Les Jésuites à Cayenne : Histoire d'une mission de vingt-deux ans dans les pénitenciers de la Guyane

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LES JÉSUITES A CAYENNE

page et le navire devenait alors un véritable foyer d'épidémie. C'est ainsi que le vapeur le Rapide perdit, à Cayenne, plus de la moitié des hommes qui le montaient. Un jeune mousse de quatorze ans tomba malade à l'Ilet-la-Mère et fut enlevé au bout de trois jours. Le P. Ringot, persuadé qu'il y avait danger à porter le corps à l'église, fit part de ses craintes au commandant, en lui demandant toutefois ses instructions. Celui-ci consulta le médecin, qui, regardant la mort du jeune mousse comme un cas absolument isolé, fut d'avis qu'on pouvait faire à l'église les cérémonies funèbres. Elles se firent en effet, et quelques jours après l'Ilet-la-Mère était une seconde fois ravagé par la fièvre jaune. L'hôpital recevait de quinze à vingt malades et l'aumônier enregistrait de dix à douze décès par jour. Comme à la première invasion de la maladie, les mourants acceptaient avec joie les secours religieux. Deux médecins succombèrent en donnant des marques de la plus haute piété. L'un d'eux, un Breton, qui depuis son arrivée en Guyane avait notoirement vécu en libre-penseur, changea complètement de dispositions sous le coup de l'épreuve et fut, dans ses derniers jours, l'objet de l'édification universelle. Sur le point de rendre le dernier soupir, il voulut demander publiquement pardon des scandales qu'il avait donnés, ce qui fit une profonde impression sur les transportés, car ils admiraient ce médecin pour sa science et l'aimaient pour sa charité. Le compagnon du P. Ringot, le F. Pingrenon fut frappé comme lui par le fléau. Après quinze jours de souffrances, comme il restait immobile sur son lit, on le crut mort, et l'on couvrit son corps d'un drap funèbre. Or, le pauvre malade était seulement plongé dans une profonde léthargie ; incapable de donner le moindre signe de vie, il entendait parfaitement tout ce qu'on disait autour de lui. Il assista ainsi à son oraison funèbre, prononcée par les transportés: «Quel malheur,


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