
9 minute read
Plus que de simples médailles
TOKYO 2020
Plus que des médailles
«United by emotion», telle était la devise des Jeux de Tokyo. La Suisse s’est illustrée par son esprit d’équipe, envoyant des ondes positives à tout le pays.
Nicolas Hausammann
C’est la mine rayonnante et ravie, parfois incrédule devant leurs propres performances et celles de leurs collègues, que les athlètes suisses en fauteuil roulant apparaissaient généralement devant les caméras de SRF Sport. Leurs visages souriants et leurs déclarations rafraîchissantes ont enflammé les fans de sport. Le besoin de ressentir des émotions positives en temps de pandémie avait rarement été aussi grand.
L’athlétisme a donné le ton
L’athlétisme en fauteuil roulant, qui a toujours été le cheval de bataille des succès paralympiques de la Suisse, a connu un départ fulgurant. Manuela Schär a ouvert le compteur à médailles pour la Suisse et fait gicler sa fameuse «bouteille de ketchup» en remportant l’argent dans le 5000m T54. Dès lors, les médailles n’ont cessé de pleuvoir au pays du soleil levant. Marcel Hug a même fait un doublé en or, excusez du peu, mais nous y reviendrons. Dès la seconde journée de compétition, Catherine Debrunner a complété la première récolte avec le bronze. Et l’attitude de nos stars a été remarquable. Non contente d’avoir décroché son métal précieux, Manuela Schär a toujours eu des mots chaleureux pour ses concurrentes victorieuses: «J’ai gagné l’argent et je suis également heureuse pour Susannah, qui est toujours prête avec moi à prendre un risque et à pousser le rythme», a-t-elle dit après sa médaille d’argent.
La domination incarnée
Sept fois il a pris le départ, sept fois il a franchi le premier la ligne d’arrivée. Ce record sans faille a d’ailleurs valu à Marcel Hug son surnom de Silver Bullet suisse. C’est à Rio qu’il a vraiment fait gicler sa «bouteille de ketchup» il y a cinq ans. Quant aux médailles d’or, elles ont afflué par pack de quatre à Tokyo. Son fauteuil de course en carbone sur mesure a aussi beaucoup fait parler de lui. Construire «le fauteuil le plus rapide du monde» était l’objectif avoué de Stefan Dürger, directeur d’Orthotec. Et apparemment, il y est parvenu en collaborant avec l’EPF de Zurich et Sauber. Si l’on ajoute à cela la grande forme du Thurgovien et son savoir-faire en matière d’équipement de pluie, on obtient un champion hors pair.
Un jeudi en or
Le 2 septembre restera dans les annales comme la journée de la Suisse. «Ce à quoi nous assistons ici, c’est de l’or pour la Suisse toutes les minutes!», s’est écrié le commentateur de la SRF, Beat Sprecher. En réalité, trois médailles d’or sont tombées en une heure. À nouveau du fait de notre trio gagnant, Debrunner, Schär, Hug.


Mais ce n’est pas tout. Le même jour, l’athlète debout Elena Kratter a remporté le bronze au saut en longueur et la nageuse Nora Meister une médaille de bronze au 400m nage libre.
Pourtant, ce jour-là, c’est quelqu’un d’autre qui s’était chargé d’ouvrir la voie, à savoir le maître du sport en fauteuil roulant en personne, Heinz Frei.
Lutter jusqu’au dernier mètre
Dès le 1er septembre, Heinz Frei a remporté sa 35e médaille paralympique sur le «Fuji Speedway». Au cours d’un final haletant, on a frôlé une happy end de conte de fées. En manque d’oxygène et submergé par l’émotion, Frei, 63 ans, a déclaré ravi que ce serait probablement sa dernière course paralympique. «Mon engouement pour le sport, même à ce niveau de performance, est toutefois encore là. Je vais donc sûrement continuer à disputer d’autres courses et à aller à la chasse aux points pour les prochains athlètes en vue des places de quota. Cependant, Paris n’est plus d’actualité», a déclaré Frei dans son interview.
Performance sportive et inclusion
Grâce aux exploits des paralympien·ne·s, le handisport a occupé pendant un temps le devant de la scène dans la couverture sportive. Avec la campagne #WeThe15, les athlètes sont aussi devenus les modèles de référence d’un monde inclusif. Lors de l’apparition de Manuela Schär et de Marcel Hug dans l’émission Sportpanorama, Sascha Ruefer a mis les choses au clair dès le départ: «Le sport en fauteuil au niveau paralympique est devenu un sport de haut niveau avec zéro compromis». Les performances des membres de notre équipe, médaillé·e·s ou non, n’en sont que plus remarquables.
C’est le cas par exemple de celles de notre duo au badminton, qui a malheureusement terminé 4e à la première paralympique de sa discipline. Cynthia Mathez et Karin Suter-Erath ont dû affronter un redoutable bloc asiatique, qui pouvait de surcroît faire jouer des athlètes d’une catégorie supérieure. Ce qui est conforme au règlement, mais en Suisse, il n’y a toujours pas d’athlètes actives à ce niveau dans cette catégorie WH2 plus mobile.
Citons encore Silvio Keller, qui fut nommé pour remplacer le champion du monde blessé. Lors du deuxième match de groupe, la surprise était presque à portée de main. Mais après deux premiers sets très serrés, la magie est retombée. Le joueur de tennis de table a dû rentrer sans avoir gagné un seul set. La championne de tennis Nalani Buob a connu le même sort pour sa première apparition aux JP. Elle aussi a été éli-
LES CLASSEMENTS EN UN COUP D’ŒIL

Badminton
Cynthia Mathez (WH1)
Simple, éliminée en phase de groupe Double, 4e place (diplôme)
Karin Suter-Erath (WH1)
Simple, éliminée en quart de finale (diplôme) Double, 4e place (diplôme)
Handbike
Relais par équipe, 7e place
Tobias Fankhauser
Contre-la-montre, n’a pas fini Course sur route, 4e, (diplôme)
Heinz Frei (MH3)
Contre-la-montre, 7e (diplôme) Course sur route, argent
Sandra Graf (WH4)
Contre-la-montre, 11e place Course sur route, 11e place
Fabian Recher (MH4)
Contre-la-montre, n’a pas fini Course sur route, 7e (diplôme)
Sandra Stöckli
Contre-la-montre, 8e (diplôme) Course sur route, 9e place
Athlétisme
Beat Bösch (T52)
100 m, 5e place (diplôme)
Catherine Debrunner (T53)
800 m, médaille de bronze 100 m, 6e place (diplôme) 400 m, médaille d’or
Patricia Eachus (T54)
5000 m, 10e place Marathon, 9e place
Marcel Hug (T54)
5000 m, médaille d’or 1500 m, médaille d’or (CR) 800 m, médaille d’or Marathon, médaille d’or
Manuela Schär (T54)
5000 m, médaille d’argent 800 m, médaille d’or 1500 m, médaille d’argent 400 m, médaille d’or Marathon, médaille d’argent
Tir sportif
Nicole Häusler (SH2)
Tir assis, 20e place Tir debout, 13e place
Tennis
Nalani Buob
Éliminée au 1er tour
Tennis de table
Silvio Keller
Éliminé en phase de groupes
minée sans avoir gagné un set. Mais elle repart enrichie de ses premières expériences en vue d’une prochaine participation. Nicole Häusler n’a pas non plus réussi à accomplir un exploit en tir sportif. Elle s’est classée 13e au tir couché.
Contrairement à nos attentes concernant les talents d’organisation des Japonais, nous avons vécu des situations insolites. Ainsi, le premier jour, les handbikeurs et handbikeuses ont attendu en vain un car accessible en fauteuil roulant pour les conduire sur la piste de course. Sur le parcours, les choses ne se sont pas déroulées de la même façon pour tous les athlètes. Fabian Recher a cassé sa chaîne dans le contre-la-montre. Tobias Fankhauser a dû se contenter de la 4e place dans la course sur route, mais s’est montré satisfait de sa performance, car il était à peine remis d’une grave infection. L’équipe de relais Recher, Fankhauser, Frei a remporté un diplôme mais n’a pas décroché de médaille. Chez les dames, les médailles sont aussi restées hors d’atteinte pour Sandra Graf et Sandra Stöckli. Cette dernière a toutefois obtenu un diplôme paralympique avec une 8e place au contre-la-montre, tout comme Beat Bösch en athlétisme. Patricia Eachus a hélas raté le diplôme de peu.
Un accueil enthousiaste à Nottwil
L’émotion suscitée dans tout le pays par l’équipe suisse s’est traduit par un accueil chaleureux qui lui a été réservé au CSP de Nottwil le mercredi suivant les JP. Les balcons de la clinique étaient pleins à craquer et le jardin thérapeutique était entouré de fans brandissant banderoles et drapeaux suisses.
Et comme les Jeux ont malheureusement dû se dérouler sans public, un bain de foule, même à distance, était un changement bienvenu pour les athlètes. «Tout a bien marché pour nous avec 14 médailles et moult autres performances de haut niveau», a déclaré Roger Getzmann, tirant un bilan des Jeux. «Le fait que nous ayons dépassé notre objectif de plus du double tient à ce que chacun et chacune s’est donné·e à fond au moment décisif, faisant preuve d’une grande force mentale. Et puis, la chance était aussi de notre côté.»
Deux pionnières tirent leur révérence
La Suisse a fait la part belle aux femmes lors des Jeux Olympiques et Paralympiques. À présent, deux grandes figures du sport en fauteuil roulant suisse annoncent leur départ. Toutes deux ont participé aux Jeux Paralympiques dans plusieurs disciplines. Karin Suter-Erath dans les sports de raquettes du tennis et du badminton et Sandra Graf en uniski, athlétisme et handbike.
Karin Suter-Erath
«Je suis actuellement au meilleur de ma forme et c’est un privilège de pouvoir m’arrêter maintenant et de ne pas y être contrainte plus tard parce que mon corps ne suivrait plus. À 50 ans, une discipline telle que le badminton, tout en accélérations et freinages, est très éprouvante. L’effort fourni pendant l’entraînement est énorme. Par moments, je ne pouvais plus m’entraîner autant que je le souhaitais», explique Karin Suter-Erath pour justifier sa décision. Cette grande forme lui aurait permis de tenir jusque fin octobre 2021 pour terminer en beauté aux CM de Tokyo. L’annulation par le comité d’organisation a donc mis prématurément fin à sa carrière. Les Jeux Paralympiques d’Athènes en 2004 resteront sans doute le plus grand succès de la Bâloise. Avec Sandra Kalt, elle a remporté la médaille de bronze en tennis double. En badminton, elle a été championne du monde en simple à Dortmund en 2012 et est rentrée de Tokyo avec deux diplômes. Elle continuera à mettre son savoir-faire au service du badminton comme entraîneuse.
Sandra Graf
Si quelqu’un a pu démontrer que la famille et le sport étaient compatibles, c’est bien Sandra Graf. L’année même où elle a participé à ses premiers Jeux Paralympiques à Lillehammer dans le slalom géant (4e place), elle est devenue maman, ce qui ne l’a pas empêchée de mener une belle carrière. Après s’être reconvertie dans l’athlétisme, l’Appenzelloise a disputé les Jeux Paralympiques de Sydney, Athènes et Pékin (bronze au marathon). Elle a obtenu ses plus grands succès en handbike, où elle a remporté la médaille d’or paralympique si convoitée dans le contre-lamontre à Londres en 2012. À cela s’est encore ajoutée une médaille de bronze lors du marathon d’athlétisme en Angleterre. Elle savait depuis longtemps que Tokyo 2020 serait sa dernière grande apparition internationale: «J’ai eu une belle et longue carrière, mais ma vie privée en a souvent été négligée, alors maintenant, je veux y investir plus de temps. Je veux toutefois continuer à m’engager en handbike et transmettre mon expérience. Je me suis déjà impliquée dans le camp de sport ‹move on›.»