Spirit n°75

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Sono / Spirit#75 / octobre 2011

El Cabrero © Juan Pablo Pereda

Je chante comme je marche, en écoutant le paysage

Boudé par les médias espagnols pour son fort engagement républicain, il n’a pas de portable et passe ses journées dans les champs. Pourtant, José « El Cabrero » Dominguez Muñoz est l’une des figures les plus importantes du cante flamenco contemporain. Mais jamais « Le Chevrier » n’a abandonné son troupeau, qu’il accompagne de l’aube à la nuit. Voilà bien une vingtaine d’années qu’avec les chèvres je ne gagne même pas de quoi manger. Cela signifie qu’il faut, en plus de ce que te rapporte le lait, y mettre de l’argent pour l’avoine. On nous paie le lait au même prix qu’en 1980, alors que le prix de l’avoine atteint les nuages. Je garde mes chèvres parce que je les aime et parce que je recherche la paix des grands espaces ouverts. De plus, elles m’apportent la sensation d’être utile. De ne pas me sentir un parasite dans les moments où les tournées me laissent du temps, et ainsi de garder toujours le contact avec la réalité de la campagne. Que pensez- vous de l’évolution du flamenco ? L’évolution naturelle du flamenco, depuis son invention, s’est toujours faite par tradition orale. À force d’écouter les anciens, ou ceux de ta génération, en approfondissant les styles, en y ajoutant ta personnalité, tes expériences, tes idées et tes sentiments les plus enfouis. Tout cela a forgé les styles originels, les dérivés et les diverses façons personnelles d’interpréter le même cante sans qu’il perde son identité. Cette évolution a rendu le flamenco universel bien avant que l’Unesco n’y appose son sceau. Le flamenco n’a pas besoin d’additifs. Ce que je considère comme flamenco n’a rien à voir avec le flamenquito (le gentil petit flamenco, ndlr), le nouveau flamenco, ni le aflamencado (qui a un parfum flamenco, sans en être réellement, ndlr) : le flamenco est bien plus vertical, c’est une cime sur l’horizon, le reste n’est que colline et monticule. Depuis la dictature de Franco, les textes d’éloge des saints, les textes qui racontent que les femmes sont mauvaises, tout cela prolifère. Chacun chante

ce qu’il veut. Pour ma part, c’est : « Je ne crois pas en Dieu, je crois dans l’air, l’eau, la terre et le soleil. » Aujourd’hui, on a fait disparaître le flamenco des villages andalous, il n’y a plus que des grands festivals financés par de l’argent public à Londres, New York, Paris… Dans son berceau, il agonise : 80 % des festivals ont disparu, selon l’Agence du flamenco de la junta d’Andalousie. L’Andalousie est orpheline de sa musique de racines car il ne faut pas oublier que les artistes flamencos viennent de la campagne. Si le peuple ne chante plus, il devient pierreux, insensible, et va jusqu’à confondre sa propre culture et les produits d’importation. En outre, je ne crois pas que la fusion, avec le jazz ou n’importe quelle autre musique, puisse grandir le flamenco. Quelle est la signification de votre engagement pour la République dans l’Espagne de 2011 ? Dans ce pays qui ressemble de plus en plus à celui de Franco, pour un cantaor, cela signifie aller à contre-courant, parce que l’immense majorité des artistes flamencos sont monarchistes ou ne se sont jamais montrés favorables à la IIIe République. Pour moi, cela signifie être le mouton noir, garder la tête haute et surmonter les obstacles de la route avec cœur. J’ai le privilège de pouvoir partager avec le public, par le cante, mes idées républicaines et mon opposition à la monarchie, et comme cette liberté a un prix, je le paie. — [Propos recueillis par José Ruiz] El Cabrero, mardi 11 octobre, 20 h 45, Théâtre des Quatre-Saisons, Gradignan (33170). Renseignements 05 56 89 98 23 www.t4saisons.com —


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