Les peaux noires : scènes de la vie des esclaves

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LES PEAUX NOIRES.

justice elle-même était heureuse de voir finir, sans autre complication, par l'exécution d'une esclave. Il faut, pour bien comprendre le sentiment qu'éprouvait le marquis Daguilla, et le laver du caractère qu’il aurait dans le monde européen, il faut, dis-je, se transporter dans ce milieu de la société coloniale où l'esclave compte pour si peu de chose, que sa vie ne pèse pas dans le plateau de la balance, quand dans l’autre plateau se trouvent le nom, l’honneur, le blason d’une famille. Ce n'est point par cruauté, par oubli des devoirs religieux, par mépris des droits de l’humanité que le blanc pense et agit ainsi. C’est la faute, c'est le résultat de l’esclavage. Le meilleur et le plus doux des maîtres envers ses esclaves a été élevé à en faire ce peu de cas, que la vie d'un nègre innocent peut bien au besoin être sacrifiée pour sauver une famille blanche d'une souillure. Je le répète, ce ne sont pas les propriétaires d’esclaves qu'il faut en accuser, comme on l'a fait à tort, c’est l'esclavage lui-même qui a forcément dégradé une portion de l'espèce humaine. Il résulte de cette situation anormale deux sentiments qui se manifestent tout naturellement, et avec une égale énergie, chez l’esclave : ou le sentiment de la vengeance sans merci, ou le sentiment d'un devoir qui, inspiré par une soumission entée sur la conscience de l’infériorité, est poussé jusqu’à l’exaltation, jusqu’à l’abnégation la plus sublime. Tobine venait d'en fournir un exemple à l’appui duquel ou pourrait citer des milliers de faits semblables et authentiques.


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