Vaines tentatives

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L'histoire de

Life racing Engine Auteur : Pierre-Yves Riom


LIFE F1

Vaines tentatives Life Racing et son trublion propriétaire, Ernesto Vita, ont incarné à la fin des années 90 le symbole d’une époque révolue. Une époque durant laquelle c­onstructeurs ­fortunés et entrepreneurs indigents se côtoyaient dans les ­paddocks de Formule 1. Bien loin des paillettes et du star system, l’aventure de cette précaire écurie de course est une histoire d’hommes, d’argent et surtout de passion. Par Pierre-Yves Riom | Photos : John Townsend / Autosport / DR


LIFE F1

Franco Rocchi et son projet inachevé

­Rocchi ­tandis que le transalpin venait de p ­ résenter

­­Paddock Hill Bend, la confusion règne au cœur

à ses responsables un p ­remier ­ prototype 3

du peloton, l’accrochage est ­inévitable. ­Christian

­cylindres de 500 cm , aux ­performances parait-il

­Danner, Piercarlo Ghinzani, Allen Berg et Jacques

­concluantes. Frustré, Rocchi abandonne t­ ristement

­Laffite se retrouvent impliqués dans cet i­ncident

ense et captivante, l’histoire de la

ses travaux en ayant ­toutefois réussi son pari de

aux conséquences dramatiques. En percutant

Formule 1 est ­ ­ profondément marquée

­prouver au ­petit m ­ ilieu des ­motoristes ­reconnus, sa

le rail de sécurité de pleine face, le nez de la

n ­ ombreux

­sagacité et sa d ­ étermination. Pour preuve, M ­ auro

­Ligier-Renault n°26 se disloque, ­provoquant de

ingénieurs et entrepreneurs autant f­antasques ­

­Forghieri fait appel à ses c­ompétences en 1970

­multiples fractures aux ­jambes et au bassin du

que ­passionnés. Franco Rocchi est l’un d’eux...

pour ­façonner le bloc Typo B12 des modèles 312 B

­pilote français. Après 176 Grand Prix ­disputés, la

et T dont les s­ uccès aux mains de Niki ­Lauda ­seront

carrière de Jacques Laffite en Formule 1 s’arrête

Pour comprendre l’éphémère histoire de ­l’écurie

­historiques en 1974 et 1975. ­Jusqu’au-boutiste,

net.

Life, il est ­ nécessaire de remonter le temps.

­Franco Rocchi quitte la Scuderia F­ errari à ­l’issue de

Retrouvons-nous donc en 1967 et poussons ­

la ­saison 1974 et créé son p ­ ropre b ­ ureau d’études.

les portes de l’atelier de la Scuderia Ferrari. À

Souffrant de troubles c­ardiaques, l­ ’ingénieur

­proximité du vaste espace dédié à ­l’assemblage

âgé de 52 ans se retire ainsi des ­tumultes de la

des 330 P4 et 312 F1, le bureau d’études

compétition pour se ­consacrer sereinement à ses

­phosphore sous la d ­ irection d’un Mauro F­ orghieri

­recherches sur les m ­ oteurs à l­’architecture en W.

D

par

l’enthousiasme ­

de

3

plus que jamais ­prolifique. Tandis que ­l’équipe du ­Commendatore livre bataille avec Chris Amon et

Malgré une ­ obstination e ­ntière quatre années

Ludovico S­ carfiotti, les têtes pensantes à ­Maranello

­durant, le projet de ­Franco ­Rocchi ne convainc

­préparent l’avenir et conçoivent un moteur hors

­personne et l’italien r­etrouve les tables à dessins

du commun : un W18 3.0L !

de Maranello e ­ ntre 1979 et 1982. P ­ robablement lassé, Rocchi prend finalement sa retraite et donne

En charge de ce dossier avant-gardiste, ­Franco

une ­nouvelle ­orientation à sa carrière en entamant

­Rocchi est un ami proche et fidèle d’Enzo ­Ferrari

des études a­ rtistiques c­onsacrées à la peinture.

et œuvre au d ­ épartement ­moteur de la m ­ aison

Fausse ­abdication, car le feu de la passion b ­ rule

italienne depuis 1949. Il en est p ­rofondément

­encore dans la ­poitrine du s­ exagénaire...

­convaincu « À cylindrée égale, ce type de propulseur ­

à

l’architecture ­

si

particulière

­fournit bien plus de couple qu’un V12. Pour un ­ensemble plus compact et plus léger ! » Alertée par les r­umeurs de cette agitation créatrice, la ­Commission ­Sportive ­Internationale (CSI) adopte rapidement une clause ­ ­ réglementaire visant à ­interdire les moteurs de plus de douze ­cylindres afin de ­contenir les coûts en Formule 1. C ­ ette ­annonce, brutale, stoppe les ­recherches de F­ ranco

Un changement de règlement opportun

D

Ce drame fait réagir les instances dirigeantes. À l’image des mesures misent en place pour les Sport-Prototypes, la FIA ­impose une modification du règlement visant à améliorer la sécurité des ­pilotes de F1. Ainsi, le pédalier d’une monoplace doit d ­ ésormais être positionné ­derrière l’axe des roues, pour protéger au ­ maximum les jambes

imanche 13 juillet 1986. Circuit de

du p ­ ilote. La ­principale ­caractéristique de ­cette

Brands Hatch. 26 ­ pilotes s’élancent

mesure ­entraine ­l’augmentation de ­l’empattement

pour ce Grand Prix de G ­ rande-Bretagne,

des voitures dont la ­ structure globale se voit

­neuvième épreuve du C ­ hampionnat du Monde

­nettement ­modifiée.

de F­ ormule 1. À l’approche de l’abrupt virage de L’opportunité est trop belle. Franco Rocchi, ­retraité

GRand prix d'allemagne 1976 La Ferrari 312 T2 et son 12 cylindres à plat, création de Franco Rocchi

mais sur le qui-vive, voit en ce ­bouleversement technique une ultime chance de donner vie à sa quête éternelle. L’inventif italien le sait, plus que quiconque, les moteurs en V sont plus ­volumineux que son prototype en W et il s’imagine déjà ­convaincre les écuries à la recherche d’une ­solution alternative. Vingt ans après ses premiers calculs, suspendus à un stade précoce, Rocchi tient enfin l’opportunité de démontrer le bien-fondé de ses innombrables études de faisabilité. Pour accomplir son rêve, il ne manque à Franco Rocchi qu’un partenaire emblématique. Et si son ami Ernesto Vita pouvait être l’homme clé de ce second souffle ?


LIFE F1

La rencontre de deux hommes

P

assionné par le sport automobile et pilote à ses heures ­perdues, Ernesto Vita est avant tout un ­entrepreneur ­éclectique. Après une

courte ­carrière en Formule Ford puis en ­Formule 3, son père, i­ndustriel reconnu de la ­matière ­plastique, lui ­suggère de se ­ consacrer p ­leinement

à

des

o ­ ccupations

plus

­commerciales. ­Plurivalent, Vita butine dans ­ divers secteurs telle

p ­ roduction

­cinématographique,

cylindre et q ­uatre a­rbres à cames en tête. Si

galvanisé

ses ­ performances mécaniques sont standards,

par

l’interdiction

imminente

des

­moteurs turbocompressés en Formule 1, F­ ranco

ses

mensurations

s’avèrent

particulièrement

Rocchi présente ses travaux de recherche à ­Ernesto

contenues avec une longueur totale de 530 ­

Vita. La poignée de main entre les deux hommes

mm pour une masse de 140 kg, soit 180 mm et

est franches et quelques semaines plus tard née

15 kg de moins qu’un V8 Cosworth. ­ L’objectif

Life Racing Engines, une société de c­onception

de la ­ compacité est pleinement rempli, la

et de production de moteurs de course basée à

­commercialisation est désormais imminente. Mais

­Formigine, près de Modène. Les ­convictions techniques

de

Franco

la concurrence est rude...

Rocchi

s’accordent ­ ­ désormais avec la

Par les modifications apportées au règlement

passion sans limite d’Ernesto

de la saison 1989, le marché des ­ motoristes

Vita pour le monde de la

s’agite. Yamaha et ­ Lamborghini se l­ ancent

compétition automobile.

dans ­l’aventure F1, Judd propose deux V8 aux spécifications d ­ ­ifférentes tandis que ­ Honda et

­d’activités, la

­emblématiques... Franco Rocchi ! En juillet 1988,

la

­construction de b ­ âtiment et le commerce ­d’acier. ­Toutefois, son parcours a­ typique le reconduit au sein de la firme ­familiale et notamment sur un des sites de ­production situé à Maranello. Non loin de la Via Alberto Ascari, le jeune Ernesto noue alors de précieux contacts avec certains membres de la Scuderia et rencontre ainsi l’un de ses cadres

entreprise,

­Renault ­révolutionnent la ­discipline en p ­ résentant

quasi-familiale, s’active au ­

La

petite

deux nouveaux moteurs V10. Enfin, pour les

cours de l’hiver et présente en

équipes les plus modestes, ciblées par Life ­

Mars 1989 son premier m ­ oteur.

­Racing ­Engines, Ford-Cosworth capitalise sur un

Ce bloc, le ­ Rocchi F35 tel qu’il est

­rapport ­prix-performances-fiabilité imbattable.

­baptisé, est un inédit 12 cylindres en W 3.5L à

Bien que les écuries Coloni, Eurobrun et March

60°. Il développe, au banc d’essais, 650 chevaux

­semblent un temps intéressées par le Rocchi F35,

à un r­égime maximal de 12 500 tours/minutes.

­aucune s­tructure ne signera finalement de bon

­Alimentée par l’injection directe, la création de

de ­commande à la jeune société italienne. Pour

Franco ­Rocchi est dotée de cinq soupapes par

­Ernesto Vita, c’est la douche froide !

grand prix de grande bretagne 1990 Avec seulement cinq tours de piste couverts avant ­l’explosion du W12, Bruno ­Giacomelli ­réalise un temps 3 ­secondes plus rapide que Mika Salo... p ­ oleman de la manche de F3 !


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Trop de sueur, de patience et d’argent ont été consommés pour en rester là. ­ Toujours autant ­motivés, Ernesto Vita et F­ ranco ­Rocchi n’abdiquent

Eco-Emballage

de Lamberto Leoni se brulera les a­ iles de c­ette manière, deux saisons s­ eulement après sa c­ réation. Basée sur un châssis de March 88B (F3000), la

P

lus qu’une autre époque, le début des

First L189 i­ ncarne symboliquement l’abysse

­années 90 est une p ­ ériode faste pour les

technologique et financier séparant les équipes

accessits à la catégorie reine du sport

phares à certaines initiatives artisanales parfois

­automobile. Avec des grilles de départ ­étendues

caractérisées de dangereuses. A ­ ­bandonnée en

constructeur à produire ­châssis et m ­ oteur, Life

à 30 monoplaces, la tentation de rejoindre les

cours d’assemblage par son concepteur, débauché

Racing Engines aspire à ­aligner en course une auto

­paddocks de F1 est trop grande pour des ­écuries

par Guy Ligier, cette monoplace révèle de graves

de leur fabrication entrainée par le W12 F35. Là où

aux budgets p ­ arfois d ­ érisoires. Ainsi, il est c­ ourant

défauts touchant les attaches de suspension,

la raison devrait inciter les deux amis à ­développer

de voir muter en ­écurie de Formule 1 des ­structures

la colonne de direction et le châssis dont les

et ­ fiabiliser leur ­ moteur pour ­ convaincre des

de F3000 à l­’expérience très limitée. L’équipe First

­matériaux composites ont été mal travaillés.

pas et ambitionnent un projet d’une ­envergure ­inconsidérée pour une structure aussi petite. À ­l’image de la ­prestigieuse Scuderia Ferrari, seul

­potentiels acquéreurs, la p ­ assion les e ­ ntraine dans un challenge autant ­présomptueux ­qu’irrationnel. Ainsi, ­ malgré une d ­étermination ­ inépuisable, Ernesto Vita se ­ ­ retrouve face à la ­ réalité. Life Racing Engines ne ­possède ni les m ­ oyens ni les compétences pour concevoir et p ­roduire une ­monoplace de ­Formule 1. L’envie est bel et bien là et à m ­ oindre frais, ­l’astucieux ­entrepreneur italien achète donc l’étude de d ­éveloppement d’une voiture f­raichement ajournée du crash test d ­ ’homologation de la FIA : la FIRST L189.

Formula 1 INdoor trophy 1988 Gabriele Tarquini étrenne la FIRST L189 au Motor Show de Bologne


LIFE F1

LIFE L190 W12 Malgré ce constat alarmant, la monoplace

-ment la m ­ ­ onoplace désormais nommée Life

F3000 au Japon, ils m’ont proposé un contrat de

est présentée à la presse et une demande

L190. Avec une émotion certaine, Franco R ­ occhi

titulaire pour deux ans. P ­ lusieurs membres de

­d’engagement est envoyée à Bernie Ecclestone.

assiste à la mise en place de son moteur W12 3.5L

l’écurie sont des ­anciens de chez Ferrari, je pense

sur le châssis carbone avant que l’écurie prenne

que l’équipe a un ­futur ­prometteur. » Le discours

Après un déverminage médiatique aux mains

la ­direction du circuit de ­Vallelunga, le 21 février

est teinté d’un ­optimisme naïf, bien que tous les

de Gabriele Tarquini, le 7 décembre 1988 lors du

1990, pour les premiers essais. Ernesto Vita, de

espoirs soit e ­ ncore permis tant la motivation des

­Formula One Indoor Trophy de Bologne, la First

nature constamment ­serein, est ­toutefois tendu

troupes est palpable.

L189 échoue sans grande surprise au crash test

lorsque ses partenaires t­echniques et fi ­ nanciers

d’homologation de la FIA. Accablé par l­’ampleur

découvrent la monoplace teintée rouge sang

De son coté, Franco Scapini n’est présent qu’en

des modifications demandées par les c­ ommissaires

miraculeusement assemblée la veille. ­ ­ Capot

­observateur. Malgré une expérience très l­imitée

techniques, Lamberto Leoni ­abandonne le ­projet

­moteur non-monté et faisceau é ­ lectrique visible,

à ce niveau, l’italien est désigné pilote de

pour retourner en Formule 3000. En proie à des

les débuts sont hésitants et m ­ ettent en e­ xergue la

­développement et devrait être à pied ­d’œuvre

sérieuses difficultés financières, First Racing

masse de travail restant à fournir pour être prêt à

au volant du second châssis, prévu pour le mois

trouve un accord avec Life Racing Engines pour

Phoenix.

d’avril. À l’issue de ce court shakedown, Gary

vendre son châssis dans les plus brefs délais. ­

Brabham ­ ­ s’enthousiasme quant à l­’orientation

Nous sommes en Avril 1989 et à défaut de vendre

Deux pilotes se rendent dans la province de Rome

technologique choisie par Franco Rocchi «

leur moteur W12, Ernesto Vita et Franco Rocchi

pour cette prise de contact : Gary Brabham et

­Evidemment, il y a encore beaucoup de ­travail à

­viennent d’acquérir un châssis de Formule 1. Le

Franco Scapini. Pour l’Australien, cette nomination

réaliser et je ne vais pas avoir b ­ eaucoup de temps

rêve devient alors réalité. Une dure réalité.

de titulaire est une surprise. Certes, le cadet de la

au volant de la voiture avant P ­ hoenix. Mais le

Objectif : Arizona

fratrie Brabham a déjà piloté une Formule 1 mais

moteur semble ­finalement être ­fantastique. Pour

ses expériences se sont limitées à de rares séances

le moment, nous ne ­dépassons pas les 11 000 tr/

A

d’essais privées pour Benetton et March l’année

min mais à bas r­ égime, il tire comme un train dès

u cours de l’année 1989, les m ­ écaniciens

précédente « L’équipe s’est montrée intéressée

4000 tr/min ! Cela devrait être une bonne chose

et ­ ingénieurs de Life Racing E­ngines

par mon expérience en tant que pilote d’essais

pour cette première course sur un circuit urbain. »

­travaillent ­d’arrache-pied pour ­mettre

pour Benetton et par le fait que je suis titulaire

en conformité leur monoplace. Avec de faibles

d’une super-licence. J’ai été invité à visiter l’usine

Trois semaines plus tard, le discours du néophyte

moyens budgétaires et humains, le miracle a ­

et ­j’espérai signer un contrat de pilote d’essai.

changera radicalement…

­néanmoins lieu lorsque la FIA valide technique-

­Alors que je pensais poursuivre ma carrière en

g


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Cruelles désillusions

Malgré leurs mines blêmes, dues à une nuit

-ble : le chronomètre. Roberto Moreno, Éric

­entière de travail, l’ingénieur Maurizio Ferrari, le

­Bernard, Olivier Grouillard, Aguri Suzuki, G ­ abriele

chef m ­ écanicien Olivier Piazzi et leurs camarades

Tarquini, Yannick Dalmas, Claudio Langes, ­Bertrand

­arborent des sourires communicatifs. Élevés sous

Gachot et Gary Brabham s’élancent a­insi sur le

perfusion des exploits de la grande Scuderia, ces

ruban bosselé qui leur est offert, encore ­enduit

la

jeunes hommes sont avant tout passionnés de

d’une poussière aveuglante et piégeuse.

­Formule 1 est trop populaire aux yeux de

Formule 1 et vivent, malgré la rudesse des e­ fforts,

son grand argentier. Avec 35 ­monoplaces

un rêve éveillé. Vingt mois après sa création,

inscrites par 19 écuries au Championnat du

­l’officine italienne est désormais seule face à son

À

l’orée

d’une

nouvelle

décennie,

Monde 1990, Bernie Ecclestone compte faire le ménage et pour cela son

destin. Nous sommes le vendredi 9 mars 1990, Les premiers rayons de soleil

règlement ne fait pas de cadeau.

percent l’horizon pour réchauffer

À l’issue d’une séance couperet,

les corps alanguis, c’est l’heure...

disputée le vendredi de 10 h 00 à 11 h 30, les quatre voitures les plus rapides accèdent à la séance de qualification où seules les vingt-six plus rapides des trente obtiennent leur place sur la grille de départ.

Dans les stands désuets du ­circuit de Phoenix, l’ambiance est étrange. Tandis que les « patrons » du paddock

En quatre petits tours agonisants, l’australien

dégustent sereinement leur café crème,

­établi un temps 36 secondes plus lent que celui de

installés dans leurs confortables motorhomes,

Robert Moreno (1er pré-qualifié) et découvre, sans

les préposés à la ­pré-qualification sont au cœur de

ménagement, le faible niveau de performance de

Dans ce contexte lourd, pressurisé par des mois

la tourmente. Ils sont neuf m ­ ercenaires, harnachés

sa monture. Pour Ernesto Vita et toute son équipe,

de labeur acharné, les membres de l’écurie Life

dans leur baquet, d ­ éterminés, fixant intensément

le week-end américain n’aura duré qu’une ­poignée

posent les pieds sur le sol américain le cœur ­

ce feu vert faisant face au museau de leur modeste

de minutes.

gros. Si la maigre délégation ne se compose que

monoplace. Tels de valeureux chevaliers en quête

de six personnes, dont le chauffeur, l’ambiance

de l’objet divin, ces apprentis disposent de 90

­frémissante du box n°39 respire la passion.

­minutes pour lutter face à un ennemi incorrupti-

...

Gary Brabham s’élance depuis la pitlane du circuit de ­Phœnix pour les premiers tours de roues, en ­compétition, de la Life L190 à moteur W12.

grand prix dES ETATS-UNIS 1990


LIFE F1

Désabusé, l’australien ne cache pas son ­désarroi

Nous

lui

avons

demandé

de

faire

des

de la L190, il se met en quête d’un pilote ­« ­Super

à l’issue de cette courte expérience dans

changements qui permettraient à l’équipe ­

Licencié » pour succéder à Gary ­Brabham. Des

­l’Arizona « Je savais que nous n’avions aucune

d’atteindre un niveau de professionnalisme

­contacts sont alors noués avec Bernd S­ chneider,

chance de figurer sur la grille de départ. J’ai

compatible avec la F1. Gary a fait tout ce qu’il

pigiste pour Arrows à Interlagos, mais face

d’abord ­effectué quatre tours pour ­reconnaitre

pouvait pour aider l’équipe, apprenant même

à ­ l’ampleur du chantier l’allemand préfère

le tracé, puis je me suis lancé dans un tour

l’italien et s’installant directement à ­proximité

­poursuivre sa carrière en Groupe C.

­rapide. J’ai alors mis le pied dedans et presque

de l’atelier de Formigine. Je dois dire que nous

­immédiatement, le moteur a cassé ! »

regrettons de rompre nos liens avec ­Life ­Racing

C’est alors qu’Ernesto Vita, probablement ­résonné

mais nous devons faire face à l’absence totale

par l’adversité, prend une des rares ­ décisions

Gary

de communication au sein de ­l’équipe. Nous

­rationnelles de l’histoire de son é ­ curie. En p ­ atron

­Brabham prend la direction de la Floride pour

avons demandé certaines garanties en matière

responsable, Vita fait une o ­ ffre de contrat à un

retrouver son frère Geoff, expérimenté pilote ­

de sécurité, d’installations et de ­personnels et

­pilote italien, expérimenté et p ­ erformant. ­Bruno

­officiel Nissan en IMSA. L’objectif de ce séjour

nos demandes n’ont pas été reconnues. Nous

Giacomelli, 38 ans, 69 départs en Grand Prix,

est alors affirmé : se ressourcer pour retrouver

considérons cela comme une violation du

devient ainsi le nouveau fer de lance de Life ­Racing

une motivation intacte auprès de ses ­proches.

­contrat. » Ces mots, durs, sont ceux du m ­ anager

Engine. Rétrospectivement, les ­ balbutiements

Malheureusement, la situation déjà tendue avec

de Gary Brabham, Don ­MacPherson le 15 avril

du projet auraient dû être a­ rticulés autour d’un

l’équipe Life se détériore sensiblement lorsque

1990 et scellent définitivement la r­upture entre

homme au caractère et à la détermination de

son manager l’informe des rumeurs i­ndiquant

le pilote titulaire de l’équipe et son employeur.

Giacomelli. En recrutant Gary Brabham, Ernesto

Союз Советских Социалистических Р е с п у б л и к

Vita a trop usurpé la marge de progression de sa

Dans

l’intermède

américano-brésilien,

la capitulation pure et simple de son écurie au Championnat du Monde. Dans ces conditions, peu propices au travail fructueux, Gary B ­ rabham pénètre le paddock du circuit d ­ ’Interlagos avec

voiture, pensant miser sur l’avenir avec un pilote débutant. Sans remettre en cause la motivation de l’australien, il aurait été préférable de ­confier la voiture à un pilote ­ capable, par son vécu,

une ­appréhension ­certaine. Persuadé du départ d’Ernesto Vita et de ses

­d’encaisser les échecs tout

hommes

l’Italie,

en créant une dynamique

reprend

positive dans les moments

le

vers

néophyte

­miraculeusement

les plus difficiles.

des

couleurs lorsqu’il découvre sa monoplace, esseulée,

Les

défaillances

dans un des vastes box du

­ressources

circuit pauliste.

sont

désormais

réglées,

mais

l’équipe

­ manque

­humaines

douloureusement

Si la voiture frappée du n°39

en

de

est bien là, les conditions

budget. Autant pour le

de travail sont précaires.

­fonctionnement ­quotidien

Pas de réceptif, quelques

de sa structure que pour

chaises

plastiques,

l’étude de la future voiture,

deux tréteaux, un système

Ernesto Vita doit convaincre

­informatique anachronique,

des ­partenaires ­capables

en

les membres de Life ­Racing ­semblent évoluer de façon empirique dans un monde parallèle qui les dépasse ­ totalement. Avec peu d’espoir, Gary Brabham s’installe à bord de la L190 pour une seconde tentative de pré-qualification, face aux mêmes prétendants ­ qu’à Phoenix. Si le bilan était désastreux aux Etats-Unis, la « performance » d’Interlagos e ­ ntraine l’équipe dans une dimension plus démoralisante encore. Pour cause, la Life W12 n’aura progressé sur le tarmac brésilien que 450 mètres... moteur cassé ! « Comme vous le savez, nous avons formulé quelques modestes demandes à Ernesto Vita, mais il a simplement refusé de nous entendre.

T

el un roman de gare dont Gérard de Villiers ­aurait apprécié l’intrigue, les sept semaines suivantes marqueront l’histoire de l’écurie

Life a­ utant que celle de la Formule 1. Quelques jours seulement après l’échec brésilien, Ernesto Vita doit faire face à l’abdication de son pilote et de son designer en chef, aux menaces de Goodyear ainsi qu’aux fulminations de Bernie Ecclestone, vice-président de la FIA. La situation est critique... Prenant

ces

diverses

problématiques

à

bras-le-corps, Ernesto Vita puise à travers sa ­ ­passion des ressources inépuisables pour tenter de sauver son entreprise. S’il reste impuissant devant la démission de Gianni Marelli, concepteur

d’injecter des fonds très rapidement. Sous pression des ­ invectives de Bernie Ecclestone, les cadres dirigeants de Life Racing franchisent alors le rideau de fer. En pleine révolution de velours, symbole de la fin de la guerre froide, Ernesto Vita entend profiter du changement de cap opéré par les états membres de l’URSS. Désormais partisans d’une économie libérale, ces pays s’ouvrent timidement aux partenariats techniques et financiers avec des sociétés de ­ l’ouest. Dans ce contexte géopolitique ­sensible, Life Racing Engine conclut un marché avec le consortium soviétique Pilowski I.C pour la ­fourniture de matériaux spécifiques tels le titane

De la éc


LIFE F1

grand prix dU CANADA 1990

epuis Imola, Bruno Giacomelli a pris le relai de Gary Brabham pour tenter de pré-qualifier Life L190. Sur le circuit Gilles Villeneuve de Montréal, la 5ème tentative de la saison sera un chec à plus de 21 secondes de Roberto Moreno, le plus rapide dans cet exercice. et la fibre de carbone. Sans maitrise ­particulière

déclin de Life-Pic papillonnera de Saint-Marin à

son épouse Francesca Papa et Daniele ­Battaglino

dans ce domaine, la petite société t­ransalpine

Jerez. La perestroïka ­n’aura ­vraisemblablement

l’actionnaire majoritaire y laisseront des plumes

manque de savoir-faire pour réaliser les pièces de

pas été autant permissive que prévue et

! À bout de souffle tant psychologique que

l’actuelle L190 et de la future L191. S­ ous-traitant

l’obscur ­ ­ Mihail Pilowski ne signera jamais le

financier, ils ne pourront financer les deux ­

de l’industrie aérospatiale et r­esponsable de

précieux chèque promis tandis qu’il ne fournira

derniers déplacements à Suzuka et Adélaïde ­

la maintenance des sous-marins nucléaires

aucune pièces spécifiques si couteuses à ­

et abdiqueront avant même la fin de la saison.

­soviétiques, Mihail Pilowski devient ­officiellement

­l’officine ­transalpine. Tout au long de ces ­douze

L’amende de 400 000 Dollars, infligée par Bernie

le principal partenaire d’Ernesto Vita et promet

­tentatives de pré-qualification infructueuses, bon

Ecclestone pour ne pas être allé aux antipodes,

d’injecter 20 Millions de Dollars dans le ­capital

­nombre d’observateurs dédaigneux cracheront

anéantira l’idée même d’envisager une Life L191.

de l’écurie désormais appelée Life-Pic. Ainsi pour

­inlassablement leurs venins sur cette troupe de

célébrer ce ­mariage d’intérêt, la monoplace de

passionnés plus courageuse que menaçante.

L’histoire prend ainsi fin le 28 septembre 1990 à

Bruno Giacomelli à la teinte très « soviétique

Certes, les ambitions folles de cette petite

11 h 30, sous l’écrasante chaleur andalouse venue

» sera frappée de la f­aucille et du marteau à

équipe artisanale ne s’accordaient guère avec ­

plomber les stands du circuit de Jerez

­compter du Grand Prix de Monaco.

les ­orientations élitistes prises par le circus de la ­Formule 1, mais nous ne pouvons pas r­ eprocher

Si l’on s’en réfère aux partenariats conclus ainsi

à de véritables forças de la mécanique d’être

qu’aux recrutements opérés avant le troisième

­capable de terminer l’assemblage d’un moteur la

rendez-vous de la saison, à Imola, l’équipe

nuit précédant des essais libres. Malgré l’abandon

Life Racing se trouve dans de biens meilleurs

du moteur W12, l’œuvre iconoclaste de Franco

dispositions qu’auparavant : Bruno Giacomelli ­

Rocchi, remplacé par un conventionnel V8 Judd

est un pilote d’expérience à la motivation ­intacte

à partir d’Estoril, les prestations des rouges ne

et les carences de compétences techniques sont

s’amplifieront pas d’un iota.

pansées par un « solide » investissement de ­Pilowski I.C...

Bruno Giacomelli s’est battu, ­passionnément, pour

À bout de souffle...

espérer décrocher une place en ­qualification mais

M

en vain. Sa monoplace, trop peu au point et f­ ragile à l’extrême, ne lui permis de ­hausser le rythme

algré la hargne d’Ernesto Vita, couplée

que trop rarement et lorsque l­’opportunité se

à son envie incommensurable de voir

présentait, les 360 ch du W12 pâlirent de honte

performer son entreprise, l’immuable

face à la cavalerie de la c­ oncurrence. ­Ernesto Vita,

© 2013 Pierre-Yves Riom


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