant, intersectorielle, concrète, polarisante, c’est un mix rare. Il y a là un énorme potentiel fédérateur pour lancer un mouvement social sur une base anticapitaliste de masse. 5


Justice sociale et droit à la mobilité

Le transport en commun est un service public qui devrait être gratuit, parce que c'est l’application d’un droit : ​le droit à la ville​. De nombreuses catégories de personnes font face à des obstacles dans leur quête de biens, de services et d’emplois. La FTQ dans Transport collectif et urgence d’agir1, publié en 2005, définit le principe du « droit à la ville » comme étant « le droit des citoyens à accéder pleinement à la ville contemporaine, c’est-à-dire à une ville ouverte, variée et multiforme, aux modes d’habitat diversifiés, aux emplois multiples, aux pratiques hétérogènes, aux cultures nombreuses ». Pour que ce ​Droit à la ville​ puisse véritablement s’exercer, il faut jouir du ​droit à la mobilité​. Ce droit à la mobilité est encore à définir à travers le monde. Dans un camp de réfugiés, par exemple, on n'évoque guère le droit à la mobilité de la même façon. Dans toutes les sociétés, se déplacer dans les villes, vers les villes et hors des villes est une nécessité pour accéder à la plupart des biens et des services. Les transports sont donc désormais indispensables pour l’accès au logement, au travail, à l’éducation, à la culture, à la santé, aux loisirs, à l’autonomie des individus et à la vie collective. Or, lorsqu’il s’agit du transport en commun, le droit à la mobilité est ENCORE directement lié à la capacité de payer. Les restrictions à la mobilité nuisent au droit à l'éducation, à la santé, à l'accès à l'emploi et sont un facteur d’exclusion sociale. Faute de se payer l’autobus, certaines personnes sont contraintes à rester confinées dans leur logement.

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​Transport collectif et urgence d’agir​, FTQ, 2005.

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Le droit à la mobilité est déjà inscrit dans la Charte mondiale du droit à la Ville2 : Les villes garantissent le droit à la mobilité et à la circulation dans la ville basé sur un système de transport public accessible à tous, […] à un tarif raisonnable adapté aux revenus de tout un chacun. – Article XIII. Droit à la mobilité et aux transports publics.

La juste part : 0 $ Le seul tarif qui nous semble raisonnable, c’est la gratuité. Elle profiterait, d’abord, aux personnes plus démunies, aux personnes aînées, aux étudiantes et étudiants et même à la classe moyenne compte tenu de l’effritement socio-économique en cours. L’Enquête Origine-Destination de 20113 démontre que 77 % des gens de Québec se déplacent en auto, 8 % en transport collectif, 5 % en autres motorisés, 9 % à pied et 1 % en vélo. Au début des années 2000, l’​Institut pour la ville en mouvement​, une sorte de think thank écolo parisien lié à Peugeot Citroën, met la question du « droit à la mobilité » dans sa charte fondatrice : « pouvoir se déplacer dans nos sociétés urbanisées est devenu indispensable. Les droits au travail, au logement, à l’éducation, aux loisirs, à la santé, etc., passent ainsi par une sorte de droit générique ​qui commande tous les autres, le droit à la mobilité. »

Cette question était moins celle d’un « droit ​de​ » circuler que celle de la mise en œuvre d’un « droit à​ » l’accès aux ressources diversifiées dont les individus ont besoin pour se construire. Retenons bien ici « ​droit générique​ », c’est à dire un droit qui en amène d’autres, dont les droits au travail et à la santé. Il s’agit donc d’un droit à double dimension : 1. Pouvoir circuler librement. 2. Avoir les moyens de se déplacer. 2 3

​Charte Mondiale pour le Droit a la Ville​, Forum Social des Amériques, 2004. ​Enquête Origine-Destination​, Communauté métropolitaine de Québec, 2011.

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Qu’est-ce qui nuit au droit à la mobilité ?

Source : Raoul Lithium La question des transports dans notre société est un sujet complexe, les déplacements sont directement liés aux modes d’organisation sociale et économique. De nos jours, les activités quotidiennes exigent des déplacements dans des endroits de plus en plus éloignés et à des rythmes effrénés. Ainsi, une personne bien intégrée parcourt chaque jour plusieurs kilomètres et doit le faire très rapidement. Une question revient souvent dans les offres d’emploi : doit pouvoir se déplacer, doit avoir une voiture. La mobilité, aujourd’hui, c’est la norme. Revendiquer le droit à la ville, donc le droit à la mobilité, signifie qu’il y a une forte pression sociale pour être mobile. L’agencement des villes actuelles, organisé autour de grands axes autoroutiers, ne favorise pas les services, le commerce, ni les emplois de proximité. C’est le contraire de la densification. Pour les populations marginalisées, [sur le plan économique en vertu de l’exclusion sociale] il est impératif d’avoir accès à une voiture ou aux transports collectifs pour se déplacer. L’offre en transports publics est mal adaptée aux besoins de la population des quartiers centraux et pauvres, dans lesquels sont surreprésentés les jeunes, les familles nombreuses et les sans emplois. Pareil pour 8


les travailleurs et travailleuses aux emplois peu qualifiés et aux horaires décalés, au contraire des employé-e-s desservi-e-s par les horaires des bus suivant les “heures de pointes”. Quand les transports collectifs existent, leur coût élevé restreint les possibilités de déplacement pour les personnes à faibles ressources. C’est un cycle : moins de revenu, moins de personnes dans les transports en commun, et donc moins de service dans les quartiers défavorisés, ce qui cause l’enfermement des populations y résidant. Ce sont les personnes dont les revenus sont plus faibles qui rencontrent le plus de freins à la mobilité. Cela réduit les chances de trouver un emploi, de se former, de se soigner, de rencontrer des ami-e-s, de se distraire, bref d’avoir une vie sociale riche, épanouissante et structurante. Il est plus difficile de s’émanciper. Revendiquer le droit à la ville amène à nous demander comment favoriser la mobilité pour le plus grand nombre ? Favoriser l’accès à la mobilité est indispensable à l’insertion des populations en difficulté et le renforcement du lien social. Car, à l’évidence, tout le monde n’est pas égal devant la mobilité ! En transport, on identifie 4 types d’exclusion sociale 1. Spatiale ​: ne peut accéder au lieu où on désire se rendre. Le transport en commun ne va pas partout. 2. Temporelle ​: ne pas pouvoir se rendre à destination dans un délai raisonnable. Le transport en commun à Québec, est plus lent qu’à peu près tous les autres moyens de transport. 3. Financière ​: ne pas avoir l’argent nécessaire à son déplacement. À Québec en 2017, le laissez-passer mensuel du RTC coûte 57 $ pour les étudiantes et étudiants, 85,60 $ pour le général et 52 $ pour les personnes âgées. Ces tarifs augmentent chaque année. Pour une famille de deux enfants et deux adultes, un aller-retour peut représenter 20 $ à 28 $ la sortie. Souvent, il devient plus avantageux de louer une voiture avec Communauto ! 4. Personnelle ​: il y a des handicaps ou problèmes qui empêchent d’utiliser différents moyens de transport. La revendication de la gratuité du transport en commun aura un impact bénéfique pour le service de transport adapté du RTC. D’autre part, les situations d’exclusion sociale sont multiples et présentent des points communs dont certains sont plus connus, comme les difficultés d’accès au logement, tandis que d’autres le sont moins. C’est le cas des obstacles rencontrés dans les pratiques de mobilité de la vie courante : courses à la recherche d’emploi ou à des soins de santé ou encore pour la garde des enfants ou pour les commerces d’alimentation, les pharmacies et les autres nécessités. La question de la mobilité n’est donc pas qu’une question de transports mais est aussi une question de droit – au même titre que le logement – qui doit être prise d’autant plus au sérieux que dans notre société le manque de moyens de déplacement peut devenir un important facteur d’exclusion sociale, économique et même politique.

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La gratuité pour améliorer le tissu social

Source : Accès Transport Viable La mobilité des individus favorise leur inclusion sociale. Cela leur permet de se relier à leur famille et leurs amis ainsi que d’avoir accès aux institutions et aux différents services de la société, que ce soit les centres communautaires, les bibliothèques publiques, les ressources de soutien, tels les centres de femmes et les organismes communautaires. Cela augmente aussi le sentiment de faire partie d’une collectivité. Côtoyer « son monde » a des impacts sur la santé psychologique des individus ! L’inaptitude à la mobilité, qu’elle résulte d’une absence d’automobile et/ou de transports publics adaptés aux besoins, de la difficulté à pratiquer les moyens de transport ou de l’espace, ou encore d’une méconnaissance des ressources offertes par certains territoires voisins, se traduit par une difficulté d’appropriation de l’espace et constitue un handicap empêchant de mener une vie normale. C’est ce que certains experts nomment la « trappe d’immobilité ». La gratuité du transport en commun serait une solution novatrice pour améliorer la mobilité des populations défavorisées. Québec est une ville qui privilégie la voiture, et cette culture met le transport individuel au centre du concept de mobilité, en plus de la faire dépendre d’un accès (inégal) à un bien de consommation, donc du pouvoir d’achat, ou de l’accès au crédit. L’enjeu du transport lui, est un problème collectif – et non individuel – dont les racines sont systémiques, il faut des systèmes de transport adaptés aux besoins des populations vulnérables. L’accessibilité au transport en commun dans la lutte contre l’exclusion sociale est un enjeu majeur. Pour les personnes les plus pauvres le transport en commun n’est plus un choix et son inaccessibilité a des effets négatifs sur de nombreux autres aspects de leurs vies. La disparité en mobilité contribue au maintien des plus démunis dans la pauvreté. L’éparpillement des lieux d’emploi diminue l’accès à la mobilité et aux opportunités. Les emplois qui demandent peu ou pas de qualifications (et qui pourraient aider des personnes peu ou pas diplômées à sortir de la pauvreté) sont souvent situés en périphérie des villes, ou dans des zones industrielles peu ou pas 10


desservies par le transport en commun. Ces emplois à petits salaires forcent l’achat et l’entretien d’une voiture, ce qui alimente l’endettement, donc la spirale de la pauvreté. Il y a aussi un enjeu d’iniquité dans l’accès aux ressources : on dépense beaucoup plus en infrastructures routières, qui profitent aux automobilistes, qu’en transport en commun, pistes cyclables et aménagement piétonniers. Depuis les années soixante-dix, le gouvernement du Québec s’est largement désinvesti du financement des transports publics. Et ça continue. Ces dernières années, la détérioration des conditions de vie des personnes vivant en situation de pauvreté est devenue fort inquiétante au Québec. L’augmentation dramatique de la fréquentation des banques alimentaires en est un exemple probant. Mais l’impossibilité pour de plus en plus de personnes de se déplacer en est un autre moins connu puisqu’il est moins visible mais a des effets importants sur la situation des personnes. L’immobilité qui leur est imposée pousse à l’isolement ainsi qu’à l’exclusion sociale et économique. Plus on se retrouve en situation de pauvreté, plus on a de la difficulté à avoir accès au transport et à se déplacer. La gratuité du transport en commun est une mesure d’équité et de justice sociale. Certes, cela n’effacerait pas d’un coup de baguette magique tous les stigmates de la pauvreté chez les individus concernés, mais vu que toute tarification constitue un frein à l’utilisation du service public, la gratuité est une mesure d’égalité et d’universalité qui, s’appliquant à tous et toutes, rétablit ainsi l’équilibre social. De plus, avec l’affluence accrue dans le transport en commun, cela aurait d’autres avantages qui seront abordés plus loin. Pour en savoir plus ● La mobilité durable passe par le droit à la mobilité!​ Mémoire présenté par la TROVEP de Montréal en juin 2013. ● Dix ans de droit à la mobilité, et maintenant​, Jean-Pierre Orfeuil. ● Charte mondiale du Droit à la ville. ● Déclaration universelle des droits de l’Homme​. ○ Article 13​ : Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. ○ Article 23 : Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. ○ Article 27 : Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent.

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Améliorer nos milieux de vie : La vie sans auto Ma rue n’est pas une zone industrielle

Réclame ta rue 2007, source : Neonyme Pendant le vingtième siècle, et surtout depuis la Seconde Guerre mondiale, la révolution industrielle envahit nos rues. Toutes sortes de véhicules et appareils carburants au pétrole, camions, automobiles, motos, et machines de construction et d’entretien, s’imposent dans l’espace public, jusqu’aux petites ruelles de nos quartiers résidentiels.

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Cette machinerie bruyante, polluante et dangereuse a changé notre rapport avec la rue. La ​rue industrielle​ permet des activités et des comportements que personne ne permettrait à l’intérieur de sa demeure. Dans une résidence, l’automobile n’a pas sa place: le bruit et la pollution en sont exclus. Cette distinction entre la qualité de vie à l’intérieur de nos logements et le manque de qualité à l'extérieur est acceptée et considérée comme inévitable dans une ville dite « moderne ». Au nom de cette modernité, nous tolérons dans la rue ce qui est intolérable dans un domicile. Quoi qu’on en dise, les murs de nos logements ne sont pas étanches. La pollution de l’air s’invite dans nos poumons, même dans nos chambres à coucher. Les résidents et résidentes ne sont jamais à l’abri des effets néfastes de l’industrialisation de la rue.

À qui la rue ? Le transport industrialisé empêche plusieurs types d’activités dans la rue. En 2012, lors des manifestations étudiantes, la police effectuait des arrestations massives pour « entrave à la circulation routière », en évoquant, à Québec, l’article 500.1. Un policier de Sherbrooke témoignait : « … les automobilistes … devenaient très, très intolérants et impatients… » – Rapport de la Commission spéciale d’examen des événements du printemps 2012, Ministère de la Sécurité publique du Québec, mars 2014, p.139. Il n’y a pas que les protestataires qui dérangent les automobilistes: piétons, cyclistes, calèches, nids de poule, chantiers de construction, animaux, oiseaux et même les autres automobiles. Tout ce qui n’est ​pas the open road​ est considéré comme une atteinte à leur liberté de se promener n’importe où, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, pour n’importe quelle raison. La liberté des automobilistes laisse peu de place pour les autres. Tant et aussi longtemps que le transport industrialisé battra son plein, la rue restera un lieu de danger, de bruit et de contamination où votre vie humaine ne peut atteindre son plein essor.

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La rue vivable

Source : Accès Transport Viable La démarche à suivre pour améliorer la qualité de vie dans la rue n’est pas mystérieuse. Il suffit de repenser la rue comme le prolongement de notre vie résidentielle plutôt qu’un monde à part. Il suffit d’étendre la qualité de vie qu’on trouve dans nos résidences pour que la rue devienne aussi vivable qu’une maison, une zone vraiment résidentielle, un lieu de vie partagé, une terrasse communautaire. La gratuité du transport en commun élimine le prétexte central pour la forte industrialisation de la rue : l'obligation de se déplacer en automobile.

La désindustrialisation : No Parking ! Avec la gratuité du transport en commun, la collectivité se donne la chance de réaménager ses espaces publics. Si l’automobile n’est plus essentielle, tout ce qui vient avec l’automobile ne l’est pas non plus. En commençant par le stationnement. Avec un gros P majuscule, on invite le conquérant à parquer son char. Néanmoins, cela suscite des inquiétudes. Les questions de zonage et de parcomètres défraient les manchettes, et il y a énormément de règles balisant le stationnement: interdit, privé, réservé aux clients/résidents/détenteurs de vignettes.

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Sur l’Avenue de Salaberry, à côté de l'église St-Patrick, il faut avoir la foi : « STATIONNEMENT PRIVÉ. STRICTEMENT RÉSERVÉ AUX USAGERS DE L’ÉGLISE ». Le paradis, ce n’est pas pour tout le monde. Remorquage à vos frais. Une automobile, en moyenne, passe ​95 % de sa vie garée​ quelque part4. Sur 24 heures, l’automobile ne roule pas beaucoup. La plupart du temps, elle occupe patiemment une place de stationnement. On estime entre 4 et 5 le nombre de cases de stationnement qui existe au Québec pour chaque automobile. Autrement dit, au moins le trois quarts des places de stationnement existantes sont vides à tout moment. La croissance du parc d’automobiles entraîne une croissance parallèle du nombre de cases de stationnement. Le coût d’entretien des 12 millions de places de stationnement existantes, et le coût de construction de 200 000 nouvelles places par année, dépassent même les coûts du réseau routier5. Le taux d’utilisation de l’automobile n’est que de 5 %, et le taux d’utilisation de la case de stationnement, entre 20 % et 25 %. Ces taux sont très bas, compte tenu des investissements importants. Même en roulant, en moyenne il n’y a que 1,3 personnes à bord. Le gaspillage saute aux yeux.

Mon quartier n’est pas un stationnement La prolifération des cases de stationnement, surtout dans nos quartiers centraux, est un véritable fléau. Les stationnements existent principalement à cause du faible taux d’utilisation des automobiles, c’est-à-dire pour ​soutenir le gaspillage​. La ville est inondée de toutes sortes d’automobiles, stationnées tout autour de nous, qui sont largement inutiles parce que réservées à l’usage exclusif de leurs propriétaires. Ce sont aussi des sources d’îlot de chaleur. Ces précieux espaces sont soustraits à l’usage public. Combien de précieux parcs, de jardins, de potagers ou de logements pourraient y être érigés à la place ? Et tant de trucs encore Qui dorment dans les crânes Des géniaux ingénieurs Des jardiniers joviaux Des soucieux socialistes Des urbains urbanistes Et des pensifs penseurs - Je voudrais pas crever, Boris Vian

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​Mondial de l’auto : pourquoi la voiture (telle qu’on la connaît) va disparaître​, Rue89, septembre 2012. Bergeron, Richard, L’Économie de l’automobile au Québec, Les éditions HYPOTHÈSE, 2003, pp.35-38.

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Ma ville n’est pas une autoroute

Réclame ta rue 2007, source : Néonyme Nous devons refuser de subventionner l’élargissement des autoroutes et autres mesures favorisant l’étalement urbain et l’augmentation du traffic automobile. Il faut exiger que nos gouvernements cessent de gaspiller nos fonds publics afin d’encourager les automobilistes. Surtout pour les jeunes travailleurs et travailleuses et les personnes à faible revenu, la construction, l’entretien et l’élargissement des autoroutes n’est pas une priorité. Quand on a de la difficulté à joindre les deux bouts et qu'on peine à trouver un logement abordable, il est agaçant de constater les centaines de millions de dollars gaspillés avec pour seul objectif de plaire aux automobilistes. Sans parler de la corruption dans l’industrie de la construction.

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Un développement réellement durable Le développement durable du transport passe par un secteur public gratuit Quoique la gratuité du RTC est ​a priori​ un geste financier, elle n'est pas sans conséquences pour le développement durable. En changeant les règles de tarification, la collectivité se met dans une bien meilleure posture pour effectuer une transition vers un développement vraiment durable. Nous justifions la gratuité du transport en commun en fonction des discours que les gouvernements ont eux-mêmes développés sur le développement durable. Cette notion est sujette à caution; après tout, il s'agit encore et toujours de développement et de croissance d'une économie fondée sur l'exploitation de la nature. Nous pourrions plutôt valoriser la décroissance de l'économie et l'utilisation accrue des transports actifs (vélo, à pieds, etc) et des transports collectifs. Néanmoins, nous comptons démontrer ici que si l'objectif de la Ville de Québec est de faire du développement durable, la gratuité devrait être sa priorité dans le domaine du transport.

La définition du développement durable Selon le « rapport Brundtland »6, le développement durable est décrit comme étant « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. » Cette grande idée tente de mettre en équilibre nos besoins et les besoins des personnes futures. Il incombe à nous, les générations vivantes, de veiller aux besoins des générations futures et de faire en sorte que leurs besoins fassent partie de nos plans et calculs. La gratuité du RTC est-elle conforme à cette orientation ? Oui, car : ● elle répond aux besoins du présent,; ● en comparaison à notre dépendance actuelle à l'automobile, elle a moins tendance à compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs besoins. C'est un pas dans la bonne direction. La gratuité du RTC, peut-elle nuire à cette orientation ? Cela est possible si, par exemple, la gratuité venait avec une diminution de service, de fréquence ou de qualité, de sorte que l'automobile reste incontournable pour la majorité de nos déplacements en ville. Ou si, par exemple, la direction du RTC continue de traîner de la patte en matière d'électrification. Toute seule, la gratuité du transport en commun n'est pas une solution miracle. Elle doit faire partie d’une gamme de politiques qui, dans leur ensemble, créent un système de transport durable.

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[1] ​Our common future, World Commission on Environment and Development​, Oxford University Press, 1987.

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Social - environnement - économie

Source : Crédit agricole immobilier Il est habituel de diviser les enjeux en trois grandes catégories: le social, l'économique, et l'environnemental. Le développement durable, c'est l'équilibre entre ces trois types de réflexions. On espère léguer aux générations futures une société, une économie et un environnement en équilibre les uns avec les autres afin que les besoins sociaux, économiques et environnementaux soient tous comblés. En quoi la gratuité du RTC répond-elle à cette vision du développement durable ? Commençons par le social. Comme indiqué précédemment, la gratuité du RTC abonde dans le sens de l'accessibilité sociale au transport basée sur les besoins des usagers. L’accès au transport en commun n'est nullement conditionné par les moyens financiers. De par l’universalité de son accessibilité, c'est plus équitable. Sur le plan économique, la gratuité du RTC peut aussi être considérée comme une option plus efficace, puisqu'elle permet une allocation optimale des ressources. Enfin sur le plan environnemental, la gratuité du RTC encourage les gens à délaisser l'automobile, ce qui est évidemment bon pour l'environnement, bien que cette dimension du développement durable soit pour l'instant négligée par la politique de transport de la Ville.

Les transports en commun et les émissions de gaz à effet de serre En 2012, les transports étaient responsables de 44,7 % des émissions totales de gaz à effet de serre du Québec. La majeure part de ces émissions (59 %) est liée au transport de personnes, et non au transport de marchandises. 18


Pour améliorer le bilan du transport des personnes, ​Vivre en ville​ souligne qu'opérer une substitution énergétique en remplaçant les véhicules individuels à essence par des véhicules électriques ou réduire la consommation de ces véhicules ne pourra suffire. Un rôle important d’une société de transport est de mettre en oeuvre des méthodes pour augmenter son utilisation par rapport à l’automobile. C’est déterminant pour réduire significativement l’émission de gaz polluants7.

Améliorer l'efficacité énergétique du transport en commun Les performances environnementales du transport en commun peuvent être décuplées si on ne recourt pas uniquement à l'autobus. Ainsi, à Montréal, grâce à la part importante du métro (60 %), les transports en commun ne génèrent que 0,05 kg de CO2 par km en moyenne. Par ailleurs, l'électrification du transport par autobus peut aussi contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre. D'ailleurs le gouvernement du Québec a formulé d'ambitieux objectifs à ce sujet dans son Plan d'action 2011-2020 sur les véhicules électriques8 : 95 % des déplacements en transport collectif devront recourir à l'électricité d'ici 2030, entre autres grâce à l'utilisation d'autobus hybrides et à la réduction de l'utilisation du moteur diesel. Notons néanmoins que l'électrification des transports, aussi louable soit-elle, ne résout pas tous les problèmes environnementaux liés au transport. Se pose ainsi par exemple la question du recyclage des batteries et de la production de l'électricité elle-même. Ainsi un développement réellement durable ne saurait se faire sans une réflexion sur notre mode de développement urbain, de la densification de nos milieux de vie et de notre utilisation du territoire. Actuellement, les politiques de transport favorisent le secteur privé de l'économie et l'usage individuel des moyens de transport. Pourtant, les ressources de la planète ne sont pas infinies et le profit du secteur privé est inévitablement le résultat de l'exploitation de ressources limitées et de la pollution de l'environnement. Dans cette perspective, la gratuité du RTC est un geste du secteur public qui permet : ● de limiter l'exploitation de ressources non renouvelables et la pollution de l'atmosphère; ● de repositionner le transport du côté du secteur public. On « dé-privatise » le transport et on élimine le profit. Plus les gens se déplacent par le transport en commun, moins le secteur privé a le champ libre de gaspiller, polluer et nuire aux générations futures.

Le coût du pétrole Miser sur le pétrole occasionne des coûts importants. Un rapport du Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec estime que le Québec pourrait réduire de 20 milliards de dollars les dépenses en essence et en véhicules importés en combinant 3 mesures : ● Développer un transport en commun efficace; ● Augmenter l’électrification des véhicules; ​Eco-comparateur - ADEME​, Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie. ​Québec rouleà la puissance verte! Plan d’action 2011-2020 sur les véhicules électriques​, Gouvernement du Québec, 2011. 7 8

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● Mettre une taxe sur les véhicules énergivores et un rabais pour les véhicules écoénergétiques. Cela permettrait aussi la création de dizaines de milliers d’emplois, de réduire le déficit commercial et de dégager de nouvelles recettes9. De plus, l’industrie pétrolière est largement subventionnée10. Selon un rapport du FMI, 4 % des recettes de l’État sont consacrées à des subventions à l’énergie, ce qui correspond à 787 $ par personne, par année. Selon une étude menée à Vancouver, chaque dollar mis dans une voiture engendre une dépense de la société de 9,20 $11.

Source: What is the full cost of your commute?, Discourse, 26 mars 2015 Et si on ajoute à cela toutes les externalités reliées à l’exploitation des hydrocarbures telles que la pollution, les troubles de santé, les subventions et la guerre au moyen-orient, on commence à prendre la juste mesure du statu quo. Notre dépendance au pétrole nous coûte des milliards de dollars.

​Vingt milliards de dollars de plus en six ans​, RNCREQ, 2014. ​Transport : qui subventionne qui ?​, traduction d’un texte de carbon49, 2014. 11 ​What is the full cost of your commute?​, Discourse, 26 mars 2015. 9

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Le bus, plus cher qu’un char En théorie, le bus est le transport privilégié de la classe populaire à cause de son prix. Il est économique. Sauf qu’à Québec ça ne tient pas la route. Louer une voiture y est souvent moins cher. Comparons les coûts et les temps de deux méthodes de transport : La méthode Communauto, entreprise privée offrant des automobiles en libre partage, et notre bon vieil autobus. Les estimations de temps suivantes proviennent de Google maps et sont celles d’un jour de semaine à 8 heures du matin. Le forfait économique de Communauto est de 40 $/an avec un dépôt de 500 $ à vie remboursable. Les prix du RTC sont calculés au billet. 1 billet (3,50 $) allez-retour (x2) = 7 $. Les trajets ● Trajet A : 12 km c’est la distance entre l’Assemblée Nationale et Place Laurier allez-retour. ● Trajet B : 12 km c’est aussi la distance entre l’Assemblée Nationale et le Bal du Lézard à Limoilou, mais en restant dans la zone Auto-mobile. Rester dans cette zone permet de payer pour le temps de déplacement seulement, mais pas pour le délais de parking. ● Trajet C : 20 km c’est la distance entre l’Assemblée Nationale et les Galeries de la capitale allez-retour.

Comparaisons des prix de Communauto et du RTC RTC

Communauto forfait économique

Communauto Auto-mobile

Trajet A - 1 heure - 1 personne

7$ 52 minutes

7,77 $ 24-52 minutes

12 $ 14-20 minutes

Trajet A - 1 heure - 2 adultes, 2 enfants

20,80 $

7,77 $

12 $

Trajet B - 3 heures - 1 personne

7$ 46 minutes

13,47 $ 20-44 minutes

9,60 $

Trajet B - 3 heures - 2 adultes, 2 enfants

20,80 $

13,47 $

9,60 $

Trajet C - 3 heures - 1 personne

7$ 1 heure 30

16,75 $ 24-44 minutes

36 $ 24-44 minutes

Trajet C - 3 heures - 2 adultes, 2 enfants

20,80 $

16,75 $

36 $

Source: Communauto, Google maps et RTC, mai 2017. Dans plusieurs cas, Communauto est un service moins cher que celui du RTC. Et il est en tout temps plus rapide. Bref, il y a quelque chose qui cloche. Le transport public est trop dispendieux. 21


La gratuité en pratique Depuis la fin des années 1990 et la mise en place d'un transport public gratuit à Hasselt (Belgique) le nombre de villes appliquant cette politique ne cesse d'augmenter.

L'exemple de Hasselt (Belgique)

Source : Wikipédia Hasselt, une ville de 74 000 habitants située en Flandres, a mis en place une politique de gratuité des transports publics entre 1997 et 2014. Cette politique a été accompagnée d'un réaménagement de la ville : réduction des voies de circulation et diminution des places de stationnement. Cette politique a été financée par la ville. Avant la gratuité, 75 % du transport était financé par la région et 25 % par les recettes commerciales. La commune a donc compensé la perte monétaire causé par la fin de la vente de billets. Les retombées ont été positives : ● elle a été un « outil publicitaire de premier choix »; ● elle a dynamisé le centre-ville et revalorisée sa fonction commerciale, « la Hoogstraat, principale artère du centre-ville, attire chaque semaine 160 000 personnes — contre 230 000 12 pour le Meir, son équivalent à Anvers, municipalité pourtant presque dix fois plus peuplée » ​ . Le 1er mai 2014 la municipalité a mis fin au projet. Désormais seuls les jeunes, les personnes âgées et les personnes fragilisées socialement bénéficient toujours d'un accès gratuit. Les autres paient 60 centimes d'euro (un peu moins d'un dollar) le billet. 12

Rôle pilote des villes moyennes​, Monde Diplomatique, 2012.

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Les cas français Sept villes françaises de plus de 40 000 personnes ont une politique de transport en commun gratuit : Aubagne, Châteauroux, Castres, Compiègne, Muret, Vitré et Gap. Nous nous intéresserons ici au cas d'Aubagne et de Châteauroux.

Aubagne

Source : Wikipédia Cette ville de la banlieue de Marseille, d’une population de 104 000 personnes, a mis en place une politique de transport gratuit depuis 2008 sous le slogan : « liberté, égalité, gratuité ». L’initiative a été mise en place par un conseil municipal dirigé par une alliance PCF (communiste), PS (socialiste) et Modem (centre droit).

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Dans les six premier mois, le nombre d'usagers a augmenté de 70 % et entre 2008-2011, de 146 % . Cette gratuité a attiré des nouveaux usagers : les jeunes de moins de 18 ans et les personnes non-captives (celle possédant un véhicule motorisé).

Châteauroux Cette ville du centre de la France, dont la population s’élève à 76 000 personnes, a instauré la gratuité en 2001 sur une initiative d'un conseil municipal UMP (droite). Le but de cette politique était de dynamiser l'économie locale, notamment les commerces du centre-ville. En 10 ans, le nombre d'usagers a augmenté de 208 %. Plus de la moitié des usagers ont des revenus inférieurs à 1100 euros 14 (le revenu médian en France en 2014 était de 1675 euros par personne ). Un nouvel usager du transport en commun sur 10 n'utilisait pas les transports publics en raison du prix. Dans les deux cas, ​le financement​ s'est fait par une augmentation de la contribution « versement transport » payée par les entreprises privées et publiques situées sur le territoire employant plus de 9 personnes. Désormais à Aubagne cette part représente 1,8 % de la masse salariale, alors qu'à Châteauroux, elle est de 0,6 %. S'ajoute à cela une ponction limitée au budget général de la collectivité. Qu’en est-il de la qualité du service ? A Châteauroux, on a constaté une ​dégradation​ de la propreté, des bus bondés, et une baisse de la ponctualité. En revanche, les conditions de travail des conducteurs et conductrices s'est améliorée par 15 la disparition du stress lié à leur ancienne fonction de contrôle des billets .

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Ces villes qui expérimentent les services publics gratuits​, Bastamag, 2012. Derrière le salaire moyen, de fortes disparités​, Le Figaro, 2014. Rôle pilote des villes moyennes​, Le Monde Diplomatique, 2012.

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Le cas emblématique de Tallin

Source : Wikipédia Les transports en commun de la Capitale de l'Estonie sont gratuits depuis 2013. C'est la première ville d'une telle importance (426 000 personnes) et la première capitale à mettre en place une telle politique. La gratuité n'a été introduite qu'à l'issue d'un référendum au cours duquel 75,5 % de la population a voté pour le système de gratuité et 24,5 % contre. La nouveauté de la mesure empêche encore une réflexion d'ensemble, mais quelques chiffres ont été 16 avancés pour le premier trimestre de 2013 : ● les embouteillages ont diminué de 15 %; ● la circulation automobile a diminué de 9 %; ● le nombre d’usagers a augmenté de 12,6 %. ○ 10 000 nouvelles personnes ont déménagé en ville depuis la gratuité (Pour 1 000 nouvelles domiciliations, la ville reçoit environ 1 million d'euros supplémentaires par an en recettes fiscales). 16

Study on Strategic Evaluation​ on Transport Investment Priorities under Structural and Cohesion funds for the Programming Period 2007-2013, Estonia, 2006.

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Villes où une partie du réseau est gratuit A ​Chengdu ​(9,2 millions de personnes), ville du centre de la Chine, 44 lignes de bus sont gratuites et l'ensemble du réseau (dont une ligne de métro) est gratuit entre 5 et 7h du matin. A ​Miami ​(ville de 400 000 personnes et agglomération de 5 500 000 personnes) le ​metromover​ (4 lignes de métro) et les trolley (tramway-car) sont gratuits. Ces réseaux sont surtout concentrés dans le centre-ville. Il existe de nombreuse autres villes dont une partie de leur transports en commun gratuit. Pour plus d'informations ● carfree.fr La vie sans voiture(s) ● Fare Free Public Transport​ | Home of the global movement for a free public transport

Comparaisons internationales et historiques Si l’enjeu de la gratuité du transport collectif connaît un relatif regain ces dernières années, cette revendication s’inscrit aussi dans les revendications du mouvement ouvrier et populaire des années 1970. Ces luttes sont relativement disparates et il n’est pas dit qu’il y ait un lien direct entre les luttes en faveur de la gratuité et l’obtention de la gratuité. En cela, les mouvements sociaux en faveur de la gratuité sont surtout des éveilleurs de conscience qui ont parfois obtenu quelques gains pratiques et permis des gains indirects comme la réduction des tarifs. Par exemple, alors que de chaudes luttes politiques se sont déroulées dans les grandes villes, à Montréal et Marseille notamment, c’est plutôt dans des villes voisines que la gratuité a été obtenue. Il est notable que les mouvements contestataires de grande ampleur ont surtout été le fait d’une combinaison de circonstances et de revendications dont la gratuité n’était qu’un aspect : les luttes contre les rénovations urbaines, contre le délire sécuritaire, contre de fortes hausses de tarifs ou l’allongement du temps de déplacement sont toutes des revendications qui, combinées à des mouvements contestataires populaires ou ouvriers sociaux-démocrates, communistes ou libertaires, ont permis de faire sortir la gratuité de sa marginalité.

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Luttes internationales historiques Angleterre En Grande-Bretagne, le thème de la gratuité de transport collectif fait son apparition dès 1954 avec l’intervention d’administrateurs et d’administratrices, de député-e-s, de militants et militantes anarchistes et de profs afin d’inciter leurs compatriotes à prendre le train et de régler la congestion croissante du réseau routier. C’est une période particulière pour Londres, métropole mondiale, alors que commence la désindustrialisation de la ville, la mutation de la politique municipale avec la fondation d’un organisme de gestion du grand Londres (similaire à l’ancienne Communauté urbaine de Montréal, dysfonctionnelle) et la décentralisation du transport en commun par le ministère du Transport vers une agence municipale. La politique urbaine de Londres est alors similaire à ce dont souffrent Québec et Montréal dans les années 1960 et 1970. En effet, le Greater London Council fantasme le développement du Grand Londres : agrandissements des voies, construction de quatre autoroutes et destruction de quartiers. La réaction populaire ne se fait pas attendre avec le regroupement d’associations et le lancement de la campagne ​Homes Before Roads​ qui présente en vain des candidatures lors des élections municipales de 1970 (le système bipartisan britannique s’exprime aussi au municipal sauf que le maire est élu au suffrage universel à Londres). Ce mouvement s’oppose aux rénovations urbaines et propose comme alternative la gratuité du transport à titre de projet structurant. L’échec de ce mouvement permet tout de même au thème de la gratuité d’être repris dans le Livre vert publié par le conseil du Grand Londres. Ce livre consacre 11 de ses 135 paragraphes à critiquer la gratuité ! La campagne ​Homes Before Roads​ continue son chemin et critique ce même Livre vert en soulignant entre autres deux éléments : 1. Ce ne doit pas être l’impôt qui finance le transport, mais plutôt les taxes sur l’automobile; 2. Tout investissement dans la gratuité ne fait que réorienter, transférer les coûts dans les ressources déjà existantes de la communauté. Néanmoins, les autorités municipales privilégient la hausse des tarifs au début des années 1970, ce qui favorise la décroissance de l’utilisation du transport collectif. Les Travaillistes qui prennent le pouvoir par la suite annulent une grande partie des projets d’autoroute, tandis que l’élection au niveau municipal de Ken Livingstone (dit Ken le rouge) à Londres s’accompagne du gel ou même la baisse (de 10 à 32 %) des tarifs à Londres et dans six autres agglomérations anglaises. Cette fois-ci, la réaction va être du côté du nouveau gouvernement conservateur de Margaret Thatcher qui procède à des réformes drastiques : ● fermeture du gouvernement métropolitain dirigé par Ken Livingstone (qui ne sera refondé qu’en 1999) ● déréglementation du transport collectif. La défaite est pleine et entière de ce côté (les mineurs y goûteront bientôt) et le régime néolibéral est installé pour des décennies. La lutte contre l’automobile reprend en 1994 avec le mouvement ​Reclaim the Street​ dans un environnement festif inspiré de la sous-culture rave. Fait notable, ce phénomène 27


de lutte éphémère s’identifie beaucoup plus au vélo qu’au transport collectif comme moyen de transport symbolique.

Reclaim the streets 1995, Londres, 1995. Ce type d’expérience sera théorisé sous la notion de « Zone d’autonomie temporaire » par Hakim Bey et plusieurs Réclame ta rue seront organisées à Québec dans les années 2000 avant d’être réprimés par les forces de l’ordre.

Réclame ta rue 2007, source : Neonyme 28


Brésil Le cas du Brésil est un autre cas exemplaire qui a ceci de différent qu’il s’agit d’un mouvement de masse avec de grosses mobilisations qui ont été initié il y a déjà quelques années par un réseau antiautoritaire mais structuré. Récemment, le Brésil a été l’objet de manifestations massives en 2013 qui ont commencé à Porto Allegre à la suite d’une hausse de 7 % des tarifs, puis à l’ensemble du Brésil après la dure répression des premières manifestations. Dès lors, la mobilisation s’est amplifiée avec sa médiatisation, mais aussi avec l’élargissement de ses critiques et revendications autour des politiques du gouvernement 17 social-démocrate (Parti des travailleurs) et la perspective de la Coupe du monde du Football en 2014 . Les hausses des tarifs avaient déjà été l’objet de mobilisations dès 2003, mais c’est en 2005 que le Movimento Passe Livre​ (Mouvement libre passage) a été fondé à l’occasion du Forum Social Mondial de Porto Alegre. Il s’agit d’un réseau de collectifs fonctionnant de façon horizontale avec une charte de principes apartisane mais non antipartis, collaborant avec une multitude d’acteurs et valorisant l’action directe et l’humour.

Source: Globo 17

Mouvement protestataire de 2013 au Brésil​, Wikipédia, consulté le 16 mai 2017.

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Si le mode d’organisation reflète une sensibilité libertaire, l’origine des militantes et militants est d’horizons anticapitalistes divers. Le MPL a toujours revendiqué l’objectif stratégique de la gratuité totale, mais leur revendication tactique est généralement l’opposition à l’augmentation du prix du ticket. C’est ce mouvement qui a préparé le mouvement de 2013 tout en avançant un cadre revendicateur anticapitaliste. Son discours est plus orienté vers la dénonciation de la marchandisation des services publics que vers l’écologie. Notons que nombreux sont les services publics (dont le transport en commun) qui ont été privatisés. Les classes populaires résident souvent en périphérie et sont dépendantes d’un transport collectif au prix souvent prohibitif dans ce pays aux fortes 18 inégalités sociales .

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Le mouvement pour le transport gratuit au Brésil​, Mediapart, 2013.

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Italie

Source : Collectif Alternative Libertaire Bruxelles En Italie, ces luttes ont émergé durant le long mai rampant italien qui s’est poursuivi largement après 19 les années 1967, 1968 et 1969, tout au long de la décennie 1970 . Durant cette décennie, le mouvement ouvrier italien est très fort et l’extension des luttes sur de nouveaux enjeux (transport, électricité, loyers, etc) permet d’améliorer le niveau de vie des travailleurs et travailleuses ou de contrer l’inflation galopante (le gouvernement ayant négocié des hausses de salaires tout en dévalorisant la valeur de la monnaie italienne). Souvent, cela se fait par une grève des loyers ou le refus systématique d’une hausse de tarifs tout en continuant d’utiliser les services. De plus, ces luttes débordent souvent de l’encadrement syndical, déjà contesté par la création de conseils d’usine ou de collectifs autonomes. Le cas du transport en commun italien est particulier, car il est privé (concédé à des entreprises), déficient sur plusieurs points et il couvre plusieurs catégories de populations, dont les ouvriers et ouvrières des usines automobiles qui résident en banlieue. Il existe même une expression, les « pendolari » (pendule) pour désigner ces milliers de travailleuses et travailleurs qui traversent parfois 100 kilomètres pour se rendre sur leur milieu de travail. Ces ​pendolari​ avaient déjà organisé dans les 19

Yann Collonges et Pierre Georges Randal, Les Autoréductions, Grèves d’usagers et luttes de classes en France et en Italie (1972 - 1976), Entremonde, Genève, 2010 (1976).

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années 1950 des barrages routiers pour obtenir un meilleur transport ou du travail local. Les blocages de routes sont, avec l’autoréduction, les deux principaux moyens de luttes pour le transport en commun. Lorsque l’une des compagnies d’autobus de Turin augmente de 25 à 30 % ses tarifs, les travailleurs et travailleuses d’une usine de Fiat pratiquent l’« autoréduction » : l’un des syndicats imprime les tickets de transport ou bloque les départs d’autobus. Cet exemple va être répété plusieurs fois et très souvent obtenir gain de cause, soit le retour à l’ancien tarif. Il faut noter que les ouvriers et ouvrières de même que des collectifs autonomes pouvaient aussi revendiquer la gratuité et parfois imposer la gratuité lors de certaines mobilisations massives. Concrètement, l’organisation de la lutte (parfois presque spontanée initialement) peut prendre la forme d’une assemblée des usagers (en dehors des usines), des comités de gares, des délégué-e-s de trains et des délégué-es de gares. Les travailleurs et travailleurs du transport se sont aussi mobilisés en revendiquant la dé-privatisation des systèmes de transport régionaux. Cette lutte était soutenue par le Parti communiste italien qui pouvait y voir une façon de contester le système de concession du Parti démocrate chrétien, mais aussi une façon de rationaliser et améliorer le système de production économique autant que le transport. Mais le PCI et les syndicats vont la plupart du temps être confrontés à ces luttes qui débordent de leur programme et qui valorisent surtout l’autonomie de la classe ouvrière. Enfin, la lutte des ​Pendolari​ va se radicaliser lorsqu’elles et ils vont revendiquer en pratique la gratuité en exigeant que les communes l’octroie ou en bloquant la livraison du courrier dans les entreprises de transport.

Illégalisme et gratuité pratique France

Le cas de la France est à la fois exemplaire et peu applicable dans le contexte québécois. D’une part, il est exemplaire quant à la synchronicité entre les débuts de la lutte pour la gratuité et le renouveau des mouvements contestataires en France et au Québec au tournant des années 2000 (mouvement altermondialiste).

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D’autre part, la situation est peu adaptées dans le contexte québécois parce que le transport en commun est beaucoup plus développé en Europe, mais aussi parce qu’il serait peut-être difficile de pratiquer cet illégalisme avec la même ampleur qu’en France. Par exemple, en France, les personnes contrôlant le paiement des billets et les personnes conduisant l’autobus sont différentes. Ainsi, chauffeurs et chauffeuses ne sont pas importunées par la désobéissance civile. C'est pour beaucoup une lutte pour la mobilité et la reconnaissance d'un certain illégalisme presque culturel et institutionnalisé par des collectifs libertaires. La fraude peut constituer plus de 15 % des pertes de revenus évalués théoriquement à plus de 200 millions d’euros. En guise de riposte, on constate la croissance de la sécurité et de la surveillance, que cela soit celle des vigiles ou de la surveillance électronique. Dans certaines villes françaises, la tension a aussi augmenté avec les 20 hausses de tarifs . Le mot d’ordre de la gratuité du transport en commun a été développé par des libertaires liés à la Fédération anarchiste, No Pasaran et d’autres à la suite du mouvement des chômeurs et chômeuses et du mouvement antimondialisation vers 1998. Le premier collectif sur la gratuité (Réseau Pour l'Abolition du transport Payant, RATP, un pastiche du nom de la société de transport public de Paris, l'équivalent du RTC) est fondé en 2001. Leur première action de visibilité connue a été une opération « porte ouverte » d’une entrée de métro. D’ailleurs, il est à noter que la gratuité a depuis été octroyée aux chômeurs et chômeuses en 2006. Entre-temps, le RATP a développé la première mutuelle de fraudeur, un répertoire d’action qui va marquer la lutte pour la gratuité en France.

Mutuelle de fraudes

Source : Collectif sans ticket Il semble qu'il existe de nombreuses mutuelles de fraudeurs et fraudeuses en France (par exemple : 21 Sans ticket autonome en lutte, Nantes, Pour des Transport Gratuits Vraiment, Paris , Mutuelle des fraudeurs de Lilles, Collectif sans ticket, Bruxelles) qui comptent sur une certaine popularité. 20 21

[Besançon] Augmentation du prix des tickets de bus : les contrôleurs en font les frais​, le Chat noir émeutier, 2013. Pour des Transports Gratuits Vraiment !

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Concrètement, il s'agit d'une cotisation mensuelle qui permet de payer les amendes et de collectiviser et politiser des actions individuelles. Dès lors, cela permet aussi de donner de la publicité à la fraude et de banaliser cette pratique. C'est une façon de politiser la débrouille, mais aussi de réagir contre la répression et la surveillance des vigiles. La contestation du flicage a augmenté avec l'apparition d'une carte à puce qui trace ses utilisateurs et utilisatrices et fabrique une différenciation des tarifs selon des zones (banlieue vs centre). Ce mouvement de mutuelle de fraudes ne se retrouve pas qu'en France. Par exemple il existe une 22 mutuelle de fraude finno-suédoise : ​Planka . Au niveau du discours, les collectifs français en faveur de la gratuité se démarquent par leur radicalité et certains thèmes orientés vers la décroissance, la question du temps et de la vitesse, quelques fois sur l’autogestion (un seul collectif recensé en traite), le vivre ensemble, la dénonciation de la surveillance, l’aménagement du territoire, mais surtout la question des autres formes de mobilité gratuite (vélo, marche, etc.). Outre la gratuité pour les sans-emplois, les principaux résultats de ces luttes sont hypothétiques : la gratuité a été accordée dans des agglomérations en périphérie de métropole et la répression comme la surveillance s’est accrue. Par contre, un grand nombre de personnes ont subi de la répression ou ont été judiciarisées.

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Planka : ​Pour des transports publics gratuits!

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Le partage de billets

Source : Global Project Cette pratique joue entre légalité et illégalité. Elle consiste à jouer sur le temps de validité du billet de transport. Après un déplacement, il s'agit de donner son billet à une autre personnes afin qu’elle puisse profiter du temps de validité restant. En 2007 à Lyon, un collectif d'usagers encourage le partage des billets de métro. Le collectif Ticket 23 Solidaire Lyonnais (TSL) encourage cette pratique : « tout simplement parce que le prix d'un euro cinquante est trop élevé pour certaines personnes ». La voyageuse ou le voyageur qui n'a pas utilisé la totalité du temps de validité de son billet (une heure) est encouragé à laisser son ticket sur les bornes à la sortie du métro ou de le donner à quelqu'un. « C'est une pratique déjà assez répandue, en faisant cette action dans le métro on veut seulement la populariser », ajoute le TSL. Les membres du collectif ont posé des autocollants dans le métro où est dessiné une cible pour déposer son ticket, et une série d'autocollants détournant les avertissements des paquets de 23

Ticket Solidaire Lyonnais

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cigarettes : « Déposer son ticket, un réflexe solidaire » ou encore « Partager peut améliorer la sociabilité dans les transports et provoquer l'amabilité ». Devant le succès du mouvement, le Transport en commun lyonnais a augmenté ses amendes et a surtout sanctionné sévèrement les personnes laissant leur billet et les personnes utilisant ces billets déjà utilisés, mettant fin au mouvement. De nombreuses actions similaires ont été menées dans plusieurs parties du monde, par exemple à ​Padoue ​(Italie) un collectif de personnes précaires « ​Precari in Action​ » à fait cette année des ​ticket crossing​, c'est-à-dire des points où l'on peut déposer son billet encore valide pour qu'il soit réutilisé par une autre personne.

Financement du transport public La gratuité, un choix politique On entend souvent dire que la gratuité du transport en commun est utopique parce qu’il n’y a rien de gratuit dans la vie.

Rien de gratuit ​à Québec​, sauf…

– 2 362 km de routes – 1 265 km de trottoirs – 298 km de réseau cyclable – 20 escaliers et un ascenseur reliant la haute-ville et la basse-ville Sans oublier… – 6 822 km de conduites d’aqueduc et d’égouts – 145 million de m3 d’eau usée traitée par an par 2 stations d’épuration – 93 millions de m3 d’eau potable produite par an par 4 usines de production Ainsi que… – 456 parcs et espaces verts – 100 000 arbres d’alignement de parc et de rue – 23 bibliothèques publiques Et là on ne parle que de ce qui est gratuit et géré par la Ville de Québec (parce que sinon il faudrait au moins ajouter aussi les 53 écoles publiques, le transport scolaire, les 4 CEGEP, les 2 CSSS et les 8 hôpitaux de la ville). Des services publics gratuits, il y en a plein. Tarifer le transport en commun est un choix politique.

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Une tarification qui freine le développement du service La tarification du transport en commun n’est pas uniforme à Québec. Le RTC applique une tarification sociale basée sur l’âge et le statut social. La société reconnaît ainsi implicitement que le plein tarif est trop cher pour les personnes moins fortunées qui ont besoin du service (personnes âgées, élèves, étudiants et étudiantes). Ainsi le service est gratuit pour les enfants de moins de 6 ans, le laissez-passer mensuel est presque moitié prix pour les gens de plus de 65 ans, réduit du tiers pour les jeunes de 6 à 18 ans, les étudiants et étudiantes et les personnes nouvellement diplômées, alors que les autres paient le plein prix. Un plein prix est visiblement trop cher pour les personnes à faible revenu et les sans-emplois, mais ça, qui s’en soucie ? La grille tarifaire n’a pas toujours été celle-ci. Pendant plusieurs décennies les personnes âgées ont bénéficié de la gratuité du transport en commun. La gratuité pour le 3ème âge a été abolie en 1990, conséquence directe du retrait du gouvernement provincial du financement de l’exploitation du transport en commun. Cette tarification à géométrie variable, et le caractère arbitraire de la somme récoltée auprès des usagers (une commande politique de l’aveu même du RTC24), confirment que la gratuité est d’abord et avant tout un enjeu politique. Le RTC est tout à fait conscient que la tarification est un frein à l’utilisation du transport en commun (la municipalité aussi puisqu’elle offre des billets de bus gratuits à quiconque se déplace pour assister au conseils de ville ou d’arrondissement). Concrètement, c’est cher pour ce que c’est. D’ailleurs, la multiplication des offres et aubaines pour amener les familles à bord des bus (notamment la gratuité pour les enfants de 11 ans et moins pendant les fins de semaines et les congés fériés) et les efforts déployés pour rendre le service plus efficace lors des grandes festivités, en témoignent. Le RTC sait que pour amener du monde à bord, surtout des automobilistes, il faut un fort incitatif économique et un service compétitif, voire de meilleure qualité que la voiture.

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« Le directeur général du RTC, Alain Mercier, a expliqué jeudi que la contribution des usagers compte pour le tiers des revenus du transporteur, car il s’agit là d’un objectif fixé par les élus et largement répandu dans les sociétés de transport. » Le Soleil, 19 avril 2014, p. 30. Par ailleurs, dans le « Mot du président » accompagnant le budget 2014 du RTC, Rémy Normand écrit, sans plus de précisions : « La hausse moyenne des tarifs est prévue à 2,5 %. Cela devrait permettre de respecter le principe d’une contribution des usagers équivalente au tiers des dépenses totales ». Nous avons eu beau chercher, nous n’avons toujours pas trouvé d’explication rationnelle quand à savoir pourquoi la part des usagers doit être du tiers.

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La gratuité déjà acquise pour plusieurs villes québécoises Des villes québécoises commencent à expérimenter la gratuité totale ou partielle du transport en commun. Ainsi, ​Laval ​et ​Longueuil ​ont établi la gratuité pour les personnes âgées hors des heures de pointe. Elle progresse aussi sur la rive-sud de Montréal. Après ​Chambly​, ​Richelieu ​et ​Carignan ​qui ont ouvert la voie il y a deux ans, suivis par ​Sainte-Julie​ au début de l’année 2016, c’est maintenant au tour de ​Candiac​, ​La Prairie​, ​Saint-Philippe ​et ​Beauharnois ​d’offrir le transport en commun gratuit pour les trajets locaux sur leur territoire25. À Québec, on ne parle pas encore de gratuité à la mairie. Pourtant, alors que l’on cherche à réduire les émissions de gaz à effet de serre et que l’on se fixe des objectifs ambitieux en matière de transport (doubler la part modale du transport en commun d’ici 2030), il serait plus que temps d’avoir cette discussion.

La structure du financement du RTC et son évolution

Le Gouvernement du Québec a drastiquement réduit le financement de l'exploitation des transports collectifs en 1992. Depuis cette date, les municipalités sont devenues les principaux bailleurs de fonds du RTC. Depuis 2010, la répartition des revenus du RTC est relativement stable.

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​Le transport en commun gratuit prend de l'ampleur​, Radio-Canada, 2014.

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Sources : RTC – Budget 2014, p.13 En 2014, les municipalités de l'agglomération de Québec ont apporté 47,8 % du budget. Viennent ensuite les usagers, qui apportent 31,7 % des ressources, puis les transferts provinciaux (11 %). S'y ajoutent les revenus tirés des droits d'immatriculation payés par les automobilistes (30 $ par an), qui représentent 4,6 % du budget. Les autres ressources du RTC proviennent de ses ressources propres (revenus de la publicité, locations) qui représentent environ 2,5 % du budget et de la mobilisation des excédents antérieurs (bientôt épuisés). Ce sont donc principalement les municipalités et les usagers qui financent le transport en commun dans l'agglomération de Québec.

Multiplicité des principes et des contributeurs potentiels L'identité des contributeurs au financement des transports publics varie selon les objectifs et la fonction que l'on attribue au transport collectif.

Ainsi, si l'on considère les transports publics comme la concrétisation du droit à la mobilité des citoyens et citoyennes, il semble logique d'en assurer le financement grâce à des ​fonds publics​. Si l'on considère plutôt qu'il s'agit d'un moyen de lutter contre la pollution engendrée par les automobiles, il peut sembler logique de recourir à des modes de financement relevant du principe « pollueur-payeur »​. 39


De même, si l'on considère que le développement du transport en commun permettrait de réduire les problèmes de congestion automobile, on peut adopter un mode de financement relevant du principe « congestionneur-payeur »​. En revanche, lorsque l'on considère qu'il s'agit d'un service comme un autre et que l'on considère l'usager comme un consommateur, on adoptera plutôt un système de tarification relevant du principe ​« utilisateur-payeur »​. Enfin, si l'on considère que les déplacements effectués par les usagers du RTC leur permettent avant tout de se rendre à leur travail, de se former et de magasiner, on peut aussi considérer que c'est avant tout aux bénéficiaires finaux de ces déplacements (employeurs, magasins, etc) qu'il revient d'en assumer le coût. On adoptera alors plutôt des modes de financement relevant du principe ​« bénéficiaire-payeur »​. En pratique, différentes conceptions et différents principes sont le plus souvent articulés ensemble et plusieurs types d'acteurs sont mis à contribution. Ainsi, à Québec, ce sont principalement les municipalités et les usagers qui financent les transports collectifs. Cette classification a néanmoins l'avantage de faire ressortir le fait que d'autres arrangements financiers sont légitimes et permettraient de mettre plus largement à contribution les automobilistes et les autres bénéficiaires finaux du système de transport collectif. C'est d'ailleurs aussi ce dont témoigne la diversité des modes de financement des transports collectifs adoptés au Québec et à travers le monde.

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Exemples d'outils alternatifs Faire contribuer les automobilistes

Source : Raoul Lithium Voici quelques exemples de mise en place des principes pollueur-payeur et congestionneur-payeur26. Redevances sur l'achat de véhicules et droits d'immatriculation En ​Autriche​ les redevances vont jusqu'à 16 % de la valeur du véhicule. Dans le ​Massachusetts​, depuis 2005, une taxe de vente qui varie entre 5 et 10 % de la valeur du véhicule est appliquée. Au ​Québec​, le système de redevance remise fédéral s'applique mais il concerne peu de véhicules. S'y ajoute une redevance prélevée par le Québec sur les véhicules polluants, mais dont le montant est peu conséquent (150 $ au maximum). Par ailleurs, une taxe forfaitaire d'immatriculation de 30 $ par an dédiée au transport en commun s'applique depuis 1992 pour certaines agglomérations, dont Québec. Elle a été majorée en 2011 de 45 $ pour les véhicules immatriculées sur l'île de Montréal.

​Recensement des sources​ de financement alternatives et innovantes du Transport collectif en milieu urbain en rapport avec les préceptes de la théorie de l’économie de l’environnement, Louis Drzymala, 2011. 26

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Taxes sur l'essence Très utilisée en ​Europe​, avec un taux de taxation de 64,7 % en moyenne (Europe des 15, 2005), les taxes sur l'essence sont moins utilisées en Amérique du Nord (taux de 37,5 % au Québec, et de 13,3 % aux EUA). Au ​Québec​, la moitié de la taxe fédérale sur l'essence (5​¢​/l sur 10​¢​/l) est reversée à sa Société de financement des infrastructures locales du Québec (SOFIL) qui s'est engagée à en utiliser 26 % pour financer les infrastructures de transport collectif pour les 10 prochaines années. Par ailleurs, les grandes agglomérations québécoises sont autorisées à prélever une taxe supplémentaire pour financer le transport collectif. 3 ​¢​/l sont ainsi prélevés dans le grand ​Montréal​, mais Québec refuse jusqu’à maintenant de profiter de cette possibilité. A titre d'exemple, à ​Vancouver​, une taxe supplémentaire permet de reverser 11 ​¢​/l pour financer les transports publics, ce qui représente plus de 30 % du budget de la société de transport Translink. Taxes sur l'utilisation des stationnements A ​Amsterdam, ​la généralisation du stationnement payant (2,10 euros par heure ou 129 euros pour 6 mois) permet de générer près de 1000 $ par an et par place de stationnement, qui sont utilisés pour financer le plan de développement durable de la ville.

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Péages de financement et de congestion

Source : Wikipédia A ​Londres​, un cordon de péage (environ 20 $ par passage) a été mis en place en 2003 autour du centre. Les revenus sont dédiées à la société qui gère les infrastructures de transport et 80 % sont dédiés aux transports en commun. Les sommes collectées ont servi à répondre à la hausse drastique de l'utilisation des transports en commun qui a fait suite à la réduction de 20 % de l'usage de l'auto dès la première année. Par ailleurs, le temps d'attente des automobilistes dans les congestions a été réduit de 30 %. La plupart des grandes villes de ​Norvège ​(Oslo, Bergen, Trondheim) ont installé des cordons de péage. Initialement non-prohibitifs, contrairement à ceux de Londres (soit 2 euros par jour), les péages d'Oslo servaient initialement en partie à financer les transport en commun (20 % des sommes dédiées). Puis une hausse du tarif de 0,25 euros a été ajoutée pour développer les transports collectifs, suivie d'une seconde hausse en 2008 pour rendre le coût prohibitif.

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Faire contribuer les employeurs Voici quelques modèles de taxes sur les salaires et la masse salariale. En France Le versement transport y est acquitté par les employeurs de plus de 9 employé-e-s. D'abord institué en Région Parisienne, il a été progressivement élargi à toutes les communes de plus de 10 000 habitants. Son taux varie de 0,55 % des salaires pour les petites communes à 2,7 % dans le centre de l’agglomération parisienne. Il est dégressif en fonction de la taille du réseau de transport et de l'accessibilité du lieu de travail au réseau (en grande banlieue parisienne, le taux est plus bas (1,5 %) qu'au centre de Paris (2,7 %)). En 2012, le versement transport représentait 65 % du budget total des transports publics de la région parisienne et 40 % de leur budget de fonctionnement. A Portland (Oregon) C'est une taxe sur la masse salariale de 0,69 % (au 1 janvier 2011) qui est la principale source de financement du réseau de transport collectif. Elle est payée par tous les employeurs desservis par le réseau, ainsi que par les travailleurs et travailleuses autonomes (sur la base de leur revenu net)27. La taxe est prélevée par l'État mais elle peut être augmentée de 0,01 % par an par la société de transport de Portland pour lui permettre de faire face aux hausses des coûts d'exploitation. Notons qu'il est estimé qu'à ​Montréal28 une taxe de 0,7 % sur la masse salariale générerait 500 M$ de recettes supplémentaires pour le système de transport public.

Faire contribuer les commerces et les entreprises Les taxes sur les ventes surplus et les taxes sur les stationnement non-résidentiels peuvent faire partie de la solution. Aux ​États-Unis​ suivant les régions, entre 0,25 % et 1 % est ajouté localement aux taxes de ventes prélevées par l'État pour financer les transports en commun locaux et régionaux. Les taxes de vente locales et régionales permettent de financer 38,9 % des investissements et 25,8 % du coût du fonctionnement des transports des métropoles qui, comme Québec, ont une population comprise entre 200 000 et 1 million d'habitants. Par ailleurs, plusieurs États ont mis en place des franchises qui permettent de mettre les entreprises, ou certaines d'entre elles, à contribution en fonction de leur valorisation et de leurs surplus. Ainsi, dans l'agglomération de New York, les entreprises de transport et de communication paient une franchise dont le montant est établi sur la base de la juste valeur de leurs actions en circulation et de leurs surplus. Des taxes sur les stationnements non-résidentiels permettent de collecter des fonds dédiés aux transports collectifs en incitant à leur usage. De telles taxes existent à ​Sydney​ (de 400 à 800 $ par an), Perth​ (155-180 $ /an) et ​Melbourne​ (800 $ / an). Elles ont généré une réduction de 5 à 10 % des ​Le financement du transport en commun dans la région métropolitaine de Montréal​, Meloche, 2012, p.39. ​Financer le transport en commun dans le Grand Montréal​, Commission du transport de la Communauté métropolitaine de Montréal, p.12, 2012. 27 28

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espaces de stationnement et des recettes comprises entre 9 et 40 millions de $ par an pour les transports collectifs. A​ Montréal ​un taxe sur les parcs de stationnement non-résidentiels hors rue de plus de 5 places est en vigueur depuis quelques années. Son taux varie entre 4,95 $/m2 et 39,6 $/m2. Elle génère 20 millions de $ par an, dédiées au financement des transports collectifs.

Faire contribuer les propriétaires via des taxes foncières, taxes au développement immobilier et droits de mutation immobilière. Être desservie par les transports en commun augmente la valeur foncière d'une propriété. Les propriétaires qui vendent un bien immobilier desservi par les transports en commun sont donc des bénéficiaires directs du système. C'est sur cette base que plusieurs collectivité captent une partie de la valeur foncière pour financer les transports collectifs. Cela peut se faire par la majoration des taux d’impôt foncier ou par des taxes de développement (dédiées au développement des transports). On peut également capter une part de l'augmentation de la valeur foncière via les droits de mutation immobilière et l’émission de permis de construction. A ​Washington DC ​et ​Chicago​, par exemple, une partie des droits de mutation immobilière perçus par les municipalités lors de l'achat ou de la construction d'un bâtiment ou d'un terrain est dédiée au transport en commun. La région de ​New York​ applique un droit similaire sur l'enregistrement des prêts hypothécaires.

Montage financier de la gratuité du transport en commun Quel est la juste part dans le financement du transport public ? Dans son ​Plan de mobilité durable : Pour vivre et se déplacer autrement​, la Ville exige que les usagers paient leur « juste part », au nom d'une soi-disant « équité sociale » (p. 129) : « Un partage équitable du financement des réseaux de transport implique également que les usagers contribuent aux coûts d’utilisation de ces réseaux. ​Les tarifs du transport collectif doivent être appliqués de manière à répondre aux impératifs d’attractivité de ce mode de déplacement et d’équité sociale​. La Politique québécoise du transport collectif considère d’ailleurs qu’​il est important que l’usager continue d’assumer une juste part des frais de transport en commun​. La Politique précise toutefois que la tarification ne doit pas nuire à l’achalandage et à l’accessibilité au service. C’est pourquoi il importe de maintenir un bon équilibre entre les coûts des services offerts et la contribution requise de la part des usagers. » C'est bien beau de parler de « partage équitable », « équité sociale », « bon équilibre entre les coûts... et la contribution requise », mais si on ne tient jamais compte de l'incapacité de certaines personnes à payer leur « juste part », il y aura, inévitablement, des personnes mises de côté. C'est un non-sens, purement idéologique, de parler, dans le même paragraphe, d'« équité sociale » et de « contribution requise ».

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Pour Subvercité, la juste part des usagers et usagères est la gratuité. Ceux de qui on doit exiger une juste part sont plutôt les bénéficiaires finaux réels des transports. Nous suggérons ici plusieurs moyens de financer la gratuité du transport collectif en faisant plutôt contribuer les employeurs, les automobilistes et les centres d’achats.

Le coût de la gratuité Le coût instantané En 2014 le fonctionnement du système de transport en commun coûtait 219 M$ par année. Les dépenses du RTC se déclinent en trois grandes catégories : la masse salariale (64 %), le coût d’opération (23 %) et le coût de financement (12 %). Comme exposé précédemment, les revenus du RTC proviennent de 4 sources : ● ● ● ●

La Ville; les usagers; les transferts et subventions ; d'autres revenus.

La part de la Ville est de 104,9 M$ (47,8 %, en hausse), la part des usagers est de 69,4 M$ (31,7 %), le reste représente à peu près 20 %. Il s'agit de transferts (subventions provinciales) de 24,1 M$, de la taxe sur l'immatriculation de 11 M$ et de 9,7 M$ d'autres revenus (publicitaires, notamment) et de réserves (épuisées). On peut en déduire que, en l'état actuel, la gratuité coûterait 70 M$ par année. Malheureusement, le budget du RTC est ainsi fait que nous n’avons pas réussi à isoler les coûts de la tarification. En effet, la gestion de la vente des billets et la bureaucratie à un prix. Des économies sont à prévoir de ce côté. Par ailleurs, la gratuité entraînerait une augmentation de la fréquentation qu'il est difficile à quantifier. Il est préférable d’instaurer la gratuité progressivement afin de mesurer l’impact sur le service et l’ajuster en conséquence. Le but est d’éviter un afflux massif de nouveaux usagers entraînant une baisse drastique de qualité et un retour rapide à l’automobile.

Le coût d'une gratuité réellement durable Comme exposé précédemment, pour faire face aux enjeux sociaux, environnementaux et économiques liés au transport, la gratuité doit être accompagnée d'une véritable amélioration du système de transport collectif. Le plan de mobilité durable de Québec prévoit qu’un apport supplémentaire de la Ville de 56,6 M$ par an permettrait de couvrir les frais additionnels d’exploitation liés à un doublement de l’achalandage (plan de mobilité durable p.129). La Ville prévoyait ce doublement d’ici 2030 (avec la construction d’un tramway, notamment) et semble confiante sur sa capacité à la financer, notamment en faisant appel aux programmes de subvention gouvernementaux et éventuellement à la taxe de 1,5c/l d’essence qu’elle est autorisée à mettre en place.

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Sans nécessairement souscrire aux options de ce plan, et en partant dans tous les cas du principe que cet objectif devrait être atteint bien plus rapidement, nous proposons néanmoins de nous appuyer sur l'idée qu'un service gratuit et de meilleure qualité permettrait à terme de doubler l'achalandage. Nous espérons que le plan de mobilité durable ne repose pas sur d'importantes augmentations de tarif pour les usagers, ce qui serait contraire à l'objectif de « ne pas nuire à l'achalandage et à l'accessibilité du service ». Dès lors, nous partons de l'hypothèse que le plan de mobilité inclut au maximum un doublement des revenus de la tarification (soit 2x70 = 140 M$ à compenser). Il s'agit d'une estimation sur-estimant le coût de la gratuité dans un contexte d'amélioration des services puisque, en réalité, il est probable que le doublement de l'achalandage ne corresponde pas à un doublement des revenus de la tarification. En effet, si les personnes abonnées utilisent plus souvent les transports en commun, l'achalandage augmentera plus rapidement que les revenus de la tarification.

Qui doit payer ? La gratuité du transport en commun profiterait certes aux usagers mais aussi aux automobilistes en enlevant des voitures de la route, ainsi qu’aux employeurs et commerces et aux grands services publics (au premier chef les systèmes de santé et d'éducation). Après tout, on prend le bus pour aller où ? Essentiellement au travail, à l'école, chez le médecin et aux centres d'achats. La Ville n'a donc pas à assumer seule le coût de la gratuité du transport en commun.

Le gouvernement du Québec : 70 M$ Les paliers de gouvernement supérieur doivent absolument mettre la main à la pâte et augmenter leur financement puisque, d’une part, le coût du transport en commun est en fait une externalisation des coûts des grands services publics et que, d’autre part, une augmentation importante de l’utilisation du transport en commun au détriment de la voiture est un passage obligé de la réduction des gaz à effet de serre. Le gouvernement du Québec, dont la part dans le financement du RTC est passée de 38,7 % en 1990 à 11 % aujourd’hui, peut définitivement faire plus et mieux. Il existe actuellement un programme d’aide pour soutenir les sociétés de transport dans leurs efforts visant à accroître l’offre de service à la population. En 2014, le RTC a reçu une somme de 12,8 M$, soit l’enveloppe maximale accordée pour couvrir 50 % des dépenses d’exploitation pour entreprendre des initiatives visant à accroître l’offre de service. On peut tout à fait présenter l’instauration de la gratuité comme une mesure visant à accroître l’achalandage et demander que la facture correspondante (+ 140 M$) soit assumée à moitié par le gouvernement du Québec.

Les automobilistes : 20 M$ Actuellement, les automobilistes de Québec sont choyés par rapport à ceux et celles de Montréal en ce qui concerne le financement du transport en commun. En effet, la ​taxe sur l’immatriculation représente actuellement 11 M$ ou 5 % du budget du RTC. Toutefois, il faut savoir que cette taxe n’a pas augmenté depuis 1992 à Québec. À Montréal, depuis 2011, les automobiles immatriculées sur l’île paient 45 $ de plus. On pourrait facilement aller chercher 11 M$ si on ajoutait 30 $ (le service du RTC n’étant quand même pas équivalent à celui de la STM). À noter qu’il ne s’agit que d’un « rattrapage » 47


puisque, à budget constant, cela porterait la part du financement provenant de la taxe d’immatriculation à 10 % comme elle l’était en 1996. De plus, contrairement à la métropole, la Ville de Québec refuse d’imposer une ​taxe sur l’essence​ de 0,015 $ le litre, comme le lui permettait le gouvernement du Québec, pour financer le transport en commun. C’est 10 M$ par année (Plan de mobilité durable p. 128) dont se prive la municipalité. Elle semble néanmoins envisager cette disposition à terme, du moins dans le plan de mobilité durable. Dans tous les cas, la taxe sur l’essence à Montréal est de 0,03 $ le litre et il serait envisageable de faire de même à Québec. Évidemment, cette forme de taxation uniforme des automobilistes n’est pas nécessairement la plus juste puisque le système de transport en commun n’est pas (encore) une alternative attrayante et crédible partout. Elle doit donc être liée à une véritable amélioration du service. Si on veut rester dans une logique écologiste à la mode on peut aussi imaginer une ​taxe sur la congestion​ de 20 M$ pour accéder au centre-ville via un système de péage. Il s’agit d’une alternative aux mesures universelles comme les taxes sur l’immatriculation et l’essence.

Les entreprises : 98 M$ La rémunération avant-impôt des salarié-e-s de l'agglomération de Québec se montait à 14 047 M$ par an en 2012. Une ​taxe sur les salaires​ de 0,7 % payée par les employeurs de la région (taux envisagé par Montréal dans les études consacrées au financement des transports) générerait donc 98 M$ par an pour le financement des transports collectifs.

Les centres d'achats : 10 M$ Si on se déplace avant tout pour aller travailler, on se déplace aussi beaucoup pour consommer. C'est en particulier le cas lorsque les commerces sont situés loin des lieux de résidence et de travail dans les centres d'achat situés en périphérie des villes. Générateurs de trafic automobile, les centres d'achats de Québec sont aussi, en général, bien desservis par les transports collectifs. Paradoxalement, ils sont peu mis à contribution pour les financer. Nous proposons donc de les mettre à contribution à hauteur des bénéfices qu'ils retirent des transports collectifs et des dommages qu'ils engendrent en incitant à l'usage de l'automobile. Pour ce faire, une ​taxe dédiée au financement du transport collectif​ pourrait être prélevée sur les commerces situés hors du centre-ville qui offrent de larges espaces de stationnement. Total : 198 M$

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Conclusion Comme vous pouvez le constater, la gratuité est une option à notre portée. Il s’agit d’un choix politique. Québec met plus de 500 M$ pour élargir l’autoroute Henri IV sur quelques kilomètres, sans émouvoir grand monde. Plusieurs rêvent aussi d’un tunnel entre Lévis et Québec à 4 milliards $. La ville a fait aussi une vigoureuse campagne politique pour obtenir un amphithéâtre à 400 M$. En comparaison, la gratuité à 200 M$/an est presque une aubaine. Et ça aura un impact sur toute la région. La gratuité est une façon pragmatique d’atteindre les objectifs du plan de mobilité durable, pour réduire la pollution et pour aider concrètement les gens ordinaires. Mais pour y parvenir, les personnes au pouvoir devront nous écouter. Subvercité ne peut pas gagner cette lutte seule. C’est à nous tous, en tant que membres de la classe populaire, de s’unir, de s’informer et de se mobiliser pour obtenir cette importante revendication. Soyons créatives et créatifs. Soyons en colère. Soyons avenir.

Pour aller plus loin Oslo's car ban sounded simple enough. Then the backlash began​, The Guardian, 13 juin 2017. Lévis annonce des rabais pour les billets de bus cet été​, Journal de Québec, 25 mai 2017. Cégep Garneau : un laissez-passer mensuel gratuit pour les nouveaux étudiants​, Radio-Canada, 3 avril 2017. Les jeunes Québécois délaissent-ils la voiture ?​, La Presse+, 13 mars 2016. Bus gratuit pour tous!​, L’actualité, 1 septembre 2016. The Tallinn experiment: what happens when a city makes public transport free?​, The Guardian, 11 Octobre 2016. Privilégier l’automobile coûte très cher à la société​, Journal de Québec, 1 mai 2017. What is the full cost of your commute?​, Discourse, 26 mars 2015. The Comprehensive Costs of Transportation & Metro Vancouver (CCT)​, Spacing Vancouver, 26 septembre 2014. Le bus gratuit affiche des résultats épatants à Dunkerque​, 20 minutes, 7 avril 2017.

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