La Déportation des députés à la Guyane : leur évasion et leur retour en France

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A LA GUYANE (18 FRUCTIDOR).

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l'instituteur, le père des sourds et muets, cet estimable abbé Sicard que les égorgeurs de Septembre euxmêmes avaient respecté, des commissaires du Roi, leurs dénonciateurs (1) et arrestateurs, fort étonnés de se voir frappés de la même peine et pour le même délit, s'y trouvent entassés. Semblable délire préside à celle des députés dont les élections doivent être cassées; les choix de quarante-neuf départements sont annulés, et l'ordre et du bonheur de sa patrie; qui, puisant dans son propre cœur le sentiment de sa dignité, et dans le bien qu'il fait le prix de son courage, se montre également inaccessible aux pièges de l'ambition comme aux menaces de la tyrannie 1 Telle s'est présentée, pour l'honneur de la France pendant nos longues tempêtes politiques, cette foule d'hommes de lettres qui ont écrit pour la royauté sous la Convention et le Directoire, pour les Bourbons sous Buonaparte, pour le triomphe de la légitimité sous le joug des doctrines antimonarchiques, reproduites par la malveillance et trop méprisées par la loyauté. Honneur dans tous les temps, honneur à la mémoire des Suleau, des Durosoi, des Cazotte, qui scellèrent de leur sang l'immortalité d'un talent consacré au soutien des saintes lois de la patrie ! Souvenir éternel à leurs nobles imitateurs qui, chargés de fers ou voués à l'exil, embellirent ce douloureux tribut payé à leurs vertus politiques par des ouvrages avoués des muses, et chers à la patrie dont les larmes coulèrent plus doucement sur eux aux accents de la Pitié (l'abbé Delille), à la voix plaintive du Proscrit (M. Michaud) ; hommage enfin à ces hommes privilégiés qui, pouvant tout par la puissance d'un talent que l'Europe admire, ont su tout perdre plutôt que de descendre à des ménagements indignes de leur noble indépendance, restés plus grands sans doute dans l' oppression politique, lorsque, dépouillés de quelques vains titres, ils n'ont été entourés que d'eux-mêmes au milieu des places qu'on leur avait ôtées, et des services qu'ils avaient rendus (M. le vicomte de Chateaubriand et M. Benoît) ! Ceux dont la France est redevable, depuis la restauration, aux écrivains royalistes sont immenses; car dans un système politique comme le nôtre, où tout, à la longue, subit le joug irrésistible de l'opinion, chaque écrivain doué de quelque talent devient une puissance, et ne saurait être négligé dans les calculs des causes qui peuvent influer plus ou moins sur le sort de l'État. (1) Ramel avait été un des dénonciateurs de M. de La Ville-Heurnois et de l'abbé Brothier.


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