Magazine Expressions n°13

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Extorqué

Musique Anniversaires

Fais gaffe au Pez J

’ai sonné vers 11 heures. C’est Priscilla qui est venue m’accueillir, jappant éperdument derrière la porte. Le sale « rocket » s’acharne sur le lino. J’ai insisté plusieurs fois avant de percevoir le bruit du déambulateur heurtant les murs du couloir. J’entends tonton vociférer à travers la porte pendant qu’il s’affaire à la déverrouiller. Engoncé dans un peignoir aux pans élimés, il a déjà chaussé ses larges lunettes cerclées d’or. À chaque doigt brille une bague étincelante lorsqu’il tend sa main pour me prier d’entrer. Ses cheveux, brunis par quelques artifices chimiques, sont pris dans un filet. Composant avec son embonpoint, je le contourne pour l’embrasser, lâchant un

« bon anniversaire » noué. Nous sommes le 8 janvier et Honky fête aujourd’hui ses 75 ans. Comme chaque année, je vais passer la journée avec mon oncle et vais devoir conduire sa voiture, sa Simca Versailles bicolore. « Une américaine à la française. » Honky s’installe sur la banquette s’apprêtant, selon le rituel, à « pomper trois fois » sur l’accélérateur. Penché sur le tableau de bord, marmonnant son incantation favorite « It’s now or never », il applique de la pointe de ses boots en daim bleu de délicates pressions sur la large pédale caoutchoutée. Arborant un sourire satisfait, il me laisse les commandes. Direction le centre commercial. Beaulieu, comme la « bitch » ! Le voici parvenu au Graceland de la consommation, avec une « fever » manifeste. Car c’est aussi l’anniversaire du King. Pour l’occasion, Honky a revêtu ses plus beaux attributs. « Comme le Pelvis un soir de show à Las Vegas. » Sa veste tinte au son des brillants incrustés sur la poitrine, les manches et le dos. Elle brille littéralement. Comme les yeux des gens, incrédules, nous croisant sur le parking du B$$$$$ King où il a l’intention de nous faire déjeuner. D’immenses « 75 » lumineux clignotent au fronton du fast-food. Avant de se jeter sur son menu « Love me tender », Honky avale une poignée de pilules avec du soda et se lance dans son activité digestive favorite : roter des standards. La salle se retourne, effarée, aux premières mesures d’un Hound Dog retentissant. Ma gêne s’amplifie encore lorsque, dans les rayons du King J$$$$, Honky se met à hurler « Take care of business* » en découvrant le prix prohibitif de la poupée à l’effigie d’Elvis qu’il comptait s’offrir pour leurs 75 ans. Meurtri dans sa chair, faute d’argent, il se rabat sur le Pez. Moody Blue**. • Pierre Labardant * Connue également sous les initiales T.C.B, cette expression était la maxime utilisée par le King pour mener la Memphis Mafia qui l’entourait chez lui et dans ses tournées. Elle est même gravée sur sa tombe. ** « Moody Blue » est le titre du dernier album d’Elvis Presley dont une partie a été enregistrée en 1976 par un King déclinant, soutenu par force médications, dans la Jungle Room, une salle spécialement aménagée à Graceland.

un magazine à l’ouest 29


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