Visions solidaires pour demain N°3

Page 15

visions de la solidarité sociale

Catherine Tourette-Turgis a fondé l’Université des patients en 2009, avec l’objectif de recueillir les savoirs des patients et de les aider à transformer leur expérience de la maladie en expertise. Pour elle, l’attention à l’autre, notamment à l’autre vulnérable, commence par un changement de paradigme : approcher les malades par leurs capacités et non par leur déficit.

Les patients ressentent-ils un manque de considération dans la relation de soin ?

D’où vient votre engagement auprès des personnes vulnérables ? Je me suis engagée dans la lutte contre le sida dans les années 19841985 et j’ai passé vingt ans comme engagée volontaire dans ce combat contre la maladie. Dans le VIH/sida, ce sont les malades qui ont eu des idées de conception d’essais cliniques. Ils se sont mobilisés pour faire avancer la recherche de traitements, pour obtenir des financements, pour inventer des dispositifs de prévention, etc. Finalement, c’est à cette époque-là que j’ai pris conscience que les malades faisaient partie de la solution, que ce n’étaient pas eux le problème. Pour le dire autrement, il n’y a pas de malades à prendre en charge, mais des malades à prendre en compte. Personne n’a de malades en charge, cela serait bien trop lourd, mais tout le monde a des malades à prendre en compte. Ce compte est universel et n’a rien à voir avec les règles comptables. Il est à lui seul un modèle des nouvelles économies de la conversion, au sens où ce que je donne est converti en désir, en vie, en ressources au service du maintien du monde. Cette démarche, nous essayons jour après jour de la mettre en place à l’Université des patients, en misant sur la C. T.-T. :

CATHERINE TOURETTE-TURGIS : Le problème

de l’attention à l’autre dans la relation de soin et dans la relation au système de santé en général est le même que celui que nous rencontrons dans l’enseignement : l’organisation verticale. C’est-à-dire que l’on décide pour l’autre. L’autre est forcément quelqu’un qui a besoin de moi, qui est vulnérable, qui est faible, et d’ailleurs forcément en dessous. Je dois donc penser à sa place... En quoi l’approche capacitaire que vous défendez est-elle une réponse ? L’idée de l’approche capacitaire est de renverser la situation et de dire « pensons ensemble ». On a besoin les uns des autres, mais dans les deux sens. À l’Université des patients, une étudiante m’a dit le jour de la remise des diplômes : « Ici, on nous regarde à niveau égal, d’œil à œil, on n’est pas en dessous et vous ne vous mettez pas au-dessus… » Que les personnes vulnérables se sentent reconnues d’égal à égal, c’est l’un des objectifs des parcours diplômants de l’Université des patients. C. T.-T. :

16

Diplômer les malades est donc votre façon de les prendre en compte ? C. T.-T. : Lors de l’arrivée des trithérapies,

je me suis aperçue que le retour à la santé était extrêmement difficile pour les malades du sida, que les thérapeutiques ne suffiraient pas, qu’il fallait les accompagner, les aider à se reconstruire socialement. J’ai eu l’idée de monter l’Université des patients après avoir entendu le maire de San Francisco faire un appel aux universités de Californie pour leur demander de prendre gratuitement les anciens malades du sida qui désiraient revenir vers le monde du travail. Une autre initiative, la HIV University, m’a confortée dans mon projet. Cette structure a été créée par les Afro-Américains afin d’apprendre au sein de leur communauté à se battre contre le sida, à construire des plai-

Il n’y a pas de malades à prendre en charge, mais des malades à prendre en compte. doyers pour l’accès aux antirétroviraux, etc. Je me suis dit qu’une université pouvait accueillir toutes ces ressources, tous ces savoirs, toutes ces merveilles de créativité de la lutte contre le sida construits par les malades. Une université pouvait légitimer les compétences acquises par les malades. C’est ainsi qu’en 2009, alors que je dirigeais un diplôme d’éducation thérapeutique, j’ai inclus des malades parmi mes étudiants. Rien, légalement, ne s’y opposait. Nous avons alors commencé à VISIONS SOLIDAIRES POUR DEMAIN N° 3

Crédit photo : David Tardé/Moderne Multimédias

Toujours partir du principe que toute personne, même vulnérable, malade ou en fin de vie, a des capacités.

solidarité entre les étudiants et en luttant contre la mise en concurrence des uns par rapport aux autres.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.