Les peaux noires : scènes de la vie des esclaves

Page 249

TOBINE

235

de ses traits. Elle examina tout autour d’elle avec précaution, puis fît mine de passer tranquillement son chemin ; mais arrivée à deux pas d’André, elle murmura le nom du jeune officier. — C’est moi, répondit celui-ci en laissant tomber le pan relevé de son puncho. La femme s’approcha vivement alors de lui, et retirant de dessous sa mante un bouquet : — Vous comprenez, n’est-ce pas, seigneur? André prit le bouquet, offrit son bras à la messagère voilée, et entra avec elle sous la voûte de la longue allée. Quand José eut vu son maître à quelque distance, il sortit de sa cachette, se coucha pour ainsi dire à plat-ventre, et le surveilla de loin. Deux ou trois fois la compagne d’André avait retourné la tête, croyant entendre du bruit. — Que craignez-vous donc? lui demanda celui-ci. — Je crains qu’on ne nous suive. — Soyez sans inquiétude. Si quelque téméraire se jetait à travers nos pas, j’ai, pour le recevoir, un bon poignard et deux excellents pistolets. — Vous vous armez ainsi pour aller au bonheur? murmura la femme d’un air étonné. — Pourquoi pas, répliqua André. Sait-on jamais où nous mène le bonheur? Mais, dites-moi, reprit-il, vous voilà encapuchonnée au point que je puis dire que je marche à côté d’un mystère... — Oh! n’allez pas vous méprendre! et il est inutile, seigneur, de me presser ainsi le bras et la main ; vous semez en terre stérile. Je ne suis pas le bonheur, je ne suis que le chemin qui y conduit. André reconnut parfaitement le timbre de voix de la femme qui l’avait arrêté la veille au soir dans la rue. José les suivait toujours à distance, eu rampant dans les herbes comme un véritable serpent. André et sa com-


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.