De Paris à Cayenne : journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

mes commensaux ! comme je tremblais de les voir envahir les limites imaginaires que je m'étais tracées, limites assez étroites au surplus pour désarmer leur jalousie ! Tout à coup, un boiteux, à figure de fouine, qui se trouvait à mes côtés, se met à pousser des cris inarticulés. Il tombe à la renverse et se roule dans d'horribles convulsions. Le malheureux était épileptique, et peu de jours s'écoulaient sans qu'il n'eût une attaque. Le dîner fut suspendu d'un accord tacite; mes autres convives, habitués à ces accidents, arrêtèrent spontanément la marche des cuillers, par un sentiment de fraternité vraiment louable. Au bout de quelques instants, le boiteux à peine revenu à lui, les yeux encore renversés et la bouche couverte d'écume, donnait le signal de la reprise, et bientôt le contenu de la gamelle disparut devant un assaut général que rien ne vint arrêter. Il n'y eut qu'un réfractaire; ce triste épisode m'avait trop impressionné, sa conclusion avait, en réveillant mes légitimes dégoûts, effacé toutes mes résolutions ; je déposai les armes, jurant bien de ne plus essayer et de vivre do pain, de cervelas et de gruyère. Mon avenir ne s'embellissait pas et cependant


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