Les ogrelets : Fahrenheit 451

Page 1

Les Ogrelets Réalisé par la classe de seconde Littérature et Société du lycée Pierre Mendès France

FAHRENHEIT 451

UN ROMAN D’ANTICIPATION? Ray Bradbury, un môme dans les nuages AUTODAFÉ

LES NOUVELLES FORMES DE DESTRUCTION DU SAVOIR QUAND LE CORAN ET LA BIBLE ONT BRÛLÉ AU SALON DU LIVRE lecteurs d’aujourd’hui Lecteurs

DAVID GÉRY

un artiste à l’écoute Un des murmures du monde

EN PRATIQUE SI FAHRENHEIT J’AVAIS MONTÉ 451 vu FAHRENHEIT pAR dEs lycéENs 451...

PORTRAITS DE FEMMES-LIVRES DE SÉNART, RENCONTRE AVEC BARBARA BOUILLAUD

#3 - Mars 2013


ÉDITO Parmi les dispositifs partenariaux de sensibilisation des adolescents à la création contemporaine, il manquait un outil d’action culturelle pertinent, susceptible de combiner découverte des arts par la pratique et parcours culturel réflexif. Désireux de travailler en étroite collaboration avec les lycées du territoire nous avons initié Les Ogrelets. Pensé comme une académie d’éducation populaire, ce projet a pour ambition d’accompagner le développement du sens critique des jeunes en milieu scolaire. Dans une dynamique inter-établissement, nous avons souhaité organiser la rencontre de lycéens avec des artistes en résidence dans leur établissement. Ces derniers au travers d’œuvres engagées leurs ont proposé un point de vue sur le monde : singulier, critique parfois iconoclaste mais toujours à rebours d’une conception normative et confortable. Pour cette deuxième édition du projet 4 classes de trois lycées du territoire (Les Lycées Pierre Mendès-France de Savigny –le-Temple, Sonia Delaunay de Cesson et l’Institut Saint Pierre de Brunoy) représentant environ 120 élèves ont travaillé avec l’équipe de Benoit Lambert du Centre dramatique de Dijon. Outre les interventions de Benoit et de ses comédiennes, deux spectacles de la saison ont été sélectionnés pour devenir le terrain de réflexion de deux classes de secondes, l’une du Lycée Talma de Brunoy et l’autre du Lycée Pierre MendèsFrance à Savigny-le –Temple. Ce numéro 3 des Ogrelets est consacré à Fahrenheit 451 d’après Ray Bradbury adapté et mis en scène par David Géry. Les problématiques explorées ont tourné autour de : la tentative exercée par les États ou les marchés économiques pour contrôler nos esprits et de la question de l’intérêt général dans nos démocraties occidentales.

Directeur de la publication : Jean-Michel Puiffe Rédacteurs en chef : Camille Sarret (TV5 Monde), Nourhan Safey (professeur), Sarah Mégard Rédacteurs : Mélissa Alexis, Ajanthayani Baskaran , Astrid Chapet, Avila Cogoulane, Emma Jauneau, Chloé Matuki, Walid Mimouni, Daphné Nyassala, Chistelle Passebongo, Bérénice Saulnié, Asrtid Chapet, Magali Ohouens.

Le 29 mars 2013 - Les Ogrelets

Le projet des Ogrelets a été, pour nous, une belle expérience. Une ouverture qui nous a beaucoup appris sur le spectacle vivant. Nous avons eu la chance d’assister à plusieurs pièces de théâtres aussi intéressantes les unes que les autres. De Bienvenue dans l’espèce humaine à Ennemi public en passant par Smashed, les spectacles proposés par la Scène Nationale de Sénart regorgeaient d’originalité et de vivacité. Répartis en 3 groupes, photo, vidéo et presse, nous avons été accompagnés par des professionnels (journalistes, photographes, metteurs en scène, etc…) autour d’un but commun. A partir du roman d’anticipation Fahrenheit 451 de Ray Bradbury et de la mise en scène de David Géry, nous avons réalisé une exposition photos, une revue culturelle et un court-métrage. Au bout des deux jours passés à la Coupole, nous avons relevé le défi du projet et rencontré d’autres élèves qui eux avaient pour mission de mettre scène un extrait de la pièce. Nous avons envie de dire que « l’ouverture d’esprit n’est pas une fracture du crâne ! »

Photographes: Phillipe Delacroix, le groupe photo des Ogrelets de classe de Seconde «Littérature et Société» du lycée Pierre Mendès France. Mise en page : Vanina Beverini et Sarah Mégard Remerciements : Aux proviseurs Guy Ferret (lycée Sonia Delaunay de Cesson), Patrick Arnolin (lycée Pierre Mendès France de Savigny-leTemple), à Slimane Zeghidour (TV5 Monde), Emmanuelle Morillon, Adèle Rellier, Geoffrey Cartaut et Barbara Bouillaud.

Projet initié par : Jean-Christophe Estiot, Caroline Simpson Smith. Mise en oeuvre : Alexandra Boëgler, Jean-Christophe Estiot, Sarah Mégard, Anne Pichard, Jérémy Sicard. Autres intervenants du projet : Olivier Defrocourt (scénographe) et Sophie Jude (comédienne), Equipe technique : Stéphane Harel (plateau), Fanny, Jullian (son) et Tony Vecin (lumières).

2

Le mot des lycéens


THÉÂTRE

Portrait

Ray Bradbury, un môme dans les nuages Ray Bradbury, de son vrai nom Raymond Douglas Bradbury, était un écrivain Américain. Né le 22 août 1920 à Waukegan (Illinois), il était considéré comme un «maître» de la science-fiction. Ray Bradbury découvre la littérature vers l’âge de 7 ans, son premier écrit connu est une autobiographie qu’il écrit à 11 ans. Bradbury se décrit lui-même comme «un môme un peu dans les nuages». En 1934, il quitte l’Illinois avec ses parents pour la célèbre ville de Los Angeles. Le jeune homme a alors 14 ans, il passe tout son temps libre dans les bibliothèques et se met à écrire d’innombrables histoires fantastiques. C’est à 17 ans que sa première nouvelle de science-fiction ( «Script» ) est publiée dans une revue. Ray Bradbury quitte le lycée, en 1938, son diplôme en poche. Mais plutôt que de poursuivre ses études, il décide de vendre des journaux non loin d’Hollywood. Choix qui lui permet de passer encore plus de temps dans les bibliothèques pour pouvoir écrire davantage et apprendre plus sur les héros de science-fiction qui l’inspirent comme Flash Gordon ou Buck Rogers. Ses nouvelles sont de plus en plus publiées, notamment dans des fanzines (périodiques d’amateurs passionnés pour d’autres

amateurs passionnés). En 1938, Bradbury crée son propre fanzine, mais son style jugé trop «imaginaire» ne plaît pas toujours. Il en publiera néanmoins 4 numéros, principalement constitués de ses propres nouvelles. En 1941, est éditée sa première œuvre rémunérée «La Pendule» dans le pulp magazine. Mais c’est en 1945 qu’il est repéré par la célèbre revue Armerican Mercury dans laquelle est publié «The Big Black And White Game». Nouvelle qui recevra le Prix de la Meilleure Nouvelle de l’année 1945. En 1950, Ray Bradbury sort «Les Chroniques Martiennes», un recueil de nouvelles de science-fiction. C’est son premier grand succès. Il enchaîne ensuite avec 3 autres recueils : «L’Homme Illustré», «Les Pommes d’Or du Soleil» et «Les Pays d’octobre». Mais son plus grand succès est Fahrenheit 451, un roman d’anticipation, publié en 1953. Ray Bradbury le rédige en peu de temps, environ 9 jours, sur une machine à écrire dans le fond d’une bibliothèque dans laquelle il fallait mettre 10 cents toutes les demi-heures. Écrire Fahrenheit 451 lui aura en tout coûté 9$80. L’histoire décrit un futur plein d’interdits dont l’écriture et la lecture. Le livre obtient notamment le Prix Hugo

Raymond Douglas Bradbury (1920-2012)0)

du Meilleur Roman l’année suivante sa publication. Le roman est également adapté au cinéma en 1966 par François Truffaut. Après plus de 23 années où Bradbury ne publie plus rien, il revient en 1986 avec quelques romans. Mais victime d’une attaque cérébrale en 1999, il est contraint à dicter ses œuvres non terminées à sa fille. Ray Bradbury meurt finalement le 5 juin 2012 à Los Angeles alors âgé 91 ans. Il laisse derrière lui des écrits qui reflètent la science-fiction poétique, scientifique avec une touche de pessimisme.

Avila COGOULANE

Epoque

« Fahrenheit 451 », de la science-fiction ? Fahrenheit 451 est un roman culte d’anticipation. C’est le plus connu de Ray Bradbury. Le titre « Fahrenheit 451 » (233°) est la température à laquelle le papier se consume. Bradbury y présente une société future dans laquelle la lecture est un crime. Les gens sont individualistes, ne lisent plus, ne pensent plus par eux-mêmes mais ont un tous un avis commun relayé par la télévision. Dans le livre, les pompiers ne sont pas chargés d’éteindre le feu mais de l’allumer afin de brûler tous les livres qui peuvent être trouvés. Parmi eux, Guy Montag fait son travail de pompier sans jamais se poser de questions sur les livres qu’il brûle. Il va un soir faire la rencontre de Clarisse. Cette dernière est une jeune fille de

17 ans pleine d’esprit qui aime la nature, qui observe le monde qui l’entoure et qui, du coup, est considérée comme folle par les autres. Grâce à elle, Montag va peu à peu porter un autre regard sur le monde et ainsi entrer en résistance. Beatty, son supérieur, va tant bien que mal le convaincre que la lecture rend malheureux, mais le pompier va néanmoins se mettre à lire ce qu’il, au départ, brûlait. Fahrenheit 451 est une œuvre où les faits se basent sur une réalité scientifique sensée se produire, ce qui est la définition de la science-fiction. On le voit par tous les éléments que Bradbury avait pu anticiper. Dans le livre, les maisons sont équipées de « murs écrans », sur lesquels sont diffusés des émissions en interaction avec les télés-

DIFFICILE DE NE PAS RELIER À NOTRE QUOTIDIEN CET APPEL À LA RÉSISTANCE pectateurs. Ce qui aujourd’hui correspond à nos télés à écran plat et à la télé-réalité. L’auteur anticipe aussi les écouteurs en imaginant des oreillettes en forme de coquillages, mais aussi cette société étouffée par une publicité massive et qui ne prête plus attention à la nature. Comme une prédiction, Ray Bradbury fait de ce roman de 1953 une œuvre qui A.C. traite de sujets très actuels.

Le 29 mars 2013 - Les Ogrelets

3


THÉÂTRE

Rencontre

A l’écoute des « murmures du monde »

Metteur en scène, David Géry explique son adaptation de Fahrenheit 451. David Géry, qui êtes-vous et où en êtes-vous de votre parcours artistique? Je suis sur un chemin qui m’a conduit à adapter des œuvres de la littérature, mais aussi à alterner entre le théâtre et la peinture. Celle-ci prend de plus en plus d’espace pour moi. C’est aussi un chemin où j’ai rencontré un travail sur le son important. Je suis un artiste qui essaie d’entendre les murmures du monde, comme dirait Faber dans la pièce, et qui essaie de les mettre sur un plateau de théâtre. C’est vrai que la peinture joue un rôle important dans mes mises en scène. Quels artistes vous inspirent ? Je suis nourri de rencontres : il y a des artistes peintres qui m’ont beaucoup marqué, comme Hooper (peintre américain du XXème siècle, ndlr), Nicolas Staël (peintre russe du XXème siècle, ndlr) et plus actuellement Anselm Kiefer (peintre allemand du XXème siècle, ndlr). A chaque fois que je rentre dans un musée ou dans une exposition, je suis comme une éponge. Je suis très admiratif des peintres.

si j’avais été un homme-livre, j’aurais choisi un chapitre de la bible Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans Fahrenheit 451? C’est un livre que j’ai lu il y a très longtemps et qui m’a été remis récemment par JeanChristophe Estiot (directeur des relations publiques, ndlr). Il y a beaucoup de choses qui m’ont marqué quand je l’ai lu et relu. C’est une œuvre qui fait aimer les livres. Ray Bradbury l’a écrit en très peu de temps. Il ne pouvait pas suivre d’études à l’université et passait quatre à cinq jours par semaine dans les bibliothèques à dévorer des livres. Puis, il a découvert cette machine à écrire qui se trouvait au fin fond de la bibliothèque où il fallait dix cents toutes les demiesheures. Ça lui a couté $ 9,80. Je trouve que cette anecdote est magnifique. La scène de Beatty (chef des pompiers dans la pièce, ndlr) m’a énormément marqué. Je l’ai reproduite quasiment intégralement parce que je ne pouvais rien enlever, elle me fait tellement penser à notre monde actuel.

4

Le 29 mars 2013 - Les Ogrelets

David Géry à la Coupole. Crédit photo: groupe photo Ogrelet

Le théâtre, c’est un miroir de notre époque. J’ai voulu m’emparer de cette œuvre parce qu’elle me parlait vraiment de notre époque. Notre société a-t-elle pour futur « Fahrenheit 451 » ? Je ne l’espère pas mais en tout cas beaucoup de choses sont mises en place. Mais il faut lutter. Heureusement qu’à la fin, il y a ces « hommes-livres » qui arrivent. Il y a un moyen de résister mais il faut du courage. Comment est le personnage de Clarisse ? Lucide, résistante, vivante. Elle n’est pas plus intelligente mais éveillée. Cela vient de sa famille, de l’environnement dans lequel elle vit. Pourquoi avez-vous choisi un décor mobile ? Dans la pièce, on passe de scènes en scènes et de lieu en lieu, d’extérieur en intérieur, et donc j’avais envie de quelque chose qui soit comme un grand espace mental. J’aime les décors mouvants parce qu’ils sont actifs, et pour moi, une scénographie doit l’être car elle est actrice du spectacle. « Plus on en sait, moins on est heureux. » Quel est votre avis par rapport à cette phrase ? C’est une phrase qui permet à celui qui a le pouvoir de manipuler les autres. Celui qui a une culture et une réflexion se fait moins manipuler que les autres. En tout cas, plus

on en sait, plus on en est conscient, plus on est lucide, plus on réfléchit et plus cela nous rend responsable du monde dans lequel nous vivons. Que symbolise le feu pour vous ? C’est aseptisant, propre, violent, c’est ce que je voulais. Je tenais absolument à ce qu’il y ait du feu sur le plateau car je voulais un acte violent, quelque chose qui nous réveille un peu. La sécurité s’est mise au point très longtemps à l’avance. C’est un peu compliqué, il faut des autorisations en préfecture, et une fois les dossiers faits on ne peut plus changer les effets. Il faut du temps pour respecter les conditions et normes de sécurité mais ensuite, les acteurs s’y sont prêtés avec beaucoup de charme. Dans le roman, la nature a une place importante. Dans votre mise en scène, ce thème est peu présent, pourquoi ? Oui, c’est vrai. Quand on adapte un roman, on est toujours obligé de raccourcir. A mon sens, Clarisse porte beaucoup le thème de la nature et on le retrouve à la fin avec l’arrivée de Montag dans la forêt. C’est vrai que visuellement, j’ai éludé ce thème car je voulais quelque chose d’assez sec, dur et froid.

Daphné NYASSALA Christelle PASSEBONGO


THÉÂTRE

Critique

David Géry enflamme la scène Un plateau mouvant, des feux angoissants et un jeu d’acteurs remarquable.

Sur le plateau, les pompiers jettent des livres dans l’incinérateur de la caserne. Crédit photo: Philippe Delacroix

Sur scène, trois murs étranges envahissent le plateau. Partie intégrante de la pièce, ils se mettent en mouvement d’une scène à l’autre, symbolisant tour à tour l’intérieur de chez Montag, la caserne ou même encore des lieux extérieurs tels qu’un parc, une rue ou une forêt. Le décors est planté ! Cette adaptation de Fahrenheit 451 est fidèle au livre. Nous y retrouvons tous les personnages principaux, c’est-à-dire Montag (héro de la pièce, pompier), sa femme Mildred, Clarisse (sa voisine curieuse et cultivée), Faber (le vieux sage, allié de Montag) et Beatty (le chef pompier). Par contre le thème de la nature est très peu, voire pas du tout abordé. C’est mieux ainsi : en éliminant cette partie cela allège la pièce. Le feu est énormément présent du début à la fin, c’est génial ! Le metteur en scène a décidé de faire apparaître de vraies flammes sur le plateau. Au premier rang, nous avons eu un coup de chaud, une grosse frayeur jusqu’à en crier. Le jeu des acteurs était particulièrement bon. La comédienne qui jouait le rôle de Mildred était excellente ! Son rôle lui correspondait à merveille. Intriguante et marrante, elle se comportait tex-

tuellement comme dans le livre. Ses scènes étaient parfaitement jouées, elle réussisait à captiver toute l’attention des spectateurs à chacune de ses interventions. Fantastique ! Par contre, la scène de Beatty était assez longue et lassante. Dommage... Mais au milieu de la pièce, une scène est particilièrement forte. Inattendue, surprenante, elle relance le dynamisme de l’histoire. Alors qu’ils perquisitionnaient la maison d’une vieille dame, les pompiers ont brusquement jeté des livres sur l’avantscène à quelques mètres des spectateurs. Ce moment nous a beaucoup marquées car c’est à cet instant que Montag se remet en question et commence à lire des livres : c’est l’élément perturbateur. A la fin, des hommes-livres descendent des gradins sur la scène. Tous amateurs, un choix de David Gery. Chacun lisait un extrait d’un livre qu’il avait choisi. Fahrenheit 451 est une pièce qui ammène à la reflexion. Elle invite les spectateurs à se projetter dans notre possible avenir. Sera-t-il aussi inquiètant que le présage la pièce ? La société dans laquelle nous vivons n’y ressemble-t-elle pas déjà un peu ?

D.N. & C.P.

Le 29 mars 2013 - Les Ogrelets

5


THÉÂTRE

FOCUS

Femme-livre à la Scène nationale de Sénart

Adèle Rellier, étudiante Son choix : «Comme un roman» de Daniel Pennac

«Je l’ai choisi car c’est le livre qui m’a donné envie de lire. C’est le livre qui m’a montré qu’il y avait autre chose au-delà de la littérature «forcée» que l’on apprend à l’école. C’est le livre qui m’a appris à apprécier un livre pour ce qu’il m’apporte et non pour la qualité de sa prose ou l’élégance de ses vers. C’est le livre qui m’a appris que la littérature est en chacun de nous et que nous sommes tous poètes..»

Le livre pour vous ? «Un rapport chaotique, certes, mais passionné. Pour moi lire est un choix, un besoin ... lorsqu’il devient un devoir, il perd sa substance. Un livre est ce qui nous tient éveillé la nuit, qui nous appelle lorsqu’on passe à coté. On se promet de ne lire que quelques pages mais on se fait absorber par l’univers merveilleux qu’il ouvre devant nous..»

6

Comment occupez vous votre vie ? Je suis étudiante, en première année à l’école du Louvre, c’est une école d’histoire de l’art. Je fais du théâtre depuis huit ans, et je fais du tennis et du chant choral. Qu’est-ce qui vous a poussé à jouer dans cette pièce ? J’adore être sur scène, c’est vraiment agréable. Je m’étais même dit qu’un jour j’allais devenir actrice, donc à chaque fois que j’ai une opportunité, même si c’est cinq minutes, je la prends. Et là en plus, c’est à côté de chez moi, c’est pratique. C’est vraiment une très bonne idée de faire participer les gens. Que pensez-vous du livre de Ray Bradbury et de l’adaptation de David Géry? Je l’ai lu il y’a longtemps, je ne l’ai pas relu, mais enfin, c’est un livre, qui a été écrit en 1970, je crois, (1953 ndlr) et ce qui est bizarre c’est que même aujourd’hui il est encore d’actualité, et l’histoire en ellemême, comment justement la société dérive à un point où on commence à brûler les livres, ça fait un peu peur parce qu’on se dit ça se trouve ça pourrait arriver, ça s’est fait sans qu’on le remarque, et je trouve que actuellement, ça pourrait partir comme ça si on ne fait pas attention. Et je trouve que la mise en scène est bien fait justement pour ça car ils mettent l’accent sur le fait que si on ne fait pas attention, ça va partir en vrille. Comment s’est passé la préparation avec David Géry? C’était un peu chaotique parce que lui-même il ne

Le 29 mars 2013 - Les Ogrelets

savait pas trop ce qu’il voulait. Depuis la première qui a eu lieu à Aubervilliers il a changé au moins cinq-six fois de formules. Au début les hommes-livres devaient finir en lisant un texte, un très long texte, après ils devaient faire un dialogue. Il ne savait pas ce qu’il allait nous demander de faire, si on allait rester longtemps, si on allait venir, ressortir, repartir. C’était un peu flou même pour nous. Et là, à la dernière répétition, il savait vraiment ce qu’il voulait qu’on fasse. Il nous a dirigés et ça s’est bien passé, il a insisté sur le fait que c’est nous qui étions libres de dire le texte qu’on voulait, mais ce n’était pas notre texte en lui-même qui était important, c’étais le fait qu’on soit sur scène, et qu’on le dise, qu’on soit content de le faire partager. Qu’avez-vous pensé de cette expérience ? J’ai trouvé ça super. Si c’était à refaire je le referais parce qu’en plus on rencontre des tas de gens sympa, c’est une expérience un peu plus sérieuse dans le théâtre. Que tirez vous de cette expérience? J’en tire un message. Parfois, j’arrête de lire, j’ai pas envie, je préfère regarder une série, ça m’aide quand même à y retourner, je me dis que là ce soir je vais ouvrir un livre, je vais lire quelque chose, et puis vis-à-vis du théâtre en luimême, je me dis qu’il faut que je continue, et pas que j’arrête car c’est juste jouissif. Est-ce que le spectacle est aussi important qu’un livre ? (Hésitation, ndlr) Oui dans

le sens qu’il fait passer un message et peut-être que des gens seraient venus voir le spectacle sans avoir lu le livre, et que ça permet justement à ce message de passer, et c’est même peut-être plus important car il va donner envie à des gens de lire le livre. c’est un média plus populaire, qui va toucher plus de gens peut-être. Y’a des scolaires qui viennent, y’a des gens qui ont pris ça parce qu’ils ont vu ça dans le programme et ils se sont dit « pourquoi pas » alors qu’ils n’auraient jamais ouvert le livre de leur vie, donc voilà, c’est pour ça que c’est intéressant.

Avez-vous un message à transmettre aux jeunes lecteurs comme nous ? Même si on nous bassine au lycée sur le fait qu’il faut lire des tas de choses, il ne faut pas se dire que le livre est notre ennemi. On peut y trouver des choses hyper intéressantes, Le lycée m’a un peu dégoûté de la lecture, et j’ai arrêté, mais je commence à m’y remettre. C’est une autre expérience de divertissement, c’est autre chose que de regarder la télé et écouter de la musique. On rentre dans un autre univers. Il ne faut vraiment pas oublier que les livres ne sont pas là pour qu’on les apprennent ou pour qu’on passe notre bac à disserter sur les livres. C’est juste pour s’évader, en fait. On peut oublier tous nos problèmes en lisant un bon livre. Il faut juste savoir choisir le bon livre.

Astrid CHAPET Bérénice SAUNIÉ


THÉÂTRE

FOCUS

Femme-livre à la Scène nationale de Sénart

Emmanuelle Morillon, documentaliste La documentaliste Emmanuelle Morillon connaissait déjà David Géry par ses pièces de théâtre précédentes qu’elle avait eu l’occasion de voir à la Scène nationale du Sénart. Dans Fahrenheit 451, elle interprète une des femmes-livres. Pour elle, c’était l’occasion « de faire quelque chose qu’elle n’avait jamais fait ». Emmanuelle avait lu le livre de Ray Bradbury il y a longtemps mais avait trouvé que l’histoire n’était pas très drôle. Elle trouve la pièce plus sympa et plus moderne car « on a l’impression qu’il se passe des choses annoncées dans cette pièce qui se passe maintenant dans le monde dans lequel on est ».

La rencontre avec David Géry et les autres hommes livres s’est très bien passée. Les hommes-livres ont choisi leurs textes, les ont présentés à David puis ils ont tous ensemble préparé l’entrée sur le plateau et l’ordre de lecture. Emmanuelle Morillon n’a pas trouvé cela facile, surtout qu’elle n’avait jamais fait de théâtre auparavant, mais l’aide de l’acteur principal lui a beaucoup servi : « son regard nous faisait entrer dans l’histoire de la pièce et dans le jeu ». Elle en tire une très belle expérience, bien que jouer devant un public l’ait beaucoup stressée. Elle ne souhaiterait pas faire du théâtre son métier.

Elle se sentait moyennement à l’aise sur scène mais à trouver qu’avec les autres hommes-livres le courant était bien passé. La réussite de l’expérience réside surtout pour elle dans le fait que « nous avons tous choisi des textes que nous aimions, et que nous avons défendus et présentés avec enthousiasme ».

Astrid CHAPET Bérénice SAUNIÉ

Son choix : « Le Roi des Aulnes» de Goethe

«J’ai choisi ce texte parce que je le trouve très beau, intense et triste à la fois. L’histoire qu’il raconte est terrible : un père qui amène son fils malade à cheval pour le faire soigner. L’enfant délire et voit dans le paysage un personnage. A la fin du poème, l’enfant est mort, il a rejoint le roi des aulnes.... Le pouvoir d’évocation de ce poème est immense. J’avais presque oublié ce texte, appris lorsque j’avais 15 ans. Il m’a suffi de le relire une fois pour me sentir happée par la scène, par les sonorités et les images qu’il crée..»

Le livre pour vous ?

Les hommes et les femmes livres saluent le public à la Scène nationale de Sénart. Crédit photo: groupe photo Ogrelet

«Les livres, dans leur diversité, m’ont toujours accompagnée. Je peux les associer facilement à des moments de ma vie, heureux ou pas... Ils m’ont fait voyager, changer de pays, grandir, réfléchir, avancer et surtout (sou)rire ! Que de moments délicieux, chaleureux, rassurants ou parfois effrayants. Le livre, c’est une question de survie !»

Le 29 mars 2013 - Les Ogrelets

7


EN PRATIQUE

La pièce vue par les lycéens Elèves de première et terminale aux lycées Pierre Mendès France et Sonia Delaunay, ils avaient pour mission de mettre en scène, en à peine deux jours, un extrait de la pièce Fahrenheit 451. Aidés par des professionnels du théâtre, ils ont organisé l’espace de la scène, créé un décor, inventé des trucages, sélectionné des musiques, défini une ambiance... Résultat : trois créations théâtrales originales pour un même texte.

Morte pour ses livres Une musique stressante, des lumières rouges, jaunes et oranges pour créer une scène oppressante. Voilà comment des lycéens de première et terminale ont choisi d’interpréter l’extrait de la pièce Farhenheit 451: « Les livres de la vielle dame. » Ils veulent aussi faire ressortir la culpabilité et le malaise que ressent Montag, le personnage principal, après la mort de cette vieille femme fortement attachée à ses livres. Représentantes du groupes 2, Florane, 18 ans en terminale ES du lycée Sonia Delaunay, et Julie, 16 ans en première L du lycée Pierre Mendès France, veulent nous faire passer un message : « Il est important de défendre ses pensés jusqu’au bout et de ne pas abandonner », comme le font Montag et la vieille dame dans la pièce. La mise en scène ne fut pas très difficile car il leur a suffit de suivre leurs idées et de se baser sur l’histoire. Même si elles pensent qu’il aurait fallu un peu plus s’attarder sur l’énorme sacrifice de cette vieille dame, Florane et Julie avaient l’air très enthousiastes et déterminées à nous

8

Le 29 mars 2013 - Les Ogrelets

préparer un bon spectacle. Si elles avaient eu le choix, elles auraient préféré mettre en scène un autre extrait : la rencontre entre Montag, un homme sérieux, ancré dans la société, et Clarisse, jeune fille de 17 ans, ouverte d’esprit et assez extravertie, deux personnages contradictoires.

Emma JAUNEAU Bérénice SAUNIÉ

Les élèves du groupe 2 en lecture

Il est important de défendre ses pensées jusqu’au bout !


EN PRATIQUE

« Pyromane...» C’est une scène qui doit faire peur, qui doit surprendre. Sur le plateau, pas de feu, même si cela aurait créé un effet de réalité. Mais les éleves metteurs en scène Aylin et Leslie ont trouvé une bonne astuce : projetter de la lumière rougeorange sur le rideau. L’ambiance sonore a été aussi réfléchie. Un morceau de rap, « Pyromane », toujours en rapport avec le feu, va surprendre et donner une touche d’humour. Il y aura aussi une voix-off, assez puissante pour qu’elle soit entendue par tous les spectateurs. Les jeux de lumière vont créer une ambiance sombre pour renforcer la tristesse de la scène. Le but est de faire comprendre au public la scène qui est jouée sans qu’il connaisse nécessairement l’oeuvre intégrale. L’état d’esprit des élèves est plutôt positif: ils sont contents, ils ont à coeur ce projet, ils sont entreprenants et ont plaisir à jouer. Le groupe s’est partagé les rôles:

Les élèves du groupe 3 testent leurs idées de mise en scène

metteurs en scène, concepteurs lumière et son, scénographes. Mais tout le monde se retrouve sur le plateau pour jouer. Cela leur permet d’être polyvalents. « C’est cool ! » s’exclame Aylin. Le scénographe, Olivier, a été sympa avec les élèves durant la répétition. Avant de commencer le travail sur scène, ils ont fait un petit tour de plateau et ont écouté les conseils de Stéphane, le décorateur. Dans cette mise en scène, il y a aussi des contraintes sur le plateau, il faut faire attention au matériel car les déplacements des comédiens se font dans l’obscurité. Depuis le début de l’année, les élèves ont préparé ce moment de création : ils ont étudié Fahrenheit 451, lu le livre et vu la pièce. Avec leur dynamisme, ils sont arrivés à un beau résultat et en sont très satisfaits.

Une voix- off puissante pour qu’elle soit entendue par tous

c’est cool !

Pas de vrai feu mais des effets de son et d’optique

Mélissa ALEXIS Ajanthayini BASKARAN

Les élèves du groupe 2 en lecture

Le feu un jeu d’illusions Proposé par la Scène Nationale de Sénart, cet extrait de Fahrenheit 451 « les livres de la vieille dame » a été entièrement mis en scène par les élèves issus des lycées Pierre Mendès France et Sonia Delaunay. De l’éclairage à la scénographie en passant par l’interprétation, tout a été pensé par ces jeunes. « Nous avons misé sur quelque chose de très simple et différent de ce que nous proposait David Géry » nous confient Camille et Mathilde, scénographes d’un jour de 17 et 16 ans. Sur scène, on ne retrouve pas de vrai feu, mais des effets de son et d’optique pour en créer l’illusion. L’éclairage choisi est dans

des tons orangers et parfois très sombres. Ces jeux de lumières permettent au mieux d’imiter le feu sur scène et est la meilleure alternative pour se passer de flammes. Ce choix fait aussi ressortir le coté angoissant de cette scène. La musique se veut inquiétante et oppressante, pour créer un effet de peur. Kyrian Burgos, chargé du son, nous parle de crépitements artificiels, ajoutés grâce à une console, qui nous fait penser à du feu. Des bruits de pas, des sirènes de pompiers ainsi que d’autres bruitages de fond viennent renforcer les émotions que cherchent à nous faire ressentir ces apprentis. Chaque effet

sonore rend la scène plus vivante encore. C’est après avoir lu et discuté de la scène entre eux qu’ils sont arrivés à cette version finale. Une critique de la société sous forme d’une scène oppressante. Cela peut paraître surprenant, mais à la veille de leur représentation, ce sont des élèves confiants et détendus que nous avons rencontrés. « Pas grave si on échoue, on n’est pas noté et c’est vraiment pour passer un bon moment. »

Magali OHOUENS Avila COGOULANE Le 29 mars 2013 - Les Ogrelets

9


EN PRATIQUE

Un film et une exposition... aussi Dans le projet des Ogrelets, des lycéens font un travail d’analyse théâtrale. Ils sont répartis en trois groupes : photo, vidéo et presse. Nous sommes allés à la rencontre de ceux qui, à partir de la pièce Fahrenheit 451, ont pour défi de réaliser un documentaire et une exposition photographique. Le groupe vidéo, dirigé par Alexandra Boegler et Jérémy Sicard, a pour mission de réaliser un documentaire sur les autodafés, la manipulation des esprits, en lien avec les thématiques développées dans la pièce Fahrenheit 451. Les élèves se sont « inspirés de films où la résistance est mise en question comme dans Terminator qui montre la résistance contre la machine », précise, intelligemment Mickael, membre du groupe vidéo. La plupart des extraits sont sélectionnés sur Internet et d’autres tournés par euxmêmes. Ils trient leurs vidéos par rapport aux différents thèmes. Une partie des élèves est à l’extérieur afin de capter des images à l’aide d’un réflecteur de lumière, un objet rond qui permet de tamiser la lumière du jour et d’obtenir une plus belle image. Les autres élèves sont restés à l’intérieur pour apprendre des citations qu’ils réciteront devant la caméra. Le tout sera monté sous forme de voix-off et constituera l’introduction du documentaire. Les élèves semblaient très excités par l’idée de faire ce documentaire. Ils n’avaient pas encore trouvé de titre. Il leur restait encore beaucoup de travail à faire.

10

Le 29 mars 2013 - Les Ogrelets

Quant au groupe photo, il est dirigé par Anne Pichard et Pierre André Clergue. Les élèves ont pour but de faire une exposition sur plusieurs thèmes propres au livre : censure, feu, savoir, autodafés et hommes-livres (voir p.11). Pour y arriver, ils travaillent par étape. D’abord ils s’inspirent de photos réalisées par des professionnels, puis ils font eux-mêmes leurs photos. Ils en ont réalisé une trentaine avec des styles très différents et originaux : du « light painting », qui consiste à écrire avec une lampe de poche, du caviardage qui est la modification d’un texte pour en modifier la signification initiale, et, enfin, des portraits de tous les membres du groupe. En se photographiant entre eux, les lycéens essaient de nous faire passer un message : la télévision est une prison, c’est un danger. Les élèves étaient très enthousiastes. Cela les a même confortés dans leur orientation. « J’ai pu apprendre beaucoup de choses sur la photographie, cela a influencé mon choix dans mon orientation professionnelle », confie Gloria.

Chloé MATUKI Christelle PASSEBONGO Daphné NYASSALA

La télévision est une prison, c’est un danger

Les élèves préparent l’exposition dans les couloirs de la Coupole. Crédit photo: groupe photo des Ogrelets


EN PRATIQUE

PORTFOLIO

Cultures du livre, cultures de l’esprit

Crédit photo: groupe photo des Ogrelets

Le 29 mars 2013 - Les Ogrelets

11


SOCIÉTÉ

Les autodafés religieux: la guerre littéraire Les autodafés sont un phénomène récurrent dans l’histoire. Ils frappent en particulier les livres religieux : le Coran, la Bible et la Torah. Les habitants de Tombouctou respirent enfin ! Ce mois de février 2013 marque la fin d’une bataille acharnée entre extrémistes et défenseurs du savoir. Quelques hommes de la ville se sont livrés à une guérilla, pour protéger les manuscrits anciens et sacrés que des islamistes voulaient réduire à néant. Dans leur bêtise et leur ignorance, certains affirment que ceux-ci auraient brûlé sans le savoir des Corans dans une bibliothèque de la ville. Les Tombouctiens avaient une mission : cacher et sortir les livres de la ville afin de les protéger. Camions, ânes, scooteurs, voitures, sacs de riz, faux plafonds... Tout était bon pour cacher et protéger les livres. Hamidou, 30 ans, a fait partie de cette armée de protection de la littérature. Ces derniers mois, il s’est restreint dans ses lectures et a subi l’occupation islamiste. Aucun individu ne devait connaître ce qui se cachait réellement derrière les murs de sa bibliothèque. Alliman Alhakoun, âgé de 76 ans, est aussi un résistant. Il est entre autre l’imam de la mosquée de Sankoré. « Seul le Coran a une importance pour eux. Ils sont incultes. Pour moi, leur comportement n’était pas celui d’un bon musulman. Ils faisaient semblant de prier et imposaient leurs armes. Je condamne tout ce qu’ils ont fait. Ils sont venus faire le mal, effacer Tombouctou aux yeux du monde entier. Ils sont condamnés devant Dieu et iront en enfer », a confié Alliman à Nicolas Delesalle dans une interview pour le magazine Télérama (n°3292).

L’histoire se répète Le metteur en scène David Géry fait aussi référence à ces événements d’actualités. Dans une interview donnée à l’issue d’une représentation de son spectacle Fahrenheit 451 à la Scène nationale de Sénart, en février dernier, il déclare pour souligner la pertinence de l’œuvre de Ray Bradbury aujourd’hui : « […] Il suffit de lire les nouvelles quand on voit au Mali aujourd’hui, à Tombouctou, quelques bibliothèques qui ont été massacrés et brûlées et même en Syrie. On brûle des livres aujourd’hui, et ça c’est inacceptable. »

12

Le 29 mars 2013 - Les Ogrelets

romaine avait pour but de convertir les juifs au christianisme, car sans leur livre sacré, ils étaient supposés être plus enclins à venir à la foi chrétienne. La Bible est aussi passée par le feu à plusieurs reprises. Par le passé, des exemplaires étaient soit conservés pour la transmettre ou brûlés pour empêcher sa diffusion. Par exemple, l’empereur romain Dioclétien exigeait que toute littérature chrétienne soit brûlée. Au Moyen Âge, il était interdit de réécrire la Bible en ancien français. Beaucoup de moines sont morts sur le bûcher pour avoir bravé l’interdit.

Après le 11-Septembre

L’autodafé, une forme de provocation.

Malheureusement les livres ont toujours brûlé dans l’histoire. Si on prend l’exemple des livres religieux, qui véhiculent des idées particulièrement partagées, on retrouve tout au long de l’histoire des autodafés. Comme le souligne Slimane Zeghidour, journaliste spécialiste des religions, lors d’une interview qu’il nous a accordée depuis son bureau de TV5 Monde, l’autodafé existe en fait depuis qu’il y a des livres. Il précise ensuite que « On a pas brûlé le Coran. Il y avait plusieurs versions au 7ème siècle. Le fait de laisser plusieurs versions en libre service, pouvait avoir le risque qu’il y ait des changements dans le texte. Le calife Osman, le 3ème successeur du prophète, a prit la décision de supprimer des versions et de n’en garder qu’une seule. C’est cette dernière qui a été recopié jusqu’à l’invention de l’imprimerie. » Il existe également des témoignages concernant la Torah. Le site Israel info, dans un article de septembre 2012, refait la lumière sur des autodafés du Talmud à Venise en 1553, soit 33 ans après la première impression de la Torah. Cette stratégie de l’inquisition

Aujourd’hui encore les autodafés des Bibles sont d’actualité. En mai 2010, en Iran, les autorités décident de brûler des Bibles en prétendant qu’il s’agit de faux livres sacrés. « Des Évangilestes ont brûlé des Bibles en Israël en 2008, ajoute Slimane Zeghidour. C’était des extrémistes de droite. Ce qui est visé ne sont pas les livres mais les fidèles. Brûler le Coran comme l’a fait Terry Jones, ne vise pas à supprimer le Coran mais a provoquer les musulmans » Cette provocation, le pasteur Terry Jones s’en est saisi à pleines mains. Le 11-Septembre a traumatisé les Américains, et certains d’entre eux sont mêmes devenus islamophobes. Pour l’anniversaire du 11-Septembre 2001, Terry Jones avait ainsi, avec la complicité de ses fidèles, perpétué un autodafé envers l’islam. Homophobe, sexiste et misogyne, Terry Jones n’en n’est pas à son coup d’essai pour perpétuer des actes haineux. Se servant cette fois-ci du prétexte de l’attentat du World Trade Center pour brûler des Corans et prétendre à une révolte, Terry Jones montre une fois de plus sa capacité à attiser les hostilités. A priori, il n’aime pas grand monde si ce n’est que luimême et sa religion. Malheureusement, ce bûcher religieux perpétué par Terry Jones a inspiré de jeunes Anglais. Pour le même anniversaire des événements du 11-Septembre, en 2010, six hommes ont brûlé deux exemplaires du


SOCIÉTÉ

Coran à Gateshead, au nord-est de l’Angleterre, d’après le site Internet du magazine Le Point (article du 23 septembre 2010). Ils auraient filmé leurs actes et diffusé la vidéo sur Youtube. Leurs visages dissimulés sous des écharpes ou des capuches, ils auraient déclaré, tout en regardant le premier livre se consumer: « 11 septembre journée internationale pour brûler le Coran » et « Pour les gars en Afghanistan ». Les islamophobes ne font pas de compromis entre l’islam modéré et l’islam radical. Pour eux, l’islam est mal, satanique. Ils cherchent à la réduire à néant en utilisant la violence et l’incitation à la haine raciale. « Il y a eu des autodafés du Coran, au début des années soviétiques dans les années 30 en Asie Centrale. Comme il y a eu des Bibles brûlées à l’époque du communisme. Sinon, les autodafés et les profanations du Coran,

c’est après le 11-Septembre. Surtout de la part des soldats américains. Ils ont utilisé les pages du Coran comme papiers hygiéniques en Afghanistan », indique Slimane. Il souligne également la différence entre l’autodafé à l’époque des manuscrits et sa signification aujourd’hui : « Quand seulement quelques manuscrits circulaient, le but de l’autodafé était de supprimer le livre, en faisant disparaître le peu d’exemplaires qu’il y avait. Mais depuis qu’on a inventé l’imprimerie et que des milliers d’exemplaires existent à travers le monde, l’autodafé ne sert qu’à provoquer, insulter les gens qui se réclament de ce livre. Le but n’est plus de supprimer le livre puisque l’on sait qu’il existe en milliers d’exemplaires. » Les autodafés ont toujours occupé une place monumentale dans la société. Cela ne concerne pas seulement les livres religieux.

Les régimes totalitaires ont aussi pratiqué des autodafés, comme les nazis ou les communistes. Leur objectif était que les populations s’abrutissent pour qu’ils ne puissent pas réfléchir et se révolter. Le livre en général est considéré comme une arme de savoir. Fahrenheit 451 est une œuvre qui nous rappelle à quel point la destruction des livres est un danger pour l’humanité. Alors qu’aujourd’hui encore certains pays sont privés de l’accès au savoir, l’histoire de Fahrenheit 451 devrait être entendue par tous les gens qui pensent que lire est inutile.

Magali OHOUENS Chloé MATUKI Emma JAUNEAU Walid MIMOUNI

Les nouvelles formes de destruction du savoir Depuis l’arrivée d’Internet, les autorités de certains pays tentent de bloquer les informations circulant par ce biais. Une nouvelle forme de censure, et de destruction du savoir. D’après LeMonde.fr, environ 61 pays peuvent être coupés du réseau Internet sur la décision du chef d’Etat. Parmi ces pays on compte la Birmanie, le Viet Nam ou encore Cuba. De son côté, l’ONG Reporter sans Frontières recense pour 2013 une liste de cinq Etats ennemis d’Internet : la Syrie, la Chine, l’Iran, le Bahreïn et le Vietnam. Ces cinq pays sont les plus contrôlés au monde et sont considérés comme les pires Etats espions. Ils mènent une politique de surveillance permanente à l’encontre des droits de l’homme. Malgré l’importante croissance économique de ces dernières années, la Chine continue de pratiquer la censure. Elle utilise les moyens technologiques les plus sophistiqués au monde tels que des filtres bloquant accès à certains sites ou des logiciels espions. Elle engage aussi des « cybers policiers » qui surveillent et dénoncent les opposants politiques.

La Chine affirme que ces mesures servent à protéger les enfants de la violence ou de la pornographie présente sur la Toile. Pourtant, les réseaux sociaux tels que Twitter, Facebook ou You tube, les sites où les internautes peuvent s’exprimer, sont là-bas inaccessibles. Ce pays encore communiste, censure donc pour empêcher la diffusion d’idées contraires aux idées du

parti à la tête du pays. En décembre 2010, en Tunisie, Mohamed Bouazizi s’immolait par le feu après la saisie de son étal de fruits et légumes. L’information est rapidement relayée par les réseaux sociaux. Ce geste fut l’élément déclencheur d’une vague d’indignation de la population tunisienne. C’est le début des révolutions arabes en Occident. Internet aurait joué un rôle majeur sur ces protestations politiques et sociales. Les jeunes révolutionnaires utilisaient ces outils technologiques de manière intensive pour la diffusion des informations. En conséquence, la censure de l’internet, des pays touchés par les révolutions arabes, a fortement augmenté. Néanmoins, Mounir Bensalah, blogueur marocain, affirme dans son livre Réseaux sociaux et révolutions arabes que « le rôle des réseaux sociaux dans le Printemps arabe a été très exagéré». D’après lui, très peu des populations des pays arabes avaient accès à Internet. Même si la Toile a servi de plate-forme d’échange, elle n’a pas joué ce rôle majeur décrit dans les médias. A.C.

Le 29 mars 2013 - Les Ogrelets

13


SOCIÉTÉ

RE P ORTAG E

Si vous ne deviez garder qu’un seul livre... AU SALON DU LIVRE, MOTS DES LECTEURS D’AUJOURD’HUI Marie Alfred, médiateur culturel

« Les Bonobos » de Frans DEWAAL et Frans LANTING

«C’est un ouvrage où l’on retrace comment vivent les bonobos, comment vivent les animaux qui sont proches de nous, qui ont les mêmes comportements à 90% comme l’homme et quand on les observes attentivement on peut comprendre comment nous vivons. Par exemple une chose toute bête; quand ils sont en conflits, ils se mettent en famille et ils règlent le conflit en famille donc je pense que pour l’humanité qui veut survivre et jusqu’audelà d’une autre espèce, il faut prendre un livre comme Les Bonobos car c’est une e nité on peut copier sur eux..»

Lisiane, chargée de communication

« Les oeuvres intégrales » de Michel FOUCAULT

«Ces oeuvres retracent toutes les connaissances depuis le début de l’humanité. C’est un puits de science, intéressant pour tout le monde.»

Isabelle, auteur

« Noces » d’Albert CAMUS «C’est un livre qui m’a suivi dans tous les moments importants de ma vie et dans lequel je me suis identifiée à chacun de ces différents moments.»

14

Le 29 mars 2013 - Les Ogrelets


SOCIÉTÉ

RE PO RTAGE

Gwenaëlle, libraire

« Da Vinci Code » de Dan BROWN «C’est un livre très intéressant, avec beaucoup d’aventure, d’intrigue et de mystère. Il est vraiment super.»

Vinca, maquilleuse

« C’est chouette d’être chouette » de Joëlle KEM LIKA «C’est un livre qui a un regard philosophique et qui apporte des solutions même si c’est un livre destiné aux enfants. C’est un livre positif. Il m’apaise»

Le 29 mars 2013 - Les Ogrelets

15


SOCIÉTÉ

TÉMOIGNAGE

« Documentaliste est un métier passionnant » Une documentaliste est chargée du centre de documentation dans une entreprise, une institution ou un établissement scolaire. Elle collecte, gère et diffuse les documents. Barbara Bouillaud est documentaliste au lycée Pierre Mendes France à Savigny-le-Temple. Qu’est-ce que le livre pour vous ? Le livre c’est beaucoup de choses. C’est un vecteur de connaissances, de culture. C’est par le livre qu’on transmet la science et la culture. Tout ce qu’on peut savoir on le trouve dans les livres. Avant Internet, c’était par le livre. Le livre, c’est aussi le plaisir de lire. Pourquoi avez-vous choisi ce métier ? J’ai choisi ce métier parce que j’aime les livres. Je suis documentaliste depuis 1997. Aimez-vous votre métier ? Qu’aimez-vous dans votre métier ? Oui j’aime beaucoup mon métier. J’aime beaucoup de choses. J’aime travailler avec les gens, depuis le collège ou le lycée. Donner des cours…parfois un petit peu moins. Être avec les jeunes et les aider… Proposer des livres, des journaux, des films, et tout ce qui est culturel m’intéresse aussi. Et vous accompagner en sortie. Que mettez-vous en place dans votre bibliothèque pour donner le goût de la lecture ? On essaye de mettre des nouveautés, faire vivre le site Internet du CDI, on commande des livres et on essaye de trouver des choses intéressantes pour vous, de les proposer aux professeurs pour qu’on vous les enseigne. Il y a des projets aussi, comme « Lire à Sénart ». Quels livres valorisez-vous en ce moment ? En ce moment on a un focus sur les bandes dessinées. Sinon c’est un peu de tout. On a acheté de très bons livres documentaires. Quelle a été votre plus grande réussite et quel a été votre plus grand échec ? C’est le projet « Lire à Sénart » qui marche le mieux. On essaye de vous faire lire. On travaille avec les bibliothécaires et on vous fait rencontrer des auteurs. C’est ce qui me fait le plus plaisir. On travaille tout le temps mais c’est vrai qu’il y a des choses qui ne marchent pas. Par exemple il y a très peu d’élèves qui emprûntent des livres pour le plaisir. Je trouve ça dommage car on achète des romans intéressants pour les ados que vous pourriez lire mais ça ne marche pas vraiment. Je ne suis pas très satisfaite de ça.

16

Le 29 mars 2013 - Les Ogrelets

Barbara Bouillaud, documentaliste au lycée Pierre Mendès France. Crédit photo: groupe photo Ogrelet

Avez-vous lu Fahrenheit 451 de Ray Bradbury ? Est-ce que cela vous a marqué ? Oui je l’ai lu, mais il y a des livres de science-fiction qui m’ont marqué plus que ça. - Que pouvez-vous répondre à une société qui pense que les livres rendent malheureux ? Dans ce cas-là, je serais malheureuse et il faudra interdire Internet et que l’on interdise tout. Si vous deviez écrire un livre, sur quel sujet écrieriez-vous ? Je ne me vois pas écrire de livre, mais comme je lis beaucoup de livres pour les adolescents j’écrirais plutôt des livres comme ça…des récits de vie de famille, tirer un peu dans le fantastique pourquoi pas ? Une nouvelle peut-être que je peux le faire. Si vous changiez de métier, que voudriez-vous faire ? Si je changeais de métier, je ferais un autre métier dans les livres, par exemple dans une bibliothèque.

Mélissa Ajanthayini


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.