La France équinoxiale. T.1. Etudes sur les Guyane françaises et l'Amazonie

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EN GUYANE.

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et bientôt les crimes, les assassinats, les duels, les vols, le jeu, un jeu effréné, la mendicité, la prostitution, des cas de cannibalisme, viennent mettre l'horreur à son comble. Combien meurent tous les jours! On ne les compte pas. Plus aucun registre, aucune police, rien de respecté : c'est un hôpital dans l'anarchie et le délire. L'agonie de ces douze mille malheureux dura toute l'année 1764. La plume du plus intrépide naturaliste se refuserait à décrire les scènes sans nom, l'horreur monstrueuse, les convulsions lamentables de la petite colonie mourante. On transporta aux îles nommées depuis, par antiphrase, Iles du Salut, quelques centaines de malheureux atteints du typhus ; le typhus les y suivit et les y tua. On voulut embarquer à bord des vaisseaux les nouveaux arrivés, les commandants refusèrent de les accepter. Champvalon lui-même, malade et désespéré, eut alors une idée singulière : il fit jouer la comédie par ce qui restait des comédiens. Choiseul eut une idée presque aussi ingénieuse : il envoya en Guyane le chevalier Turgot, qui était jusqu'alors resté avec ses cent mille francs de traitement à se pavaner dans les salons de Versailles. Et Turgot, arrivé à Cayenne, se garda bien de se rendre à Kourou, de peur de la maladie; mais il fit arrêter Thibaut de Champvalon, et fit inviter, à son de caisse, ce qui restait de survivants de l'expédition à porter leurs plaintes contre l'intendant. Il fallait une victime expiatoire. Champvalon fut embarqué pour la France en janvier 1765. Turgot y rentra aussi, et démontra que, si l'expédition de Kourou avait eu une si malheureuse issue, il fallait uniquement en chercher la cause dans l'incapacité et la malhonnêteté de Champvalon. Choiseul était trop intéressé à ne pas se rendre à d'aussi


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